L’Encéphale (2009) 35, 505—509 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP COMPTE-RENDU Compte-rendu des 17es Journées de Laguiole, juin 2009 Report about 17th Journées de Laguiole, June 2009 L’intégralité des sessions des 17es Journées de Laguiole ont été enregistrées en vidéo et elles sont visibles sur le site EM-consulte « L’encéphale — 17es Journées de Laguiole ». Pour vous connecter, utiliser votre code « abonné » ou votre code « invité ». « Où commencent les choses en moi ? Nulle part. Car je suis en plein incréé avec mon corps physique tout entier ». Antonin Artaud, ce génie à la fois poète, essayiste, dramaturge, acteur et metteur en scène a laissé derrière lui une œuvre considérable, nous permettant, à nous psychiatres, psychologues, infirmiers, soignants, d’appréhender un peu mieux le vécu étrange et angoissant associé à la maladie mentale. Soigné à l’hôpital de Rodez près de Laguiole, il est décédé en 1948 à l’aube de la révolution des soins en psychiatrie avec l’avènement de l’ère des psychotropes. Ces 17es Journées de Laguiole se sont données pour objectif une réflexion autour de l’organisation des soins en psychiatrie afin d’améliorer, davantage encore, la prise en charge et la qualité de vie des patients, génies pour certains, hommes et femmes ordinaires pour la plupart, mais toujours uniques dans leur vécu et leur souffrance. Plus d’un demi-siècle après la création de la chlorpromazine, l’un des principaux vecteurs de soins en psychiatrie est la pharmacothérapie. Lors de ces journées, un intérêt tout particulier s’est porté sur les connaissances actuelles concernant les antipsychotiques atypiques (APA), en particulier leur action sur la désorganisation dans la schizophrénie (D. Gourion), sur les symptômes dépressifs (F. Ferreri) et leur efficacité sur les symptômes négatifs en comparaison aux neuroleptiques (NLP) classiques (N. Glück). Illustrant son propos de nombreuses citations d’Antonin Artaud, D. Gourion situe le concept de désorganisation au sein de différents grands champs théoriques (modèle Krae0013-7006/$ — see front matter doi:10.1016/j.encep.2009.08.001 pelinien, Bleulérien, psychanalyse, phénoménologie) avant d’expliciter le modèle de « salience » aberrante de Kapur. Ce modèle tend à lier dans un même système les anomalies biologiques et en particulier la dysrégulation dopaminergique, maintenant bien documentée dans la schizophrénie, l’expérience phénoménologique de la psychose prise au sens large d’hallucinations et/ou délires, et l’action pharmacologique des antipsychotiques. Le terme « salience » pourrait être traduit par « mettre en relief » c’est-à-dire privilégier un élément par rapport à l’ensemble des éléments du contexte, qui prendra alors une valeur particulière. Il a été proposé par Berrigde et Robinson que la libération de dopamine, en particulier dans le système mésolimbique, jouerait un rôle central de médiateur de la « salience » de l’environnement et des représentations internes d’un individu. Kapur propose que la dysrégulation dopaminergique usurpe le processus normal d’attribution de « salience » contextuellement conduite et amène à une assignation aberrante de « salience » aux objets externes et représentations internes. Les hallucinations reflèteraient l’expérience directe d’attribution de « salience » aberrante aux représentations internes tandis que les délires représenteraient l’effort cognitif généré par le patient pour donner un sens à ces expériences aberrantes. Les antipsychotiques, en régulant la libération de dopamine, permettraient une réhabilitation de la « salience » normale et ainsi une régression des symptômes psychotiques. Quoique les symptômes négatifs ne soient pas indispensables au diagnostic de schizophrénie, ils sont fréquents et fortement associés à la baisse des performances sociales. Ce sont donc des cibles thérapeutiques de premier plan si l’on veut améliorer le pronostic. Les APA sont réputés théoriquement plus efficaces que les NLP classiques sur ces symptômes. Se basant sur la littérature, N. Glück modère cet a priori. Suivant la distinction proposée par Carpenter entre symptômes négatifs « primitifs » ou intrinsèques et symptômes négatifs « secondaires », on relève deux types d’études : • les études spécifiques évaluant les symptômes négatifs intrinsèques, en général dans une population de patients chroniques déficitaires ; • et les études non spécifiques. 506 Analysant les résultats des méta-analyses et des études spécifiques récentes, N. Glück tire les conclusions suivantes : certains APA (amisulpride, olanzapine, rispéridone et clozapine) sont supérieurs aux NLP classiques sur la symptomatologie négative ; au contraire l’aripiprazole ainsi que d’autres APA non commercialisés en France n’ont pas montré leur supériorité. Dans certaines conditions, certains NLP classiques (flupentixol en particulier) seraient aussi efficaces que les APA (rispéridone) sur les symptômes négatifs. En particulier l’usage de NLP classiques à faibles doses pourrait approcher les performances désinhibitrices des APA. L’amisulpride semble être la molécule la plus efficace sur la symptomatologie négative. Un autre aspect fondamental en pratique clinique est la prise en charge des symptômes dépressifs dans la schizophrénie. Beaucoup d’entre nous ne sont-ils pas tentés d’ajouter un antidépresseur lorsque se surajoute à la symptomatologie psychotique une dimension dépressive ? À l’aide d’une littérature bien documentée, F. Ferreri nous dresse un portrait des bonnes pratiques cliniques. Tout d’abord, il faut rechercher une cause (organique, toxique, dysphorie induite par les neuroleptiques. . .) dont le traitement amènera à la résolution du tableau dépressif. Il est important également de rechercher une dépression comorbide, comme par exemple dans le trouble schizo-affectif, nécessitant bien l’adjonction d’un antidépresseur. Les symptômes dépressifs peuvent aussi appartenir à la clinique de la schizophrénie, à l’instar des symptômes positifs ou négatifs. L’exemple le plus frappant est celui des phases prodromiques dans lesquelles les symptômes dépressifs dominent le tableau. Or ces symptômes ne sont pas soulagés par les antidépresseurs, mais bien par un antipsychotique. Il en va de même lors des décompensations aiguës ou dans les dépressions post-psychotiques. Dans ce dernier cas, la conduite à tenir fluctue entre adjoindre un antidépresseur ou changer d’antipsychotique. Quelle molécule choisir en cas de symptômes dépressifs chez le patient schizophrène ? Sur le plan pharmacologique, les APA devraient avoir un pouvoir « antidépresseur » supérieur aux NLP classiques : néanmoins seules trois études randomisées ayant comparé ces deux types de molécules sont disponibles. Les résultats sont controversés, sauf pour la clozapine qui a une efficacité clairement supérieure avec en particulier une diminution du risque de suicide. Mais d’une façon générale, face à un patient souffrant de schizophrénie, quel antipsychotique choisir ? Des éléments de réponse sont apportés par la pharmacologie (D. Drapier) et les méta-analyses (R. Schwann) ou par les études naturalistes (N. Jaafari). Un APA est généralement défini cliniquement par la moindre survenue d’effets secondaires neurologiques. Mais peut-on définir l’atypicité d’un antipsychotique sur le plan pharmacologique ? L’une des principales hypothèses est que les APA, en plus du blocage des récepteurs D2 — action commune à l’ensemble des antypsychotiques — bloqueraient également les récepteurs sérotoninergiques 5HT-2A. Le blocage des récepteurs 5-HT-2A va permettre la libération de dopamine sur les voies nigrostriée, hypothalamohypophysaire et mésocorticale et expliquer ainsi la moindre survenue d’effets indésirables tels syndrome extrapyramidal, hyperprolactinémie, symptômes négatifs et cognitifs. Compte-rendu Cependant, l’atypicité d’un APA ne passe pas tant par ce blocage des récepteurs 5-HT2A que par la faible affinité aux récepteurs D2, c’est-à-dire la capacité à se libérer (ou se dissocier) rapidement du récepteur après s’y être fixé. La vitesse de dissociation varie en fonction des molécules avec des conséquences fonctionnelles importantes. Les activités cognitives sont en effet sous-tendues par une sécrétion phasique de dopamine endogène. Les molécules ayant une faible affinité pour les récepteurs D2 (par exemple la clozapine) sont capables de libérer le récepteur pour la dopamine qui pourra alors agir. Au contraire les molécules qui ont une forte affinité pour les récepteurs D2 tel l’halopéridol, ne se déplacent pas du récepteur entravant ainsi le fonctionnement cognitif. Cette caractéristique pharmacologique est donc à prendre en compte lors de la prescription d’une molécule à un patient (D.Drapier). Il est communément admis que les choix thérapeutiques doivent s’inscrire dans l’exercice d’une médecine basée sur les preuves. Cette « Evidence-based medicine » s’appuie sur les résultats de l’agrégation méthodique de différentes études réalisées avec ou sans technique statistique, métaanalyses d’un côté, overview et revues systématiques de l’autre. Les méta-analyses d’études contrôlées randomisées fournissent un niveau de preuves élevé et constituent de plus en plus souvent le socle des recommandations pour la pratique clinique. Cependant, R. Schwann en a souligné les limites : agrégation d’études basées sur des hypothèses similaires mais non complètement identiques, construction différente des études sélectionnées, analyses statistiques biaisées par la publication répétée des mêmes études ainsi plusieurs fois prises en compte ou à l’inverse défaut de publication des études ayant des résultats négatifs. De plus, il existe différentes méthodes statistiques pour conduire une méta-analyse qui peuvent aboutir à des résultats différents ! Les méta-analyses n’offrent donc pas automatiquement une assurance d’objectivité et de preuve. Il serait risqué de baser la pratique clinique uniquement sur leurs résultats, comparer différents types d’études étant nécessaire pour se faire une opinion la plus objective possible. Par exemple, les études observationnelles (N. Jaafari), peuvent être un apport pour le choix d’un APA. Une étude naturaliste ou observationnelle examine et fournit des estimations d’associations d’événements en milieu naturel sans avoir recours à une intervention expérimentale. Il s’agit des études de cohorte, des études épidémiologiques et des études transversales. Bien qu’ayant de faibles niveaux de preuve selon les critères de l’Anaes, elles apportent des informations complémentaires aux études randomisées en double insu : étude de sous populations de patients à risque (comorbidité addictive, sujets âgés. . .), comparaison de molécules entre elles, étude surtout de l’efficience, qui est un critère fondamental dans la pratique clinique. L’efficience est un concept permettant d’intégrer à la notion d’efficacité d’autres dimensions, parmi lesquelles la tolérance, le retentissement fonctionnel, la qualité de vie et l’acceptabilité du traitement par le patient et par le soignant. Les études naturalistes se sont penchées sur les APA et nous donnent des renseignements intéressants sur l’incidence du syndrome métabolique par exemple ou le taux d’observance en fonction de la molécule. Choisir un antipsychotique pour un patient donné dépend d’un ensemble de facteurs dont l’insight du patient. Ce phéno- Compte-rendu des 17es Journées de Laguiole, juin 2009 mène d’insight est un état mental dynamique qui comprend plusieurs aspects : conscience d’être malade, attribution causale de la maladie, conscience des différents symptômes. Il dépend aussi de facteurs liés au clinicien et de facteurs interactionnels. Prendre en compte l’insight du patient dans sa globalité est un vecteur fondamental pour améliorer l’efficience de la prise en charge. La schizophrénie est une maladie chronique dont l’évolution peut être émaillée de rechutes ou de récidives. Chacune est génératrice d’aggravation : exacerbation des symptômes psychotiques, persistance de symptômes négatifs, troubles cognitifs, baisse de la qualité de vie, difficultés d’insertion sociale, le risque majeur restant le suicide. Il est donc capital de mettre en place dès le premier épisode un projet thérapeutique personnalisé, en collaboration étroite avec l’entourage (Van Amerongen) comprenant un traitement médicamenteux efficace et bien toléré au long cours (A. Viala), un programme de psychoéducation (N. Mages) et une prise en charge sociale (D. Legay). Les conférences de consensus préconisent la prescription des APA en première intention. Ceux-ci sont efficaces et bien tolérés : pourtant les patients les arrêtent et rechutent. Les neuroleptiques d’action prolongée présentent de nombreux avantages et sont souvent réservés aux patients peu compliants. De même classiquement l’APAP est indiqué pour les patients gérant mal leur traitement, ambivalents ou dans le déni de la maladie, ayant des antécédents de rechutes, agressifs, non-coopérants, manquant d’insight ou toxicomanes. Or l’APAP qui possède une efficacité clinique avérée avec une bonne tolérance neurologique convient aux critères nouveaux d’observance, de psychoéducation, d’amélioration cognitive, de qualité de vie. Aussi doit-on le prescrire de plus en plus souvent chez des patients jeunes, dès le premier épisode, après stabilisation (A. Viala). Plus la durée de psychose non traitée est courte, meilleur est le fonctionnement social du patient, qui bénéficie en outre des effets neuroprotecteurs prévenant les troubles cognitifs. Les rechutes diminuent, ce qui est d’un meilleur pronostic et d’un coût économique moindre. Le traitement par APAP favorise le partenariat thérapeutique. Il encourage la délivrance d’informations sur la maladie et le traitement. Il incite à s’aider de tous les moyens à notre disposition pour favoriser l’alliance thérapeutique et la prise régulière du traitement (CMP, rappel téléphonique, courrier, visites à domicile, psychoéducation. . .). La prise en charge cognitive ne doit pas être oubliée avec l’Ecole à l’Hôpital pour les plus jeunes, l’aide à la reprise des études, la remédiation cognitive. L’éducation thérapeutique du patient (N. Mages) fait partie intégrante du projet de soin des pathologies chroniques. Selon la définition de l’OMS, elle vise à aider le patient via une meilleure connaissance de sa maladie, à développer les compétences nécessaires à l’adaptation à la vie avec une maladie chronique. Elle doit être élaborée dans un cadre de référence adapté à la population et à la maladie concernée, favorisée par des partenariats entre sociétés savantes et associations de patients, enrichie par les retours d’expérience des patients et des proches. Elle peut être proposée à tout moment de l’histoire thérapeutique : au décours de l’annonce diagnostique, lors du suivi ou de la confrontation à des difficultés diverses. La mise en oeuvre de l’éducation thérapeutique 507 du patient nécessite d’abord un diagnostic éducatif avec une identification des attentes du patient, confrontées à la réalité sociale, psychologique et environnementale qui lui est propre. Puis un programme structuré est défini avec des priorités d’apprentissage adaptées aux buts personnels. Ensuite vient la réalisation de séances collectives ou individuelles utilisant des supports variés et diverses techniques de communication. Les études présentées révèlent qu’en complément du traitement pharmacologique, l’éducation thérapeutique du patient diminue chez les schizophrènes le taux de réhospitalisations et leur durée, permettant de substantielles économies. Le projet thérapeutique ne vise plus un simple apaisement des symptômes mais une qualité de vie jugée satisfaisante par le patient. Ce qui traduit à quel point les priorités de la prise en charge ont pu évoluer. Le diagnostic de schizophrénie ne détermine plus une désinsertion sociale, la détérioration progressive n’est pas inéluctable. Au contraire en agissant sur le handicap, conséquence de l’incapacité entraînée par la maladie (modèle de Wood), le désavantage social régresse via les stratégies de réhabilitation : c’est le postulat du Recovering de W. Anthony. Il existe en chaque individu une motivation à développer maîtrise et compétence dans des domaines de la vie qui vont lui permettre de se sentir indépendant et confiant en lui-même. L’individu peut apprendre de nouveaux comportements, y avoir recours et les adapter pour répondre à ses besoins de base. Résultat de démarches soutenues par les professionnels du soin, la réhabilitation nécessite un travail en réseau qui utilise tous les moyens du secteur, des structures non sectorisées et d’aide sociale. De nombreuses formules peuvent alors être proposées pour résoudre le problème fondamental du logement, l’accès aux ressources (Allocation adulte handicape, revenu de solidarité active, invalidité. . .), au travail (emploi en milieu protégé, ordinaire. . .). La mise en place de mesures de protection, l’accompagnement à la vie quotidienne, l’entraide, la lutte contre l’isolement, l’accès à diverses occupations se développent : nous assistons à un mouvement de société qui veut porter un autre regard sur le handicap et mettre en place un cadre législatif en ce sens (déstigmatisation, droits des patients). En outre, la réhabilitation bénéficie grandement de la participation des aidants. D’ailleurs les familles revendiquent un rôle dans l’organisation des soins et l’accompagnement de la personne malade. En effet via l’UNAFAM elles déplorent d’avoir autrefois été tenue à l’écart par le corps médical, privée de réponses aux questions et d’une écoute qui aurait permis une meilleure réactivité face aux effets secondaires indésirables, aux mauvaises observances. Vigilantes quant aux traitements prescrits à leurs proches, elles réservent un accueil a priori favorable aux APAP dans la mesure où ils s’inscrivent dans une relation de partenariat. Cependant en termes d’efficacité, elles s’interrogent sur les spécificités de ces molécules. Mesurer des paramètres cognitifs et d’imagerie cérébrale morphologique (volumes des structures cérébrales, etc..) et fonctionnelle (activité des régions cérébrales) pourrait fournir les premiers éléments de réponse. La schizophrénie est en effet associée à une réduction du volume de la substance grise et de la substance blanche dans les lobes temporaux (et en particulier dans le gyrus temporal supé- 508 rieur) et le cortex préfrontal. On retrouve des anomalies dans d’autres régions (cortex cingulaire subgenual, hippocampe, amygdale, ganglions de la base). Les NLP classiques provoquent une augmentation de volume des ganglions de la base et une atrophie corticale frontotemporale, aggravant ainsi les anomalies préexistantes à la schizophrénie. Au contraire, les APA n’entraînent pas d’augmentation voire même une diminution du volume des ganglions de la base et une augmentation du volume du thalamus et des régions corticales frontales et temporales, préservant ainsi le « capital cérébral et cognitif ». Les effets neuroprotecteurs des APAP devraient être encore supérieurs à ceux des APA per os, du fait d’une meilleure cinétique et d’une meilleure observance diminuant les rechutes et donc la toxicité cérébrale. En outre, l’amélioration du pronostic, en diminuant la durée des hospitalisations favorise une meilleure insertion sociale elle-même vectrice de stimulation et donc de préservation cognitive. Cette hypothèse ne peut être confirmée à ce jour car une seule étude a porté sur APAP et neuroimagerie : elle montre une normalisation de l’activation des régions cérébrales mises en jeu dans la mémoire de travail chez les patients traités par rispéridone à action prolongée, ce qui est en faveur d’une amélioration des processus cognitifs chez ces patients (A. Del Cul). Selon l’UNAFAM, certains patients se sont déclarés satisfaits des APAP et affirment expérimenter un mieux-être : « après des années de changements de traitement, je ne peux pas oublier de prendre mon traitement et cela me permet d’oublier un peu mon handicap ». Ces 17es journées de Laguiole ont été l’occasion de dresser un état des lieux de l’organisation des soins psychiatriques français et d’en dessiner l’évolution dans les prochaines années, tant en psychiatrie de secteur (G. Massé) que libérale (G. Parmentier). De même des changements sont en cours concernant la formation des futurs psychiatres (O. Gay). Le secteur garantit à chaque habitant le recours à une équipe psychiatrique de référence et l’accès à une première palette de prises en charge adaptées allant du suivi ambulatoire au sein de structures de proximité à l’hospitalisation complète. L’intersecteur est né de la volonté partagée par plusieurs secteurs d’élaborer ensemble un projet de soins afin de pallier aux manques du secteur notamment en milieu carcéral, avec les toxicomanes et prenant en compte les nouvelles demandes en soins de santé de la population. Or la création des intersecteurs risque de conduire à une hiérarchisation des soins, à une relégation des secteurs à un niveau de soin de seconde zone, sans pour autant répondre aux objectifs fixés. Le rapport Couty combattu dès la sortie car perçu comme détruisant le secteur et déconnectant l’intra et l’extrahospitalier suggère une organisation des soins psychiatriques sur trois niveaux qui mériterait des expérimentations. Au niveau 1, groupement local de coordination pour la santé mentale (GLC) s’appuyant sur un conseil local favorisant la coordination public-privé, sanitaire et médicosocial ; au niveau 2 les urgences psychiatriques, les hospitalisations complètes avec une complémentarité à développer entre établissements publics et privés ; au niveau 3 seraient gérées la recherche et la formation départementale et régionale. Enfin la notion de pôle naît de cette volonté de déléga- Compte-rendu tion et de travail pour des démarches communes (personnes âgées. . .). La psychiatrie libérale est, elle aussi, confrontée à de multiples mutations et défis. Se basant sur son expérience personnelle le Dr G. Parmentier dresse l’état des lieux de la psychiatrie privée en France et en esquisse les orientations à venir. Sur les 11 509 psychiatres inscrits à l’Ordre des Médecins la moitié exercent une activité libérale, les deux tiers de façon exclusive et un tiers ont une activité mixte hospitalière. Vingt-quatre pour cent des psychiatres sont en secteur 2, principalement en région PACA et en Ile de France, où la densité médicale est largement supérieure à la moyenne nationale. Cette répartition géographique peu homogène risque de s’accentuer dans les prochaines années. Une diminution de 8,4 % des psychiatres est attendue d’ici à 2030 liée à leur âge moyen élevé (52 ans) et à la féminisation croissante de la profession. Les psychiatres libéraux réalisent plus de 15 millions d’actes par an, soit 2250 par psychiatre, ce qui correspond à environ deux millions de personnes suivies en cabinet, avec des files actives de 350 patients en secteur 1 et 250 en secteur 2 en moyenne. Cependant, il faut pointer la grande hétérogénéité des pratiques. Pour exemple dans le Tarn sur dix psychiatres libéraux trois seulement acceptent des primoconsultants, les autres ayant une activité exclusive de psychothérapie ou une file active saturée. La psychiatrie privée se présente comme une alternative au public avec l’assurance d’une prise en charge individualisée, discrète, libre, sans interlocuteurs multiples et successifs. Il s’agit pour le psychiatre d’un exercice individuel, solitaire et autonome. Certains facteurs d’évolution sont de nature à décourager les vocations parmi lesquels le paiement à l’acte et le blocage des honoraires depuis 1995 avec une dévalorisation relative de la consultation psychiatrique. La demande croissante de consultations privées liée au droit revendiqué au bonheur aggrave l’encombrement des consultations. La solution proposée par certains serait de rembourser des actes de psychothérapie effectués par les psychologues. Les thérapies seraient ainsi moins chères et sous-traitées à la demande du psychiatre dont le rôle évoluerait vers celui d’expert, occupant une position de manager d’équipe, adressant le patient au généraliste pour les traitements psychotropes, au psychologue pour la psychothérapie et réévaluant régulièrement le patient. Cependant, le psychiatre traitant, en tant que généraliste en psychiatrie, qui associe chimiothérapie et psychothérapie et qui privilégie le colloque singulier avec le malade a encore de beaux jours devant lui. Les attentes en matière de formation des futurs psychiatres reflètent cette conviction qu’être psychiatre signifie avant tout agir comme un médecin, à la fois diagnostiqueur, prescripteur et thérapeute de la souffrance humaine. En France l’internat de spécialité dure actuellement quatre ans, mais la formation théorique et pratique dispensée diffère selon les régions. De même le cursus varie fortement d’un pays européen à l’autre (O. Gay). L’Association française fédérative des étudiants de psychiatrie (AFFEP) et l’European federation of psychiatric trainees (EFPT) recueillent les demandes de formation formulées par les internes au niveau national pour l’une et européen pour l’autre. Elles comparent les maquettes des différents pays, mènent une réflexion novatrice et peuvent exprimer de Compte-rendu des 17es Journées de Laguiole, juin 2009 façon représentative des recommandations : la Charte européenne pour la Formation Initiale propose une durée de cinq ans avec un an de formation accessoire, un enseignement théorique de quatre heures par semaine, une formation pratique avec supervision didactique et la possibilité de stages à l’étranger. Cette charte précise aussi que la formation aux psychothérapies est à systématiser. En France notamment les internes en éprouvent le besoin : la moitié d’entre eux passent un diplôme universitaire de psychothérapie. L’EFPT quant à elle suggère une évaluation des connaissances, une supervision et une inspection des structures de formation afin de garantir la qualité de l’enseignement. Parmi les compétences que les internes français souhaiteraient mieux appréhender, la psychiatrie clinique et la psychothérapie sont plébiscitées. Un socle de connaissances générales pour tous, des connaissances approfondies au choix, dans le cadre 509 d’un cursus formalisé et évalué semble donc le moyen de devenir un psychiatre accompli. M. Bon-Saint-Côme ∗ A. Lagodka Centre hospitalier Sainte-Anne-Paris, 7, rue Cabanis, 75014 Paris, France ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (M. Bon-Saint-Côme), [email protected] (A. Lagodka) Disponible sur Internet le 12 octobre 2009