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LA CITÉ
ET SES
OMBRES
CONSTRUIRE UNE
SOCIÉTÉ JUSTE
Un débat entre
Mathieu Bock-Côté
et Roch Bolduc
Sous la direction de
Louis-André Richard
La cité et ses ombres
Construire une société juste
La cité et ses ombres
Construire une société juste
Un débat entre Mathieu Bock-Côté et Roch Bolduc
sous la direction de Louis-André Richard
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du
Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Mise en pages :
Maquette de couverture : Laurie Patry
ISBN : 978-2-7637-2442-3
PDF : 9782763724430
© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.
Dépôt légal 1er trimestre 2015
www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque
moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université
Laval.
Table des matières
Notes biographiques.................................................... 9
Remerciements............................................................ 11
Présentation................................................................ 13
Louis-André Richard
Allégorie de la caverne ................................................ 17
Extrait de la République, 514a-519c
Allégorie de la caverne ................................................ 27
Commentaire de Louis-André Richard
Les défis du Québec.................................................... 49
Roch Bolduc
Le retour de la question anthropologique ................... 79
Mathieu Bock-Côté
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Notes biographiques
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est sociologue (Ph. D). Il a enseigné à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université
de Montréal. Il est présentement chargé de cours à l’École
de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Il est
l’auteur d’Exercices politiques (VLB, 2013) de Fin de cycle :
aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de
La dénationalisation tranquille : mémoire, identité et multi­
culturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007)
et de La cité identitaire (Athéna, 2007) en plus de nombreux
chapitres de livres et d’articles scientifiques portant sur l’histoire de l’identité québécoise, les idées politiques et le multiculturalisme.
Roch Bolduc
Après des études en droit et en économie à l’Université Laval, puis en administration publique à l’Université de
Chicago, Roch Bolduc a consacré plus de trente ans de sa vie
au service de l’Administration québécoise. Il a servi sous huit
premiers ministres, dont Maurice Duplessis, au début de sa
9
10
La cité et ses ombres. Construire une société juste
carrière. Membre du comité des finances nationales et de
celui des affaires étrangères du Sénat canadien, il a conseillé
les gouvernements sur la politique fiscale et la politique du
commerce international.
Louis-André Richard
Le professeur Louis-André Richard enseigne la philosophie au Cégep de Sainte-Foy. Il est aussi chargé de cours à la
Faculté de philosophie de l’Université Laval et présentement
doctorant en philosophie. Le champ de recherche du professeur Richard se déploie à partir de considérations anthropologiques et politiques. Féru de philosophie ancienne, il a été
conduit par ses travaux à réfléchir sur les questions touchant
la dignité humaine, les soins de fin de vie et l’éthique animale.
Le professeur Richard est auteur de nombreux ouvrages aux
Presses de l’Université Laval dont : Plaidoyer pour une mort
digne, les raisons de nos choix et les choix de soins appropriés en
fin de vie, en collaboration avec le Dr Michel L’Heureux et La
nation sans la religion ? Le défi des ancrages au Québec.
Remerciements
Nous voulons exprimer notre gratitude à l’égard de
M. Mathieu Bock-Côté et de M. Roch Bolduc. Il ne suffit
pas de les reconnaître en qualité de co-auteurs, mais il faut
souligner le dévouement avec lequel ils ont ménagé temps et
efforts pour participer aux débats publics donnant la raison
d’être à cette publication.
Nous remercions aussi M. Bernard Boulet et M. Frédéric Têtu des Éditions Résurgences. Ils ont accepté de céder
les droits de traduction du texte de Platon. Leur générosité
permet aux lecteurs du présent ouvrage de bénéficier d’une
traduction française de l’Allégorie de la caverne, juste et éclairante.
Un mot de gratitude bien senti va à l’égard de Mme AnneSophie Alain, étudiante à la maîtrise en philosophie. Son
application studieuse et constante à établir une large part des
textes du livre mérite d’être soulignée.
Enfin, je veux exprimer toute ma reconnaissance à la
dynamique équipe des Presses de l’Université Laval. Après
tant de collaborations fructueuses en leur compagnie, la célérité de leur labeur est grandement appréciée.
Louis-André Richard
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Présentation
Louis-André Richard
La philosophie se présente comme une conversation
orientée vers une recherche du vrai. C’est dans cet esprit
que se situe le présent ouvrage, dont la forme constitue une
sorte d’actualisation de la réflexion relative à l’Allégorie de la
caverne de Platon. Ce texte majeur du fond culturel occidental se prête, on ne peut mieux, à l’exercice de poser un
regard lucide sur les grands enjeux concernant la recherche
du bien public. Qui plus est, les problèmes politiques sont
intelligibles dans la mesure où nous les envisageons à l’aune
des oppositions qu’ils contiennent. Il faut les appréhender
dans leur incarnation historique et les aborder sans complaisance ni cynisme, une tâche délicate et fragile. Cela est vrai
en général et en particulier quand nous voulons comprendre
le ressort de notre « vivre ensemble » au Québec.
Ainsi, après le discernement éclairant d’un Daniel
Jacques posant et décrivant avec rigueur la fatigue politique des Québécois1, la commission Charbonneau a donné
à penser qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du
Québec. La fatigue politique devient chronique au point de
1. Daniel Jacques, La fatigue politique du Québec français, Boréal, 2008,
160 p.
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La cité et ses ombres. Construire une société juste
se muer en neurasthénie. Un peu partout, les commentaires
fusent et semblent donner raison à Machiavel2. Des Québécois, et surtout parmi ceux qui ont quelques pouvoirs,
on peut dire ceci en général : « Ils sont ingrats, changeants,
simulateurs et dissimulateurs, fuyards devant les dangers,
avides de gain ; et pendant que tu leur fais du bien, ils sont
tout à toi, ils t’offrent leur sang, leurs biens, leur vie et leurs
enfants... Quand le besoin est éloigné, mais quand celui-ci
s’approche de toi, ils se détournent. » Ainsi, nous voyons
déferler sur la place publique comme dans les chaumières un
torrent d’opinions déprimantes à l’égard de la politique et
de ses artisans. Personne n’y échappe et l’atmosphère sociale
devient rapidement glauque.
Bienvenue dans le monde réel disent certains, celui de
la vérité effective contre les chimères idéologiques destinées
à anesthésier les esprits superficiels. Les politiques ont les
doigts croches depuis toujours et pour toujours, il n’y a rien
à faire. Un tel pessimisme a quelque chose de faux, il est
caricatural et un peu grotesque. Même le secrétaire florentin
répugnerait à un tel manque de nuances. Sur cette pente,
nous glissons facilement vers le cynisme.
Par contre, quand nous lisons Le Mandarin de l’ombre,
publié dernièrement aux éditions du Septentrion3, par Roch
Bolduc, nous avons un autre son de cloche. Il s’agit de l’itinéraire d’un de nos grands Québécois, un des principaux
artisans de la mise en place de la fonction publique québécoise. On y découvre un homme intègre, soucieux du bien
commun. Un homme pour qui l’épanouissement politique
du Québec a quelque chose d’exaltant. De sa naissance dans
2.Machiavel, Le Prince, traduction de Bernard Boulet et Louis Lessard,
Collection Résurgences, Québec 2013, p. 65.
3. Roch Bolduc, Le Mandarin de l’ombre, Septentrion, Québec, 2012,
364 p.
Présentation
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Bellechasse, à ses années de collège à Trois-Rivières, jusqu’aux
études universitaires à Québec et enrichies aux États-Unis,
particulièrement à Chicago, on rencontre un homme reconnaissant à l’égard de sa famille, de ses maîtres, de ses patrons
et de ses collègues de travail.
Comment dire ? Ce livre est un vaccin contre la morosité, car il est, de part en part, traversé par la gratitude. Roch
Bolduc jette un regard positif sur une génération de bâtisseurs dont les motivations apparaissaient moins mesquines
que généreuses. Au fil des rencontres, il décrit les personnes
en exposant les talents et le cœur. Sans être complaisant, il
passe en revue les travaux et les œuvres qui ont construit
le Québec moderne. Il sait reconnaître les erreurs, poser
des ­diagnostics et proposer des pistes d’avenir. Fédéraliste
convaincu, il expose ses vues avec lucidité et souplesse en
mesurant la portée et le rayonnement de son discours :
« Nous avons vécu, les fils de la France, une histoire commune de paix et de progrès avec les fils de l’Angleterre. Au
surplus, la fédération même imparfaite n’est pas du tout un
obstacle à notre culture et à notre identité. À preuve, l’explosion culturelle des 50 dernières années chez nous... Fin du
plaidoyer qui ne convertira aucun indépendantiste sincère
comme Mathieu Bock-Côté !4 »
Ce clin d’œil à Mathieu Bock-Côté, dont l’engagement
au service de la société québécoise ne saurait être mis en
doute, a été une des sources d’inspiration du projet de l’ouvrage que nous présentons aujourd’hui. Il a d’abord suscité
deux débats, l’un à Montréal et l’autre à Québec en octobre
2013. À la faveur de ces rencontres, le public a été à même
de participer à une discussion fort éclairante.
4. Roch Bolduc, Le Mandarin de l’ombre, Septentrion, Québec, 2012,
p. 276 et 277.
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La cité et ses ombres. Construire une société juste
Notre livre s’inscrit donc au demeurant de ces évènements. Il est l’occasion de prolonger une réflexion politique
proposant au lecteur une rencontre entre Mathieu BockCôté, sociologue et chroniqueur attentif de la vie publique,
et Roch Bolduc, grand bâtisseur de la fonction publique
québécoise. Antagonistes sur le plan des options politiques,
les deux hommes partagent néanmoins des visions souvent
convergentes. Nous sommes invités à prendre part au débat
où deux générations d’intellectuels engagés cherchent à comprendre comment bâtir une cité juste. Dénonçant les zones
d’ombres de notre communauté politique, ils tendent à
mettre en valeur des idées phares, aptes à orienter la société
de demain...
Nous joignons aussi à cette publication une version de
l’Allégorie de la caverne de Platon assortie d’un commentaire
destiné à compléter la réflexion. Il nous a semblé opportun de
le faire dans la mesure où le contact avec la grande littérature
demeure un guide et un rempart avéré. Ainsi, sous le regard
bienveillant de Platon, ce sont finalement trois générations
d’intellectuels québécois qui concourent à nourrir le débat et
à alimenter le dialogue. L’objet de cette conversation, vous
conviant au passage, porte sur le sujet le plus important qui
soit. C’est celui de la prise en charge du défi d’établir une
cité digne de l’homme se profilant au contour de ses ombres.
Louis-André Richard
Professeur de philosophie et directeur de l’édition
Allégorie de la caverne1
Extrait de la République,
514a-519c
La République de Platon est le récit que fait Socrate de
son entretien de la veille sur la question de la cité la plus
juste. Après avoir posé dans le premier livre le problème de la
justice, Socrate et deux interlocuteurs, les frères Adéimantos
et Glaukon, entreprennent d’établir en paroles ce en quoi
consisterait un corps politique parfait. Au début du septième
livre, au cœur de leur discussion sur l’éducation que doivent
recevoir les gardiens, c’est-à-dire les gouvernants du meilleur
régime, Socrate présente l’allégorie de la caverne.
*
Ensuite, dis-je2, compare notre nature à l’état que voici
pour ce qui est de l’éducation et de l’absence d’éducation.
Vois en effet les êtres humains comme [s’ils étaient] dans une
résidence souterraine en forme de caverne qui aurait une
1. La présente traduction est de M. Frédéric Têtu. Nous le remercions
ainsi que M. Bernard Boulet d’avoir consenti à rendre ce texte disponible
à nos lecteurs. Cette version de L’Allégorie de la caverne de Platon se trouve
originellement dans l’ouvrage suivant : Platon, Allégorie de la caverne, les
amoureux rivaux, Lakhès, Ion, Collection Résurgences, Québec, 1999.
2. C’est Socrate qui parle.
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La cité et ses ombres. Construire une société juste
grande entrée s’ouvrant à la lumière sur toute sa largeur. Ils
sont là depuis l’enfance, les jambes et le cou retenus par des
liens, de sorte qu’ils y demeurent et ne voient que devant
eux, incapables de tourner la tête à cause de leurs liens. Une
lumière leur vient d’un feu brûlant haut et loin derrière
eux3. Entre le feu et les prisonniers, il y a un chemin élevé
le long duquel on a érigé un muret semblable aux toiles que
les marionnettistes placent devant les gens et au-dessus desquelles ils montrent leurs marionnettes.
— Je vois, affirma-t-il4.
— Vois alors des gens portant le long de ce muret toutes
sortes d’objets qui dépassent du muret, de même que
des statuettes d’hommes et d’autres animaux faites de
pierre, de bois, et ayant toutes espèces de formes. Et,
chose vraisemblable, certains de ces porteurs profèrent
des sons et les autres se taisent.
—Quelle image étrange, affirma-t-il, que celle dont tu
parles, et quels étranges prisonniers !
— Ils sont semblables à nous, repris-je. Car tout d’abord,
crois-tu que de telles gens auraient vu, d’eux-mêmes et
les uns des autres, autre chose que les ombres projetées
par le feu sur la paroi de la caverne leur faisant face ?
—Comment donc, affirma-t-il, s’ils ont été forcés de
garder la tête immobile durant toute leur vie ?
— Et qu’en est-il alors des choses qui défilent5 ? N’est-ce
pas la même chose ?
— Et comment !
3. Le feu est à l’intérieur de la caverne, comme l’indiquent quelques
remarques faites plus loin. Alors que le Soleil éclaire l’extérieur de la caverne,
le feu en éclaire l’intérieur.
4. Glaukon est l’interlocuteur de Socrate.
5. Il s’agit des statuettes que portent les marionnettistes.
Allégorie de la caverne — Extrait de la République
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— S’ils étaient capables de discuter les uns avec les autres,
n’estimes-tu pas que ce seraient les êtres réels qu’ils croiraient nommer en nommant ce qu’ils verraient ?
—Nécessairement.
— Et s’il y avait dans la prison un écho provenant de la
paroi leur faisant face ? Lorsqu’un de ceux qui défilent
le long du muret proférerait des sons, crois-tu qu’ils
estimeraient que celui qui profère ces sons serait autre
chose que l’ombre qui défilerait ?
— Certes non, par Zeus, affirma-t-il.
— Indubitablement, repris-je, de telles gens croiraient que
le vrai n’est rien d’autre que les ombres des choses artificielles6.
— Très nécessairement, affirma-t-il.
—Examine alors, repris-je, à quoi ressembleraient leur
libération et la guérison de leurs liens et de leur folie
s’il leur arrivait par nature quelque chose comme ceci.
Lorsque quelqu’un serait libéré et forcé soudainement
de se lever, de tourner le cou, de marcher et de lever le
regard vers la lumière, il souffrirait en faisant tout cela
et il serait incapable, à cause de l’éblouissement, de discerner ces choses dont il voyait auparavant les ombres.
Que répondrait-il, selon toi, si quelqu’un lui disait qu’il
ne voyait auparavant que des sottises alors qu’il voit plus
correctement maintenant, parce qu’il est en un sens plus
près de la réalité et qu’il a été tourné vers des choses plus
réelles ? Et en particulier, [que répondrait-il] si, après
lui avoir montré chacune des choses qui défilent, on le
forçait à répondre à la question « qu’est-ce que c’est ? »
Ne crois-tu pas qu’il serait dans l’embarras et qu’il esti6.
Les ombres des statuettes portées par les marionnettistes.
20
La cité et ses ombres. Construire une société juste
merait les choses qu’il voyait auparavant plus vraies que
celles qui lui seraient maintenant montrées ?
— Beaucoup plus, affirma-t-il.
— Et si on le forçait à regarder vers la lumière elle-même7,
ses yeux ne souffriraient-ils pas, et ne fuirait-il pas en
se détournant vers ces choses qu’il est capable de discerner8 ? Ne croirait-il pas que celles-ci sont en réalité
plus claires que celles qu’on serait à lui montrer maintenant9 ?
— Il agirait de la sorte, affirma-t-il.
— Et si de là, repris-je, quelqu’un le traînait de force le
long de la montée rude et escarpée et ne le relâchait pas
avant de l’avoir entraîné à l’extérieur, à la lumière du
soleil, ne souffrirait-il pas et ne s’irriterait-il pas d’être
traîné ainsi ? Et une fois arrivé à la lumière, dont l’éclat
lui remplirait les yeux, ne serait-il pas incapable de voir
la moindre des choses dites vraies à présent ?
— Il ne le pourrait pas, affirma-t-il, du moins pas sur le
coup.
— C’est qu’il aurait besoin de s’habituer, je crois, avant
d’en venir à voir les choses d’en haut. Tout d’abord, ce
sont les ombres qu’il pourrait discerner le plus facilement. Après ça, sur l’eau, les images des humains et des
autres choses ; et seulement plus tard les choses ellesmêmes. À partir de là, il pourrait contempler de nuit
les choses dans le ciel et le ciel lui-même – en portant
son regard vers la lumière des astres et de la Lune – plus
7. Vers la lumière du feu, qui est à l’intérieur de la caverne puisque le
prisonnier n’en est pas encore sorti.
8. Vers les ombres.
9. Les statuettes.
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