Allégorie de la Caverne*, La République, Platon Commentaire L’Allégorie est un récit où chaque image correspond à une notion. Le terme même invite à ne transposition point par point, du registre du récit à celui des concepts philosophiques : allos signifie « autre » (que l’on songe à l’allopathie différente de l’homéopathie en pharmacie) le suffixe -gorie vient du verbe agoreuein, « parler, dire » ; il s’agit de parler d’une chose (des prisonniers dans une caverne) pour parler d’une autre (les hommes dans le monde). […] Ces prisonniers sont les hommes ordinaires qui ne sont pas encore délivrés par la connaissance de la réalité véritable qu’est la dimension intelligible du monde. Les hommes sont prisonniers « depuis leur enfance », ils ne connaissent donc pas d’autres rapports au monde que ceux que leur étrange condition permet. Leur immobilisation est double : non seulement ils sont enchaînés, mais en plus leur tête est maintenue et ne peut changer de position. L’immobilisation est un châtiment, la rigidité, ce qui annonce la mort. […] L’ignorance des réalités intelligibles que décrit la situation des hommes de la caverne n’est pas synonyme d’une vie dissolue et vouée à des mouvements erratiques : les ignorants sont enchaînés ; les savants, en revanche, jouissent de la liberté de leurs mouvements et, notamment, ceux de leur âme qui saisit les Idées grâce au mouvement du logos. Or, pour rendre compte de l’opposition des ignorants et des savants, Platon a besoin de présenter un dispositif assez complexe qui servira à indiquer les degrés entre l’ignorance et la science. Une opposition binaire, frontale, serait trop rigide : la pensée n’est vivante que par l’indication des niveaux intermédiaires. […] À l’intérieur de la caverne, il n’y a pas que des prisonniers enchaînés, mais aussi d’autres hommes qui vont et viennent. À l’extérieur, il y a enfin les « objets véritables » (516a) et le Soleil qui les éclaire. Entre les ombres que les prisonniers voient sur le fond de la caverne qui leur fait face et les réalités naturelles, il y a un niveau intermédiaire : celui des objets fabriqués. […] Le mode de connaissance des prisonniers est comparable à la sensation : il s’impose immédiatement à l’homme. La seule liberté est de fermer les yeux ou bien de recevoir l’image visible qui leur fait face. Le mode de connaissance des hommes qui sont sortis de la caverne et se sont habitués à la lumière éblouissante du jour est comparable à la vision des Idées grâce à la philosophie. Entre les deux, il y a place pour une perception plus élaborée que la simple sensation, une certaine connaissance des choses mais sans l’éclairage des formes intelligibles : c’est le rapport au monde selon nos activités quotidiennes (les hommes sont dits alors porteurs de « toutes sortes d’objets fabriqués »). […] Pour changer notre regard sur le monde et voir que les objets sensibles dépendent des Idées-causes comme les ombres et les statues dépendent des modèles vivants, il faut un travail difficile qui est d’abord pénible pour l’homme délivré de ses chaînes. L’éblouissement de l’homme sorti de la caverne correspond à l’étonnement : le saisissement de l’homme qui se rend compte de la richesse potentielle des réponses possibles à une question simple, et qui découvre par là même un nouveau regard sur le monde. […] A aucun moment, Platon ne dit que la caverne serait « le monde sensible » et l’extérieur de la caverne « le monde intelligible » : il y a un seul monde, mais l’homme peut le voir de façon différente selon ce que son regard peut rencontrer. Le regard sensible voit les apparences sensibles ; le regard de l’intelligence voit les réalités intelligibles. D’après Jérôme Laurent, professeur de philosophie à l’université de Caen