modèles de croissance (CR)

publicité
ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique ESH – ECE1 Chapitre 6 Croissance et déséquilibre économiques C. Rodrigues A partir de l’entre deux guerres, les premiers travaux scientifiques sur la croissance économique apparaissent (à la même époque en fait que la structuration du débat entre le modèle néoclassique et sa critique par J.M. Keynes sur la question de l’autorégulation ou hétérorégulation du marché). Cependant, la crise des années 1930 conduit à mettre la priorité sur la question de l’équilibre ou le déséquilibre du marché (voir le chapitre 3 et, dans une certaine mesure, le chapitre 7 relatif aux crises économiques). Les difficultés économiques de cette période (crise 1929, inflation dans les années d’après guerre) contribuent à faire basculer le débat en faveur des auteurs qui produisent des modèles fondés sur le déséquilibre. Dans le courant des Trente Glorieuses cependant, le débat évolue et s’oriente davantage vers les questions d’accumulation et de croissance économique. Equilibre économique : il désigne toute situation dans laquelle les choix des agents sont compatibles entre eux. A l’équilibre, les agents n’ont aucune raison de modifier leurs choix, compte tenu des informations dont ils disposent et des contraintes qu’ils subissent. 2.1. Croissance et déséquilibres économiques
2.1.1. Les modèles keynésiens : une croissance économique déséquilibrée
Les$modèles$de$croissance$inspirés$de$Keynes$
Roy&Forbes&Harrod&
(1900/1978)&
1939&:&An#essay#on#dynamic#theory#
Evsey&Domar&
(1914/1997)&
1947&:&"Expansion#and#Employment",#
1947,#AER#
Modèle&Harrod/Domar&
Lycée&Militaire&Aix/en/Pce&/&
AEHSC&1&/&C.&Rodrigues&
C. Rodrigues / 2013-­‐2014 Chapitre&6&/&La&croissance&économique&
161&
1 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique Le modèle de Harrod-­‐Domar « Une augmentation du revenu national n'est pas fonction de l'investissement, mais de l'augmentation de l'investissement. Si l'investissement d'aujourd'hui, aussi important qu'il soit, est juste égal à celui d'hier, le revenu national d'aujourd'hui sera juste égal et rien de plus à celui d'hier » (Domar). « ... il n'est pas suffisant, selon l'expression keynésienne, que l'épargne d'hier soit investie aujourd'hui ou, comme il est souvent dit, que l'investissement compense l'épargne. L'investissement d'aujourd'hui doit toujours excéder l'épargne d'hier. La simple absence de thésaurisation ne suffit pas. Une injection de monnaie (ou déthésaurisation) doit avoir lieu chaque jour. De plus, cette injection doit se faire d'une façon accélérée en termes absolus. L'économie doit croître continuellement ». Le principe de base du modèle de Harrod Domar La situation initiale est une situation d'équilibre de plein-­‐emploi des facteurs. Au départ de l'analyse on a donc I ex ante = S ex ante. Le modèle Harrod-­‐Domar a donc pour objet de déterminer le taux de croissance nécessaire au maintien du plein-­‐emploi. Les coefficients de production, et notamment le coefficient de capital sont fixes. Le modèle se présente comme un système keynésien simplifié, incluant une fonction d'investissement et une fonction d'épargne. Mais Harrod et Domar ont élargi l'analyse keynésienne : l'investissement n'est plus seulement considéré comme générateur de revenu (effet de multiplication keynésien) mais aussi comme susceptible de créer de nouvelles capacités de production. Grâce à ce nouveau rôle de l'investissement, la croissance résulte du processus d'ajustement des capacités de production et de demande. Le modèle repose sur l’hypothèse d’une rigidité du coefficient de capital (v = K/Y). Il faut augmenter dans les même proportions la quantité de travail et de capital pour produire davantage (fonction de production à facteurs complémentaires). On retrouve ici l’hypothèse keynésienne d’absence d’ajustement par les prix. Pour produire davantage, une hausse de l’investissement est nécessaire, mais elle a deux effets indépendants : - un effet revenu sur la demande (multiplicateur keynésien) ; - un effet de capacité, c'est-­‐à-­‐dire une hausse de l’offre dans une proportion fixée par le coefficient de capital. Le modèle montre que rien ne garantie que la hausse de l’offre et celle de la demande se compensent (car le taux d’épargne et le coefficient de capital sont des variables indépendantes. Le plus probable est que la croissance soit déséquilibrée. Le plein emploi est par ailleurs également improbable car il dépend d’une troisième variable qui est la hausse de la population active. C. Rodrigues / 2013-­‐2014 2 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique Dans le schéma ci-­‐dessus, « v » représente le coefficient de capital (K/Y) Le modèle étudie le taux de croissance pour lequel les deux effets (offre et demande) de l’investissement se compensent, de telle façon que la progression de l’offre et celle de la demande soient compatibles. La condition d’équilibre est donc : ΔY = Δ I/s et Δ Y = I/v Il vient donc : ΔI/I = s/v Autrement dit, le taux de croissance de l’investissement doit respecter la proportion s/v (c'est-­‐à-­‐dire le rapport entre la propension marginale à épargner et le coefficient de capital) pour que la croissance soit équilibrée. La démonstration du modèle de Harrod Domar En 1936, Harrod part d’une question qui vise à dépasser un paradoxe entre la théorie de la firme néoclassique et le modèle de Keynes : - Dans la théorie de la firme, l’investissement de long terme est nul (à long terme, la firme atteint sa frontière technologique et, sans progrès technique, elle n’est plus incitée à augmenter sa taille et donc à investir). - La macroéconomie keynésienne enseigne qu’il existe un investissement net de la part des firmes ou du gouvernement dès lors qu’il existe une épargne nette dans l’économie (l’investissement s’égalise, ex post, avec cette épargne comme le montre le modèle du multiplicateur). Le modèle de Harrod dépasse ce paradoxe en identifiant l’existence d’un taux de croissance garanti de l’économie (gw). Le taux de croissance garanti (warranted) – gw – est le taux de croissance qui permet à l’économie de suivre un sentier d’équilibre. Sur ce sentier de croissance, les firmes planifient en permanence un montant d’investissement qui correspond exactement à la fraction du revenu national qui a été épargnée. C. Rodrigues / 2013-­‐2014 3 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique Pour déterminer la valeur de gw, Harrod associe le mécanisme du multiplicateur (effet de demande) et le principe de l’accélérateur (effet d’offre, voir chapitre 7) : - s est la propension marginale à épargner de plein emploi qui intervient dans le multiplicateur ; - v est le coefficient de capital requis pour les entrepreneurs en vue de la maximisation du profit qui intervient dans l’accélérateur. On désigne par Y0 le produit de la période 0 et par Y1 celui de la période 1. En Y0, le montant de l’épargne réalisé ex post est de sY0. Le principe de l’accélération considère que les entrepreneurs fondent leurs projets d’investissement non pas sur le niveau du revenu mais sur la vitesse de son évolution. Si on suppose que l’investissement désiré est une proportion constante « v » de la variation du revenu entre la période 0 et la période 1, l’investissement désiré s’écrit : sY0 = v(Y1 – Y0) On peut reformuler l’expression ci-­‐dessus de la façon suivante : (Y1 – Y0) / Y0 = s/v Cela signifie qu’il existe un taux de croissance du produit global égal à s/v qui permet la satisfaction des plans des entrepreneurs. C’est le taux de croissance garanti de Harrod (1939) qui s’écrit : gw = s/v Or, ce taux de croissance garanti a peu de chance de se réaliser dans l’économie. Sa réalisation empirique implique l’égalité entre trois types de taux de croissance : « ge » est le taux de croissance effectif (taux de croissance observé sur une période) ; « gw » est le taux de croissance garanti qui correspond au sentier de croissance équilibré ; « n » est le taux de croissance naturel qui permet qu’augmenter la production en assurant le plein emploi compte tenu de la progression de la population active. ð « n » dépend de la croissance démographique puisque le coefficient de travail (L/Y) est stable par hypothèse de fonction de production à facteurs complémentaires. Autrement dit, la production doit augmenter au même rythme que la population pour maintenir le plein emploi. En toute rigueur, Harrod adosse à n un autre coefficient nommé « a » qui correspond au taux de croissance de la productivité du travail (le modèle intègre ainsi l’hypothèse d’un effet qualitatif du facteur travail). On a dans cette deuxième version : gn = n + a La conclusion est que la croissance équilibrée relève d’une « heureuse coïncidence » : il faut que les trois taux de croissance soient égaux : ge = gw = gn Ces trois paramètres sont indépendants les uns des autres car ils résultent des décisions des ménages (pour s), des firmes (v), des comportements démographiques et des déterminants de la productivité du travail (n + a). Harrod ajoute que la croissance est fondamentalement instable c'est-­‐à-­‐dire qu’il n’existe pas mécanisme spontané permettant de faire converger la croissance effective C. Rodrigues / 2013-­‐2014 4 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique de la croissance garantie. Au contraire, les écarts ont tendance à se creuser car ils sont cumulatifs. « Le terrain autour du taux garanti contient des forces centrifuges et non pas centripètes » (Harrod, 1939). Harrod utilise ainsi l’expression « croissance sur le fil du rasoir » : les anticipations des agents ont tendance à accentuer les déséquilibres plutôt que de les réduire : Exemple : ge < gw : la croissance effective n’est pas suffisante pour assurer l’équilibre macroéconomique entre l’épargne et l’investissement. Les entrepreneurs constatent que l’activité est insuffisante (faible De) ils réduisent leurs investissements ce qui accentue le déséquilibre et creuse l’écart entre ge et gw (aggravation de la récession). ge > gw cela signifie que les prévisions des entrepreneurs ont été dépassées, puisque la croissance effective est supérieure à ce que leurs plans d’investissement avaient prévu. Ils seront alors incités à investir encore davantage pour répondre à la hausse de la demande, et l’écart va encore augmenter. De ce fait, la croissance va être de plus en plus forte mais de plus en plus inflationniste (puisque la hausse des capacités de production ne suit pas). S’agissant du marché du travail, « n » est le rythme maximal de croissance de l’économie (au delà la production ne peut augmenter plus vite que la population active), par conséquent tout rythme inférieur de la croissance effective ne fait qu’engendrer du chômage. On retrouve bien ici l’esprit des travaux de Keynes : rien ne garantit à l’avance l’équilibre sur le marché du travail, la croissance peut parfaitement être inférieure à ce qui serait nécessaire pour permettre le plein emploi, et les anticipations des agents économiques sont fondamentales, dans un univers incertain (on ne connaît pas à l’avance le taux de croissance de l’économie, et les entrepreneurs “parient” sur ce taux pour déterminer leur investissement actuel). Par conséquent, seule l’intervention de l’Etat peut permettre le retour à une croissance équilibrée (voir ci-­‐dessous). Une application empirique du modèle de croissance déséquilibrée de Harrod-­‐
Domar Considérons une économie répondant aux hypothèses du modèle de Harrod-­‐Domar (dans un premier temps sans retenir celle relative à la croissance de plein emploi gn). Les paramètres connus sont les suivants : s= 0,12 (donc c = 0,88) v = 4 (ce qui signifie que le stock de capital est 4 fois supérieur au revenu national de la période considérée). On sait que : gw = s/v En remplaçant par les valeurs numériques, il vient : gw = 0,12 / 4 = 0,03 (soit +3 %) Pour un taux de croissance de 3 % par an, cela signifie que les firmes planifient en permanence un montant d’investissement qui correspond exactement à la fraction du revenu national qui a été épargnée. Le taux de croissance garanti qui permet une croissance équilibrée de l’économie est de + 3 %. C. Rodrigues / 2013-­‐2014 5 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique Cas n°1 : On considère que le revenu national est de 100 la première année et que le taux de croissance effectif (ge) est de + 3 % (coïncidence). Le tableau ci-­‐dessous présente les données macroéconomiques pour trois années consécutives : Année Revenu national Investissement réalisé
Investissement désiré
Y0
I0 = sY0
I0 = v(Y1 – Y0)
1
100,00
0,12 . 100 = 12
4. (103 – 100) = 12
2
103,00
0,12 . 103 = 12,36
4. (106,09 – 103) = 12,36
3
106,09
0,12 . 106,09 = 12,73 4. (109,27 – 106,09) = 12,73
L’investissement réalisé est en permanence égal à l’investissement désiré par les entrepreneurs. La croissance est équilibrée et les entrepreneurs n’ont aucune raison de modifier leur comportement. Cas n°2 : On considère que le revenu national est de 100 la première année et que le taux de croissance effectif (ge) est de + 2 %. On se trouve ainsi dans le cas de figure où gw > ge (3 > 2). Le tableau ci-­‐dessous présente les données macroéconomiques pour trois années consécutives : Année Revenu national Investissement réalisé
Investissement désiré
Y0
I0 = sY0
I0 = v(Y1 – Y0)
1
100,00
0,12 . 100 = 12
4. (102 – 100) = 8
2
102,00
0,12 . 102 = 12,24
4. (104,4 – 102) = 9,6
3
104,4
0,12 . 104,4 = 12,48
4. (106,49 – 104,4) = 8,36
L’investissement réalisé est en permanence supérieur à l’investissement désiré par les entrepreneurs. Ils sont ainsi incités à réviser à la baisse leurs anticipations de la croissance économique effective future. Ils réduisent leurs investissements ce qui accentue le déséquilibre et creuse l’écart entre ge et gw (aggravation de la récession). Problème cependant : les hypothèses à l’origine de la démarche de Harrod et Domar sont très restrictives, du fait de la rigidité des paramètres envisagés (avec notamment des valeurs uniques pour s et v). La critique de Kaldor : partage des revenus et croissance Nicholas Kaldor (1908-­‐1986) montre que le partage des revenus entre les salariés et les entrepreneurs peut influer sur le rythme de la croissance, (en agissant sur s) et que la prise en compte du progrès technique peut également nuancer l’approche keynésienne (en agissant sur v). On verra ce deuxième point après avoir exposé le modèle de Solow. Kaldor est un “néo-­‐cambridgien” : cela signifie qu’il est un économiste post-­‐keynésien, c'est-­‐à-­‐dire qui refuse le rapprochement entre approche keynésienne et approche néo-­‐
classique (ce qu’on nomme parfois la synthèse néo-­‐keynésienne) telle qu’elle est pratiqué aux Etats-­‐Unis par P. Samuelson ou R. Solow (et en Grande Bretagne par John Hicks). Dans les années cinquante il travaille à Cambridge avec Joan Robinson, une C. Rodrigues / 2013-­‐2014 6 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique proche de Keynes. On parle de “néo-­‐cambridgien” par opposition à “l’Ecole de Cambridge” du début du siècle, celle des professeurs de Keynes néo-­‐classiques, Marshall et Pigou. ð A ne pas confondre avec l’autre école de Cambridge (ville des... Etats-­‐Unis près de Boston où se situe le célèbre MIT) : celle de la synthèse et qui privilégie l’approche micro (Samuelson et Solow). Une polémique “des deux cambridge” a divisé ces économistes sur la nature du capital. Kaldor part d’une hypothèse selon laquelle le taux d’épargne diffère entre les salariés et les capitalistes. Il nomme sw le taux d’épargne des salariés et sπ celui des capitalistes. Par hypothèse, il pose : s > sw Son modèle conduit à montrer qu’en fonction du partage primaire et macroéconomique du revenu (voir chapitre 2), il existe des mécanismes par lesquels la croissance devient stable. Par hypothèse, l’épargne globale dépend de la part de chaque type de revenu épargné. On a ainsi : S = s . Π + sw . W Le taux d’épargne macroéconomique se déduit en divisant l’égalité précédente par le produit national. On obtient : s = S/Y = s . Π / Y + sw .W / Y Or, Π/Y est le taux de marge et W/Y la part des salaires dans la valeur ajoutée. On sait par ailleurs que : Y = Π + W On peut alors écrire : S = s . Π + sw . (Y -­‐ Π ) En factorisant l’équation ci-­‐dessus, on obtient : S = (s -­‐ sw) . Π + sw . Y Le taux d’épargne global « s » s’écrit alors : s = S/Y = [(s -­‐ sw) . Π ] / Y + sw L’objectif de cette dernière expression est de faire apparaître les déterminants du taux d’épargne national en fonction des taux d’épargne de chaque catégorie d’agent économique : Si le taux de marge augmente (au détriment des salaires) alors le taux d’épargne global S augmente également du fait que s > sw. Toutes choses étant égales par ailleurs, la hausse de « s » augmente ensuite le coefficient de capital identifié dans le modèle de Harrod-­‐Domar (gw = s/v). ATTENTION : la hausse du taux de croissance garanti n’implique pas mécaniquement un rééquilibrage de la croissance économique (Kaldor est keynésien !!). Exemple : Supposons que le taux de marge s’accroisse. On a alors : gw > gn π
π
π
π
π
π
π
C. Rodrigues / 2013-­‐2014 7 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique Dans ce cas, la croissance qui stabilise les anticipations des entrepreneurs devient inflationniste (le seuil de plein emploi est dépassé). Les salaires augmentent (interprétation keynésienne de la courbe de Phillips), cela fait reculer le taux de marge et ramène ainsi gw à hauteur de gn. Kaldor montre ainsi que, sur le long terme, il existe un partage des revenus entre taux de marge et part des salaires qui assure une croissance équilibrée. Kaldor montre que le taux d’épargne peut servir de variable d’ajustement : il est la force centripète qui permet au modèle de Harrod-­‐Domar de converger vers l’équilibre. Dans tous les cas de figure et malgré la nuance de Kaldor, les modèles de croissance keynésiens présentent deux limites manifestes : 1) La croissance économique est modélisée sans recours aucun au progrès technique ; 2) Le modèle raisonne à partir de facteurs de production complémentaire et donc sans substitution possible entre les facteurs de production. 2.1.2. Les modèles néoclassiques et de la synthèse : une croissance économique
équilibrée
Le modèle de la croissance de Solow Solow est un économiste dont “l’étiquetage” est assez complexe, qui a compté dans la construction de la “synthèse néo-­‐classique” c'est-­‐à-­‐dire la synthèse entre l’analyse macro keynésienne, et la démarche néo-­‐classique. Il a fait l’essentiel de sa carrière au MIT, en compagnie de son maître Samuelson, et obtint le prix Nobel en 1987. L’expression de “synthèse néo-­‐classique” est d’ailleurs introduite par Samuelson dans la 3e édition de son manuel, “L’économique” en 1955. Cette approche repose sur l’interprétation de Keynes en termes d’équilibres de marché, à partir du modèle IS-­‐LM de Hicks et Hansen, et donc sur la domination des résultats keynésiens à travers une interprétation néo-­‐classique de ses hypothèses. Ce courant sera dominant en économie jusqu’au années 70 et à l’affaiblissement du “consensus keynésien”. ð Solow est l’une des figures de ce courant, et dans le domaine de la croissance il va introduire une démarche plus néo-­‐classique, d’où le nom (malgré tout ambigu) de “modèle néo-­‐classique” de la croissance. Point de départ : un article de 1956 intitulé “une contribution à la théorie de la croissance économique”. Solow expliquera plus tard que sa volonté était de répondre au double malaise qu’il ressentait devant les résultats de Harrod : -­‐ ils impliquaient qu’une croissance équilibrée tenait du “miracle”, et donc que l’on devrait observer des cycles violents alternant période de hausse du chômage et période de pénurie de main d’œuvre. -­‐ Solow trouve que la démarche de Harrod fait trop directement dépendre la croissance du taux d’épargne : il suffirait de doubler ce taux (par exemple grâce au budget de l’Etat) pour doubler la croissance, ce qui lui apparaît très mécanique. • Les hypothèses du modèle de Solow : Solow propose un autre modèle de croissance, sur les hypothèses suivantes : C. Rodrigues / 2013-­‐2014 8 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique 1) Les facteurs de production sont substituables à long terme et de fait les déséquilibres sont compensables via une variation du prix des facteurs. Rôle fondamental de la flexibilité des prix. C’est la différence fondamentales avec Harrod, qui permet d’expliquer la présence d’une croissance équilibrée : le coefficient de capital n’est pas stable et exogène, il varie en fonction des choix des agents. A long terme, on observe bien une substitution capital / travail. ð En pratique, il s’appuie sur une fonction type Cobb-­‐Douglas. 2) les facteurs de production sont homogènes, c'est-­‐à-­‐dire toujours de même nature et infiniment divisibles ; d’où la polémique avec les post-­‐keynésiens et notamment J. Robinson dans le cadre de la controverse des deux Cambridge (le capital n’est pas un “tas de beurre”). ð Cette hypothèse implique des rendements d’échelle constants : c’est une hypothèse indispensable dans les modèles néo-­‐classiques pour conserver le cadre de la concurrence pure et parfaite. En effet, sur un marché de CPP, si les rendements sont croissants les entreprises ont intérêt à se concentrer pour être plus efficaces, et la concurrence devient donc imparfaite. 3) L’augmentation du facteur travail se fait au taux de croissance n : on retrouve donc une hypothèse similaire à celle de Harrod. 4) La productivité marginale du capital est décroissante : à volume de travail donné, l’augmentation du K induit une hausse de plus en plus faible de la production. La croissance repose sur l’accumulation du facteur capital, mais cette accumulation devient moins efficace au cours du temps. 5) La totalité de l'épargne est investie : hypothèse néo-­‐classique. C'est le niveau de l'épargne qui décide de l'investissement S = sQ (voir chapitre 2). La présentation du modèle de Solow ð Il s’agit de la version sans progrès technique. La fonction de production Y = f (K,L). y = Q/L (production par tête) k = K/L (intensité capitalistique). L’objectif de Solow est de représenter la production par tête en fonction de l’intensité capitalistique : y = f(k) C. Rodrigues / 2013-­‐2014 9 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique ð Attention aux majuscules et aux minuscules pour K. Pour obtenir la production par tête, il suffit de prendre la fonction de production et de tout diviser par L. Il vient ainsi : Q = L . K 1-­‐ avec 0 < α < 1 y = Q/L = (L . K 1-­‐ )/ L y = Q/L = K1-­‐α / L1-­‐α y = k1-­‐α Formulation littéraire : L’accumulation du capital par tête augmente la production par tête mais dans des proportions de plus en plus faibles. Autrement dit, la croissance économique finit par s’épuiser. L’investissement brut par travailleur est donné par s.y = s.f(k) car l’épargne détermine l’investissement dans le modèle néo-­‐classique. Il faut distinguer investissement net et brut : chaque année le stock de capital se déprécie (amortissement), comme il est de plus en plus élevé pour entretenir la croissance, l’effort d’investissement brut doit de plus en plus se consacrer au simple amortissement, et l’investissement net diminue. Il arrive un moment où la totalité de l’épargne investie sert à l’amortissement (point K* en abscisses) : l’investissement net est nul et par conséquent l’économie a atteint son état stationnaire. ð La dépréciation de l’investissement se fait au ryhme ∂ constant (∂k est l’amortissement du capital). ð L’investissement net par travailleur est ∆k ð Par définition : ∆k = sf(k) -­‐ ∂k Le modèle de Solow fournit trois enseignements importants : 1) La croissance est équilibrée. Cela vient de l'hypothèse initiale d'une substitution des facteurs : quand un facteur voit son efficacité varier, son prix varie aussi, de ce fait les entreprises font à chaque moment "les bons choix". Pas de déséquilibre sur les marchés : c'est la différence centrale avec l’approche de Harrod cela élimine les rigidités qui sont aux sources de la croissance déséquilibrée. 2) La croissance économique connaît un processus d’épuisement naturel. Chaque année le stock de capital se déprécie : l’effort d’investissement brut doit de plus en plus se consacrer au simple amortissement, et l’investissement net diminue. Il arrive un moment où la totalité de l’épargne investie sert à l’amortissement : l’investissement net est nul et par conséquent l’économie a atteint son état stationnaire. ð Sur le graphique, cela signifie que l'on se trouve à l'intersection de la courbe d'épargne et de la droite d'amortissement). ð C’est le principal résultat du modèle de Solow : toute économie tend à long terme vers un niveau d’équilibre, appelé “état stationnaire” où la croissance est nulle car la totalité de l’épargne est consacrée à financer l’amortissement. C’est ce que l’on appelle l’épuisement naturel de la croissance selon Solow. ð Cela ne signifie pas qu'une croissance durable est impossible, mais il faut un autre facteur pour l'entretenir. α
α
α
C. Rodrigues / 2013-­‐2014 α
10 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique 3) Une convergence conditionnelle des économies. Selon ce modèle, une économie avec un faible stock de capital initial connaît d’abord une croissance très élevée, qui va progressivement ralentir quand le stock de capital atteint un niveau élevé : cas du japon et de l’Allemagne après guerre, en raison des destructions. Le rythme de la croissance dépend du stock de capital initial et du taux d’épargne s (s’il est plus élevé il déplace la courbe sf(k) et l’état stationnaire est repoussé). Cela signifie donc que toutes les économies convergent vers l’état stationnaire, mais pas au même rythme ! A long terme cela va entraîner la convergence de l’ensemble des économies, c’est-­‐à-­‐dire un rattrapage des pays riches par les pays pauvres (puisque leur croissance est plus rapide). Ce résultat semble conforme à l'expérience historique durant les Trente glorieuses. Attention : l’expression de « convergence conditionnelle » s’applique selon Solow aux économies ayant des paramètres structurels identiques (taux d’épargne, croissance de la population...). Par opposition à la convergence absolue (rattrapage inconditionnel pour tous les pays). Solow envisage que trois catégories de facteurs peuvent intervenir pour « repousser » l’épuisement de la croissance économique : a) une élévation du taux d’épargne Une élévation du taux d’épargne déplace la courbe d’épargne vers le haut, ce qui repousse l’état stationnaire de manière transitoire. Donc à chaque taux d’épargne correspond un état stationnaire k*. Problème : existe-­‐t-­‐il un taux d’épargne optimal ? On choisit comme critère la satisfaction des consommateurs, c’est-­‐à-­‐dire du niveau de consommation par tête. Or la consommation par tête c = y -­‐ sy Or, à l’état stationnaire on a : sy = sf(k*) = ∂k* Il vient alors : c* = f(k*) -­‐ ∂k* Il faut choisir le taux d’épargne afin qu’à l’état stationnaire donné par ce taux, la différence entre production et amortissement par tête soit la plus grande possible : c’est ce que Edmund Phelps a appelé la “règle d’or de l’accumulation du capital" (on optimise la consommation par tête). Dans une économie de CPP, il devrait être rejoint de façon spontanée, mais on peut aussi s’en servir pour fixer un objectif de politique économique. C. Rodrigues / 2013-­‐2014 11 ESH – ECE1________________________________________________________________ Chapitre 8 : La croissance économique b) La croissance démographique repousse l’état stationnaire La croissance démographique tire à la baisse l’intensité capitalistique, elle repousse donc de manière transitoire l’épuisement de la croissance économique. Par ailleurs, la croissance démographique contribue à un produit par tête moins élevé : la population est relativement moins riche (cas de certains pays émergents comme le groupe BRIC). c) À long terme, seul le progrès technique autonome peut expliquer la persistance de la croissance économique. Le résultat fondamental du modèle de Solow est de montrer que le taux de croissance à long terme de l’économie est égal à la somme du taux de progrès technique et du taux de croissance de la population. Autrement dit, les deux déterminants fondamentaux de la croissance économique sont des paramètres exogènes. Ainsi, le comportement des agents économiques (portant sur la variable clé qui est le taux d’épargne) n’exerce une influence que sur le taux de croissance transitoire. Le modèle de Solow présente deux principales limites : 1) Les études empiriques tendent à montrer que le modèle de Solow peut s’appliquer à des économies assez proches (par exemple à l’ensemble des PDEM) à partir des années 1950, mais s’applique mal à des groupes de pays aux situations très éloignées, et par conséquent pour lesquels l’effet de rattrapage est relativement fort. L’absence de convergence claire, voir la divergence élevée constatée avec les pays les plus pauvres on laissé percevoir les limites de la démarche de Solow. 2) Le modèle aboutit paradoxalement à une faible explication de la croissance, vu qu’à long terme son principal facteur sera une variable exogène, le progrès technique non pris en compte dans le modèle (voir ci-­‐dessus). Bon travail et bon courage !
C. Rodrigues / 2013-­‐2014 12 
Téléchargement