Débat

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Le management par la qualité et I'accréditation
Débat
Jean-Michel BUDET Directeur général adjoint du CHU de Rouen
Hervé LETEURTRE Directeur de la qualité et de l'accréditation au CHU de Nice
Patrick MARTIN Médecin au CHR d'Orléans
Eve DREVON Directeur de la qualité au CHI de Meulan les Mureaux
Philippe RENAULD Directeur de la prévention de Dexia Sofcah
Gestions Hospitalières, août septembre 2002, supplément au n° 418
HERVÉ LETEURTRE
C'est en tant que conseiller du délégué général à la FHF que je vais vous parler de l'accréditation.
Constatons au préalable que vous, décideurs financiers hospitaliers, êtes bien sûr intéressés par
le sujet, comme le sont tous les directeurs d'hôpital, mais vous l'êtes, en quelque sorte,
indirectement. En effet, il n'est que de regarder le nombre de recommandations en réserve qui
touche votre secteur. Sur les 600 à 700 recommandations qui ont déjà été émises, seules deux
vous concernent. 2 sur 600 ou 700, c'est peu. L'une de ces recommandations est relative à la
prise en compte des contraintes financières dans les projets d'établissement, et l'autre porte sur
l'existence d'un plan pluriannuel d'investissement. Le sujet, donc, vous concerne incontestablement, mais de manière indirecte. On expliquera pourquoi, et également en quoi un directeur
financier est tout de même très intéressé par l'accréditation.
Définition de I1accréditation
Je crois en premier lieu que l'on peut dire trois choses sur l'accréditation: c'est une réforme qui
est indispensable, remarquable, et enfin consensuelle.
Une réforme indispensable
La première idée est qu'il s'agit d'une réforme indispensable. Avant la mise en place de cette
réforme, nous disposions d'un outil imparfait mais néanmoins utile: le PMSI. Toutefois, il ne
saisissait que l'activité quantitative de l'hôpital. Or depuis des années déjà, depuis la loi du 31
juillet 1991 qui évoquait pour la première fois l'évaluation, nous avions cette obsession, utile
dans les hôpitaux, de dire qu'il fallait joindre à cet outil quantitatif un outil qualitatif:
l'accréditation. C'est donc un outil qui était indispensable.
Un outil remarquable
C'est également un outil remarquable. Après, l'ordonnance de 1996 et le décret du 7 avril 1997,
nous redoutions beaucoup de voir la France s'inspirer d'un des multiples modèles étrangers déjà
existants. Nous sommes en effet un des mauvais élèves de la classe - ce qui peut présenter
également des avantages. Nous sommes ainsi passés à l'accréditation après l'Angleterre, les
Etats-Unis, le Canada, l'Australie, après même la Catalogne et l'Emilie-Romagne, deux
provinces espagnole et italienne. Nous n'étions donc, pour le moins, pas en avance.
La crainte était alors de voir la France adopter un des modèles existants. La plupart d'entre nous
pensions que ce serait le modèle canadien, à la fois pour des problèmes de langue mais aussi de
culture.
Cela n'a pas été le cas, et il faut saluer de ce point de vue l'énorme travail réalisé par l'ANAES,
travail considérable qui a débouché sur un référentiel véritablement original, avec une démarche
de prise en charge globale des patients qui est une démarche extrêmement transversale, même si,
au travers des dix référentiels, certains référentiels peuvent être très ciblés - dans mon établissement par exemple: la gestion des ressources humaines. Il n'en reste pas moins que pour sa
première partie, soit les trois premiers référentiels - DIP, DPA et OPC -, il y a une vision
véritablement transversale de la prise en charge du patient, et je crois que ceci constitue une
vraie réussite. Donc c'est un outil remarquable.
Un outil consensuel
Enfin, son ultime qualité, qui n'est pas la moindre, est d'être un outil consensuel. En effet,
l'ANAES a également eu l'intelligence de s'entourer de très nombreux professionnels à
l'occasion de la création de cet outil. Et l'ANAES a pris le temps - même si on verra qu'aujourd'hui cela se révèle être plutôt un défaut, mais à l'époque c'était une qualité,de mettre en place un
référentiel expérimenté. 40 établissements ont été expérimentateurs, et à l'issue de cette
expérimentation, il y a eu une véritable valeur ajoutée en termes de création de produit. On
dispose donc actuellement d'un produit qui a été non seulement construit intelligemment,
expérimenté scientifiquement et bien expérimenté et contre lequel, lorsque le dossier est enfin
apparu prêt à fonctionner dans les établissements hospitaliers, très peu de voix se sont élevées
pour dire qu'il s'agissait d'une mauvaise réforme et qu'ils ne voulaient pas la faire. Ce n'est pas là
la moindre réussite de l'accréditation française. C'est donc une démarche qui présente de
nombreux points forts.
Les difficultés
Néanmoins, l'accumulation de petits signes, en définitive assez nombreux, amène tout de même
à s'interroger sur la réforme; et à essayer de faire des propositions tendant à son amélioration,
mais toujours en restant dans un esprit positif, c'est-à-dire qu'on ne pose pas la question politique
- la FHF ne le fait jamais. Il s'agira d'une critique destinée à faire évoluer positivement le produit
pour les hôpitaux.
Le non-engagement de certains établissements
Premier signe: l'ordonnance de 1996 et le décret de 1997 prévoyaient que tous les hôpitaux
devaient s'être engagés dans la-démarche d'accréditation au 21 avril 2001, soit cinq ans après
l'ordonnance. Or on constatait à fin 2000 qu'il y avait un fort déficit d'engagements. Devant ce
danger potentiel, un décret a simplifié, en janvier 2001, la procédure d'engagement. À partir de
cette démarche simplifiée, un grand nombre d'établissements se sont engagés massivement dans
le processus. Néanmoins, les chiffres dont on dispose, en septembreoctobre 2001, montrent qu'il
n'y a encore qu'un peu plus de 3000 établissements qui se sont engagés dans la démarche. Or
c'est tout de même un problème. Il y a environ 3500 établissements en France: environ 500 ne se
sont donc pas engagés, alors même qu'il y a une obligation légale et que l'AR H est derrière qui
peut se substituer.
Certaines analyses, qui valent ce qu'elles valent, tentent d'expliquer ce phénomène. Certaines
mettent en avant les 35 heures, les démarches stratégiques - le fait de mettre en place un projet
stratégique, avant de se rendre compte que, tiens, le moment de l'évaluation approche ou encore
il y a des gens qui se pensaient prêts pour l'auto évaluation, et qui se rendent compte que cela ne
marche pas. Mais 25% c'est énorme, et personnellement, je fais l'hypothèse, qui
malheureusement est vérifiable, que la sévérité des premiers rapports d'accréditation a eu
également pour effet de faire réfléchir les établissements. Il n'est que de voir le cas du CHU de
Nice, dont le rapport d'accréditation a été un des premiers à être édités, dont j'ai dirigé
l'accréditation, et qui a été très sévèrement jugé, alors que c'est un établissement qui, grâce à son
ancien directeur général, et à son directeur général actuel, qui sont tous les deux de fervents
adeptes de la qualité, a beaucoup travaillé la question
- certes, c'est un hôpital qui n'est pas exemplaire, mais aucun hôpital n'est exemplaire. il y a donc
une attitude de recul de la part de certains établissements. Il faut être vigilant, car cela pose un
problème.
On pourrait encore consulter les statistiques publiées à l'issue des enquêtes menées auprès des
hôpitaux accrédités, sur le point de savoir comment s'est passée l'accréditation. Et dans ces
enquêtes, on vous explique que l'accréditation ne s'est pas toujours très bien passée.
On en arrive ainsi à la question de savoir comment améliorer l'accréditation. Je pense que la
réforme pâtit de trois carences. La première est que, quoi qu'on en dise, elle est transformable.
Le deuxième thème, c'est que l'ensemble du processus n'est pas toujours maîtrisé. Enfin, il y a
une certaine iniquité dans l'évaluation, et cette iniquité pose véritablement problème.
La question du contrôle
L'ANAES affirme aujourd'hui: « nous ne sommes pas un organe de contrôle» Mais ce ne serait
pas gênant si elle l'était, de toute manière. En effet que fait-elle réellement? Elle ne fait que du
contrôle. Elle tient un mini-référentiel, au regard duquel elle va vérifier - donc contrôler -la
conformité des principes de l'hôpital. C'est bien du contrôle. Bien plus - et c'est important: la
réforme prochaine de l'ANAES va reculer sur ce point - que fait l'ANAES lorsqu'elle fait en
sorte, au préalable que les conditions de sécurité soient respectées? Bien sûr, il est essentiel que
les conditions de sécurité soient respectées. Mais y a d'autres organes de contrôle qui peuvent
tout à fait le dire. Est-ce vraiment à l'ANAES de venir faire du contrôle de conformité en matière
de sécurité? Sans doute pas. L'objectif de l'ANAES est de s'assurer que l'établissement est bien
engagé dans un processus d'amélioration continue de te qualité, et pas vraiment de faire ce type
de contrôle. Et cela, c'est un réel problème. Donc l'ANAES ne peut pas être un organe de
contrôle, et nous souhaitons qu'elle ne le soit pas.
Un processus pas toujours maîtrisé
Il est vrai que lorsqu'on s'engage dans un processus nouveau, on est face à l'inconnu et on n'est
pas à l'abri des couacs. Mais les couacs en l'occurrence se sont quelque peu multipliés. On peut
prendre l'exemple de la procédure. Ainsi, au tout début de l'expérience, au CHU de Nice - qui a
été un des premiers hôpitaux à s'engager dans la démarche - nous n'avions pas les documents qui
nous avaient été promis. Nous avons donc tout ressaisi chez nous, en attendant que le masque
vienne enfin de l'ANAES et quand il est venu, bien sûr, nous avons dû le retraiter. Cet incident,
qui ne s'est certes pas prolongé, a surtout touché les premiers établissements engagés dans
l'accréditation.
Les difficultés de l'auto évaluation
Un autre exemple est fourni par la procédure en matière d'auto évaluation. L'auto évaluation doit
permettre à l'établissement de regrouper ses forces, afin que celles-ci fassent un diagnostic qui
soit le plus fidèle et précis possible, de la réalité sur le terrain. Un chef de projet, qui relève de
l'ANAES, suit la démarche. Au CHU de Nice, avec 6000 salariés et 6 sites, cela a été un
véritable casse-tête que de constituer des groupes d'auto évaluation qui soient multidécisionnaires, multi-sites, et qui ne soient pas trop nombreux. Parce que si on travaille avec des
groupes trop nombreux, il est évident qu'on ne peut pas tenir. Nous avons demandé au chef de
projet de valider le découpage auquel nous étions parvenus. Mais le chef de projet a refusé de se
prononcer sur la validation. Je lui ai demandé la raison de son refus de valider, et s'il avait
l'intention d'attendre la visite pour nous dire qu'on s'était trompé, J'ai insisté pour qu'on aborde le
sujet dès ce moment, sur la base d'un référentiel approprié, mais il n'avait pas de référentiel
concernant notre découpage réalisé en auto-évaluation. Comme nous étions bien néanmoins
dans une démarche qualité nous avons fait de la traçabilité, c'est-à-dire que nous avons noté tout
ce qu'il nous disait au fur et à mesure...
Ce que l'on remarque en premier lieu, c'est que ces nouveaux rôles ne sont pas représentatifs. On
essaie de progresser à tâtons. Nous y sommes obligés. En effet, nous avons dît à l'ANAES:
« nous vous avons montré la constitution de nos groupes, c'est donc maintenant à vous de nous
dire au regard de quel référentiel nous pourrions ne pas être conformes ». Bien évidemment il
n'y avait pas de référentiel. Ils ont donc fini par reculer, mais vous voyez qu'il y a là un danger
important. L'ANAES n'a de légitimité à faire du contrôle de conformité que si un référentiel
existe bel et bien. Le cas échéant, nous n'avons pas à recevoir de leçons d'un organe extérieur qui
ne s'appuie pas sur un référentiel, alors que c'est là leur mission. Il y a donc eu sur ce point un
petit «clash ».
Les experts-visiteurs
Nous avons essayé d'élargir l'étude en interrogeant d'autres hôpitaux. L'auto évaluation une fois
effectuée et envoyée à l'ANAES, les experts-visiteurs se rendent dans l'hôpital. Or, dans les trois
établissements objets de notre enquête, les professionnels se sont rendu compte qu'ils n'avalent
pas lu l'auto-évaluation. Et alors que j'interrogeais mes «camarades » - j'ai omis de vous préciser
que je suis moi-même expert visiteur, mais je ne suis jamais intervenu, parce que mes fonctions
au sein de la FHF ne me le permettaient pas -, ils avaient peine à croire que cela avait bien pu se
produire. De tels dysfonctionnements doivent être rappelés, même si on ne peut pas les
généraliser: quels professionnels viennent sans lire l'autoévaluation?
Sans doute pourrait-on multiplier les exemples de tels problèmes, qui sont des problèmes de
processus. Vous pouvez également rencontrer le cas de l'expert-visiteur qui se révèle un vrai
donneur de leçons, c'est-à-dire qui va prétendre apprendre leur travail aux professionnels en
place. Ceci n'est pas supportable.
Il est vrai que l'ANAES dispose d'un système de régulation, qui doit permettre d'évaluer ces
experts-visiteurs qui n'ont pas compris le sens de leur mission. Sur les huit experts-visiteurs dont
nous avons reçu la visite, au CHU de Nice il yen a un dont nous avons fait une mauvaise
évaluation. C'est-à-dire qu'à la fin de sa mission, nous avons dit à l'ANAES: « ne reprenez pas
cet expert-visiteur, parce qu'il n'est pas bon ». L'ANAES nous a expliqué qu'ils l'avalent
néanmoins gardé, parce qu'il faut deux mauvaises évaluations pour qu'un expert-visiteur soit
démis de ses fonctions. Cela signifie donc que cet expert-visiteur va aller refaire des dégâts au
moins dans un autre hôpital. Voilà donc ce que l'on peut dire sur le processus.
L'iniquité en matière d'évaluation
On doit encore ajouter que le système actuel n'est pas suffisamment transparent. Qu'est-ce qui
permet à l'ANAES de dire: on passe d'une recommandation à une réserve, d'une réserve à une
recommandation? En réalité, ils font un peu de l'AGF, c'est-à-dire de « l'analyse gravité de la
fréquence». Le problème est qu'ils ne nous ont jamais montré les outils sur lesquels ils
s'appuient, et lorsqu'on regarde vraiment les rapports, on constate qu'il y a une énorme
hétérogénéité entre les établissements. L'ANAES s'en est rendu compte, et je vais terminer mon
propos sur ce point - on ne peut pas non plus continuer sur ces critiques, qui sont des critiques
fondées, mais qui ne doivent pas dissimuler le caractère très intéressant de la réforme. Lors de
son dernier conseil d'administration du 8 mars de cette année, l'ANAES a lancé un plan de
simplification et d'amélioration de son processus d'évaluation. Cette capacité d'adaptation est un
bon point pour l'ANAES.
Les retards sur le planning
Dernière critique, qui introduit au problème de la différence des résultats: l'ANAES est en
retard. On pourra vous dire tout ce que l'on veut. L'ANAES avait pris un engagement de 400
établissements accrédités en 2002. Lors d'un conseil d'administration, -il y a eu une tentative de
retour à 300 établissements.- Sur ce point, une vraie bataille institutionnelle est en cours, y
compris avec le ministère, tout simplement parce que l'ANAES ne peut pas avoir de retard. Si
elle en prend un, elle ne pourra pas en avoir d'autre. Pourquoi? Tout simplement parce qu'il y a à
présent une attente dans les établissements hospitaliers. Les établissements doivent être
accrédités, sous peine d'être improductifs. On ne peut pas se permettre d'accréditer des
établissements de 2000 à 2012! Cela n'a pas de sens. Il y a bien là un vrai problème.
Les résultats des comptes-rendus d'accréditation
Les limites de l'analyse
Je ne vais pas traiter les résultats des 618 comptes-rendus d'accréditation que vous pouvez
consulter sur le site Internet de l'ANAES. Que peut-on dire au vu des premiers résultats? La
première idée, c'est qu'on ne peut réaliser aucun commentaire qui ait une validité scientifique.
Pourquoi? Parce que l'échantillon n-est pas représentatif: il compte 118 établissements, alors
que 3500 devront être accrédités. Il y a donc déjà un problème quantitatif. Sur une base de 3500,
Si l'on souhaite faire un échantillon stratifié, il faut réunir environ 400 établissements. On est
donc pour l'instant loin du compte. Et même lorsqu'on aura réuni les 400 établissements, on ne
pourra pas faire d'analyse scientifique, tout simplement parce que l'échantillon est biaisé car on
ne prend pas les établissements de manière aléatoire, mais dans l'ordre où le décompte parvient
à l'ANAES. Cela fausse les résultats, même si on ne sait pas dans quel sens, puisqu'on peut de
même poser comme hypothèse forte que les premiers à s'être engagés auront une évaluation plus
avancée. A mon avis, on ne pourra donc jamais vraiment parvenir à une analyse scientifique.
Néanmoins, cela ne nous empêche pas de regarder, même si on doit éviter de parler de
pourcentages - ce que je vais faire malgré tout -, les grandes tendances qui- se dégagent
Les grandes tendances
La première tendance, c'est que les hôpitaux publics, proportionnellement, se sont engagés plus
vite dans la démarche. C'est ce que l'on constate au vu du nombre des accrédités par rapport au
nombre des hôpitaux.
La deuxième observation, c'est que les hôpitaux privés reçoivent moins, proportionnellement
toujours, de recommandations et de réserves que les hôpitaux publics. L'hypothèse forte que je
fais, c'est qu'il y a un réceptacle; c'est à dire que plus l'établissement fait partie des gros, plus il
aura de recommandations. Mais cela va au-delà de la simple relation mécanique liée à la taille.
Ce qui risque de se produire, c'est que plus vous êtes gros, plus vous avez de salariés, de
services, d'établissements, de sites, qui sont en inter-relation, plus vous aurez probablement de
dysfonctionnements internes.
Ensuite, lorsqu'on étudie finement les 118 établissements, on se rend compte qu'il y a un
référentiel qui visiblement a été oublié. Mon hypothèse sur ce point est que les experts-visiteurs
ne sont pas compétents dans le domaine. Bien sûr, il n'est pas scandaleux de dire qu'on n'est pas
compétent dans un domaine, puisqu'il y a tellement de domaines qu'on ne peut être compétent
partout, mais si le référentiel de gestion de systèmes d'information fait l'objet de seulement 21
recommandations/réserves, ce qui est ridiculement bas alors même que cela touche des
établissements très précis, et que la relation est unique: mise en place d'un schéma directeur
informatique - cela montre qu'à l'évidence, les experts-visiteurs n'ont pas pris la mesure du dégât
dans le système d'information hospitalier français. Ce qui est particulièrement gênant ici, c'est
qu'au final, les observateurs étrangers vont, en lisant les résultats, se dire que les hôpitaux
français ont un très bon système d'information, ce qui à mon avis est très loin de la réalité de nos
hôpitaux.
Par ailleurs, on observe que les QPR, VST et SPI, qui sont les trois référentiels de qualité
globale, donnent lieu à des appréciations inquiétantes, puisque au moins un hôpital sur deux a
une recommandation ou une réserve sur ces domaines qui sont au cœur de l'hôpital. Je
m'attarderai moins sur les autres référentiels qui sont moins importants, en particulier le MEA,
qui comporte très peu de critères qui vous concernent, vous financiers. Vous n'êtes pratiquement
pas concernés puisque seules deux recommandations touchent votre domaine. Est-ce que cela
veut dire que vous maîtrisez remarquablement les rênes financières de l'hôpital? J'ai
personnellement tendance à penser que tel est le cas.
Enfin, et pour terminer, les référentiels qui sont les plus touchés par les recommandations et les
réserves sont GFL, GRH, et surtout OPC. Dans le cas du référentiel OPC, cela se justifie par un
effet de taille: ce référentiel intègre beaucoup plus de critères que les autres. De plus, il y un tel
nuage de points qu'aucun gros secteur ne ressort véritablement. Sur ce sujet, je ne peux encore
rien interpréter: il faudra attendre d'avoir davantage de données.
Pour conclure, je dirais qu'il s'agît d'une excellente réforme, à améliorer à la marge, peut-être
même un peu plus qu'à la marge, de manière à ce que la confiance des personnels hospitaliers
soit totale, et que ceux-ci puissent utiliser un outil qui soit bien explicite, mais qui est d'ores et
déjà véritablement remarquable.
JEAN-MICHEL BUDET
Vous avez indiqué que, compte tenu des délais, il s'agissait d'une mission impossible pour
l'Agence Est-ce réellement le cas? Par ailleurs, le ministre de la Santé a invité l'Agence à
s'approprier la notion de service. Enfin, dans ce contexte, comment prendre en compte
l'accréditation des réseaux?
HERVÉ LETEURTRE
En l'état actuel des choses, la mission est effectivement impossible. D'ailleurs, l'ANAES, lors du
Conseil d'administration du 8 mars, a décidé de simplifier la tâche des experts-visiteurs, la
rédaction du rapport, et de raccourcir les délais post-accréditation. Je rappelle en effet que si
l'accréditation s'accompagne de réserves, des visites ciblées sont organisées. Il faut donc
prendre en compte le retour vers ses hôpitaux. En outre, il est d'ores et déjà décidé que l'ANAES
s'oriente vers l'accréditation des réseaux. J'ai, en effet, envoyé une lettre au directeur de
l'ANAES pour lui demander comment il envisageait l'accréditation des services, L'ANAES a
mené un travail de réflexion. Pour l'heure, ce travail est encore confidentiel.
Je tiens à souligner que le budget de l'ANAES pour 2002 prévoyait l'accréditation de 400
établissements.
JEAN-MICHEL BUDET
Je vous remercie. Votre intervention a le mérite de rappeler que l'ANAES est animée par un
esprit positif qui milite en laveur de cette procédure. Peut-être pouvons-nous passer la parole
maintenant au médecin, Patrick Martin, pour qu'il nous présente son point de vue sur la qualité,
l'accréditation.
PATRICK MARTIN
Je vais vous donner mon point de vue en qualité de praticien hospitalier. E d'autres termes, je
vais analyser la démarche d'accréditation au regard de mon établissement Je pense que la raison
d'être de la démarche qualité repose sur la notion de service. En outre, je pense qu'il faut que
l'établissement, s'il veut que la démarche reste pérenne, en retire des avantages financiers. Il faut
qu'il diminue le coût de sa « non~qualité » afin de réinvestir dans la prise en charge globale.
Le référentiel de l’engagement qualité
L'engagement qualité repose sur un référentiel qui peut être décomposé en huit points. Si l'un de
ces huit points n'est pas maîtrisé, la démarche qualité sera nécessairement bloquée.
 Le premier point porte sur l'orientation client. Autrement dit, dans un établissement
hospitalier, l'opinion est construite par les patients.
 La deuxième notion concerne le leadership. Une autorité morale doit être constituée afin
de donner le cap à chacun.
 La troisième notion porte sur l'implication du personnel. Ce dernier doit nécessairement
s'approprier la démarche qualité.
 Le quatrième point renvoie à la notion d'approche prc> cessus. Celle~i est contenue dans
le référentiel ANAFS. Elle a l'avantage de mettre en place des démarches qualité à un
échelon humain.
 La cinquième notion concerne l'amélioration continue. Celle-ci constitue un objectif
prioritaire de l'ANAES. Sa raison d'être est de supprimer quotidiennement les
dysfonctionnements et d'établir les meilleurs diagnostics.
 Dans le cadre du management qualité, toute décision doit se prendre sur des preuves
tangibles. Il faut donc pouvoir prouver que la décision n'est pas le fruit du hasard.
 Enfin, il faut que tous les partenaires de l'établissement tirent bénéfice de cette
démarche qualité.
Les principes fondamentaux du processus
À mon sens, un débat sur la qualité peut se décomposer en quatre temps. Dans un premier temps,
il est nécessaire de planifier. Il faut également nommer un responsable. La politique qualité doit
être cohérente avec les missions de l'établissement. Il faut garder à l'esprit que les démarches
doivent avoir pour but de satisfaire les soignants.
Il faut en outre planifier l'allocation de ressources. Autrement dit, il est nécessaire, à terme, de
coordonner les moyens pour atteindre les objectifs que l'on s'est fixés. S'agissant de la définition
claire du responsable, il faut que chaque personne dans l'établissement, quel que soit son rôle,
comprenne dans quelle mesure son action au quotidien permet d'atteindre l'objectif fixé.
Concernant la banalisation des budgets, il faut essentielle ment identifier les différents
processus, de façon que chaque établissement puisse l'accomplir en fonction de sa taille, de ses
habitudes et de ses moyens.
Tous les processus sont orientés vers le client. Les objectifs correspondent à la description des
retours des clients. Il faut prendre en compte l'ensemble des éléments susceptibles, comme la
cuisine, de satisfaire le client. Enfin, la gestion documentaire doit permettre d'éviter que la
démarche qualité soit--vécue comme une inflation des échanges papiers. En outre, les données
doivent être mises à la disposition de tous les acteurs. Vous ne mobiliserez pas les acteurs, s'ils
ne savent pas ce qui se déroule. L’exemple que je donne habituellement, c'est lorsque vous
demandez à des infirmières, de ne faire aucune réfraction et que vous ne leur donnez pas le taux
de réfraction urinaire, elles ne pourront rien maîtriser. Donc il faut impérativement les alimenter
en information. Enfin, il faut utiliser l'auto évaluation. Cet outil peut susciter une meilleure
motivation des personnels.
L'amélioration est le sujet de deux approches distinctes. Les données recueillies
quotidiennement ou annuellement, dans le cadre de l'auto évaluation, doivent être
systématiquement analysées. Ainsi, les améliorations seront le fruit de la correction des
dysfonctionnements.
Les freins à l'application du référentiel ANAES
Le référentiel ANAES constitue un atout remarquable. Il peut être appliqué à l'ensemble d'un
établissement et il implique tous les acteurs.
Quels sont les freins à la démarche?
 Les différences de culture au sein de l'établissement. Ces différences renvoient à la
culture hiérarchique.
 L’absence de leadership réel. Les différentes strates ne communiquent pas ou peu. En
outre, les tutelles ont un poids décisionnel en matière de ressources.
 La recherche du pouvoir. Elle ne concerne pas tant le plan local que le plan régional. Les
hôpitaux sont en concurrence les uns-les autres. Parfois, au sein des Directions, les
intérêts divergent.
 Le mythe du bien-faire. Chacun doit exercer son métier. Il s'agit d'un élément de
reconnaissance. Les soignants savent ce qu'ils doivent faire. Il faut donc les impliquer
dans cette démarche.
 La réticence à l'évaluation. L'audit est un bon moyen de renforcer la démarche. À cette
fin, il faut créer des postes de professionnels de l'audit et s'appuyer sur les actions
d'amélioration.
 La non-implication des acteurs. Le fait de n'avoir aucune information ne favorise pas la
démarche. Ce point est particulièrement important s'agissant de la réduction des coûts.
L’auto évaluation
L’auto évaluation est une démarche minutieuse. Elle est de deux types.
 L'auto évaluation ANAES. C'est une procédure obligatoire. Sa mise en oeuvre est
lourde.
 L’auto évaluation dite ISO ou AFNOR. Cette méthode repose sur une écoute du terrain.
Si vous interrogez quinze personnes, vous pourrez, en l'espace d'une demi-journée,
dresser la liste de l'ensemble des dysfonctionnements. Ainsi, vous gagnerez un temps
considérable dans la préparation des actions correctrices.
Pour conclure, j'insisterai sur le patient dont le rôle est absolument central.
JEAN-MICHEL BUDET
Je vais passer la parole maintenant à Eve Drevon. Elle va nous parler des procédures qualité
dans son établissement.
ÉVE DREVON
Définition de la qualité
Une démarche de terrain
Il est intéressant d'aborder la dimension de la qualité sous l'angle du changement. En effet,
l'accréditation nous donne des outils effectifs pour appréhender les problèmes de résistance au
changement, dans la mesure où la qualité et l'accréditation visent à améliorer l'existant. En outre,
la vérité que dégage l'accréditation peut elle-même susciter des résistances au changement.
Un cas concret:
fusion et projet d'établissement
Je souhaite aujourd'hui vous exposer la démarche qui est en cours d'expérimentation dans
l'établissement où je travaille, et réfléchir avec vous aux fondements et aux implications de la
qualité et de l’accréditation.
En premier lieu, afin de vous permettre de mieux situer mon témoignage, je souhaite vous
présenter le contexte de mon établissement. Dans mon établissement de Meulan les Mureaux,
commune des Yvelines, nous avons déjà franchi un certain nombre d'étapes dans la démarche
qualité. La première de ces étapes a été la fusion entre le centre hospitalier de Meulan - centre
général abritant de la LCO, du long séjour et une maison de retraite - et le centre hospitalier
voisin d'Achi les Montereau. A la suite de cette fusion, une réflexion approfondie sur le projet
d'établissement s'est mise en place, couronnée par la rédaction de l'acte fondateur faisant, dès
1997, de ce nouvel établissement un hôpital intercommunal.
Le contrat d'objectifs et de moyens
Le contrat d'objectifs et de moyens a succédé au projet d'établissement il va nous permettre de
reconstruire l'intégralité de la psychiatrie et des soins de suite, de reprendre le plateau technique,
de développer de nouvelles modalités de prise en charge tel que l'ambulatoire. Ainsi, en 2001,
l'établissement a déterminé ce qu'il voulait être dans les cinq ans à venir, sur la base de son projet
d'établissement et de son contrat d'objectifs.
Le temps est donc également venu d'initier une démarche qualité. En effet, si te projet et la
vision de l'établissement avaient été définis, il nous restait à les traduire en actes. Il se dégage
des témoignages que nous avons recueillis à ce jour que la qualité doit être mise en oeuvre sur le
terrain; par les personnels eux-mêmes. Nous avons donc, en 2001, mis en place au sein de nos
établissements une démarche qualité, avec la création de cette direction de la qualité. Cette
démarche est fondée sur notre volonté d'évaluer le fonctionnement et l'organisation de l'établissement. La qualité et l'accréditation sont donc des thèmes très larges, puisqu'ils concernent
t'organisation générale des services entre eux: En ce sens, l'instrumentalisation de l'accréditation
doit nous permettre d'appuyer la démarche volontaire qu'est la démarche qualité.- la qualité est
un cheminement de long terme-, ponctué, tous les cinq ans, par le moment fort que constitue
l'accréditation
Une notion multi-facettes
-Examinons à présent en détail la démarche qualité, qui ne doit pas rester un simple slogan
derrière lequel chacun pourrait s'abriter. La qualité est un terme d'abord médical, qui recouvre
plusieurs aspects. C'est une notion multi-facettes
La qualité, un état d'esprit
En premier lieu, la qualité est un état d'esprit. Il s'agit d'évaluer les pratiques, le fonctionnement
et l'organisation afin de les améliorer Comme le disait Monsieur Martin « Si vous n'évaluez pas,
vous vous interdisez de ce fait même de pouvoir améliorer les choses». Personnellement, je
prends souvent l'exemple de la propreté. Les établissements pour lesquels nous travaillons
connaissent encore des difficultés en matière de nettoyage des locaux, qui constitue pourtant
l'une des bases de l'hygiène. Et en effet, si l'on ne contrôle pas systématiquement la qualité du
nettoyage, on ne pourra, le cas échéant, identifier ses imperfections. La dégradation de l'hygiène
sera telle que tous les soignants seront découragés. Si les dysfonctionnements ne sont pas identifiés, il est impossible d 'y remédier. Il convient donc, dans le cadre d'une démarche qualité,
d'évaluer les pratiques en permanence pour pouvoir intervenir.
Deux objectifs majeurs
La qualité implique en outre deux objectifs majeurs. Le mot «qualité » doit toujours
s'accompagner des termes « satisfaction » et « sécurité ». Il convient en effet de rechercher la
satisfaction des utilisateurs de l'hôpital (patients, proches de patients, membres des services de
l'hôpital). Cette notion de satisfaction est très importante. Le second objectif est la sécurité;
sécurité dans la prise en charge, mais également sécurité pour le personnel de l'hôpital. Cette
notion est fondamentale. Nous évoquions le fait que l’ANAES devienne un organisme de
contrôle ou, du moins, en soit accusée. Cela illustre justement la tentation qu’ont les
établissements et les pouvoirs publics de s'appuyer sur l’ANAES afin de mettre en lumière les
difficultés qui existent dans le domaine de la gestion des risques.
La qualité c'est encore, comme nous l’avons dit, un ensemble de moyens, des outils et des
méthodes. Je dis souvent que la vraie sécurité consiste à disposer d'outils qui contraignent à ce
que nous cherchons à établir dans notre fonctionnement.
La qualité requiert en outre une certaine imagination: la qualité est l’œuvre de gens de terrain.
Le rôle des responsables de la qualité et des décideurs hospitaliers est de travailler avec ces
personnes pour déterminer la meilleure manière de régler les difficultés ou d’évaluer les
pratiques.
Une démarche de management
En définitive, la qualité est, clairement, une forme de management. La démarche qualité
consiste à intensifier et planifier notre gestion afin de sécuriser et de motiver l'ensemble des
équipes. Il est évidemment toujours facile de tenir de tels propos. Ils correspondent pourtant à la
réalité: la courbe des mille qu'évoquait Monsieur Martin fait toujours partie de notre
fonctionnement, et ce pour une raison de bon sens. On prévoit une action, on la réalise, on la
planifie, on voit si ce que l'on avait prévu a bien été fait, et si tout ne fonctionne pas comme nous
le souhaitons, on réagit. Cette démarche peut s'appliquer à tous les domaines du fonctionnement
de nos établissements.
Pourquoi alors peut-on dire que la qualité constitue une forme de management? D'une part parce
que la qualité se situe avant tout où se-trouve l'individu, et d'autre part parce qu'elle suppose une
coordination entre les acteurs et les services. Cela est très important. Le message que je
m'efforce de faire passer dans mon établissement, c'est que chaque professionnel, en contact ou
non avec le patient, participe à la qualité produite dans l'établissement. Nous savons tous que
venir à l'hôpital implique de passer entre plusieurs mains. S'il existe des dysfonctionnements, le
patient les verra tous. Ce message est très important L'hôpital comporte en effet un grand
nombre de services. Par ailleurs, Si vous êtes des décideurs financiers, vous et les équipes que
vous encadrez, n'êtes pas directement en contact avec le patient. A l'hôpital, certains ont la
chance d'être en contact avec le patient, d'autres non. L'important est de ne pas laisser les
personnes qui ne sont pas à son contact s'éloigner excessivement de lui.
Nous devons tous travailler les uns avec les autres et les uns pour les autres, et lorsque la
restauration, la blanchisserie, ou les services financiers travaillent pour les services de
l'établissement, ils travaillent indirectement pour les patients. Il faut répercuter très fortement ce
discours auprès des équipes; aucun membre de l'établissement ne doit se sentir indifférent à la
démarche qualité. Chaque acteur doit prendre en compte le fonctionnement et les contraintes des
autres services.
Nous en avons, chaque jour, des exemples: Quand on met en place une nouvelle fiche de
programmation au bloc, s'est-on assuré qu'elle a été élaborée avec la secrétaire médicale et
examinée par le médecin, et que les exigences des différentes étapes de la chaîne ont bien été
prises en compte? En bref, on-ne peut -pas travailler seuls. Or, souvent, les professionnels ont, à
l’hôpital, l’impression de travailler seuls dans leur métier et dans leur service. En tout état de
cause, nous devons, en tant que décideurs hospitaliers, faire savoir que nous ne pouvons tolérer
ce type de comportements.
Le fait que tous les acteurs hospitaliers travaillent les uns pour les autres va placer la
coordination et la communication au cœur de nos pratiques.
On évoquait tout à l'heure l'organisation de la prise en charge des patients (OPC), qui est le
référentiel de l'accréditation. Dans ce référentiel OPC, le mot « coordination » revient
constamment, et Hervé Leteurtre a souligné que ce terme est celui qui suscite le plus de réserves.
Cela n'est nullement surprenant puisque parvenir à faire travailler les gens ensemble est
certainement la tâche la plus difficile qui soit. Et c'est bien l'objectif dans lequel nous
développons la démarche qualité: faire travailler les gens ensemble.
La démarche qualité va donc concerner tout le monde, mais sous la forme d'actions, mises en
oeuvre auprès des individus, auprès des services, au niveau des relations entre les services et au
niveau de l'ensemble des établissements. On rencontrera donc deux types d'actions: des actions
internes, des actions inter-services, et des actions globales. Il existe plusieurs~ niveaux de
démarche qualité, mais la démarche qualité, de manière générale, concourt à la satisfaction.
A quoi sert la qualité? Supposons que nous identifiions un dysfonctionnement au sein de notre
établissement. Que peut nous apporter la qualité? Elle va nous permettre d'objectiver les
difficultés que l'on pressent mais que, parfois, l'on:ne peut pas identifier. Dans un service, on a
toujours l'impression que quelque chose ne va pas. La qualité va ici servir à identifier et
objectiver les difficultés, afin de pouvoir rechercher les véritables causes de dysfonctionnement.
Une fois ces causes identifiées, nous allons pouvoir mettre en oeuvre les leviers d'action qui
vont nous permettre de résoudre les problèmes qui se posent à nous. Il s'agit donc en définitive
d'accompagner les changements induits par l'identification des causes, et donc des leviers
d'action qui peuvent être mis en oeuvre. De manière générale, la qualité, même sans aucun
dysfonctionnement, consisterait à être constamment en situation de veille, à être constamment
dans un système où l'on évalue ce que l'on fait, pour voir si on le fait bien et pour pouvoir
réajuster la démarche au besoin.
Les freins à la qualité
La qualité induit donc une dynamique de changement dans les services et leur coordination. Les
freins à la qualité sont les freins inhérents aux jeux d'acteurs dans les organisations. J'ai
emprunté à un établissement du Sud-Ouest la formule suivante: « Les freins à la qualité sont:
habitude, lassitude, et certitude ». Qui, aujourd'hui, n'a pas d'habitudes? Qui, aujourd’hui, dans
les établissements, n'a pas de lassitude? Qui n'a pas de certitudes? Ce sont ces trois éléments qui
expliquent qu'il existe des freins à la qualité, à la mise en oeuvre des démarches. En définitive,
nous aimons tous parler de qualité, mais nous sommes peu nombreux lorsqu'il s'agit de la mettre
en oeuvre sur le terrain.
La qualité peut également inquiéter car elle propose:
 De clarifier les choses. Nous savons tous que certains acteurs de l'hôpital ont intérêt à ce
que la situation demeure floue. Ils ont intérêt à ce que les choses ne soient pas clairement
établies, concernant les acteurs, les interventions et les responsabilités de chacun. Donc
le fait de clarifier, dans le cadre de la qualité, va sans doute effectivement susciter un
certain nombre de réticences.
 D'identifier ce qui pose problème. Cela aussi peut faire peur. Cela suppose en effet
d'identifier dés processus, des fonctionnements, des dysfonctionnements, mais aussi des
individus qui participent à ces dysfonctionnements. Or quels sont ceux qui, ici, peuvent
affirmer qu'ils ne personnalisent pas les actions menées au sein de leurs services, dans
leur fonctionnement quotidien, et plus généralement, dans leur hôpital?
Une fois que l'on aura clarifié et objectivé ces informations, nous allons pouvoir les partager, et,
ensemble, rechercher et mettre en oeuvre des solutions. Cette notion de partage est très
importante dans le cadre d'une démarche qualité.
En outre, chacun étant concerné et des interactions constantes existant entre les établissements,
le changement implique de nombreux acteurs. Cela suppose également une certaine résistance
au changement. Il nous faut donc mener une réflexion stratégique. Enclencher un processus
implique d'analyser son contexte, de réfléchir aux acteurs concernés. Quelle est la stratégie de
chacun de ces acteurs du changement dans le jeu d'acteurs? Parmi eux, quels sont les acteurs qui
ont le pouvoir de faire réussir le projet? Quels sont ceux qui ont le pouvoir de le faire échouer?
La qualité, qui induit un changement, nous place dans une logique de réflexion stratégique.
Nous allons devoir mobiliser nos forces pour surmonter l'ensemble des barrières au
changement. Dans ce cadre, l'accréditation nous offre une opportunité unique, dans la mesure où
elle constitue, tous les cinq ans, une photographie de l'existant. De plus, l'accréditation se
présente comme une check-list de l'ensemble des bonnes pratiques qu'il faut avoir mises en
oeuvre au sein des établissements. L'accréditation a la vertu pédagogique de constituer cet outil.
Il nous faut dès lors prendre appui sur elle. Nous devons toutefois veiller à demeurer à l'intérieur
de la démarche qualité: l'objectif est la qualité, non l'accréditation.
La sécurité et la gestion des risques constituent selon moi l'une des grandes résistances au
changement.
Elles concernent en effet des pratiques individuelles, à la fois soignantes, médicales,
administratives et techniques. Certes, il existe un discours récurrent sur la résistance par rapport
aux exigences réglementaires qui sont prétendument « trop fortes, déconnectées de la réalité: on
nous donne des normes, mais on n'arrive pas à les mettre en place, on n'en a pas les moyens ».
Cela est sans doute vrai, mais l'enjeu des décideurs hospitaliers et des responsables de la qualité
est, quoi qu'il en soit, de parvenir à construire. Certains considèrent que la probabilité pour qu'un
drame se produise est extrêmement faible. Il est très difficile de lutter contre ce type d'attitude:
pourquoi en effet se mobiliser pour agir, alors qu'aucun drame ne se produira? Cette gestion des
risques a véritablement besoin d'être améliorée. Il existe en effet, dans ce domaine, de très fortes
réticences par rapport à la qualité. Ici encore, l'accréditation devra être instrumentalisée pour
servir d'appui à la démarche qualité et à la démarche de sécurité que l'on veut mettre en place.
Structurer la mise en oeuvre de la qualité
Éviter les coûts de la non-qualité
Comment structurer une démarche qualité lorsqu'elle n'existe pas encore dans un établissement?
La mise en place de la démarche qualité implique de s'engager sur plusieurs fronts, en fonction
du sens que l'on souhaite lui donner. Tout d'abord, il me semble important de définir clairement
et simplement les objectifs que l'on veut se fixer, et la dimension que l'on veut donner à la
qualité. Simultanément, il convient d'échanger autant d'informations que possible sur ce qu'est
et ce que n'est pas la qualité, sur des exemples de démarche qualité, et sur les bénéfices
potentiels d'une telle démarche. En effet, il existe des coûts de non-qualité: une mauvaise
organisation a un coût, et vous, décideurs financiers, savez que cela est hautement décourageant.
Nous connaissons tous l'exemple du brancardier qui va chercher un patient qui doit être opéré, et
que l'on renvoie de service en service, puis qui, ayant besoin du dossier du patient, le demande
aux infirmières qui lui apprennent que cette personne est sortie deux jours plus tôt... De tels dysfonctionnements engendrent une perte de temps pour le brancardier, l'applicateur de radio, le
médecin, et deviennent une source de stress pour tous. Si l'on évalue ces dysfonctionnements, on
peut, en y remédiant, gagner du temps et de l'argent
Soutenir la démarche qualité consiste donc à mener des actions de terrain concrètes afin de
prouver, par exemple, que la qualité permet de résoudre des dysfonctionnements prioritaires.
Il convient donc de structurer différents outils au service de la qualité des pratiques (système
documentaire, traçabilité, contrôles divers), et d'organiser la remontée d'informations, qui va
nous permettre de décider quelles actions concrètes seront mises en place dans l'établissement.
La qualité engage
Fn un mot, il s'agit de convaincre. Nous devons convaincre car la qualité nous engage; c'est en
cela, également que la qualité est un outil de changement pour nous, décideurs hospitaliers. La
qualité nous engage à des actions concrètes. Une fois les problèmes identifiés, il nous faut les
révéler. Identifier les problèmes implique donc que l'on s'attelle à les résoudre, ou, le cas
échéant, que l'on informe que des priorités doivent être établies et que, Si tel problème ne peut
être traité cette année, il le sera l’année prochaine ou dans deux ans. Mais l'information est
toujours nécessaire, faute de quoi nos interlocuteurs peuvent légitimement douter de la
crédibilité de notre démarche.
Par ailleurs, la qualité nous engage à l'honnêteté et à l'exhaustivité dans la recherche des causes
souvent multiples d'un dysfonctionnement. Ces causes peuvent être liées aux organisations, aux
pratiques ou aux habitudes professionnelles ou encore à un manque de matériel ou d'effectifs.
Dans tous les cas, il convient de s'engager, dans le cadre de ta démarche qualité, à rechercher les
secteurs dans lesquels l'organisation peut être améliorée. En contrepartie, chacun s'engage à être
honnête et à apporter la preuve, lorsqu'un dysfonctionnement est identifié, que l'une de ses
causes tient bien, par exemple, au manque d'effectifs. Il convient de se poser ce type de questions pour que la qualité soit réellement intégrée dans les relations entre les personnels.
Pour conclure, nous devons nous engager, comme cela a été nécessaire dans le cadre de bon
nombre de réformes concernant la gestion quotidienne des hôpitaux, à diriger ou à décider
différemment, avec plus de coordination et de partage, et sans doute moins de hiérarchie.
Lorsque l'on a dit que la qualité était nécessaire et que chacun devait s'impliquer et se montrer
responsable, lorsque l’on a affirmé aux équipes qu'elles pouvaient remonter des informations,
on ne peut agir comme s'il était possible de s’extraire de cette démarche. La qualité est donc
également un outil du changement pour les managers hospitaliers.
En définitive, la qualité et l'accréditation sont au service des objectifs de l'établissement et de ses
acteurs, et n'ont de sens que pour cette raison. Il faut identifier et accompagner le changement,
sans pour autant faire reposer sur la qualité ni tous les espoirs, ni tous les torts. Car trop de
qualité tue la qualité. Or le sens de la démarche est vraiment d'évaluer les pratiques et les dysfonctionnements afin de procéder à des améliorations. Pour conclure je soumettrai cette phrase
de Paul Valéry à votre réflexion: « Ce qui est simple est faux, mais ce qui est compliqué est
inutilisable».
Qualité: le point de vue du partenaire
PHHIPPE RENAULT
Dexia Sofcah est spécialisé dans le contrat d'assurance statutaire et, à ce titre, verse les
traitements des agents en cas d'absences pour raison de santé. Par-delà cette mission de
gestionnaire, nous avons développé un certain nombre de services, parmi lesquels le service prévention, qui a pour mission d'aider les collectivités et les établissements hospitaliers à maîtriser
l'absentéisme, dû notamment à des accidents de travail.
Nous accompagnons donc la collectivité et les établissements en leur apportant une réponse qui
peut être structurelle ou organisationnelle. En certaines occasions, nous parvenons à réduire le
niveau des absences de travail en mettant en place des démarches d'organisation. L'évaluation
de l'organisation est donc génératrice de temps de travail. In fine, le monde hospitalier et le
monde du secteur privé ne sont pas aussi éloignés que certains le pensent: les points communs
sont nombreux. La qualité est donc un moyen au service de la satisfaction des clients.
La qualité peut être perçue comme un facteur de libération du management et des pratiques
mises en oeuvre en vue d'une meilleure satisfaction des patients. La qualité n'est donc pas un
acte gratuit.
La qualité, bien qu'étant au service du patient, dépend avant tout de l'état de santé des ressources
humaines dans l'hôpital. On imagine mal comment des agents hospitaliers qui ont une mauvaise
santé pourraient répondre à leur mission. Le fait qu'un personnel soit stressé et vive dans un
système déshumanisé est aisément perceptible, même si un effort conséquent est entrepris pour
le dissimuler. Mon expérience me permet de dire qu'on détecte rapidement le
dysfonctionnement qui peut exister dans un service.
L'état de santé des personnels dépend de plusieurs facteurs, et surtout de leur combinatoire.
Obtenir la qualité est donc faire un pari: celui d'utiliser une approche globale sur une action
locale. La pensée globale est décidée par le leadership. la démarche qualité suppose une
initiative du Directeur qualité. Pour être menée à son terme, elle exige l'implication de
l'ensemble du personnel. L'action locale intervient à ce niveau.
Les méthodes employées
Le modèle du FQM
Pour évoquer la pensée globale, j'ai choisi d'utiliser le modèle du FQM. Lors des actions que
nous menons auprès des établissements clients, nous organisons des journées de formation.
Nous organisons en particulier une journée qui est réservée à évaluer le personnel selon les
différents modèles:
- selon le modèle du FQM;
- selon le modèle ANAES;
- selon les processus.
À la fin de la journée, les clients préfèrent, de façon générale, la démarche FQM, qui n'est
cependant pas incompatible avec les techniques ANAES.
Dans la démarche FQM, le leadership a une place importante. La partie GRH représente 29% de
cette démarche et les résultats du personnel 9%.
Les connaissances et les compétences du personnel sont identifiées, développées et maintenues
durablement par des entretiens annuels, des formations. Le personnel et l'organisation
entretiennent le dialogue. L'organisation récompense, reconnaît et se préoccupe de son
personnel. Elle peut notamment donner aux agents les moyens de mettre en oeuvre des projets.
La récompense n'est pas nécessairement d'ordre financier.
La mesure de perception des résultats
S'agissant des résultats, les mesures sont doubles:
 les mesures de perception qui sont plutôt qualitatives;
 les mesures de performance, plutôt quantitatives.
Un exemple de mesure de perception est donné par la motivation et la satisfaction du personnel.
La motivation et la satisfaction ne sont pas nécessairement liées. La satisfaction suppose que
l'agent trouve le plan de travail convenable, mais ne suppose pas la motivation. Une mesure plus
fine sera donc obtenue par les enquêtes de satisfaction. Il est en outre possible d'utiliser des
mesures de performance, qui constituent un indicateur quantitatif, en mettant en place des
tableaux de bord. Grâce à l'ensemble de ces outils, on peut prendre la mesure de l'absentéisme.
L'action locale
Il faut maintenant examiner l'action locale. Cela signifie que, localement, il faut agir
concrètement. Il ne faut pas que la qualité se déroule comme dans certaines entreprises privées,
où elle est souvent le fait de quelques personnes.
Le fait de rendre les acteurs responsables au sein de l'établissement suppose de leur confier des
projets, en les mettant en situation d'être des acteurs réels au quotidien, en développant les
connaissances à l'intérieur, au sein de l'établissement, et en les évaluant à l'occasion d'entretiens
individuels.
Comment commence la qualité sur le terrain, du point de vue des ressources humaines? La
motivation repose sur deux axes importants:
 le volontarisme;
 la vision.
Sans une vraie vision de l'établissement, il est difficile d'avoir un personnel motivé. Il en va de
même pour les missions. Si les gens ne connaissent pas leur mission, l'établissement se heurtera
à des difficultés insurmontables. Permettez-moi de citer une anecdote à ce sujet. Un audit qualité
concerne trois tailleurs de pierres. L'auditeur demande l'identité de sa mission au premier
tailleur de pierres. Celui-ci lui répond: «je taille des pierre». À la même question, le deuxième
tailleur de pierres répond: « moi, j'ai une famille, j'ai des enfants». L'auditeur passe au troisième
tailleur de pierres, qui lui dit: « vous le voyez bien, nous sommes en train de construire une
cathédrale, et je participe à l'administration de cette cathédrale». Seul l'un des trois tailleurs
connaissait donc la mission globale et avait une vision de son travail. L'identification de la
mission est importante; pourtant, elle fait souvent défaut.
A minima, il faut veiller à fixer les objectifs afin que ceux-ci soient clarifiés et donc atteints. Il
sera possible de décliner les missions et le leadership de la même façon. Le but est de disposer
d'un personnel spécialisé et responsable, avec des objectifs, une vision claire et une véritable
reconnaissance. Pour cela, il faut avoir pour principe directeur la satisfaction des patients.
Permettez-moi de citer une courte phrase pour conclure: « Au centre est le patient, mais les
clients sont au centre de nos préoccupations et de la démarche qualité».
JEAN-M ICHEL BUDE
Le risque d'une assimilation de la visite d'accréditation à une inspection ou à un contrôle, en
particulier en matière de sécurité, a été évoqué à plusieurs reprises. Selon vous, existe-t-il un lien
entre l'évaluation et cette préoccupation de sécurité?
PATRICK MARTIN
Dès lors que la visite d'accréditation est considérée comme une visite sécuritaire, le risque de
couper complètement les soignants de l'adhésion à cette démarche est manifeste. Nous avons
déjà tendance à considérer que, d'une façon générale, la visite d'accréditation est une donnée
administrative qui se rajoute à notre quotidien. Nous préférons généralement en confier la
charge au seul personnel administratif.
ÈVE DREVON
Je partage cette analyse. La mise en place d'une démarche de gestion des risques est
particulièrement complexe. Je pense toutefois que l'accréditation, même si elle n'est pas conçue
à cette fin, doit être un levier pour mettre en place une gestion des risques. En effet, celle-ci est
une notion extrêmement large, qui recouvre la sécurité des patients, la sécurité des biens et des
personnes, la stérilisation et les déchets.
Pour faire en sorte que la démarche ait un impact positif auprès des soignants et de l'ensemble
des personnels de l'hôpital, il faut faire feu de tout bois, même s'il est regrettable d'utiliser
l'accréditation à cette fin. Il existe un tel manque et de telles carences en ce qui concerne la
gestion des risques dans les établissements qu'il est nécessaire d'adopter une attitude quelque
peu opportuniste.
PHILIPPE RENAULT
La sécurité est incontestablement intégrée à la visite d'accréditation et même à l'étape préalable.
En effet, elle est examinée par les experts-visiteurs qui utilisent, pour l'apprécier, une procédure
de signalement. Cela a également conduit l’Etat à définir précisément les règles. Depuis la
publication d'un document qui recense l'ensemble des textes en matière de sécurité, les autorités
de tutelle ont procédé à de nombreuses inspections. In fine, l'Etat semble s'être réapproprié cette
mission d'inspection, ce qui va, à terme, décharger l'ANAES de cette fonction.
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