La qualité : un mot phare vers lequel on tend par
des chemins différents Jean Lassechere[1]
a démarche qualité procède à la fois de l’obligation
professionnelle de donner les meilleurs soins et des
exigences, toujours plus contraignantes, de la tutelle
administrative et budgétaire. Les choses ont changé depuis le
temps où l’on considérait que l’on avait appris à la faculté les
traitements standard et que l’application à bien faire était le
garant de la qualité. En outre, la réputation de faible curabilité
du cancer était suffisamment établie pour qu’un échec théra-
peutique soit imputé à l’agressivité de la maladie et non à
l’insuffisance du traitement. On constate aujourd’hui une
situation inversée à l’extrême, puisque l’opinion publique
considère que le cancer du sein est l’un de ceux que l’on “gué-
rit bien”, ce qui signifie que “l’on doit en guérir”. De ce fait,
un échec peut être plus facilement imputé à une insuffisance
du traitement.
En réalité, trois sous-groupes peuvent être identifiés :
– les cancers qui ne guériront pas malgré une démarche de
qualité correspondant aux meilleurs standards actualisés ;
– les cancers qui guériront même si les procédures thérapeu-
tiques n’ont pas la qualité optimale ;
– le troisième groupe, peut-être le moins nombreux mais le
plus important, dans lequel la qualité du traitement constitue la
valeur ajoutée transformant un échec possible en succès.
Pour autant, la démarche qualité s’impose pour tous les
groupes : dans le premier, par exemple, la très faible curabilité
est une connaissance statistique, probabiliste, mais elle
échappe à l’identification individuelle.
La qualité est donc ce qui produit de la quantité (et/ou de la
qualité) de vie, mais il est normal qu’elle soit évaluée sur le
respect de procédures identifiées et, pas seulement, sur les
résultats obtenus à 5 ans. La notion de qualité des soins
dépasse largement le geste technique lui-même, fût-il jugé
essentiel : chirurgie, radiothérapie, traitement médical. Si l’on
considère qu’un chirurgien acquiert, au cours de sa formation,
la capacité à réaliser une quadrantectomie-curage axillaire, la
démarche qualité de la chirurgie du sein va bien plus loin. Elle
concerne aussi toutes les procédures environnant le geste tech-
nique : repérage préopératoire éventuel, identification des
marges d’exérèse, épaisseur des marges, qualité des recoupes,
nombre de ganglions prélevés, durée du drainage, précocité de
la rééducation… C’est donc toute l’équipe soignante qui est
concernée, et c’est à son niveau que la répétition de l’ensemble
des procédures améliore la qualité. Si la démarche est rendue
plus difficile par un niveau de répétitivité insuffisant, ce n’est
pas tant en raison de l’apprentissage du geste chirurgical lui-
même que de la difficulté plus grande à assurer une coordina-
tion de l’ensemble du dispositif. Or, la très grande dispersion
des sites de traitement du cancer du sein dans notre pays doit
être prise en compte si l’on veut juger la qualité sur l’ensemble
d’un réseau et non pas sur un site. Une étude récente de la
DREES[2] montre la très grande hétérogénéité des prises en
charge pour 45 412 mastectomies (partielles ou totales) : 86 %
des 1 310 établissements publics ou privés ont réalisé au moins
une mastectomie en 1997 (50 d’entre eux n’en ont réalisé
qu’une !), 50 % des établissements ont réalisé moins de 15
interventions par an et 10 % ont totalisé 55 % de l’activité
totale. Les systèmes de vigilance fonctionnent mieux quand ils
sont utilisés : une trop faible implication dans l’activité quoti-
dienne diminue l’attention censément portée aux procédures et
distend les liens de la pluridisciplinarité, notamment au
moment, crucial pour l’avenir de la patiente, du choix initial de
la meilleure séquence parmi les divers traitements.
Peut-on franchir le pas et considérer qu’une trop faible activité
entraîne une perte de chances par déficit de qualité ? C’est pos-
sible, mais difficilement démontrable. Toutefois, The Lancet[3]
a publié, en 1995, une étude identifiant un seuil critique de
29 nouveaux cas annuels au-dessus duquel il y aurait une
réduction de mortalité de 15 %. En revanche, cette étude ne
montre pas de gain supplémentaire pour les services traitant
3
La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
ÉDITORIAL
La démarche qualité dans la prise en charge
des patientes opérées pour un cancer du sein
Henri Pujol*
* CRLCC Val-d’Aurelle, Montpellier.
[1] “Cancer du sein et démarche de qualité, du diagnostic au traitement”.
Communication au 5eCours supérieur d’oncologie mammaire.
[2] Direction de la recherche des études de l’évolution et des statistiques du
ministère de l’Emploi et de la Solidarité, n° 18, juin 1999.
[3] Influence of clinician workload and patterns of treatment on survival from
breast cancer. Lancet 1995 ; 345 : 1265-70.
L
plus de 50 malades par rapport à ceux qui en traitent de 30 à
50 par an. Ce type d’analyse paraît difficilement reproductible
en France avant plusieurs années.
La tutelle doit veiller à ce que la démarche qualité respecte sa
finalité propre et qu’elle n’apparaisse pas comme une écono-
mie de moyens budgétaires et un rationnement des soins. Il a
été bien précisé, dès la parution des ordonnances de 1996, que
la planification, dépendante de l’ARH[4], et l’accréditation,
dépendante de l’ANAES[5], étaient deux démarches distinctes
et “non communicantes”. Celles-ci relevant toutes les deux du
même ministère, peut-on vraiment imaginer qu’il n’y aura pas,
à terme, une interaction de l’une et l’autre ? S’il paraît légitime
de laisser à l’ANAES le temps d’assumer elle-même sa propre
démarche qualité avant de communiquer les résultats obtenus,
prioritairement aux professionnels concernés, il est inévitable
qu’à terme ses travaux soient l’objet de l’intérêt des décideurs
(au sens large du terme) et même de celui de la population à
travers les médias. Certains soignants se sont émus de la paru-
tion de classements des services hospitaliers dans la presse
grand public en 1998 et 1999 : ce n’est qu’une amorce de ce
qui surviendra dans les prochaines années. La profession et les
pouvoirs publics devraient pouvoir eux-mêmes informer sur
les résultats et anticiper les commentaires.
Il faut également s’enquérir de ce que les patientes pensent de
la qualité. Les états généraux des malades atteints de cancer
organisés par la Ligue nationale de lutte contre le cancer en
1998 ont témoigné du fait que, même dans une pathologie
moins avancée que d’autres pour l’expression du droit des
malades, il y a une très forte revendication pour “le droit à la
qualité vue par le soigné”. Parmi les 3 000 malades qui se sont
publiquement exprimés, il y avait une forte majorité de
femmes, la plupart traitées pour un cancer du sein. Il est clair
que la qualité n’est pas jugée sur les seuls critères techniques.
L’opinion a même souvent été exprimée que l’on était “plutôt
bien traité en France”, mais que cela ne suffisait pas. Ce qui
est revendiqué, c’est le besoin d’une prise en charge globale,
incluant tout ce qui se rapporte au soin lui-même et tout ce qui
est périphérique à la technique : qualité de l’accueil, de l’infor-
mation pour le malade et sa famille, qualité du suivi et de
l’accord entre les divers intervenants, prise en compte des
contraintes familiales et sociales, soutien psychologique. Ces
revendications n’ont rien d’excessif tant les devoirs du méde-
cin correspondent à l’image en miroir du droit des malades.
L’information sur les traitements et la participation éventuelle
à certains choix thérapeutiques font partie des critères de juge-
ment de la qualité des soins vécue par une patiente. On peut
d’ailleurs se demander pourquoi il est nécessaire d’être inclus
dans une recherche biomédicale pour bénéficier d’une infor-
mation pertinente et pour avoir à donner un consentement
éclairé !
Les ordonnances d’avril 1996 donnent cinq années aux struc-
tures de soins pour être réellement engagées dans la démarche
d’accréditation qui évaluera la qualité. L’échéance n’est plus
qu’à 18 mois. Le chemin est encore long. Les soignants doi-
vent être conscients que, désormais, ils ne cheminent plus
seuls. Ils sont accompagnés par les pouvoirs publics et par les
malades. C’est à la profession de prendre des initiatives. Il faut
passer d’une culture de l’oral à la rigueur de l’écrit. Il faut, de
plus, vérifier, par des contrôles extérieurs, que l’écrit est réel-
lement appliqué. Avant d’être soumis à des visites d’accrédita-
tion officielles (et inopinées ?), il serait profitable de prendre
modèle sur d’autres activités en recherche de performance où
l’on s’entraîne sérieusement entre professionnels. Or, jusqu’à
présent, peu de sociétés savantes ont placé la démarche qualité
dans les thèmes de leurs congrès… Découvrir ce qui se fera
demain semble donc éveiller plus d’intérêt que la qualité réelle
de ce qui se fait aujourd’hui.
ÉDITORIAL
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La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999
[4] Agence régionale d’hospitalisation.
[5] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé.
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