É D I T O R I A L La démarche qualité dans la prise en charge des patientes opérées pour un cancer du sein ● Henri Pujol* La qualité : un mot phare vers lequel on tend par des chemins différents Jean Lassechere [1] L a démarche qualité procède à la fois de l’obligation professionnelle de donner les meilleurs soins et des exigences, toujours plus contraignantes, de la tutelle administrative et budgétaire. Les choses ont changé depuis le temps où l’on considérait que l’on avait appris à la faculté les traitements standard et que l’application à bien faire était le garant de la qualité. En outre, la réputation de faible curabilité du cancer était suffisamment établie pour qu’un échec thérapeutique soit imputé à l’agressivité de la maladie et non à l’insuffisance du traitement. On constate aujourd’hui une situation inversée à l’extrême, puisque l’opinion publique considère que le cancer du sein est l’un de ceux que l’on “guérit bien”, ce qui signifie que “l’on doit en guérir”. De ce fait, un échec peut être plus facilement imputé à une insuffisance du traitement. En réalité, trois sous-groupes peuvent être identifiés : – les cancers qui ne guériront pas malgré une démarche de qualité correspondant aux meilleurs standards actualisés ; – les cancers qui guériront même si les procédures thérapeutiques n’ont pas la qualité optimale ; – le troisième groupe, peut-être le moins nombreux mais le plus important, dans lequel la qualité du traitement constitue la valeur ajoutée transformant un échec possible en succès. Pour autant, la démarche qualité s’impose pour tous les groupes : dans le premier, par exemple, la très faible curabilité est une connaissance statistique, probabiliste, mais elle échappe à l’identification individuelle. La qualité est donc ce qui produit de la quantité (et/ou de la qualité) de vie, mais il est normal qu’elle soit évaluée sur le respect de procédures identifiées et, pas seulement, sur les résultats obtenus à 5 ans. La notion de qualité des soins dépasse largement le geste technique lui-même, fût-il jugé * CRLCC Val-d’Aurelle, Montpellier. [1] “Cancer du sein et démarche de qualité, du diagnostic au traitement”. Communication au 5e Cours supérieur d’oncologie mammaire. La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999 essentiel : chirurgie, radiothérapie, traitement médical. Si l’on considère qu’un chirurgien acquiert, au cours de sa formation, la capacité à réaliser une quadrantectomie-curage axillaire, la démarche qualité de la chirurgie du sein va bien plus loin. Elle concerne aussi toutes les procédures environnant le geste technique : repérage préopératoire éventuel, identification des marges d’exérèse, épaisseur des marges, qualité des recoupes, nombre de ganglions prélevés, durée du drainage, précocité de la rééducation… C’est donc toute l’équipe soignante qui est concernée, et c’est à son niveau que la répétition de l’ensemble des procédures améliore la qualité. Si la démarche est rendue plus difficile par un niveau de répétitivité insuffisant, ce n’est pas tant en raison de l’apprentissage du geste chirurgical luimême que de la difficulté plus grande à assurer une coordination de l’ensemble du dispositif. Or, la très grande dispersion des sites de traitement du cancer du sein dans notre pays doit être prise en compte si l’on veut juger la qualité sur l’ensemble d’un réseau et non pas sur un site. Une étude récente de la DREES [2] montre la très grande hétérogénéité des prises en charge pour 45 412 mastectomies (partielles ou totales) : 86 % des 1 310 établissements publics ou privés ont réalisé au moins une mastectomie en 1997 (50 d’entre eux n’en ont réalisé qu’une !), 50 % des établissements ont réalisé moins de 15 interventions par an et 10 % ont totalisé 55 % de l’activité totale. Les systèmes de vigilance fonctionnent mieux quand ils sont utilisés : une trop faible implication dans l’activité quotidienne diminue l’attention censément portée aux procédures et distend les liens de la pluridisciplinarité, notamment au moment, crucial pour l’avenir de la patiente, du choix initial de la meilleure séquence parmi les divers traitements. Peut-on franchir le pas et considérer qu’une trop faible activité entraîne une perte de chances par déficit de qualité ? C’est possible, mais difficilement démontrable. Toutefois, The Lancet [3] a publié, en 1995, une étude identifiant un seuil critique de 29 nouveaux cas annuels au-dessus duquel il y aurait une réduction de mortalité de 15 %. En revanche, cette étude ne montre pas de gain supplémentaire pour les services traitant [2] Direction de la recherche des études de l’évolution et des statistiques du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, n° 18, juin 1999. [3] Influence of clinician workload and patterns of treatment on survival from breast cancer. Lancet 1995 ; 345 : 1265-70. 3 É D I T O R plus de 50 malades par rapport à ceux qui en traitent de 30 à 50 par an. Ce type d’analyse paraît difficilement reproductible en France avant plusieurs années. La tutelle doit veiller à ce que la démarche qualité respecte sa finalité propre et qu’elle n’apparaisse pas comme une économie de moyens budgétaires et un rationnement des soins. Il a été bien précisé, dès la parution des ordonnances de 1996, que la planification, dépendante de l’ARH [4], et l’accréditation, dépendante de l’ANAES [5], étaient deux démarches distinctes et “non communicantes”. Celles-ci relevant toutes les deux du même ministère, peut-on vraiment imaginer qu’il n’y aura pas, à terme, une interaction de l’une et l’autre ? S’il paraît légitime de laisser à l’ANAES le temps d’assumer elle-même sa propre démarche qualité avant de communiquer les résultats obtenus, prioritairement aux professionnels concernés, il est inévitable qu’à terme ses travaux soient l’objet de l’intérêt des décideurs (au sens large du terme) et même de celui de la population à travers les médias. Certains soignants se sont émus de la parution de classements des services hospitaliers dans la presse grand public en 1998 et 1999 : ce n’est qu’une amorce de ce qui surviendra dans les prochaines années. La profession et les pouvoirs publics devraient pouvoir eux-mêmes informer sur les résultats et anticiper les commentaires. Il faut également s’enquérir de ce que les patientes pensent de la qualité. Les états généraux des malades atteints de cancer organisés par la Ligue nationale de lutte contre le cancer en 1998 ont témoigné du fait que, même dans une pathologie moins avancée que d’autres pour l’expression du droit des malades, il y a une très forte revendication pour “le droit à la qualité vue par le soigné”. Parmi les 3 000 malades qui se sont publiquement exprimés, il y avait une forte majorité de femmes, la plupart traitées pour un cancer du sein. Il est clair [4] Agence régionale d’hospitalisation. [5] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. 4 I A L que la qualité n’est pas jugée sur les seuls critères techniques. L’opinion a même souvent été exprimée que l’on était “plutôt bien traité en France”, mais que cela ne suffisait pas. Ce qui est revendiqué, c’est le besoin d’une prise en charge globale, incluant tout ce qui se rapporte au soin lui-même et tout ce qui est périphérique à la technique : qualité de l’accueil, de l’information pour le malade et sa famille, qualité du suivi et de l’accord entre les divers intervenants, prise en compte des contraintes familiales et sociales, soutien psychologique. Ces revendications n’ont rien d’excessif tant les devoirs du médecin correspondent à l’image en miroir du droit des malades. L’information sur les traitements et la participation éventuelle à certains choix thérapeutiques font partie des critères de jugement de la qualité des soins vécue par une patiente. On peut d’ailleurs se demander pourquoi il est nécessaire d’être inclus dans une recherche biomédicale pour bénéficier d’une information pertinente et pour avoir à donner un consentement éclairé ! Les ordonnances d’avril 1996 donnent cinq années aux structures de soins pour être réellement engagées dans la démarche d’accréditation qui évaluera la qualité. L’échéance n’est plus qu’à 18 mois. Le chemin est encore long. Les soignants doivent être conscients que, désormais, ils ne cheminent plus seuls. Ils sont accompagnés par les pouvoirs publics et par les malades. C’est à la profession de prendre des initiatives. Il faut passer d’une culture de l’oral à la rigueur de l’écrit. Il faut, de plus, vérifier, par des contrôles extérieurs, que l’écrit est réellement appliqué. Avant d’être soumis à des visites d’accréditation officielles (et inopinées ?), il serait profitable de prendre modèle sur d’autres activités en recherche de performance où l’on s’entraîne sérieusement entre professionnels. Or, jusqu’à présent, peu de sociétés savantes ont placé la démarche qualité dans les thèmes de leurs congrès… Découvrir ce qui se fera demain semble donc éveiller plus d’intérêt que la qualité réelle de ce qui se fait aujourd’hui. ■ La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999