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Commentaire de la Lettre à Ménécée d'Epicure.
-La vie d’Epicure
Epicure est né en 341 avant J.-C. à Samos (colonie athénienne, au large de la Turquie actuelle) et meurt en 270
avant J.-C. à Athènes. Les parents d'Epicure sont athéniens. Son père Néoclès est un clérouque, c'est-à-dire un colon. Il est
aussi maître d'école et il n'est pas impossible qu'il ait donné à son fils les premiers rudiments du savoir. Sa mère pratiquait des
rites propiatoires chez les pauvres (d'où peut-être sa haine de la superstition). En 327, Epicure fut envoyé à Théos, sur le proche
rivage d'Asie, pour suivre l'enseignement de Nausiphane, disciple de Démocrite (le père du matérialisme et de l’atomisme). Il
fut un élève particulièrement attentif, comme devait en témoigner, par vanité, Nausiphane lui-même. En 323 avant J.-C.
Epicure part à Athènes s'acquitter de ses obligations militaires (le service de l'Ephébie qui durait deux ans). En 321 avant J.-
C., libéré de l'armée, il ne peut revenir à Samos d'où les colons athéniens venaient d'être chassés. Il fait alors l'apprentissage de
l'exil et de la pauvreté. Il rejoint sa famille réfugiée à Colophon (Asie mineure). Aux difficultés matérielles s'ajoute la précarité
de sa santé. En 306 avant J.-C., il s'installe définitivement à Athènes. Pour fonder son école il achète un jardin (d'où le nom
d'école du jardin) et une maison au nord-ouest de la ville. La vie de l'école est en étroite relation avec les autres centres
épicuriens. C'est dans ce jardin qu'il va vivre avec ses disciples. Sa philosophie s'appellera la philosophie du
"jardin". Ce jardin permit d'ailleurs aux disciples de se nourrir de fèves lors d'une famine qui décima les
athéniens. Au jardin, la vie est frugale. On cultive l'amitié. L'école était ouverte même aux femmes et parmi elles se
trouvaient des prostituées et des esclaves. Epicure voulait conduire tous les hommes indistinctement sur le chemin de la sagesse
et leur reconnaissait le droit et la capacité de philosopher. Le jardin se singularise ainsi fortement par rapport à l'Académie
(élitiste) ou au lycée (centre de recherche érudite). Epicure meurt en 270 av J.C. à l'âge de 72 ans, en proie à la souffrance et à
la maladie.
-La philosophie d’Epicure
La philosophie d'Epicure est une philosophie matérialiste et hédoniste (du grec hedoné = plaisir). C’est une
philosophie matérialiste dans la mesure où, selon Epicure, il n’y a, dans la nature, que des atomes et du vide. Tout ce qui
existe n’est qu’une certaine combinaison d’atomes, toute chose est donc de nature matérielle ; tout est matière. L’âme est elle-
même composée d’atomes. Et l’ordre du monde n’est pas le résultat d’un plan raisonnable ou d’une intelligence divine, mais du
hasard. Il s’est formé par le jeu mécanique et aveugle de combinaisons atomiques : les atomes qui se sont rencontrés
accidentellement ont constitué les différents êtres de la nature. Quant aux dieux (eux aussi matériels), ils existent bien, mais,
bienheureux (parce que parfaits, ils ne manquent de rien) et aussi indépendants (ils vivent en autarcie) que le sage tend à l’être,
ils se désintéressent du monde et des affaires humaines.
Cette philosophie matérialiste fonde une morale hédonique (du plaisir). Pour Epicure la recherche du
vrai est subordonnée à la poursuite du bonheur. La science est en vue de l'éthique. L'épicurisme est en
effet une philosophie pratique. Pour Epicure le philosophe ne doit pas chercher à savoir pour savoir ou à
penser pour penser, mais à savoir et à penser pour bien vivre, pour être heureux. La connaissance de la
physique a plus précisément pour but la paix de l'âme (l’ataraxie est la condition du bonheur) : dissiper les terreurs de l'esprit.
Rendre l’homme heureux c’est lui procurer un état purifié de toute angoisse (c’est cela l’ataraxie). Or la
religion est source d’angoisse et d’inquiétude. Les hommes voient dans la foudre le signe que Zeus est en
colère, redoutent la mort et les Enfers. Il y a deux craintes, deux terreurs qui, selon Epicure, empoisonnent
la vie des hommes : la crainte de la mort et la crainte des dieux. . Il s'agit de dissiper les illusions
(essentiellement religieuses) sur la vie pour jouir de la vie. L’atomisme de Démocrite (repris par Epicure)
élimine la croyance en un Dieu créateur (puisque les atomes sont éternels) et aussi en un Dieu qui
intervient dans le monde, qui punit et récompense : les dieux, dont Epicure se garde bien de nier
l’existence (Epicure n’est pas athée) ne s’occupent jamais du monde ni des hommes. En définitive, seul le
matérialisme qui nous apprend qu’il n’y à rien à espérer ou à craindre des dieux et de l’au-delà peut nous
rendre pleinement heureux, peut nous permettre de jouir pleinement des plaisirs de la vie.
Mais attention : l’hédonisme épicurien (philosophie du plaisir) ne constitue nullement une apologie de la
jouissance et de la démesure. Epicure nous dit bien que la recherche du plaisir est le but de la vie. Mais il
ne préconise nullement un plaisir sauvage et déréglé (le plaisir de la débauche ou de la luxure). Le vrai
plaisir, celui qui n’engendre pas le manque et la douleur, n’est pas le plaisir instable des ambitieux, des
débauchés (plaisir cinétique du grec Kinesis= mouvement) ; c’est le plaisir en repos (plaisir catastématique
du grec catastémai= se reposer), l’absence de douleur. Epicure condamne les plaisirs artificiels (ceux du
luxe, de la vanité) et ne retient, parmi les plaisirs naturels que ceux qui sont absolument nécessaires (boire
quand on a soif, manger quand on a faim). Ainsi le sage épicurien se contentera du strict minimum : un
peu de pain, un peu d’eau, un peu de paille pour dormir, un peu d’amitié.
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La morale épicurienne n’est donc ni une morale de débauché, ni une morale ascétique (qui préconise le renoncement
à tout plaisir charnel ou sensible). Pour Epicure le plaisir doit être évalué et mesuré. Le bonheur, la vie
heureuse exige un juste règlement des plaisirs ; la vie du sage est tempérante, contemplative et vertueuse.
-Sujet de la Lettre à Ménécée :
La Lettre à Ménécée expose précisément les principes de l'éthique ou de la morale épicurienne. Elle est
une exhortation à philosopher pour rétablir la santé de l'âme. Seule la philosophie, cette médecine de
l’âme peut dissiper les illusions religieuses (crainte de la mort et des dieux) et nous enseigner le vrai
plaisir. Ces principes de la vie heureuse enseignés par la philosophie s'opposent aux opinions vaines ou
illusoires du peuple.
La lettre à Ménécée commence par l'éloge de la philosophie qui "donne la santé à l'âme" et "nous procure
le bonheur".
-Explication détaillée de la lettre à Ménécée
Préambule (1er alinéa).
"quand on est jeune, il ne faut pas hésiter à philosopher et quand on est vieux, on doit pas se lasser de la
philosophie".
-Il ne faut donc pas retarder l'exercice de la philosophie parce que
(1) La philosophie est une médecine de l'âme : alors que la médecine au sens habituel du terme veille à la
santé du corps, la philosophie, elle, soigne l'âme ou l'esprit par ces discours ou ces raisonnements. Elle est
au sens propre du terme une "psychiatrie"(Psucheme). Le philosophe est un psychiatre. Il guérit l'esprit
du jeune homme en le libérant de toute crainte quant à l'avenir. La crainte est pour Epicure une affection
de l'âme, c'est-à-dire au sens propre une maladie de l'esprit. Il y a essentiellement, comme nous l’avons
déjà dit, deux formes de crainte La crainte de la mort et la crainte des dieux. Ce sont deux affections
irrationnelles dont la philosophie doit nous libérer par son discours et son raisonnement.
La philosophie guérit également le vieillard. Elle doit également permettre au vieillard qui est prêt de
mourir d'accéder au bonheur. La philosophie apprend au vieillard à se rappeler les jours et les moments
heureux de son existence passée. Car même quand le corps est tenaillé par les plus violentes douleurs, le
souvenir d'un plaisir constitue lui-même un plaisir. Ainsi les plaisirs de la vie ne sont pas des biens
éphémères et provisoire qui disparaissent dans la profondeur du passé. La mémoire du plaisir est elle-
même une source de plaisir. Avoir du plaisir c'est se préparer à jouir pour toute la vie: le plaisir peut être
capitalisé, mis en réserve pour le reste de la vie.
(2) Il ne faut pas tarder à philosopher : retarder l'exercice de la philosophie, c'est retarder l'heure du
bonheur. L'éthique ou la morale épicurienne est en effet une éthique d'extrême urgence. Il faut jouir de la
vie sans attendre, sans différer. Lorsque l'occasion se présente il faut la saisir car elle ne se reproduira peut
être pas. L'avenir est en effet incertain. Si le présent est certain, le futur est seulement possible ou
probable. Le lendemain est irréel, seul le présent est réel. Ainsi il faut jouir au plus vite des occasions ou
des possibilités de bonheur que nous offre la vie. Le temps du bonheur est le présent. Le plaisir doit être
ici et maintenant, dans le présent de notre existence. Dire comme beaucoup, que le plaisir viendra ailleurs
et plus tard, ce n’est pas une judicieuse économie mais une erreur sur la nature du plaisir. Une telle erreur
est cause de souffrance. IL ne faut pas suivre les politiciens qui nous proposent de souffrir aujourd’hui
pour jouir demain, non plus les théologiens qui nous enjoignent de souffrir dans nos corps vivants en
attendant la béatitude (bonheur suprême dans une autre vie). Le plaisir n’est ni dans l’avenir ni au ciel
mais dans le corps présent.
On retrouve cette critique de l'"ajournement" ou du délai chez les stoïciens et particulièrement chez
Sénèque dans De la brièveté de la vie. Le bonheur n'attend pas. La vie ne souffre pas le délai. La plupart
des hommes meurt avant même d'avoir vécu. Toujours occupés par leur travail et les affaires courantes, ils
laissent passer les occasions. "La vie périt par le délai et chacun de nous meurt affairé" (Lettres vaticanes,
Epicure). Il est toujours risqué de parier sur l'avenir. Jouissons du jour présent, ne prenons pas le risque de
mourir "affairé", car demain est incertain.
Ainsi le plaisir est l’origine et le but de la vie heureuse, le but recherché par le vieillard et le jeune
homme. Il est le but suprême de toute existence.
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Mais la poursuite du plaisir par une âme perturbée ou déséquilibrée ne permet de jouir sereinement d’un
plaisir stable et sans douleur. Epicure va donc s’efforcer de dissiper les craintes vaines et illusoires par le
discours rationnel.
La crainte des dieux
Les mythes et les croyances populaires sur les Dieux commandant notre destinée sont le premier mal à
vaincre. Les hommes ont peur des châtiment qui les attendent après la vie; c'est la crainte d'avoir manqué
à quelque chose, d'avoir commis des actes impies. Lucrèce va montrer que cette crainte source de toutes
les superstitions est sans fondement.
Pour dissiper l’illusion de dieux qui punissent et récompensent, Epicure critique d’abord l'opinion des
hommes à l'égard des dieux. Les hommes peuvent, certes, légitimement croire en l'existence des dieux:
personne ne peut prouver le contraire. Mais l'erreur consiste à croire que les dieux interviennent dans les
affaires humaines. Les dieux ne s'occupent pas de nous, ils n'en éprouvent nullement le besoin, car ils
sont parfaits et autosuffisants; rien ne leur manque. Ils ne veulent rien, ne désirent rien. Leur âme n'est
donc jamais troublée ou émue (ataraxie), ils ne ressentent aucune inquiétude. C'est pour cette raison qu'ils
sont parfaitement heureux. Leur bonheur est par définition parfait. Ils sont auto-suffisants ; ils vivent en
autarcie. Leur vie est la plus heureuse que l'on puisse imaginer. Les dieux constituent donc un modèle de
bonheur que les humains peuvent s’efforcer d’imiter.
Si les dieux sont totalement indifférents à notre situation, il est donc absurde de les craindre. En outre
cette crainte qui empoisonne la vie des hommes est responsable des pires maux. Elle a entraîner de
nombreux sacrifices humains. Les sacrifices des victimes expiatoires étaient fréquents dans l'antiquité.
Songez à Iphigénie sacrifiée par son père Agamemnon pour obtenir des vents favorables à l'expédition de
la flotte grecque vers les rivages de Troie).
La philosophie est donc bien une médecine qui libère l'âme de toutes ses représentations nuisibles source
de souffrance et d’angoisse.
La crainte de la mort.
Si l’homme doit se familiariser (habituer) avec l’idée que la mort n’est rien pour lui, c’est que précisément
elle est beaucoup pour lui. Elle est l’objet d’une préoccupation et d’un souci constant. Elle est ce qui est le
plus intime et le plus étrange. En exhortant l’homme à se familiariser avec l’idée que la mort n’est rien,
Epicure prend le contre-pied d’habitudes de pensées solidement ancrées.
Pourquoi la mort n’est-elle rien pour nous?:
Argument : Parce que, répond Epicure, « tout bien et tout mal résident dans la sensation; or la mort est la
privation complète de cette dernière ». Laa mort est un état d'insensibilité, la mort est privation de
sensation. Insensibilité dans la mesure où le corps ne vit plus, même si l'âme continue à survivre après. La
sensibilité suppose l'union de l'âme et du corps. La disparition du sentiment et de la conscience fait que la
mort n'est pas quelque chose qui peut se vivre. Nous ne pouvons avoir aucune expérience de notre propre
mort.
Postulat (le présupposé sur lequel repose l’argument) : . L’âme elle-même est mortelle. Pour Epicure l’âme est
corporelle, composée d’atome. Lorsque la mort survient (le corps est inanimé), les atomes de l’âme se
dissolvent aussi. La mort n’est rien pour nous, car ce qui est dissous est privé de sensibilité, et qui est
privé de sensibilité n’est rien pour nous. La mort en tant que privation de sensation ne peut être un mal
puisqu’elle ne peut pas être sentie ou ressentie. Un mal que l’on ne peut sentir ou ressentir n’est pas un
véritable mal, c’est tout au plus selon Epicure, un mal imaginaire. Guérir les hommes de leurs maux
imaginaires et de leurs craintes non fondées voilà la tâche que se propose le philosophe.
Conséquences de la thèse d’Epicure :
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(1) la mort ne doit pas nous inspirer l'horreur ou l'effroi. Nous n’avons aucune raison de craindre la mort, car nous n’avons
aucune raison de craindre ce que nous ne pouvons vivre. On peut craindre la douleur, la souffrance, l'agonie qui précède dans
certains cas la mort mais pourquoi craindre un état toute sensation douloureuse ou agréable est absente. La mort est
l'inexistence pure et simple. La mort n'est pas une expérience douloureuse. La mort qui abolit la sensibilité nous délivre de toute
douleur. Ce n'est pas la mort elle-même qui est douloureuse ou terrifiante mais l'idée de la mort. C'est de la crainte de cette idée
que le philosophe doit nous libérer : "Philosopher c'est apprendre à mourir" Montaigne. La mort est du coté de l'irréel,
de l'intangible. Anatole France disait " je suis, elle n'est pas; elle est, je ne suis plus".
(2) Si la mort n’est rien pour nous, le désir d’immortalité est un désir vain et insensé. ON désir être
immortel parce qu’on craint la mort. Mais il y a une autre raison : en général on pense qu’une vie est
d’autant plus heureuse qu’elle est plus longue. Or, selon Epicure, la durée n’ajoute rien au bonheur; nous
pouvons trouver notre bonheur dans la vie présente, le bonheur n'est pas une question de quantité ou de
durée, on peut avoir plus de plaisir en un instant qu'en vingt ans. Ce n’est pas la durée la plus longue qui
importe mais la durée la plus agréable, c’est-à-dire exempte d’inquiétude, de crainte et de trouble. Or
l’insensé qui est possédé par le désir d’immortalité vit dans un état de manque incessant, il se projette
continuellement dans l’avenir. Si nous désirons être immortels, c’est en raison de notre avidité, c’est que nous sommes
incapables de restreindre nos désirs au plaisir que nous pouvons éprouvé ici et maintenant. Nous éprouvons des désirs illimités
qui nous jettent dans un manque incessant. Seuls peuvent être heureux ceux qui savent borner leur désirs, ceux qui éprouvent
des désirs limités. Peu importe que le vase soit grand ou petit pourvu qu’il soit bien rempli. Or si nous en restons à des sirs
sans fin, c’est comme si nous remplissions un vase percé.. La vie présente se perd alors dans l’attente et l’inquiétude. Nous
sommes incapables de jouir du présent. Il ne s'agit donc pas d'oublier la vie présente et de la dissiper dans la
vaine poursuite d'un avenir qui nous échappe, qui ne dépend pas de nous.
C’est pourquoi il est sot de souhaiter longue vie au jeune homme et bonne mort au vieillard: tous les deux sont au maximum du
bonheur si sans attendre un avenir incertain ils savent jouir de la vie présente.
La crainte de la mort et la crainte dieux dissipées, il s’agit maintenant de distinguer les différents types de désirs. Quels sont
ceux qui doivent être absolument satisfaits si nous voulons être heureux, quels sont ceux que nous devons éradiquer ?
La hiérarchie des désirs.
Epicure distingue les désirs vains et les désirs naturels. Les désirs vains sont des désirs illimités; les désirs naturels sont des
désirs bornés. Epicure distingue plus précisément d'une manière générale:
1)Les désirs naturels et nécessaires (la soif et la faim).
2)Les désirs naturels et non nécessaires (la sexualité).
3)Les désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires. (le désir de gloire, de richesse, etc.)
.
Lorsque Epicure, par exemple, parle de désirs naturels, il englobe aussi bien le désir de se nourrir (besoin)
que l'amitié ou le désir de dialoguer qui, en tant que sociaux, ne sont pas biologiques. C'est que, pour le
Grec, naturel ne signifie pas « sauvage » ou en dehors de toute culture. Est naturel tout ce qui permet de
réaliser ou d'achever l’ essence d’un être. Or nul ne peut nier que cet « achèvement » exige chez l’homme
des compléments artificiels (variété dans l’alimentation, la tenue vestimentaire, etc.) : l’homme n’est pas
seulement un animal.
Mais que réclame la nature chez l’homme demande Epicure ? Elle réclame seulement l’absence de douleur pour le corps
(aponie) et l’absence de trouble, d’inquiétude pour l’âme (ataraxie). Or celui qui éprouve des désirs illimités est incapable de
connaître cet état d’aponie et d’ataraxie. Est naturel, pour les grecs, non pas nécessairement ce qui et de l'ordre du biologique,
mais ce qui est de l'ordre de la limite.
- Les désirs naturels et nécessaires
Ils doivent être inconditionnellement satisfaits. Il n’y a pas de bonheur possible s’ils ne sont pas satisfaits.
Il y a trois types de désirs naturels et nécessaires:
a) les désirs nécessaires pour la vie: il s’agit de la faim et de la soif, sans la satisfaction desquelles nous ne pouvons vivre, car
notre organisme perd continuellement des atomes, il faut donc qu’il restaurer ces pertes atomiques (le corps est seulement
constitué d’atomes pour Epicure). Le désir signale alors un manque, une perte physique. Le plaisir qui met fin au manque
signale, au contraire, que l’équilibre du corps est retrouvé. Cette « restauration » est désirée pour la vie même.
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b) les désirs nécessaires au bien-être du corps.
Il s’agit ici essentiellement du désir de protection thermique, de protection du corps contre toutes les agressions naturelles,
comme le vêtement ou la maison contre le froid. Les épicuriens ne prônent pas la vie sauvage, à la différence des cyniques, et
ne nient pas que certaines techniques (en l’occurrence, le tissage) complètent (terminent plutôt) la nature. Car « la vie simple
n’est pas la vie sauvage ».
C) Les désirs nécessaires « au bonheur », c'est-à-dire le besoin de philosopher, car la philosophie nous fait connaître la nature et
la limite des désirs, rendant possible la paix de l’âme, l’ataraxie.
2) Les désirs naturels et non nécessaires.
Ces désirs doivent être conditionnellement satisfaits. Leur satisfaction ne produit pas le bonheur (c’est la satisfaction des
désirs précédents qui est la condition nécessaire et suffisante du bonheur), mais n’est pas pour autant un obstacle au bonheur.
Parmi ces désirs on peut citer le désir esthétique , (l’écoute de la musique, ou la contemplation d’une peinture), qui contribue à
l’harmonie et à l’équilibre du corps percevant.
Il y a également le désir sexuel, désir naturel mais dont la satisfaction n’est pas un obstacle au bonheur. En effet si la soif ou la
faim réclament une nécessaire (vitale) satisfaction, le désir sexuel, lui, peut être éludé ou dissipé par une activité de
substitution. Car si la faim est liée à un manque d’atomes, le désir sexuel est lié au contraire, à un excès d’atomes dans tout le
corps qui peut être soulagé par le sport ou le travail, rétablissant l’équilibre physiologique.
Pensant à la masturbation, Diogène le cynique regrettait qu’on ne puisse de même apaiser sa faim en se frottant le ventre. Un
jour, au marché, il se masturbait en disant : "Ah ! si seulement on pouvait apaiser sa faim en se frottant ainsi l'estomac !"
Alexandre vint un jour se planter devant lui en proclamant : "Je suis Alexandre, le grand roi." - "Et moi, reprit-il, je suis
Diogène le Chien !" " Qu'as-tu donc fait, lui demandait-on, pour mériter le surnom de Chien ?" - "Je caresse, en remuant la
queue, ceux qui me donnent quelque chose, j'aboie contre ceux qui ne me donnent rien et je mords les mécréants."
3) Les désirs vains : les désirs ni nécessaires, ni naturels.
Les désirs naturels ont un but déterminé, ils sont bornés. La soif et la faim sont par exemple sont des désirs qui peuvent être
comblés et satisfaits comme tous les désirs naturels. On peut boire jusqu'à ce que la soif cesse ou manger à satiété. En revanche
on ne pourra jamais être riche à souhait ou suffisamment glorieux. Les désirs de gloire, de richesse et d’honneurs par exemple,
sont des désirs ni naturels ni nécessaires. Ces désirs sont vains (de vanum= vide) parce qu’ils sont sans limite. Ils ne peuvent
être comblés ; ils sont comparables aux tonneaux des Danaïdes (les filles du roi d’Argos qui avaient été condamnées à remplir
indéfiniment des tonneaux percés pour expier leurs crimes). Ils sont insatiables, impossible à satisfaire.
Ces désirs vains ont leur source dans l’opinion qui ne connaît aucune limite. La démesure des désirs vains a sa source non dans
le corps qui lui a des seulement des exigences modérées et vitales, mais dans l’âme. Le corps ne réclame que ce qui est
indispensable à la vie (par le corps la nature se contient dans des limites précises). . "Ce n'est pas le ventre qui est
insatiable comme le croit la foule, mais la fausse opinion qu'on a de sa capacité indéfinie" dit Epicure.
C'est l'âme, la faculté de se représenter des biens indéfinis ou indéterminés, qui est responsable de ce débordement des limites
naturelles.
A ces désirs qui ne connaissent aucune limite dans l'espace et dans le temps s'opposent les désirs positifs (conformes à la
nature: soif, faim... l'amitié, etc.). Seule la satisfaction de ces désirs peut produire un plaisir stable et durable. Il faut donc
revenir aux désirs délimités par leur objet : "les désirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires naissent d'une opinion vide". La
juste estimation des désirs, sans transgression de leurs bornes naturelles conditionne la paix et la tranquillité de l'esprit
(ataraxie). Celui qui n'a que des désirs qu'il peut satisfaire sera toujours heureux parce que son corps et son esprits ne seront
jamais perturbés. Les désirs vides qui empêchent l’ataraxie et l’aponie doivent donc être absolument éradiqués.
Mais une réserve : cette distinction désirs naturels et désirs vains est problématique, car une même chose peut être l’objet
d’un désir nécessaire (le saumon comme nourriture) et d’un désir vain (le saumon comme met très raffiné et recherché). De
même la musique peut être l’objet d’un désir naturel, mais quand on voue une passion maniaque à la musique, celle-ci devient
l’objet d’un désir vide. Une même chose peut être l’objet d’un désir naturel et d’un désir vain ou vide (Ce ne sont pas les objets
qui spécifient les désirs, mais notre rapport à ces objets).
Ce qui signifie que l’insatisfaction qui produit l’inquiétude et la souffrance n’a pas sa source dans la vacuité des désirs vains ou
dans les objets vers lesquels nous portent ces désirs mais dans l’illimitation qui peut rendre tout désir insatiable.
Ainsi tout désir connaît son illimitation:
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