EPICURE I. Eléments de biographie Epicure est un philosophe grec, ayant vécu au IVe siècle av. J.-C. (341-270). Il est le fondateur du Jardin (306 av. J.-C.), l'une des écoles les plus prestigieuses de la Grèce ancienne, où il s’entretient malgré sa maladie avec une foule d’élèves et amis jusqu’à sa mort. Pour lui, exercer la sagesse signifie guérir le corps et les âmes. Or cette guérison de la vie sprirituelle ne peut s’obtenir dans la solitude : l’école doit être la société miniature et idéale où les rapports de maîtres à disciples reposent sur la confiance et l’amitié et où les femmes et esclaves seraient reçus au même titre que les jeunes gens. Père de l’épicurisme, une philosophie fondée sur l’absence de douleur (à ne pas confondre avec hédonismeplaisir ou eudémonismebonheur), Epicure a écrit plusieurs courts textes dans lesquels il défendait un mode de vie simple, évitant toutes sortes d’excès. Il laissera une œuvre immense dont il nous reste : une Lettre à Hérodote sur la nature, une à Pythoclès sur les météorites, et une à Ménécée sur la morale, Testament, Pensées maîtresses et quelques maximes. Lui et son disciple latin Lucècre (98-55 av. J.-C.) sont les grands représentants du matérialisme antique : à leurs yeux, tout est matériel, même l’âme humaine. II. Notions clés La canonique Le point de départ de la doctrine des Epicuriens est la canonique : ensemble de canons de la pensée, c’est-à-dire de critères ou règles concernant la vérité, qui ne sont rien d’autres que diverses sortes d’évidences. La première est celle de la passion, c’est-à-dire du plaisir et de la douleur. Sont également critères du vrai les sensations, représentations sensibles, directes et exactes de la vérité : le réel est ce qui se fait sentir. Ce contact, direct pour le toucher et le goût, s’effectue pour les autres sens par les images qui se détachent des objets. Pour Epicure, tout ce qui est percu est non pas subjectif et relatif, mais au contraire vrai, réel. Il nomme ces émanations simulacres. A leur contact, la représentation rencontre en nous des atomes d’âme et y provoque une passion. Mais, comment rendre compte des erreurs des sens ? Non seulement la sensation n’est pour rien dans nos erreurs, mais il suffirait de s’en tenir à la sensation pour éviter l’erreur, qui elle vient de l’impatience de juger et non des sens. C’est ce principe d’erreur, l’anticipation de la perception, qui permet l’enchaînement des idées, le langage et le raisonnement. Car toute question, pour être posée et comprise, implique que nous possédions d’avance la notion de la chose demandée. En effet, quand une sensation ou expérience sensible est répétée plusieurs fois, elle laisse en nous une réminiscence des sensations antérieures, qui permet à notre âme de devancer toute nouvelle sensation. Ces prénotions dérivent ainsi des sensations précédentes, elles ne sont pas imaginaires et formulent un jugement d’existence. (C’est ainsi qu’Epicure prouve que les dieux existent ; nous les voyons par l’esprit, et les simulacres sont réels.) La physique : la doctrine atomiste Epicure reprend la physique (pièce maitresse de la doctrine épicurienne, elle désigne une représentation de la nature et du monde) atomiste de Démocrite, un penseur pré-socratique, selon laquelle notre univers est uniquement composé d’atomes et de vide. Les atomes sont des éléments indécomposables, immuables, d’une solidité indissoluble, puisque les « plus petits éléments concevables » sont compacts, durs, non susceptibles de changement=éternels. Tous les atomes, doués d’une certaine élasticité pour rebondir après les chocs, ont un mouvement continu dans le vide. Ils possèdent cependant une propriété indéterminée, la déclinaison ou le clinamen, c’est-à-dire la possibilité de changer la direction de leur chute, ce qui rend compte de la rencontre de certains d’entre eux et explique la formation des composés. La morale, ou « la théorie des plaisirs » Cette physique matérialiste permet à Epicure de conclure qu’il est inutile de redouter la mort puisque notre âme n’est qu’un composé d’atomes, ou les dieux, car ils existent mais comme de "surcroît", bienheureux dans leur propre monde et ne se soucient pas de nous. La mort désigne la dissolution et la perte définitive de la sensibilité, un simple fait physiologique qui ne saurait nous angoisser. La mort est la mort de la mort, puisqu’une fois morts, nous ne la penserons pas. La seule chose réelle qui se présente à nous, c’est le plaisir, c’est-à-dire une jouissance stable et sans douleur, mais aussi une limite qui dépassée, se tranforme immédiatement en douleur. Le plaisir est donc un bien fragile toujours menacé par une rupture d’harmonie. Il existe trois catégories de désirs (cf. fiche "LE DESIR") : les désirs naturels et nécessaires (conformément à la nature), les naturels et non nécessaires (recherche d'objets variés, raffinés), et enfin les non naturels ni nécessaires (tensions de l'âme vers des opinions ou jugements creux et vains). Les derniers sont à bannir, les deuxièmes à éviter, les premiers à satisfaire pleinement et joyeusement. Le sage épicurien ne cherche qu'un plaisir calme et stable, une sérénité d'âme, l'ataraxie, ou "absence de trouble". Il acquiert une parfaite tranquilité d'âme, après s'être délivré des deux grandes craintes concernant les dieux et la mort. Il sait se suffire à lui-même, se contenter de peu, et se moquer du destin. III. Citations - « La mort n'est rien pour nous » - « C’est parfois la peur de la mort qui pousse les hommes à la mort » - « L'homme qui ne se contente pas de peu ne sera jamais content de rien » - « A propos de chaque désir, il faut se poser cette question : quel avantage résultera-t-il si je ne le satisfais pas ? » - « Quand on se suffit à soi-même, on arrive à posséder ce bien inestimable qu'est la liberté » - « Seul celui qui peut se passer de richesse est digne d’en jouir » - « Le dernier degré du bonheur est l’absence de tout mal » IV. Textes Extrait de la Lettre à Ménécée, par Epicure "Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’à est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence. Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre" Extrait de la Lettre à Ménécée + commentaire et résumé "Qu’on ne remette pas à plus tard, parce qu’on est jeune, la pratique de la philosophie et qu’on ne se lasse pas de philosopher, quand on est vieux. En effet, il n’est, pour personne, ni trop tôt ni trop tard, lorsqu’il s’agit de veiller à la santé de son âme. D’ailleurs, celui qui dit que le moment de philosopher n’est pas encore venu, ou que ce moment est passé, ressemble à celui qui dit, s’agissant du bonheur, que son moment n’est pas encore venu ou qu’il n’est plus. Aussi le jeune homme doit-il, comme le vieillard, philosopher : de la sorte, le second, tout en vieillissant, rajeunira grâce aux biens du passé, parce qu’il leur vouera de la gratitude, et le premier sera dans le même temps jeune et fort avancé en âge, parce qu’il ne craindra pas l’avenir. Il faut donc faire de ce qui produit le bonheur l’objet de ses soins, tant il est vrai que, lorsqu’il est présent, nous avons tout et que, quand il est absent, nous faisons tout pour l’avoir." Cette lettre, écrite dans un style direct, d’un ami à l’autre, est un véritable manuel du bonheur. Le message est : Agis comme je te le dis, et tu seras heureux. Epicure formule sa philosophie éthique comme une vie de plaisir ascétique et vertueuse. Le bonheur est le plus grand bien, affirme Epicure à la suite d’Aristote. Et le bonheur, c’est la maximisation du plaisir. Si tous les plaisirs sont sources de bien, Epicure distingue les plaisirs dynamiques (manger) et les plaisirs statiques (état de satiété), qui sont les plaisirs recommandés par Epicure. Le plaisir statique est un état d’équilibre entre la satisfaction du désir et la naissance de nouveaux désirs, sources de frustration et de maux. De même, Epicure distingue les plaisirs physiques des plaisirs psychologiques. Le présent a trait aux plaisirs physiques, pour lesquels il faut réduire au strict minimum la satisfaction. Le futur, et son corrolaire la peur de l’avenir, est ce qui empêche l’âme de parvenir à l’équilibre, à l’ataraxie. Quant au désir, Epicure affirme que le sage se doit de l’éliminer au maximum et d’aller vers des désirs facilement accessibles. Épicure distingue trois types de désirs : désirs naturels et nécessaires, les désirs naturels mais non nécessaires, et les désirs non naturels et non nécessaires. Ces derniers désirs, comme la recherche de la gloire ou de la fortune, doivent être éliminées car leur satisfaction est inconnue. Sur la vertu, Epicure a développé une spécificité par rapport aux autres philosophes grecs : chez lui, les vertus ne sont qu’un moyen d’accéder au bonheur, et non une fin en soi. Enfin, Epicure cherche à résoudre la question de l’angoisse métaphysique de l’homme, en prônant une philosophie de la non-pensée de la mort. La mort est anéantissement, parce que l’esprit est un groupe d’atomes qui se disperse après la mort. Si l’esprit n’est plus, il ne peut donc avoir peur, la mort n’est donc rien pour nous. V. Sujets possibles La modération de nos plaisirs serait-elle la voie d’une vie heureuse ? Peut-on penser la mort ? Être heureux est-ce accomplir tous ses désirs ? Le plaisir est-il le bonheur ? Peut-on vivre sans philosophie ? http://www.gralon.net http://www.larousse.fr