Mohammed Dib et la poésie
Poésie oblige
Mais à quoi faire, à quoi dire ? Il est à craindre que le jour
où l’on répondrait à cette question, la poésie aurait vécu.
Serait-ce un art, un exercice spirituel, une morale ? Quand
elle serait tout cela, ce ne serait encore ni ça, ni assez.
Elle serait le rêve et sa clef. Elle serait, au contraire du
trou noir sidéral qui avale jusqu’à la lumière, un trou blanc
qui produirait de la lumière ; ce serait troublant, non ?
Mais il est encore à craindre que, comme on ne percevra jamais
le secret du trou noir, il en sera de même pour l’énigme du
trou blanc.
La poésie, je l’ai souvent entendu dire par mon ami défunt
Guillevic, poète inspiré s’il en fut, s’il en est : « C’est
autre chose », en réponse à la question à lui souvent posée.
C’est autre chose. Sur l’insistance importune de certains, il
complétait par la sentence arabe : « Si ton chant n’est pas
plus beau que le silence, tais-toi. » Et lorsqu’un jour il
improvisa ce poème laconique comme lui : « Escargot ma non
troppo », il ne croyait pas avoir inventé aussi une autre
définition de la poésie ; pourtant c’en était une.
Quelqu’un d’autre, tirant plus vite que son nom, Swift, eut ce
mot : « La mission de l’art est de voir l’invisible. » De
même, cela me semble s’appliquer on en peut plus parfaitement
à la poésie.
Qu’on me pardonne si j’ajoute, de mon cru, qu’elle est de
l’irrationnel qui revêt une forme. Elle est donc inspiration
(ou n’est pas). S’entend : est cela qui agit comme une
éruption volcanique. Sous la pression du feu central, un
volcan crache ses laves. Il s’endort, les laves refroidissent
et adoptent des morphologies qui, au-dehors comme en dedans,
se feront définitives. À l’échelle géologique, les éruptions