5 La poésie 3 Le renouvellement formel Texte 2 B ◗ La poésie contemporaine Jean-Pierre Vereheggen, Ridiculum Vitae (1994) ! page 318 du manuel Observer et analyser 1. Dans cet extrait de Ridiculum vitae, Jean-Pierre 2. Certes la lecture d’un tel extrait peut déconcer- Verheggen s'adresse aux jeunes générations en les exhortant à penser par elles-mêmes, sans se laisser influencer par les discours institutionnels ou les pressions extérieures de tous types. Chaque paragraphe de ce manifeste poétique commence par un verbe à l’impératif et se poursuit quasiment intégralement à l’impératif (lorsque les phrases sont sans verbe, c’est qu’il est sous-entendu, constitué par le verbe à l’impératif de la proposition précédente). Ce sont d’abord dans les deux premiers paragraphes des verbes d’action (fuir, hâter le pas, quitter, lâcher, et le troisième commence par « Cavalez »), qui laissent place à l’alternance des verbes être et avoir. La première phrase commence par un vif encouragement à la deuxième personne du pluriel (« Fuyez ! Hâtez le pas ! ») porteur d’un caractère d’urgence. Ensuite l’auteur passe à la première personne du pluriel (« L’institution nous rattrape ») s’incluant dans les bénéficiaires des conseils, si bien qu’il passe à l’impératif première personne du pluriel : «Fuyons tous les Cercles ! » (l. 2), qui le place aux côtés des jeunes qu’il conseille, leur ouvrant la voie / voix à la manière d’un initiateur (« Oui ! Cavalez, jeunes gens ! », l. 11). La suite du texte est à la deuxième personne du pluriel, et procède par accumulations d’impératifs qui concernent la façon d’être au monde : osez être vous-mêmes au mépris des pensées toutes faites semble nous dire le poète, encouragement qui concerne autant le comportement (fuir tout grégarisme, nous dit le deuxième paragraphe) que la façon de s’emparer de la langue (« Osez parler scélérat […] Osez tout dire avec des fleurs de rhétorique qui sentent bon la fleur de pissenlit », l. 20-22). Les impératifs constituent des actes illocutoires qui sollicitent le lecteur en le poussant à agir (réagir) contre les forces aliénantes des groupes d’intérêt. Le programme poétique de ce manifeste vise autant la liberté d’action, que la liberté de pensée et de langage (réfléchir avec les élèves sur sa force persuasive). ter, par l’usage généralisé du calembour et du registre (niveau) de langue familier. Mais la créativité verbale, associée au travail du rythme et à celui des sonorités, indique une maîtrise du style aux antipodes de l’humour facile ou des blagues de potache. Les mots de la langue verte ne doivent pas faire oublier que la syntaxe et l’enchaînement des phrases sont une reconstitution, par l’écriture, de l’oral. Le poète qu’est J.-P. Verheggen aime déclamer ses textes qui prêtent à sourire par leur tour oral et le souffle ludique qui les traverse. Son écriture, libérée des exigences poétiques d’une certaine tradition (mode sérieux, vocabulaire élevé, idées sublimes, registre lyrique…) sert son propos, unissant l’expérimentation sur le langage à son interrogation sur le rapport au monde que l’homme construit par son discours. Sa liberté consiste à faire de la poésie – genre réputé noble – à partir de matériaux ou de procédés traditionnellement exclus de ce domaine (humour, calembours, gros mots). 3. Jean-Pierre Verheggen exploite les ressources de l’homophonie (« mammouths » – « mamours » – « moumoute »), de l’allusion culturelle (« Ayez tous les Horaces ! », « les Vieillesses ennemies »), du latin de cuisine (« mon chou d’Fleurus ! ») ou encore de l’association lexicale (« fleur de rhétorique » – « fleur de pissenlit »). Une telle écriture, produit d’une lente évolution (avec pour jalons les déclarations hugoliennes comme « J’ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose » (Les Contemplations), a beaucoup perdu de sa charge subversive en cette fin de XXe siècle (« La poésie : merde pour ce mot ! » a pu dire Ponge). Mais il pose le problème de la norme et de l’acceptabilité, d’autant plus crucial qu’il s’agit ici de poésie, sanctuaire de la pureté de la langue. Il est intéressant de travailler les représentations des élèves pour montrer que leur horizon d’attente en matière poétique concerne une certaine poésie lyrique à laquelle ne se réduit plus exclusivement la poésie 5. La poésie 1 5 d’aujourd’hui (si tant est que le genre existe encore, la frontière prose-poésie se trouvant parfois contestée). La prose se trouve tout autant affectée par les recherches formelles, et ce depuis le début du XXe siècle : Céline, Joyce ou Arno Schmidt déconcertent le lecteur (registre vulgaire, déconstruction de la syntaxe traditionnelle) en poussant la langue dans ses retranchements. 5. La poésie 2