Approche interculturelle des attributions causales dans la maladie

Actes du VIIIème Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC)
Université de Genève – 24-28 septembre 2001
sur le site : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/aric.
L'auteur assume la responsabilité du texte et en garde les droits.
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Approche interculturelle des attributions causales dans la maladie
par Karine HERRY
Doctorante en psychologie clinique interculturelle rattachée à l’URPI
Université de Toulouse 2 Le Mirail
Résumé
La maladie est un phénomène culturel majeur. Si son interprétation se base sur le
système de valeurs de la société auquel l'individu appartient, comment l'Africain, en
situation interculturelle, appréhende-t-il la maladie ?
Notre recherche explore le type d'attribution causale émis pour la maladie et les
événements de vie quotidiens par les Français et Noirs-Africains en France depuis moins
de dix ans.
Elle vise à démontrer une contradiction intra et interculturelle dans l'interprétation de la
maladie. Les principaux résultats, obtenus par une approche multidimensionnelle, vont
dans ce sens :
- Les Français, pour la maladie, ne se servent pas de la norme d'internalité et sont plutôt
externes. Ils sont également plus internes dans l'interprétation des événements de vie
quotidiens que pour la maladie.
- Les Africains, quant à eux, évoquent des causes internes (surtout pour la maladie) alors
qu'ils sont à priori externes. Ils accordent néanmoins une grande importance au Pouvoir
d'Autrui dans l'interprétation de la maladie.
Parmi les pistes de réflexion évoquées pour les Africains " interculturels ", l'hypothèse de
la clairvoyance normative est intéressante. Cependant, du fait qu'ils concilient en France
deux modes interprétatifs de la maladie (internalité / pouvoir d'autrui), le concept de
"perméabilité sélective" semble plus pertinent.
Actes du VIIIème Congrès de l’Association pour la Recherche InterCulturelle (ARIC), Université de Genève – 24-28 septembre 2001
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Approche interculturelle des attributions causales dans la maladie
Quelle que soit la culture, santé et maladie, individu et société sont toujours liés en des
liens divers mais indissolubles. Santé et maladie se présentent donc comme mode
d’interprétation de la société par l’individu, comme mode de rapport de l’individu à la
société.
Ainsi, la maladie est un phénomène culturel majeur qui amène des questions puisque
l’individu cherche à l’expliquer, à la comprendre. Quelles sont ses causes ? Comment
interpréter telle manifestation ?
Si l’attribution de causes à la maladie se base sur le système de valeurs de la société
auquel l’individu appartient, comment l’individu de culture noire-africaine, en situation
interculturelle, appréhende-t-il la maladie ?
D’un point de vue théorique, nous ne nous étendrons pas ici sur les principes
concernant la médecine, la maladie et son interprétation autant en France1 qu’en Afrique
noire2.
Notre approche théorique est également basée sur les concepts de la psychologie
interculturelle ainsi que les notions se rapportant aux attributions causales.
Ainsi, pour un souci de clarté et de compréhension, reprenons quelques définitions
importantes pour la suite.
I) ASPECTS THEORIQUES
1- Mais qu'est-ce réellement qu'une attribution ?
"Une attribution est une inférence ayant pour but d'expliquer pourquoi un événement a
eu lieu ou encore qui essaie de déterminer les dispositions d'une personne" (Havey et
Weary, 1981 in J.Vallerand, 1994)
La question "pourquoi" que l'on se pose peut porter autant sur nos propres comportements
que sur ceux des autres. L'explication donnée devient alors la cause perçue d'un
événement ou d'un comportement et correspond à une attribution.
"Une attribution représente une cause perçue et une telle perception n'assure en rien
l'objectivité de la recherche attributionnelle (cela peut être erroné)". (J.Vallerand, 1994)
Les attributions jouent donc un rôle prépondérant dans nos comportements sociaux. En
effet, la recherche des causes de nos comportements et de ceux des autres fait partie
intégrante de notre vie quotidienne.
Il existe différents types d'attributions :
- Causales,
- Dispositionnelles,
- De responsabilité.
Les attributions causales portent sur la recherche poussée des causes d'un événement
(raisons utilisées afin d'expliquer un succès ou un échec, un manque de contrôle sur
1 Pour cela, cf. entre autres Alby (1989), Benoist (1996), Corraze (1992), Herzlich (1984), Herzlich & Pierret (1990)…
2 Cf. Bastien (1988), Chabane (1997), De Rosny (1981), Favret-Saada (1994), Fiore (1994), Laplantine (1976 ; 1986),
Nathan (1998)…
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l'événement). Dans ce cadre, la théorie de Weiner se révèle prépondérante. Cette
dernière postule qu'elles peuvent être perçues comme se distinguant sur trois
dimensions :
* Lieu de causalité : distinguer la perception de l'origine de la cause de
l'action,
* Stabilité temporelle : cause stable / instable c'est à dire qui risque
d'évoluer ou non dans l'avenir,
* Le contrôle, la contrôlabilité.
Pourquoi nous posons-nous des questions sur les événements qui nous touchent ou
qui touchent les autres ?
"F.Heider fut l'un des premiers à relever le fait que les gens ressentent une motivation
profonde à comprendre leur environnement, et ce faisant à se poser plusieurs questions
relatives aux causes des événements et comportements observés. Les réponses
(attributions) qu'ils apportent à ces questions les amènent à comprendre, à organiser et à
concevoir des croyances et schémas leur permettant de donner un sens à leur
environnement social. Donc, le but le plus fondamental des attributions consiste à
permettre aux gens de comprendre ce que serait, sans attribution, un environnement
contenant un amas de stimuli souvent désorganisés." (Vallerand, 1994)
On différencie les attributions de causalité interne et externe.
"L'idée est celle selon laquelle les événements, les conduites, résultent ou sont dus à des
forces, à des déterminismes, émanant soit des personnes en cause (rôle de l'acteur) soit
de l'environnement (situation, traits de l'environnement)". (Deschamps, Clémence, 1990)
Dans le premier cas on parle de causalité interne ou de facteurs dispositionnels ; dans
le second cas on parle de causalité externe ou de facteurs situationnels.
Ce problème de l'attribution par un individu, dans la vie quotidienne, de la cause d'un
événement ou d'un comportement à des personnes ou aux situations est central dans les
théories de l'attribution.
On pourrait croire que l'attribution d'une causalité interne ou externe dépend avant tout
de la perception des pressions ou des contraintes exercées par l'environnement
cependant ce n'est pas si simple. Pour cela, il faut se référer aux divers travaux sur
l'explication du succès ou de l'échec. Les différents chercheurs ont repéré cette tendance
à attribuer nos succès à des causes internes et nos échecs à des causes externes : biais
égocentrique.
Attention, "cette distinction entre attribution de causalité interne et externe mérite
cependant d'être interrogée". (Beauvois, Deschamps, 1996)
Cette dichotomie présente, dans le domaine de l'interculturel notamment, certaines
limites. En effet, pouvons-nous généraliser cette façon de scinder les choses en deux,
(Interne/Externe) chez des individus de cultures différentes ?
Ces individus vont-ils procéder à cette même différenciation entre internalité et externalité
ou auront-ils une autre façon d'appréhender la chose ?3
3 Cf. Etude de Riordan, 1981
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2- La norme d’internalité
La norme d'internalité a fait également l'objet d'un véritable courant de recherche en
France. Elle a été définie "comme la valorisation sociale des explications des
comportements aussi bien que des renforcements qui accentuent le rôle causal de
l'acteur" (Beauvois et Dubois in Deschamps et Beauvois, 1996)
"Cette norme d'internalité est d'abord la norme d'un groupe social (privilégié) et fait l'objet
d'une acquisition différentielle durant le développement"(Beauvois, 1984)
Soutenir que le choix des explications internes peut résulter pour partie de l'intervention
d'une norme sociale conduisait à s'assurer que l'internalité satisfait au moins quatre
critères (Py et Somat in Beauvois, Deschamps, 1996) :
- Montrer que les explications causales internes des comportements et des renforcements
sont l'objet d'une attribution de valeur, c'est à dire qu'elles constituent, contrairement aux
explications causales externes, un ensemble de propositions socialement désirables.
(Pour plus de précisions, cf. Recherche de Jellison et Green in Dubois, 1994)
- Pour correspondre à l'expression d'une norme sociale, les explications causales internes
devaient, ensuite, faire l'objet d'un apprentissage social (acquise par le biais de pratiques
éducatives).
- Les explications internes doivent être valorisées parce qu'elles satisfont des utilités
sociales et non pas parce qu'elles sont vraies ou plus fréquentes que les explications
externes. "Elles doivent répondre à un critère d'acceptabilité sociale."(Beauvois,
Deschamps, 1996)
- Fournir des preuves indiquant que les explications internes font l'objet d'une attribution
de valeur propre à un collectif d'individus.
Ainsi, Beauvois et Dubois ont établi que les individus qui font appel à une explication
des événements en termes dispositionnels sont socialement valorisés. D’après eux, la
norme d’internalité apparaît comme une norme sociale des sociétés libérales.
Au-delà des divers travaux visant à démontrer l'existence d'une norme d'internalité, un
champ d'étude initié par Py et Somat s'est attaché à montrer que certains individus, plus
que d'autres, possédaient une connaissance du caractère socialement valorisé des
explications internes. Certaines personnes plus que d'autres perçoivent le caractère
normatif des explications causales internes des événements psychologiques. Cette
connaissance appelée "clairvoyance normative" a été définie comme "une connaissance
du caractère normatif ou contre normatif d'un type de comportements sociaux ou d'un type
de jugements. Elle est indépendante du degré d'adhésion normative et trouve une
pertinence particulière dans les rapports de pouvoirs." (Beauvois, Deschamps, 1996)4
Dans de nombreuses situations, les clairvoyants internes se distinguent peu des
clairvoyants externes, alors que chez les non clairvoyants, les internes s'opposent très
significativement aux externes.
La norme d'internalité est-elle une réalité pour toute la population ? La variable I/E est
sensible à la culture et à la position socio-économique certes, mais jusqu'à quel niveau ?
Qu'en est-il pour les Africains en position interculturelle ?
4 Voir aussi à ce propos, Beauvois, Joulé, 1993
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3- L’interculturation
La notion d'interculturation, plus neutre que celle de transculturation d'A.Vasquez,
permet d'étudier les situations réelles des interculturations égalitaires ou non, ainsi que
leurs modalités et leur impact, entre deux ou plusieurs groupes, deux ou plusieurs
sociétés.
En effet, la notion d'acculturation, dans sa généralité, a bien des limites car elle ne rend
pas assez compte de la diversité des situations et de la complexité du processus (comme
l'avait compris R.Bastide qui cherchait à perfectionner cette notion).
Nous retiendrons, pour notre étude, la définition de P.Denoux (in Blomart, Krewer,
1994) effectuée à partir d'une critique de celle de Clanet (1990).
"Pour les individus et les groupes appartenant à deux ou plusieurs ensembles culturels,
se réclamant de cultures différentes ou pouvant y être référés, nous appellerons
interculturation les processus par lesquels, dans les interactions qu'ils développent, ils
engagent implicitement ou explicitement la différence culturelle qu'ils tendent à
métaboliser."
L'interculturation est donc un processus manifeste de création de traits culturels en
réponse à des situations non "naturelles", parce que pluriculturelles, par une élaboration
singulière de la différence culturelle.
"La notion d'interculturation se révéla d'un emploi plus souple, plus profond et plus
étendu. Elle peut couvrir l'évolution des acteurs, d'une part en interaction avec les grandes
cultures historiques dans lesquelles ils sont nés, d'autre part, en interaction avec les
secteurs d'activités, religieux, politiques, économiques, informationnel dans lesquels
aujourd'hui chaque individu se situe plus ou moins" (Abdallah et al, 1999)
"L'étude de cette interculturation intrasociétale (historique et stratégique) devra être
menée de pair avec l'étude de l'interculturation extrasociétale (société dominante /
dominée)". (Abdallah et al, 1999)
L'interculturation est donc complexe, emblématique, fondatrice de la nouvelle culture d'un
pays.
II) OBJECTIFS DE NOTRE RECHERCHE
Notre recherche, effectuée sur un mode comparatif, explore le type d’attribution causale
émis pour la maladie et les événements de vie quotidiens par les Français (population
monoculturelle) et les noirs-Africains (Afrique Noire occidentale) en France depuis moins
de 10 ans (population interculturelle).
Elle tente de comprendre, pour chaque population, les différences entre les attributions
causales évoquées d’une part pour la maladie et d’autre part pour les événements de vie
quotidien.
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