La République opportuniste (1879-1899) A partir de 1879

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La République opportuniste (1879-1899)
A partir de 1879, les Républicains contrôlent désormais la totalité du
pouvoir = pour cette raison, ils vont pouvoir mettre en œuvre toute une série de
réformes directement inspirées de l'esprit républicain.
On pourrait même parler d'une idéologie républicaine fondée sur le
positivisme (philosophie d’Auguste Comte) et qui aboutit à une négation des
conceptions dogmatiques et religieuses ambiantes = la raison se substitue à la
croyance, à la religion.
Mais cette orientation matérialiste ne signifie pas dire pour autant que
cette politique soit privée de morale ; bien au contraire = seulement à présent,
l'homme détermine lui-même les frontières du bien et du mal = les républicains
retrouvent ici les racines de l'idéalisme de 1789 et les valeurs qui vont diriger
leur action = liberté, égalité et fraternité.
Il faut dire que les républicains au pouvoir sont avant tout des
intellectuels, des hommes d'idées, et leurs idées sont au service de l'action, mais
là aussi une action réfléchie, une véritable méthode de gouvernement.
Ce qui marque leur politique c'est leur méthode, leur maturité, leur sens
pratique, leur capacité à distinguer les problèmes et à les régler au moment
opportun d'où le terme d'opportunistes qu'on a accolé à ces républicains
modérés.
Ils sont opportunistes dans le sens ils savent adapter leur politique aux
circonstances, réformer sans heurter l'opposition, mais tout de même parvenir à
leurs fins = c'est le résultat qui compte quel que soient le temps, les efforts et les
détours employés pour y parvenir : Gambetta est le premier à défendre la
"politique des résultats".
Et les résultats seront nombreux : c'est l'époque des Grandes batailles de la
République malgré les crises ils réussissent à imposer les grandes réformes
qui constituent les piliers fondamentaux de l'ordre républicain.
En même temps, les succès de leur politique des résultats rendent
finalement impossible un retour à la monarchie et les républicains opportunistes
consolident le régime établie en 1875. C'est parce qu'ils ont ainsi consolidé leurs
positions qu'ils peuvent surmonter les différentes crises qui auraient pu mettre la
République en question.
À cela s’ajoute un autre facteur : ceux qui traditionnellement
pourraient être tentés de remettre en question la République sont
considérablement amoindris :
Essayons de préciser :
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- les monarchistes très minoritaires à la chambre restent divisés. Après la
mort du comte de Chambord (légitimiste) (1883) les légitimistes refusent de se
ranger derrière le prétendant orléaniste (le Comte de Paris).
Parallèlement, certains orléanistes s'éloignent de leur famille politique
d'origine pour se rallier définitivement à un régime républicain modéré.
- chez les bonapartistes, après la mort du prince impérial (fils de
Napoléon III (mort en 1873) meurt en 1879, à 23 ans, tué par les Zoulous)
unique successeur possible, les chances de restauration impériale s'évanouissent.
Les royalistes et les bonapartistes restent bien implantés dans l'armée, la
haute fonction publique, sont soutenus par l'Eglise, mais ne constituent pas
politiquement une menace pour la République.
Les menaces les plus sérieuses viennent de gauche et des républicains
eux-mêmes. La politique des opportunistes ne satisfait pas tout le monde et il
n'est pas impossible que tous les mécontents s'associent dans un complot contre
la République = c'est ce qui a failli arriver, notamment avec la crise boulangiste
(dont on va reparler).
Mais avant cela, les premières années de la République opportunistes sont
placées sous l'autorité de Jules Ferry.
Jules Ferry est lorrain, issu d'une riche famille bourgeoise qui a des
manufactures dans les Vosges. Il devient un brillant avocat avant de s'engager
dans la politique sous le Second Empire et devient maire de Paris après la
déchéance de l'Empereur.
C'est un républicain modéré qui devient ministre de l'instruction dans le
premier gouvernement formé en 1879 sous l'autorité du Président de la
République Grévy.
Il devient à son tour Président du Conseil à deux reprises en 1880-81 et
1883-85.
A la chute de Ferry (1885) se succèdent à un rythme soutenu divers
gouvernements républicains modérés (6 gouvernements successifs), qui ne
tiennent que quelques mois, et qui poursuivent la politique de Ferry.
Autrement dit, toute la période 1879-1886 est dominée par la personnalité de
Ferry, qui incarne véritablement l’esprit républicain dont on parlait tout à
l’heure.
Pour mesurer l'importance de l'assise politique des républicains, il faut se
référer aux résultats des élections législatives de 1881 : sur 545 députés la droite
(monarchistes et bonapartistes) n'obtient que 88 sièges (vert et bleu), le reste
(rouge, rose et jaune = 457) allant à des républicains.
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Mais si ces républicains s'accordent sur une même forme de
gouvernement ils se divisent sur la nature et l'ampleur des réformes à
entreprendre.
On peut distinguer 4 tendances :
- les plus à droite constituent le "centre gauche" (une 40aine) =
républicains très modérés presque conservateurs notamment en matière sociale.
(ils ne sont pas représentés ici).
- plus au centre, la "Gauche Républicaine" de Jules Ferry avec environ
170 sièges.
- peu de choses la distinguent de "l'Union Républicaine" de Gambetta
(environ 200 députés) = les deux veulent appliquer avec pragmatisme et
méthode le programme républicain, la politique des résultats.
En, fait ce qui les divise surtout c'est la personnalité de leurs dirigeants,
des rivalités personnelles : tout au plus Gambetta est-il un plus fervent défenseur
de la grandeur nationale que Ferry, mais ils finiront par se rejoindre même sur ce
point. D'ailleurs lorsque Gambetta meurt en 1882 (très jeune = 44 ans), les deux
tendances fusionnent pour former le groupe des républicains opportunistes
soutenu par la bourgeoisie libérale et les classes moyennes.
- à l'extrême gauche une quarantaine de "Républicains radicaux" ou
"intransigeants" conduits par Clémenceau et qui sont les défenseurs de
l’orthodoxie républicaine, défenseurs du programme républicain établi avant la
chute du Second Empire.
C'est lors du discours de Belleville en avril 1869 que Gambetta définit les
grandes lignes du radicalisme (il est député de Belleville) = (suffrage universel,
suppression du Sénat, libertés publiques, laïcité, réformes sociales...).
Les radicaux de Clémenceau reprochent à présent aux opportunistes
d'avoir oublié les principes fondamentaux du discours de Belleville, ceux d'une
véritable "République démocratique et sociale" et s'en tiennent aux
revendications politiques et sociales d'origine :
- En matière politique ils sont partisans du monocamérisme et donc de la
suppression du Sénat mais également du Président de la République.
- Ils défendent la laïcité, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la
suppression des armées permanentes, la décentralisation, l'élection des
juges et l'impôt sur le revenu.
- En matière sociale, ils réclament la réduction du temps de travail, des
caisses de retraite, la couverture des accidents du travail...).
Voilà pour la composition de la Chambre.
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Pour ce qui est de la vie politique, durant près de 6 ans de 1879 à mars
1885 (chute de Ferry liée à sa politique coloniale), les opportunistes sont
largement majoritaires à la chambre.
Mais cette période ne se traduit pas pour autant par une grande stabilité
ministérielle, qui aurait pourtant été logique. En fait l'instabilité ministérielle
est surtout la conséquence de la politique sournoise du Président de la
République Grévy, qui va s'employer à écarter systématiquement de la
présidence du Conseil toutes les personnalités marquantes.
Durant toute cette période, il n'appelle au pouvoir que des doublures
hormis Jules Ferry et s'emploie surtout à barrer la route au très ambitieux
Gambetta.
Pourtant aux élections de septembre 1881, c'est son parti (l'union
républicaine) qui est majoritaire et il devrait logiquement être porté à la
présidence du conseil. Il est écarté du pouvoir pour plusieurs raisons :
- sans doute sa personnalité (son côté méridional grandiloquent = il est
originaire de Cahors).
- sa réputation de tombeur de ministères,
- le fait d'oublier un peu son programme de Belleville ce que les
radicaux continuent à lui reprocher,
- le manque d'appuis politiques au moment il en aurait eu le plus
besoin qui sont les causes de sa mise à l'écart. Le "Grand ministère"
Gambetta que l'Union républicaine attendait n'aura pas lieu.
Seul Ferry réussit à passer à travers les mailles du filet et à constituer le
"Grand ministère Ferry" (février 1883 - mars 1885) qui s'appuie sur une
majorité de centre (entente entre "gauche républicaine" et "union républicaine")
capable de le soutenir pendant plus de deux ans contre les extrêmes.
Cette stabilité est remarquable surtout si l'on considère qu'il a déjà été
pendant plus d'un an Président du conseil (septembre 1880 - novembre 1881) et
pendant longtemps ministre de l'instruction publique.
C'est cette grande stabilité, surtout dans le contexte de l'époque, qui
permet au gouvernement de mener à terme les réformes les plus importantes des
républicains opportunistes (sur lesquelles on va revenir tout à l’heure).
Seulement, ces quelques années de vie parlementaire, et la politique
destructrice de Grévy émaillée des scandales retentissants, vont renforcer aussi
l'opposition, et notamment l'antiparlementarisme, qui sert de toile de fond à la
crise boulangiste (1886-1889).
La crise boulangiste prend naissance dans un contexte qui mérite d'être
rappelé, parce que le boulangisme est largement tributaire des circonstances.
Nous verrons ensuite quelle est la politique menée par Boulanger.
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5 idées sont à retenir pour illustrer ce contexte :
- un climat de dépression économique qui débute en 1873 et qui
s'aggrave dans les années 1880 et se traduit par une certaine agitation sociale.
- un certain pessimisme, une certaine déception devant la politique des
opportunistes : les conceptions auxquelles ils se tiennent (égalité droits de
l'homme...) semblent confuses et irréalisables ; quant à leur politique très
conservatrice sur le plan social elle déçoit les masses laborieuses qui vont placer
ailleurs leurs espérances.
- un antiparlementarisme croissant encore accentué par l'instabilité
ministérielle et par les scandales qui affectent le régime.
Grévy, réélu Président de la République en 1885 se trouve impliqué dans
un trafic de décorations dont est responsable le député Daniel Wilson qui n'est
autre que son gendre. Après des mois d'atermoiements, Le Président de la
République Grévy est contraint de démissionner en novembre 1887 et est
remplacé par un homme intègre mais très effacé, Sadi Carnot qui limite ses
fonctions aux inaugurations et aux dépôts de gerbes.
- l'opposition politique existe : la droite conservatrice confirme sa haine
contre la République. À l'opposé de l'échiquier politique, les radicaux reprochent
au gouvernement ses faiblesses en matière de réforme sociale et institutionnelle.
- la persistance d'un nationalisme qui n'a pas perdu l'espoir de reconquérir
l'Alsace et la Lorraine = nationalisme revanchard.
Voilà pour le contexte favorable à l’avènement de Boulanger. Qui est cet
homme qui va pour un temps rassembler les espoirs de tous ces mécontents ?
Boulanger n'est pas un homme politique. Sorti de Saint Cyr, il fait une
carrière militaire fulgurante = Sous le second Empire, il se bat en Kabylie, puis
durant la campagne d'Italie contre les Autrichiens, puis en Cochinchine. En 1870
il participe aux combats, et il est blessé ce qui lui permet de ne pas participer à la
répression de la Commune.
En 1871, à 34 ans ses états de service lui valent d'être déjà Colonel et
commandeur de la légion d'honneur. En 1884, il est Général et commandant en
chef des troupes françaises en Tunisie (la France y a établi un protectorat en
1881).
Pour ce qui est de ses idées, il affirme bruyamment des convictions
républicaines (on le dit "fervent républicain" mais au fond ce n'est qu'un
arriviste, un démagogue audacieux, beau parleur, très soucieux de son
apparence, mais au fond un personnage assez médiocre).
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