La République opportuniste (1879-1899) A partir de 1879

publicité
1
La République opportuniste (1879-1899)
A partir de 1879, les Républicains contrôlent désormais la totalité du
pouvoir = pour cette raison, ils vont pouvoir mettre en œuvre toute une série de
réformes directement inspirées de l'esprit républicain.
On pourrait même parler d'une idéologie républicaine fondée sur le
positivisme (philosophie d’Auguste Comte) et qui aboutit à une négation des
conceptions dogmatiques et religieuses ambiantes = la raison se substitue à la
croyance, à la religion.
Mais cette orientation matérialiste ne signifie pas dire pour autant que
cette politique soit privée de morale ; bien au contraire = seulement à présent,
l'homme détermine lui-même les frontières du bien et du mal = les républicains
retrouvent ici les racines de l'idéalisme de 1789 et les valeurs qui vont diriger
leur action = liberté, égalité et fraternité.
Il faut dire que les républicains au pouvoir sont avant tout des
intellectuels, des hommes d'idées, et leurs idées sont au service de l'action, mais
là aussi une action réfléchie, une véritable méthode de gouvernement.
Ce qui marque leur politique c'est leur méthode, leur maturité, leur sens
pratique, leur capacité à distinguer les problèmes et à les régler au moment
opportun d'où le terme d'opportunistes qu'on a accolé à ces républicains
modérés.
Ils sont opportunistes dans le sens où ils savent adapter leur politique aux
circonstances, réformer sans heurter l'opposition, mais tout de même parvenir à
leurs fins = c'est le résultat qui compte quel que soient le temps, les efforts et les
détours employés pour y parvenir : Gambetta est le premier à défendre la
"politique des résultats".
Et les résultats seront nombreux : c'est l'époque des Grandes batailles de la
République où malgré les crises ils réussissent à imposer les grandes réformes
qui constituent les piliers fondamentaux de l'ordre républicain.
En même temps, les succès de leur politique des résultats rendent
finalement impossible un retour à la monarchie et les républicains opportunistes
consolident le régime établie en 1875. C'est parce qu'ils ont ainsi consolidé leurs
positions qu'ils peuvent surmonter les différentes crises qui auraient pu mettre la
République en question.
À cela s’ajoute un autre facteur : ceux qui traditionnellement
pourraient être tentés de remettre en question la République sont
considérablement amoindris :
Essayons de préciser :
2
- les monarchistes très minoritaires à la chambre restent divisés. Après la
mort du comte de Chambord (légitimiste) (1883) les légitimistes refusent de se
ranger derrière le prétendant orléaniste (le Comte de Paris).
Parallèlement, certains orléanistes s'éloignent de leur famille politique
d'origine pour se rallier définitivement à un régime républicain modéré.
- chez les bonapartistes, après la mort du prince impérial (fils de
Napoléon III (mort en 1873) meurt en 1879, à 23 ans, tué par les Zoulous)
unique successeur possible, les chances de restauration impériale s'évanouissent.
Les royalistes et les bonapartistes restent bien implantés dans l'armée, la
haute fonction publique, sont soutenus par l'Eglise, mais ne constituent pas
politiquement une menace pour la République.
Les menaces les plus sérieuses viennent de gauche et des républicains
eux-mêmes. La politique des opportunistes ne satisfait pas tout le monde et il
n'est pas impossible que tous les mécontents s'associent dans un complot contre
la République = c'est ce qui a failli arriver, notamment avec la crise boulangiste
(dont on va reparler).
Mais avant cela, les premières années de la République opportunistes sont
placées sous l'autorité de Jules Ferry.
Jules Ferry est lorrain, issu d'une riche famille bourgeoise qui a des
manufactures dans les Vosges. Il devient un brillant avocat avant de s'engager
dans la politique sous le Second Empire et devient maire de Paris après la
déchéance de l'Empereur.
C'est un républicain modéré qui devient ministre de l'instruction dans le
premier gouvernement formé en 1879 sous l'autorité du Président de la
République Grévy.
Il devient à son tour Président du Conseil à deux reprises en 1880-81 et
1883-85.
A la chute de Ferry (1885) se succèdent à un rythme soutenu divers
gouvernements républicains modérés (6 gouvernements successifs), qui ne
tiennent que quelques mois, et qui poursuivent la politique de Ferry.
Autrement dit, toute la période 1879-1886 est dominée par la personnalité de
Ferry, qui incarne véritablement l’esprit républicain dont on parlait tout à
l’heure.
Pour mesurer l'importance de l'assise politique des républicains, il faut se
référer aux résultats des élections législatives de 1881 : sur 545 députés la droite
(monarchistes et bonapartistes) n'obtient que 88 sièges (vert et bleu), le reste
(rouge, rose et jaune = 457) allant à des républicains.
3
Mais si ces républicains s'accordent sur une même forme de
gouvernement ils se divisent sur la nature et l'ampleur des réformes à
entreprendre.
On peut distinguer 4 tendances :
- les plus à droite constituent le "centre gauche" (une 40aine) =
républicains très modérés presque conservateurs notamment en matière sociale.
(ils ne sont pas représentés ici).
- plus au centre, la "Gauche Républicaine" de Jules Ferry avec environ
170 sièges.
- peu de choses la distinguent de "l'Union Républicaine" de Gambetta
(environ 200 députés) = les deux veulent appliquer avec pragmatisme et
méthode le programme républicain, la politique des résultats.
En, fait ce qui les divise surtout c'est la personnalité de leurs dirigeants,
des rivalités personnelles : tout au plus Gambetta est-il un plus fervent défenseur
de la grandeur nationale que Ferry, mais ils finiront par se rejoindre même sur ce
point. D'ailleurs lorsque Gambetta meurt en 1882 (très jeune = 44 ans), les deux
tendances fusionnent pour former le groupe des républicains opportunistes
soutenu par la bourgeoisie libérale et les classes moyennes.
- à l'extrême gauche une quarantaine de "Républicains radicaux" ou
"intransigeants" conduits par Clémenceau et qui sont les défenseurs de
l’orthodoxie républicaine, défenseurs du programme républicain établi avant la
chute du Second Empire.
C'est lors du discours de Belleville en avril 1869 que Gambetta définit les
grandes lignes du radicalisme (il est député de Belleville) = (suffrage universel,
suppression du Sénat, libertés publiques, laïcité, réformes sociales...).
Les radicaux de Clémenceau reprochent à présent aux opportunistes
d'avoir oublié les principes fondamentaux du discours de Belleville, ceux d'une
véritable "République démocratique et sociale" et s'en tiennent aux
revendications politiques et sociales d'origine :
- En matière politique ils sont partisans du monocamérisme et donc de la
suppression du Sénat mais également du Président de la République.
- Ils défendent la laïcité, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la
suppression des armées permanentes, la décentralisation, l'élection des
juges et l'impôt sur le revenu.
- En matière sociale, ils réclament la réduction du temps de travail, des
caisses de retraite, la couverture des accidents du travail...).
Voilà pour la composition de la Chambre.
4
Pour ce qui est de la vie politique, durant près de 6 ans de 1879 à mars
1885 (chute de Ferry liée à sa politique coloniale), les opportunistes sont
largement majoritaires à la chambre.
Mais cette période ne se traduit pas pour autant par une grande stabilité
ministérielle, qui aurait pourtant été logique. En fait l'instabilité ministérielle
est surtout la conséquence de la politique sournoise du Président de la
République Grévy, qui va s'employer à écarter systématiquement de la
présidence du Conseil toutes les personnalités marquantes.
Durant toute cette période, il n'appelle au pouvoir que des doublures
hormis Jules Ferry et s'emploie surtout à barrer la route au très ambitieux
Gambetta.
Pourtant aux élections de septembre 1881, c'est son parti (l'union
républicaine) qui est majoritaire et il devrait logiquement être porté à la
présidence du conseil. Il est écarté du pouvoir pour plusieurs raisons :
- sans doute sa personnalité (son côté méridional grandiloquent = il est
originaire de Cahors).
- sa réputation de tombeur de ministères,
- le fait d'oublier un peu son programme de Belleville ce que les
radicaux continuent à lui reprocher,
- le manque d'appuis politiques au moment où il en aurait eu le plus
besoin qui sont les causes de sa mise à l'écart. Le "Grand ministère"
Gambetta que l'Union républicaine attendait n'aura pas lieu.
Seul Ferry réussit à passer à travers les mailles du filet et à constituer le
"Grand ministère Ferry" (février 1883 - mars 1885) qui s'appuie sur une
majorité de centre (entente entre "gauche républicaine" et "union républicaine")
capable de le soutenir pendant plus de deux ans contre les extrêmes.
Cette stabilité est remarquable surtout si l'on considère qu'il a déjà été
pendant plus d'un an Président du conseil (septembre 1880 - novembre 1881) et
pendant longtemps ministre de l'instruction publique.
C'est cette grande stabilité, surtout dans le contexte de l'époque, qui
permet au gouvernement de mener à terme les réformes les plus importantes des
républicains opportunistes (sur lesquelles on va revenir tout à l’heure).
Seulement, ces quelques années de vie parlementaire, et la politique
destructrice de Grévy émaillée des scandales retentissants, vont renforcer aussi
l'opposition, et notamment l'antiparlementarisme, qui sert de toile de fond à la
crise boulangiste (1886-1889).
La crise boulangiste prend naissance dans un contexte qui mérite d'être
rappelé, parce que le boulangisme est largement tributaire des circonstances.
Nous verrons ensuite quelle est la politique menée par Boulanger.
5
5 idées sont à retenir pour illustrer ce contexte :
- un climat de dépression économique qui débute en 1873 et qui
s'aggrave dans les années 1880 et se traduit par une certaine agitation sociale.
- un certain pessimisme, une certaine déception devant la politique des
opportunistes : les conceptions auxquelles ils se tiennent (égalité droits de
l'homme...) semblent confuses et irréalisables ; quant à leur politique très
conservatrice sur le plan social elle déçoit les masses laborieuses qui vont placer
ailleurs leurs espérances.
- un antiparlementarisme croissant encore accentué par l'instabilité
ministérielle et par les scandales qui affectent le régime.
Grévy, réélu Président de la République en 1885 se trouve impliqué dans
un trafic de décorations dont est responsable le député Daniel Wilson qui n'est
autre que son gendre. Après des mois d'atermoiements, Le Président de la
République Grévy est contraint de démissionner en novembre 1887 et est
remplacé par un homme intègre mais très effacé, Sadi Carnot qui limite ses
fonctions aux inaugurations et aux dépôts de gerbes.
- l'opposition politique existe : la droite conservatrice confirme sa haine
contre la République. À l'opposé de l'échiquier politique, les radicaux reprochent
au gouvernement ses faiblesses en matière de réforme sociale et institutionnelle.
- la persistance d'un nationalisme qui n'a pas perdu l'espoir de reconquérir
l'Alsace et la Lorraine = nationalisme revanchard.
Voilà pour le contexte favorable à l’avènement de Boulanger. Qui est cet
homme qui va pour un temps rassembler les espoirs de tous ces mécontents ?
Boulanger n'est pas un homme politique. Sorti de Saint Cyr, il fait une
carrière militaire fulgurante = Sous le second Empire, il se bat en Kabylie, puis
durant la campagne d'Italie contre les Autrichiens, puis en Cochinchine. En 1870
il participe aux combats, et il est blessé ce qui lui permet de ne pas participer à la
répression de la Commune.
En 1871, à 34 ans ses états de service lui valent d'être déjà Colonel et
commandeur de la légion d'honneur. En 1884, il est Général et commandant en
chef des troupes françaises en Tunisie (la France y a établi un protectorat en
1881).
Pour ce qui est de ses idées, il affirme bruyamment des convictions
républicaines (on le dit "fervent républicain" mais au fond ce n'est qu'un
arriviste, un démagogue audacieux, beau parleur, très soucieux de son
apparence, mais au fond un personnage assez médiocre).
6
Néanmoins c'est sa réputation de "Général de gauche" qui assure sa
promotion = il devient ministre de la guerre en janvier 1886. En qualité de
ministre, il se rend populaire dans l'armée en améliorant la condition du soldat.
Mais en fait, il profite surtout de sa situation pour cultiver sa propagande
personnelle, sa popularité : il tisse des liens avec les milieux politiques, il établit
le défilé du 14 juillet (devenu depuis peu fête nationale en 1880) = la revue du
14 juillet 1886 où il caracole à la tête de ses troupes sur un magnifique cheval
noir (Tunis) lui vaut une popularité sans pareille auprès de la population
parisienne.
Mais un événement va surtout servir de tremplin à sa popularité = affaire
Schnaebelé (avril 1887). Schnaebelé est un fonctionnaire français, un
commissaire qui a été enlevé par les allemands à la frontière dans le cadre d'une
sombre affaire d'espionnage.
Cette affaire qui au départ n'est qu'une "bavure" va s'amplifier en raison
de l'intransigeance de Boulanger.
Boulanger, qui est un peu l'interprète de l'esprit revanchard du moment va
se distinguer par une attitude d'une très grande fermeté vis-à-vis de l'Allemagne
(au risque de provoquer une nouvelle guerre). Schnaebelé est alors libéré (30
avril 1887) et aux yeux de l'opinion publique, Boulanger devient "l'homme qui a
fait reculer Bismarck". La presse s'empare de l'affaire et a tôt fait du ministre le
"Général revanche".
Mais la gauche qui l'a poussé au pouvoir se méfie des militaires trop
populaires (on se souvient de l'attitude de Mac Mahon) et va chercher à
l'éloigner du pouvoir.
En mai 1887, le gouvernement dont il fait partie est renversé et lorsqu'un
nouveau gouvernement est formé il ne retrouve plus son ministère = il n’est plus
ministre de la guerre ; mieux, il est nommé commandant du 13e corps d'armée à
Clermont-Ferrand.
Boulanger est devenu suspect pour une partie de la gauche. Qu’à cela ne
tienne = il prend des contacts avec diverses tendances de la droite, et profite de
sa popularité pour se lancer dans la politique (n'étant plus membre du
gouvernement et ayant été mis à la retraite en mars 1888, il devient éligible).
Quelle va être son action ? Comment va se comporter le général en politique ?
Rappelons d’abord qu’il peut ainsi compter sur des soutiens aussi nombreux
qu'inattendus.
Qui soutient Boulanger ?
- des hommes de gauche = des républicains radicaux dégoûtés par la
corruption parlementaire, et qui voient en lui l'espoir d'une république plus forte
et plus pure.
7
- des nationalistes aussi bien de gauches (jacobins) que de droite
(notamment des militaires, qui voient en lui le "Général Revanche".
- des royalistes et des bonapartistes qui pensent qu'il pourra consoler
leurs espoirs déçus. D'ailleurs le boulangisme s'apparente au bonapartisme par la
recherche constante d'une légitimité plébiscitaire et charismatique.
- des catholiques pensent qu'il pourra protéger l'Eglise contre les
persécutions religieuses des républicains.
- mais le principal soutien se trouve dans une association nationaliste,
originellement très républicaine, la Ligue des patriotes, créée en 1882 par le
poète nationaliste Paul Déroulède.
Originellement cette association qui entend participe à l'œuvre de
redressement national (redressement militaire, redressement moral de la France)
a essentiellement un but éducatif = Patronnée par Jules Ferry et Victor Hugo,
elle a pour objectifs l'éducation patriotique et militaire de la jeunesse.
Dans les années 1885, essentiellement sous l'influence de Déroulède, cette
association commence à dériver vers l'opposition au régime parlementaire =
pour résumer l’idée de Déroulède = la France est malade du régime
parlementaire et il faut commencer par la guérir avant de songer à une
quelconque revanche.
Fort de ces soutiens, et en vue de la campagne électorale, Boulanger peut
formuler un programme politique aussi flou que la masse des mécontents qu'il
veut attirer. Un programme racoleur "attrape-tout" qui repose sur les idées
simple de l'antiparlementarisme ambiant = il dénonce la corruption des mœurs
parlementaire et résume son programme dans son slogan : "dissolution,
constituante, révision".
Si son programme réactionnaire est somme toute assez classique, il n'en
va pas de même pour sa campagne électorale qui est d'un style très nouveau :
C’est une véritable campagne à l'américaine avec affiches, distributions
massives de tracts, de brochures, de portraits, d'objets divers de bibelots à
l'effigie du "brave général"...
Cela lui permet d'accroître sa popularité alors que son programme est des
plus décousu : Boulanger est un véritable caméléon politique qui s'adapte à la
demande et dont la doctrine est un bric à brac d'idées hétérogènes, voire
contradictoires.
Malgré cela, aux élections (qui sont des élections partielles en janvier
1889) il remporte un succès triomphal (un triomphe qui est amplifié par le
système des candidatures multiples. Son succès est considérable surtout à Paris).
8
Le 27 janvier 1889, à l'annonce des résultats, la foule de ses sympathisants
essaie de le convaincre que le moment est venu de tenter un coup d'Etat pour
s'emparer du pouvoir (on l'assure que la police et l'armée ne feront rien pour l'en
empêcher : il est entrain de dîner dans un restaurant Place de la Madeleine et
sous ses fenêtre les foule crie : "A l'Elysée, à l'Elysée...". Mais Boulanger hésite
et finalement, le "Général coup d'Etat" laisse passer l'occasion.
La réaction du gouvernement républicain est rapide et efficace. En
quelques jours toutes les mesures sont prises pour éviter le dérapage. Quelles
sont ces mesures ?
- la ligue des patriotes est dissoute,
- des poursuites sont engagées contre Boulanger, devant une Haute cour
de justice, pour complot et atteinte à la sûreté de l'Etat,
- les candidatures multiples sont interdites.
Quant à la foule parisienne, elle commence à oublier le Général.
Il faut dire que, en même temps on assiste à l'ouverture de l'exposition
universelle de Paris (1889) qui commémore le centenaire de la Révolution = une
manifestation qui fait figure de grande messe républicaine, et qui vient détourner
l'attention de l'opinion.
Quant à Boulanger, il met fin à sa trajectoire de météore politique : il
s'enfuit en Belgique et en 1891, il se suicide piteusement sur la tombe de sa
maîtresse.
Au-delà de l'anecdote, il faut retenir que le Boulangisme a été une menace
réelle pour la République, mais qu'elle a su surmonter la crise, ce qui l'a sans
doute renforcée : derrière Boulanger s'étaient rassemblés tous les tenants d'une
conception autoritaire du pouvoir.
Son échec, c'est le succès de la démocratie et de la République = les
républicains remportent largement les élections législatives de septembre
octobre 1889 : face à la menace révisionniste les républicains pourtant divisés se
sont regroupés, ils ont fait front face à l'ennemi commun et la République en
sort consolidée.
Cela est d'autant plus nécessaire que d'autres crises de nature et d'intensité
variable, vont ébranler la République durant la période suivante.
Les élections législatives générales de 1889 consacrent la fin du
boulangisme, et inaugurent une période qualifiée généralement de République
modérée (1889-1898).
Lors de ces élections, puisque les républicains, toutes tendances
confondues, obtiennent 366 sièges contre 210 à l'opposition parmi lesquels
seulement quelques dizaines de boulangistes.
9
Avec cette nette victoire républicaine, la vie politique reprend son cours
avec la même fréquence de crises ministérielles, tempérée par la permanence du
personnel : "les ministères passent, les ministres restent".
Et l'opinion, qui assiste à ce renouvellement permanent, a de plus en plus
l'impression qu'il est superficiel, et que tous les hommes politiques se valent.
Et on a tendance à croire aussi que tous les hommes politiques de quelque
importance sont malhonnêtes, ce qui va être confirmé en partie par une affaire
retentissante = le scandale de Panama.
Nous sommes à une époque où la France est en pointe dans le domaine
des grands travaux = il faut rappeler notamment, le formidable succès de
l’ouverture du canal de Suez (le canal tracé par un français Ferdinand de
Lesseps est inauguré en 1869). Fort de ce succès, Ferdinand de Lesseps lance en
1880 la Compagnie du canal interocéanique de Panama, financée par des
souscripteurs (petits actionnaires).
Les travaux débutent, mais Lesseps ayant choisi, malgré le dénivelé, de
creuser un canal plat, plutôt qu'un canal à écluses, le percement de la montagne
s'avère très cher.
En 1885 il décide de lancer un emprunt assorti d'une loterie qui est
soumis à une autorisation législative. Le risque c’est de voir les députés et le
gouvernement ne pas donner cette autorisation.
Pour éviter toute opposition, la compagnie va commencer à corrompre les
principaux responsables politiques : elle corrompt d'abord le ministre des
travaux publics, puis par l'intermédiaire de banquiers complices elle achète toute
une série de députés et de sénateurs pour qu'ils acceptent d'autoriser l'emprunt.
La loi autorisant l'emprunt est finalement votée mais trop tard : les travaux
engagés ont été ruineux et en janvier 1889 la Compagnie fait faillite ruinant près
de 85 000 petits épargnants = on estime qu'elle a dépensé près d'un quart de ses
fonds pour corrompre des parlementaires.
Pendant près de trois ans le scandale est étouffé par les milieux
parlementaires, puis il éclate en 1892 = on découvre au domicile d'un banquier
les talons des chèques portant le nom des parlementaires corrompus.
L'affaire donne lieu à une formidable campagne de presse contre les
"chéquards" :
- certains journaux dénoncent la corruption des milieux parlementaires
dans la plus pure tradition antiparlementariste,
- d'autres dénoncent la collusion des milieux bancaires juifs et des milieux
parlementaires = le scandale de Panama vient encore renforcer l'antisémitisme et
l'antiparlementarisme.
10
En fait ce scandale salit tout le haut personnel politique = les républicains
qui avaient tant dénoncé l'affairisme et la corruption de la droite sous le second
Empire, n'ont pas résisté à la tentation une fois qu'ils sont parvenus au pouvoir.
Les conséquences de ce scandale sont sérieuses : seulement quelques
responsables sont condamnés par la justice ; en revanche, on assiste à un
profond renouvellement du personnel politique républicain.
Certains s'effacent temporairement (Clémenceau), d'autres disparaissent
définitivement et on voit apparaître une nouvelle génération d'homme politiques
républicains, prêts à prendre la relève.
Mais en même temps, si le scandale de Panama a ébranlé le régime, il ne
l'a pas renversé pour autant.
Et la République est prête à affronter d'autres menaces, cette fois-ci sur un
terrain plus politique.
Politiquement, la principale menace ne vient plus de droite mais de
gauche avec la progression des socialistes.
Rappelons que, avec la Commune de 1871 et la répression qui l'a suivie,
le socialisme français a été décapité (à cause de multiples exécutions,
emprisonnements déportations).
Il se reconstitue au début des années 1880 en empruntant deux aspects : il
va suivre deux voies :
- le syndicalisme qui cherche à obtenir une amélioration des conditions de
travail des ouvriers et des salaires.
- le socialisme politique qui a pour objectif de replacer l'ordre politique
libéral existant par un nouvel ordre politique égalitaire et interventionniste.
Quant à savoir quelle est la meilleure méthode pour parvenir à ce nouvel
ordre politique, les opinions sont divergentes = deux courants =
- certains refusent absolument tout compromis avec le régime
existant et pensent soit qu’il faut le détruire par la violence = par
violence on entend trois moyens = (grève insurrectionnelle ; les
attentats terroriste ; la révolution prolétarienne.
- d'autres estiment qu'on peut s'intégrer au régime établi, parvenir
progressivement au pouvoir par les voies légales (élections) et
réformer ensuite le régime.
Ces différences dans les objectifs (syndicalisme/socialisme politique) et ces
différences dans les méthodes (violence / accession au pouvoir par des voies
11
légales), sont telles que pendant vingt ans (1870-90) les socialistes ne
parviendront pas à s'unir.
D’ailleurs, les différents congrès socialistes nationaux témoignent toujours de la
coexistence de tendances diverses. Et en France toutes les tentatives
d’unification entre le courant syndicaliste et le socialisme politique échouent.
Ces tentatives d'unification n'aboutissent en fait que sur le plan
international, et encore assez lentement = il faut attendre le congrès international
de Bruxelles de 1891 pour que triomphe le socialisme politique grâce à l'appui
des marxistes.
Sur le plan interne, syndicalisme et socialisme politique continuent donc à
poursuivre des destins parallèles. Comment les choses vont-elles évoluer sur le
plan syndical et sur le plan politique ?
- Sur le plan syndical des progrès considérables sont effectués d'abord en
1886 avec la création d'un fédération nationale des syndicats, qui donnera
naissance quelques années plus tard (Congrès de Limoges en 1895) à la
Confédération Générale des travailleurs (CGT).
Il faut signaler également la création à Paris, en 1887 de la première
bourse du travail, qui sera rapidement imitée en Province = il s'agit de
regrouper les travailleurs non pas verticalement c'est à dire par profession
comme le font les centrales syndicales, mais horizontalement,
géographiquement = pour que se rencontrent tous les acteurs économiques
(ouvriers et patrons) d'une même ville.
- Sur le plan politique, le climat engendré par la situation de la classe
ouvrière permet à divers candidats socialistes d'être élus = ils sont 38 en 1893
tous socialistes, mais appartenant à 5 sensibilités politiques différentes (l'unité
reste difficile à réaliser, les antipathies personnelles plus que les différences
doctrinales divisent le mouvement).
Un semblant d'unité est réalisé par l'émergence de grands dirigeants =
l'avocat parisien Alexandre Millerand et surtout Jean Jaurès brillant professeur
de philosophie originaire de Castres = ils réussissent à rassembler les socialistes
autour de valeurs communes = Ils sont opposés au libéralisme économique et à
l'individualisme libéral.
Quant à l'action, ils préconisent la conquête légale du pouvoir par les
élections de manière à faire évoluer le système capitaliste.
En marge de ces mouvements, l'agitation est également entretenue par la
violence anarchiste.
Pour s’en tenir à l’essentiel, en France comme à l’étranger (l’anarchisme
n’est pas spécifique à la France), les anarchistes sont hostiles à toute forme de
politique = leur seul objectif est la destruction de l'Etat, du régime et de ses
12
représentants. Leur action se concrétise dans toute l'Europe par des attentats,
des assassinats souvent spectaculaires.
En France, la crise anarchiste culmine entre 1892 et 1894 avec diverses
bombes à la dynamite posées par l'anarchiste Ravachol qui font régner à Paris
pendant quelques temps une véritable psychose.
Pour Venger Ravachol, une bombe lancée en décembre 1893 par Auguste
Vaillant à la Chambre des députés.
Puis ce sont les gares et même les commissariats de police qui explosent
(attentats d'Emile Henry). En 1894 enfin, c'est le Président de la République
Sadi Carnot qui tombe poignardé par un jeune anarchiste italien (Caserio) =
tous les quatre sont guillotinés.
La réponse de l’Etat est très sévère, la répression est rigoureuse, et
finalement, la guillotine et la législation républicaine sont suffisamment
efficaces pour faire cesser les attentats anarchistes.
Ce courant de pensée ne se manifeste plus désormais que par l'action
syndicale et une presse active et variée.
Que retenir de cette période ? Au fond, malgré ces épisodes dramatiques,
et les différentes crises qu'elle surmonte, la République modérée donne
l'impression d'une étonnante stabilité.
En plus, sur le plan diplomatique, la situation s’améliore = en 1891 par la
signature du traité Franco-Russe, la France sort enfin de l'isolement
diplomatique dans lequel Bismarck l'avait tenue durant 20 ans. D'autres alliances
vont se succéder pour permettre à la France de s'imposer à nouveau sur la scène
internationale.
Mais c'est sur le plan interne que l'œuvre des opportunistes est la plus
considérable : en moins de 20 ans ils établissent une œuvre législative qui
constitue le fondement de l'ordre républicain.
Et c’est sur cela que je voudrais insister = en évoquant l'oeuvre des
opportunistes.
Comment débute leur action ?
Les républicains qui dominent tous les rouages du pouvoir après la
démission de Mac Mahon, les républicains commencent par procéder à
l'épuration de la haute administration, administration préfectorale, corps
diplomatiques et armée. Et parallèlement, des républicains sont placés aux
postes clés.
Une fois cette épuration réalisée, le nouveau régime se lance dans une
production législative destinée à asseoir définitivement la République et qui
correspond schématiquement à un triple idéal :
- idéal national, né de la défaite de 1870. Après le choc émotionnel
provoqué par la défaite suivi de quelques années de recueillement, la République
13
s'emploie au redressement national dans le but d'affirmer à nouveau la
grandeur du pays, et pour certains de reconquérir les provinces perdues. D'où le
développement de l'armée et surtout d'une éducation civique et patriotique.
- idéal démocratique et social qui remonte au discours de Belleville
prononcé par Gambetta en 1869. Ce programme est le reflet de l'esprit
républicain : une audace incontestable dans le domaine des mœurs et des
institutions politiques; une attitude à la fois offensive et réservée dans le
domaine économique et social.
- idéal laïc qui est le véritable ciment de la République.
Pourquoi ? L'Eglise a été l'arme de l'Ancien régime et a été associée depuis à
tous les régimes autoritaires, toujours prête à soutenir une éventuelle
restauration monarchique. La politique de la IIIe République sera laïque
notamment dans le domaine sensible de l'enseignement.
Elle sera même anticléricale, l'Eglise étant considérée comme une
puissance extérieure aux mains du Vatican.
Nous allons en retrouver une illustration dans un premier point consacré à
l’œuvre sociale des Républicains.
L'attitude de la IIIe République vis à vis de l'Eglise s'explique par 3
raisons essentielles :
- D'abord par des considérations philosophiques : les républicains,
rationalistes, positivistes refusent l'influence dogmatique de l'Eglise.
Pour eux l'organisation politique et sociale ne doit pas être soumise à
des vérités transcendantes, mais procéder de la raison purement
humaine.
- Elle s'explique également par l'attitude politique de l'Eglise
catholique, très conservatrice depuis la Révolution.
- Et également par la présence parmi les Républicains de nombreux
protestants et francs-maçons.
Les protestants sont Presque unanimement favorables à la République et
ils sont très présents dans la haute administration comme dans la vie politique
(un certain nombre de ministres) et nombreux à l'échelon des grandes directions
de l'instruction publique.
Pour ce qui est de la franc-maçonnerie elle est très puissante de 1877
jusqu'aux années 1910 et est très proche du pouvoir.
14
Les francs-maçons ne sont pas étrangers à l'anticléricalisme et à la
politique scolaire de la IIIe République = ce sont les deux exemples que j’ai
retenus et sur lesquels je voudrais insister :
* Concernant la politique anticléricale, il faut commencer par rappeler
que, bien que l'Eglise ne soit pas une force politique, elle a beaucoup pesé du
côté de la droite conservatrice.
Elle a soutenu le second Empire et en 1864, le Pape Pie IX, a clairement
condamné « les libertés modernes » c'est-à-dire les valeurs démocratiques de la
Révolution.
Et depuis 1871, l’Eglise est l'un des principaux soutiens aux espoirs
royalistes.
Par ailleurs l'ampleur de la restauration catholique depuis 1815 et
l'emprise de l'Eglise sur l'enseignement (l'Eglise est presque totalement
maîtresse de l'enseignement primaire) inquiète les républicains.
Depuis la Loi Falloux de 1850, les congrégations religieuses disposent
d'établissements d'enseignement secondaire et reçoivent à ce titre des
subventions des départements et des communes. Une loi de 1875 a même étendu
ces dispositions aux établissements d'enseignement supérieur.
Cela explique l’anticléricalisme des républicains. Mais l'anticléricalisme,
(qui à l'origine est simplement un frein à cette ingérence de l'Eglise dans les
affaires publiques) va se transformer dans les années 1880.
Désormais, le "cléricalisme" contre lequel luttent les républicains ce ne
sont pas seulement les débordements de l'Eglise dans la société civile.
Ils vont lutter contre l'Eglise elle-même en tant qu'institution et surtout
contre la foi qu'elle répand. Le dogme chrétien apparaît presque une insulte pour
le positivisme et l'athéisme des républicains.
Aussi, les républicains des années 1880, par pure conviction
philosophique, vont essayer de lutter contre la religion et entreprendre une
véritable œuvre de déchristianisation.
Les moyens employés par le régime sont au nombre de 3 :
- réduction de l'influence des congrégations religieuses et notamment
des Jésuites, qui étaient très présents dans l'enseignement (Exclusion
de l'enseignement supérieur de tout membre d'une congrégation
religieuse non autorisée ; dissolution de la Compagnie de Jésus ;
fermeture des établissements religieux non autorisés).
- En même temps, on répand l'enseignement public laïc (cf infra)
15
- et on laïcise même divers aspects de la vie publique = on laïcise les
hôpitaux, les cimetières perdent leur caractère confessionnel en 1881,
la liberté des funérailles est instituée en 1887, les tribunaux, les
prétoires d'où disparaissent les symboles religieux et on peut désormais
travailler le dimanche.
Malgré cette politique, l'Eglise souhaite discrètement un
rapprochement avec la République française. Pourquoi ?
- il faut dire que les catholiques ont été déçus par le soutien des
royalistes au général Boulanger et de manière générale par une attitude
qui ne fait qu'accentuer l'anticléricalisme des républicains.
- Par ailleurs, le Pape Léon XIII n'a pas de très bonnes relations avec
l'Allemagne et l'Italie et c'est lui qui désire ce rapprochement avec la
France.
C'est lui qui conseille aux catholiques français d'accepter le régime, parce
que c'est dans la tradition de l'Eglise, qui n'est liée à aucune forme de
pouvoir terrestre de respecter le pouvoir légitime. Et il leur demande de
jouer le jeu politique pour faire évoluer la législation.
C’est donc ainsi que l’on assiste finalement au « ralliement » des
catholiques au régime.
* Concernant le 2e exemple = la laïcisation de l'enseignement, il faut
commencer par expliquer que sous la IIIe République, l'enseignement est conçu
comme l'un des véritables fondements du régime, presque l'âme du régime
républicain. Il est au cœur de toutes les préoccupations, parce qu'il est le facteur
essentiel du progrès social :
Quels sont les principes sur lesquels il doit reposer ? L'enseignement,
tel que le conçoivent les républicains doit répondre à des principes
fondamentaux qui conditionnent sa mission = l'école doit être laïque, gratuite
et obligatoire :
Et ces trois principes vont s’imposer progressivement :
- la laïcisation de l'école débute avec l'arrivée de Ferry au ministère de
l'instruction. En 1879 on prévoit l'exclusion des ecclésiastiques du conseil
supérieur de l'instruction publique et de tous les jurys (jurys de licence et de
doctorat). Viennent ensuite les décrets de 1880 sur les congrégations (supra)
permettant l'expulsion des jésuites et les fermetures de couvents. Enfin, la loi sur
la laïcité du 28 mars 1882 vient poser le principe de la neutralité confessionnelle
des enseignants = chacun est libre de penser ce qu'il veut sur le plan
16
philosophique, mais aucun message religieux ne peut être véhiculé par
l'enseignement.
D'ailleurs le personnel est définitivement laïcisé par une loi du 30 octobre
1886 = désormais un prêtre ou une religieuse ne peuvent plus enseigner dans
une école publique = c'est l'aboutissement de l'affirmation du principe de laïcité.
- la gratuité prévue par le programme de Belleville, et qui était déjà en
marche avant Jules Ferry, s'impose sans difficulté par une loi du 16 juin 1881 =
elle doit permettre l'égalité des chances. C'est une disposition de justice sociale.
- quant au caractère obligatoire, c'est le moyen essentiel de
l'uniformisation sociale. Il s'impose également par une loi du 28 mars 1882 pour
les enfants de 6 à 13 ans, couronné par le Certificat d'Etudes.
Quels sont les objectifs poursuivis par les républicains ? Pour ce qui
est des objectifs de l'enseignement, outre les objectifs classiques de
l'enseignement primaire, au lendemain de la défaite de 1870, l'Ecole est
également un instrument nécessaire à restaurer la confiance et renforcer le
sentiment national et le patriotisme. L'école va utiliser divers moyens pour y
parvenir :
- le premier moyen, ce sont les enseignants eux-mêmes, les instituteurs
"hussards noirs de la République" qui font office de véritables prédicateurs
laïques = ils sont les artisans d'une régénérescence patriotique et républicaine =
l'objectif est de forger des citoyens voire les soldats de demain.
- le second moyen c'est le choix des matières enseignées = lecture écriture,
calcul sont les objectifs classiques de l'enseignement primaire = une place
importante est réservée à l'orthographe et à la grammaire. Mais il faut souligner
également la place des leçons de morale, mais bien sûr une morale laïque =
l'exemple des grands ancêtres est un moyen d'endoctrinement.
- le troisième moyen, non le moindre, le choix des manuels scolaires.
La réforme de l'éducation touche également les filles, puisque la loi Sée
du 21 décembre 1880 prévoit la création de Lycées de jeunes filles, malgré une
certaine réticence des milieux catholiques et conservateurs. Voilà pour
l’enseignement.
Pour terminer on peut ajouter que si l'école et le moyen de forger des
citoyens, encore faut-il qu'ils puissent agir librement dans le domaine politique,
d'où la nécessité d'obtenir plus de libertés, qui sont le gage d'une véritable
démocratie.
17
Le programme de libertés démocratiques des opportunistes est sans
doute, avec la laïcité de l'Etat et de l'école, l'aspect le plus original et le plus
important de leur œuvre.
Il s'agit à la fois de mettre en œuvre les grands principes de 1789, mais
également de les adapter à l'esprit de l'époque et de les étendre à des domaines
nouveaux = il sera question d'élargir les libertés publiques.
Concernant l’élargissement des libertés, 5 exemples sont à retenir :
- L'une des principales libertés publiques consacrée par les républicains
opportunistes est la liberté de réunion établie la loi du 30 juin 1881.
L'autorisation préalable jusque-là nécessaire pour tenir une réunion est
désormais remplacée par une simple déclaration préalable faite aux autorités de
police par les organisateurs qui assument ensuite la responsabilité de la réunion.
- Dans le même ordre d'esprit, la loi du 29 juillet 1881 établit une totale
liberté de la presse venant couronner les revendications aussi bien de la gauche
que de la droite.
Toutes les entraves anciennes (autorisations préalables, cautionnement,
timbre...) sont supprimées et n'importe qui peut à présent fonder un journal.
L'arsenal répressif a été lui aussi considérablement allégé : la liste des
délits de presse est limitée et leur répression est atténuée.
Ces dispositions, qui sont à cette époque les plus libérales du monde,
favorisent le développement de la presse qui, à la fin du XIXe siècle, joue un
rôle désormais fondamental dans la formation de l'opinion publique. De 1871 à
1914 le nombre de quotidiens vendus passe de 1,3 à 9 millions d'exemplaires.
- La liberté d'association en revanche est limitée : Si la réunion est
éphémère et donc autorisée, l'association, groupement durable de citoyen peut
paraître dangereuse = seules sont autorisées les associations professionnelles
par la loi du 21 mars 1884 (dite loi Waldeck Rousseau du nom du Ministre de
l'Intérieur) = il s'agit en fait de légaliser les syndicats sans permettre aux
congrégations religieuses de tirer parti de la liberté d'association.
- Enfin les libertés locales sont renforcées au niveau communal, dans un
esprit de décentralisation, comme elles l'avaient été au niveau départemental
quelques années auparavant :
Au niveau municipal, une plus grande liberté est introduite par la loi du 4
mars 1882 ("loi des maires") qui prévoit que le maire est désormais élu par le
conseil municipal.
Elle est consacrée par la loi municipale du 5 avril 1884 qui constitue une
étape importante dans le sens de la décentralisation administrative. Elle
18
confirme le principe précédent mais prévoit surtout que le conseil municipal est
issu du suffrage universel tandis que ses compétences sont considérablement
étendues. Désormais les conseils municipaux deviennent les foyers d'une vie
politique intense.
- En matière de législation civile, il faut signaler la légalisation du
divorce qui avait été supprimé en 1816 (on ne tolérait que la séparation de
corps). C'est la loi Naquet du 27 juillet 1884 qui rétablit le divorce (par
consentement mutuel ou pour cause d'adultère) faisant triompher la conception
laïque du mariage que se font les républicains.
Avec un tel programme de libertés démocratiques les républicains
opportunistes ont su concrétiser l’esprit républicain et poser des bases dont nous
sommes encore aujourd’hui les bénéficiaires.
Et puis parallèlement, ils ont su enraciner la république, la renforcer… ce
qui est d’autant plus nécessaire lorsqu’on pense aux épreuves qu’elle va devoir
surmonter durant la période suivante, celle de la république radicale, dont nous
parlerons la prochaine fois.
Téléchargement
Study collections