32 | La Lettre du Gynécologue 393 - novembre-décembre 2014
MISE AU POINT
Les traitements du futur
dans la prise en charge
du cancer du sein :
vers un traitement
individualisé
The future treatment in breast cancer patient:
the personalized medicine
M. Campone*
© La Lettre du Sénologue - n° 65 -
juillet-août-sept. 2014.
* Institut de cancérologie de l’Ouest,
site Paul-Papin, Angers
L
e cancer du sein demeure un problème de santé
publique. En 2011, il représentait 53 000 nou-
veaux cas. Il s’agit du cancer le plus fré-
quent chez la femme, avant le cancer colorectal
(19 000 cas) et le cancer du poumon (12 000 cas).
Le cancer du sein se situe en tête de la mortalité,
avec 11 500 décès en 2011, mais le taux diminue
en France depuis près de 15 ans. Cette baisse est
liée aux campagnes de dépistage et aux progrès des
traitements adjuvants (fi gure 1) [1].
Malheureusement, le cancer du sein métastatique
reste une maladie de sombre pronostic, avec une
survie à 5 ans inférieure à 20 % et une médiane
de survie de 24 à 30 mois après le diagnostic de
métastase(s). Chaque année, 5 à 10 % des cancers
du sein diagnostiqués le sont au stade métasta tique.
La prévalence est estimée à 44 000 cas/an, et
environ 30 % des femmes diagnostiquées à un stade
précoce présenteront des métastases secondaires.
C’est dans ce contexte que des progrès notables
ont été réalisés, tant au niveau des connaissances
scientifiques des mécanismes d’échappement aux
traitements qu’au niveau du développement de
nouveaux médicaments : agents de chimiothérapie
et/ou agents de thérapies ciblées.
Si le siècle des Lumières a été le siècle des sciences
et des idées, le e siècle sera probablement celui
de la médecine personnalisée ou individualisée.
Figure 1. Incidence et mortalité du cancer du sein en France.
Années observées Années projetées
Années observées Années projetées
Année
Année
50 000
60 000
Incidence chez les femmes
Cas
Cas (n)
Cas (n)
Taux standardisé de mortalité
Taux standardisé de mortalité
40 000
30 000
20 000
10 000
5
1
10
50
100
120
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
0
15 000
Mortalité chez les femmes TSM
10 000
5 000
5
1
15
10
20
25
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
0
LG-2014-393-déc.indd 32LG-2014-393-déc.indd 32 19/11/14 16:3119/11/14 16:31
La Lettre du Gynécologue 393 - novembre-décembre 2014 | 33
Résumé
Si le siècle des Lumières a été le siècle des sciences et des idées, le
XXI
e siècle sera probablement celui
de la médecine personnalisée ou individualisée. Elle se définit comme la médecine qui administre le bon
médicament à la bonne cible tumorale, sans induire de toxicités trop importantes. Avec l’aide des nouveaux
outils de biologie moléculaire vont être générées de nombreuses données qui vont nous permettre de
définir des algorithmes de décision. À travers cet article, nous verrons son impact sur nos futures pratiques.
Mots-clés
Cancer du sein
Médecine
personnalisée
Étude clinique
Summary
If the Age of Enlightenment
was the century of science and
ideas, the twenty-fi rst century
is likely that personalized or
individualized medicine. It is
defined as medicine admin-
istering the right drug to the
right tumor target without
causing excessive toxicity. With
the help of new tools of molec-
ular biology will be generated
a lot of data that will allow us
to defi ne algorithms decision.
This review we will see the
impact on our future practices.
Keywords
Breast cancer
Personalized medicine
Clinical trial
Figure 3. Représentation de l’ensemble des données nécessaires pour appréhender la complexité de la maladie.
Figure 2. Concept de médecine personnalisée.
Figure 2.
Con
cep
t de médecin
e p
ersonnalisée.
Non toxique
Efficace
Médicament Au bon
patient
Algorithme de prédictivité :
efficacité/toxicité/prévention
Données liées
à la maladie :
- moléculaires “omics” ;
- cellulaires ;
- biopathologiques.
Données liées
à l’individu :
- moléculaires “omics” ;
- pharmacogénétiques ;
- épigénétiques ;
- démographiques.
Données liées à l’environnement
Concept de médecine
individualisée
La médecine individualisée est une alliance entre le
diagnostic et le traitement. Elle se défi nit comme
la médecine qui administre le bon médicament à la
bonne cible tumorale, sans induire de toxicités trop
importantes (fi gure 2).
Cette révolution est possible par la convergence
de la biologie et de la révolution numérique, avec
sa capacité à générer et à analyser des ensembles
de données : les “Big Data”. De nombreux experts
estiment qu’un patient va générer plus de 1 mil-
liard de données. Ces données sont diverses, volu-
mineuses et hétérogènes. Elles regroupent des
données biologiques : cellulaires et moléculaires,
médicales classiques, d’imagerie, démographiques
et environnementales. L’ensemble de ces données
est nécessaire pour faire face à la complexité de la
maladie (fi gure 3).
Pour cela, il est nécessaire de développer des outils
diagnostiques qui permettent de déterminer la
réponse d’un patient à une thérapie donnée et/ou
de guider le choix du traitement, identifi ant celui qui
sera le plus effi cace. Il s’agit d’outils dits de prédiction.
Il est donc indispensable de prendre en considération
LG-2014-393-déc.indd 33LG-2014-393-déc.indd 33 19/11/14 16:3119/11/14 16:31
34 | La Lettre du Gynécologue 393 - novembre-décembre 2014
MISE AU POINT Les traitements du futur dansla prise en charge du cancer du sein:
vers un traitement individualisé
un certain nombre de paramètres de l’équation à
travers les caractéristiques de :
la tumeur ;
l’individu ;
l’environnement.
Figure 4. Établissement des 3 cartes d’identités.
Intégration des données
Traitement individualisé
Tumeur Patiente Environnement
Figure 5. Paramètres de prédiction.
Prédiction
Tumeur Patiente Environnement
Efficacité
Toxicité
Prévention
ToxicitéEfficacité
Figure 6. Les outils “omics”.
ADN
ARN
Protéine
On peut alors établir la carte d’identité de la tumeur,
de l’individu et de son environnement (fi gure 4).
Cette carte d’identité sera alors utile pour prédire
(fi gure 5) :
l’effi cacité d’un traitement donné chez un indi-
vidu donné ;
la toxicité d’un traitement donné chez un indi-
vidu donné ;
la probabilité de développer un cancer chez un
individu en fonction des caractéristiques de son
environnement.
Cette carte d’identité est rendue possible en raison
des progrès importants qui ont été réalisés dans la
détermination des anomalies moléculaires (ADN,
ARN, protéine, métabolisme, etc.) par les nouvelles
techniques dites des “omics” (fi gure 6).
Médecine individualisée
et cancer du sein
Tout comme Monsieur Jourdain dans la pièce
Le Malade imaginaire de Molière, nous faisions de la
médecine individualisée bien avant que soit créée
cette nouvelle discipline de la médecine.
Depuis la fin du 
e
siècle avec les travaux d’un
chirurgien écossais, George Beatson, nous savions
que la croissance tumorale de certains cancers du sein
était sous la dépendance des estrogènes.
Dans le milieu du e siècle, le récepteur aux estro-
gènes a été identifi é, et le premier médicament dirigé
contre cette cible a été développé : le tamoxifène.
Puis, à la n du siècle, ont été développées les anti-
aromatases. Cette classe thérapeutique bloque la
production des estrogènes à partir des androgènes
en neutralisant l’enzyme qui permet leur conversion
(aromatase).
Le récepteur aux estrogènes comme le récepteur à la
progestérone ont été les premiers facteurs prédictifs
de réponse aux traitements hormonaux.
Algorithmes de décision
pour décider du meilleur
traitement adjuvant
Tout patient atteint d’un cancer doit bénéfi cier d’un
avis émis lors d’une réunion pluridisciplinaire. La pluri-
disciplinarité correspond à la présence d’au moins
3 spécialités de l’oncologie : chirurgie, oncologie médi-
cale et radiothérapie. Elle va reposer sur le traitement
locorégional et adjuvant.
LG-2014-393-déc.indd 34LG-2014-393-déc.indd 34 19/11/14 16:3119/11/14 16:31
La Lettre du Gynécologue 393 - novembre-décembre 2014 | 35
MISE AU POINT
Algorithmes de décision clinique
et pathologique
L’indication de la chimiothérapie adjuvante repose sur
les critères cliniques et pathologiques que nous avons
défi nis dans le chapitre sur les facteurs pronostiques.
Les différentes conférences de consensus de Saint-
Gallen ont ainsi établi des algorithmes de décision
concernant les indications de chimiothérapie adju-
vante (tableau) [2].
Aujourd’hui, les outils de la médecine personnalisée
sont employés selon plusieurs axes :
identifi er les patientes qui doivent bénéfi cier
de la chimiothérapie en situation adjuvante (après
la chirurgie afi n de prévenir le développement de
métastases) ;
prédire la réponse aux nouveaux médicaments ;
identifi er de nouvelles cibles thérapeutiques pour
mettre au point de nouveaux médicaments.
Identifi er les patients qui doivent
bénéfi cier de la chimiothérapie
en situation adjuvante
Pour poser l’indication de chimiothérapie, un certain
nombre de critères cliniques comme histologiques
sont pris en compte.
Facteurs cliniques :
l’âge jeune (moins de 35 ans) ;
la taille tumorale (plus de 30 mm) ;
un envahissement ganglionnaire ;
un aspect infl ammatoire du sein ;
la présence de métastase(s) au diagnostic.
Facteurs histologiques, tout comme pour la
clinique :
la taille tumorale (plus de 20 mm) et l’envahis-
sement ganglionnaire sont des facteurs de mauvais
pronostic ;
de même qu’un grade histologique élevé (grade II
avec index de prolifération élevé : Ki67 et grade III)
et l’absence d’expression des récepteurs hormonaux.
Cependant, nous pouvons constater que pour
certaines patientes RH+, l’indication de la chimio-
thérapie n’est pas univoque. Il est donc important de
trouver de nouveaux outils afi n de mieux discriminer,
chez ces patientes, lesquelles bénéfi cieront vraiment
de la chimiothérapie adjuvante (3).
Outils mathématiques du calcul du risque
de rechute : Adjuvant Online et NPI
Les outils Adjuvant Online (AO) et Nottingham Pro-
gnostic Index (NPI) permettraient d’estimer, en
combinant ces différents critères entre eux, le pro-
nostic de la patiente (AO et NPI) et le bénéfi ce d’un
traitement adjuvant sur la survie (AO).
LAO ne prend pas en compte certains facteurs pro-
nostiques importants, tels que l’expression de HER2.
Les études de validation montrent que les estima-
tions des taux de décès, toutes causes confondues,
et du bénéfi ce attendu des traitements systémiques
ne sont pas comparables d’un pays à l’autre. De
même, pour certains sous-groupes de patientes,
l’extrapolation n’est pas fi able, en particulier pour
les femmes les plus jeunes (moins de 35 ans) et les
plus âgées (plus de 65 ans).
L’index NPI permet de classer les patientes en
3 catégories pronostiques mais ne repose que sur
3 facteurs histologiques (pT, pN, grade).
Outils de biologie moléculaire : Oncotype DXTM
et MamaPrint®
Oncotype DX
TM
quantifie l’expression de
21 gènes sur du tissu tumoral fi xé et inclus en paraf-
ne. Les gènes concernés sont principalement des
gènes associés à la prolifération, à l’expression de
HER2, et de récepteurs hormonaux. Le test donne
une valeur de “risque de rechute”.
MammaPrint® (signature génomique
d’Amsterdam) permet l’analyse simultanée de
l’expression de 70 gènes par puce à ADN à partir
de tissu tumoral congelé.
Tableau. Indication des traitements adjuvants en fonction des caractéristiques histologiques.
Traitement Indication
Hormonal
Si expression de RH+
Anti-HER2
HER2+
Chimiothérapie
HER2+
Toujours associer chimiothérapie et trastuzumab
RH–/HER2–
Oui sauf si type histologique suivant : carcinome médullaire, apocrine, adénoïde cystique
RH+/HER2+
En fonction du risque de rechute
LG-2014-393-déc.indd 35LG-2014-393-déc.indd 35 19/11/14 16:3119/11/14 16:31
36 | La Lettre du Gynécologue 393 - novembre-décembre 2014
MISE AU POINT Les traitements du futur dansla prise en charge du cancer du sein:
vers un traitement individualisé
Cependant, aucun de ces 2 outils n’a atteint un
niveau de preuve suffisant pour être utilisé en
routine et ils font l’objet d’études prospectives pour
valider leur valeur pronostique.
Prédire la réponse aux nouveaux
médicaments
Identifi er une cible thérapeutique pour un médica-
ment donné, c’est défi nir la valeur prédictive de la
cible à ce même médicament.
Concernant les facteurs prédictifs de la réponse
aux traitements, nous ne disposons d’aucun facteur
validé pour la chimiothérapie, mais uniquement de
facteurs prédictifs de la réponse à l’hormonothérapie
et aux thérapies anti-HER2.
À propos des traitements anti-estrogéniques
Nous avons indiqué précédemment que l’expression
des récepteurs hormonaux est un facteur de réponse
à l’hormonothérapie.
À propos de l’oncogène HER2
Vingt ans se sont écoulés entre sa découverte et son
rôle dans la cancérogenèse mammaire et le déve-
loppement de thérapies ciblées anti-HER2.
La protéine HER2 est un récepteur transmembra-
naire qui possède un versant externe et un versant
interne.
Il existe actuellement 2 grandes classes thérapeu-
tiques : les anticorps monoclonaux (trastuzumab,
pertuzumab et TDM-1) et les inhibiteurs de tyrosine
kinase (lapatinib) [fi gure 7].
Les anticorps monoclonaux se xent sur le versant
externe et les inhibiteurs de tyrosine kinase sur le
versant interne du récepteur.
Le trastuzumab a démontré sa grande effi cacité tant
en situation métastatique qu’en situation adjuvante,
en association avec la chimiothérapie.
Les récents résultats des essais cliniques démontrent
qu’en situation métastatique le fait d’associer
2 anticorps, le trastuzumab et le pertuzumab, à la
chimiothérapie, améliore le contrôle de la maladie et
prolonge la survie comparativement à l’association de
la même chimiothérapie avec le trastuzumab seul (4).
Le TDM-1, ou trastuzumab-emtansine, est un anti-
corps dit conjugué associant, sur le même médi-
cament, le trastuzumab, qui reconnaît la protéine
HER2, et un agent de chimiothérapie, l’emtan-
sine, qui est ainsi directement délivrée au sein des
cellules cancéreuses. Le TDM-1 est supérieur et
moins toxique que le lapatinib + capécitabine chez
les patientes présentant un cancer du sein méta-
statique précédemment traitées par trastuzumab
et taxanes (5).
Leur effi cacité clinique semble être exclusivement
liée à l’amplification du gène HER2 ou à la sur-
expression de la protéine.
À propos d’autres cibles en cours d’exploration
La survenue d’un cancer du sein, comme tout cancer,
est la résultante d’un long processus qui implique
que, au cours du temps, les cellules cancéreuses
vont acquérir des propriétés d’agressivité par des
mécanismes de mutation, amplifi cation ou délétion
de leur génome (prolifération, résistance aux trai-
tements) et vont interagir avec leur environnement
(invasion, dissémination). Les cellules cancéreuses
sont alors capables de coloniser d’autres organes
et de s’accroître.
Chacune de ces étapes est connue et les protéines
clés de ce processus ont été identifi ées.
La mutation des gènes BCRA1/BCRA2
Dans 5 % des cas, la survenue du cancer du sein
est liée à une perte d’activité, par mutation de son
gène, de protéines impliquées dans la réparation
de l’ADN. Il s’agit des gènes BCRA1 et BCRA2. Les
cellules cancéreuses qui portent ces mutations ne
sont plus capables de se protéger d’autres mutations
par incapacité à se réparer. Au sein des cellules, il
existe d’autres protéines qui possèdent des pro-
priétés de réparation, comme la protéine PARP.
Figure 7. Représentation du récepteur HER2 et des
thérapies anti-HER2 selon leurs cibles.
#
Lapatinib
1. Trastuzumab
2. Pertuzumab
3.TDM-1
LG-2014-393-déc.indd 36LG-2014-393-déc.indd 36 19/11/14 16:3119/11/14 16:31
1 / 7 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!