Il faut savoir où commence l`action économique et

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« Il faut savoir où commence l’action économique et où
elle finit »
le 23 septembre 2015
ADMINISTRATIF
Les personnes publiques disposent de beaucoup plus de marges de manœuvre et d’outils qu’elles
ne le pensent généralement pour intervenir en matière économique. Tel est le message de l’étude
annuelle 2015 du Conseil d’État.
La rédaction : Le Conseil d’État présente cette année une étude en deux parties, dont
une à vocation essentiellement pratique. Pourquoi ce choix ?
Jacky Richard : En effet, c’est une novation : l’étude proprement dite, qui trace de grandes
orientations assorties de propositions destinées aux pouvoirs publics, est complétée par un guide
des outils de l’action économique. Il s’adresse aux utilisateurs qui interviennent concrètement dans
le champ économique. Il est d’ailleurs l’une des propositions de l’étude. Il y a beaucoup d’acteurs et
il convient de rappeler ce qu’ils peuvent faire et comment ils peuvent le faire.
Charles Touboul : Les personnes publiques agissent presque toutes, d’une manière ou d’une
autre, sur l’économie. Il y a une multitude d’outils à leur disposition ; elles n’en ont pas forcément
conscience ; elles ont tendance à reprendre toujours les mêmes, ceux qui leur sont familiers. On
s’est donc dit qu’il serait utile de présenter le champ des possibles et de l’éclairer en droit. Ce guide
est articulé en fiches pratiques, pas trop longues, et qui évidemment n’épuisent pas le sujet. Nous
livrons les éléments essentiels pour faire un meilleur choix, à charge pour chaque collectivité
publique d’approfondir, en fonction du contexte et des objectifs qui sont les siens.
La rédaction : Pouvez-vous nous exposer la classification des outils d’intervention
économique proposée par l’étude ?
Charles Touboul : Nous avons identifié vingt-quatre outils qui sont regroupés en huit familles.
L’idée est de constituer un instrument pédagogique, permettant au lecteur de rentrer facilement
dans ces catégories qui ont une vocation plus didactique que doctrinale. Celles-ci sont plus ou
moins riches ; certaines ne comportent qu’un seul outil, comme la fiscalité incitative. Il y a les outils
auxquels les collectivités publiques pensent en général en premier : les concours financiers comme
la subvention, la garantie d’emprunt, etc. Il y a le fait de conduire soi-même des activités
économiques, soit en régie, soit par des marchés ou délégations de service public. Il y a la
constitution d’entreprises publiques mais aussi la législation économique, la communication
publique et les activités d’accompagnement, etc. Tous ces outils devront être réexaminés
périodiquement. Peut-être, demain, n’y en aura-t-il plus 24, mais 26 ou 30 ou peut-être 18. Et
chaque outil pris individuellement est évolutif. C’est une réalité vivante et le guide doit suivre ses
mutations.
La rédaction : Parmi les outils que vous évoquez, figure la gestion du domaine public, ce
qui n’est pas forcément évident…
Charles Touboul : Il y a longtemps que la nécessité de valoriser le domaine est actée. Nous allons
un peu plus loin en disant qu’il permet aussi d’apporter son soutien, de contribuer, d’inciter… à la
conduite d’activités économiques. Cela peut surprendre mais on touche là à un aspect essentiel de
notre étude qui est le fait que, dans les outils recensés, la part de leur usage économique est très
variable. Évidemment, une subvention servira le plus souvent à soutenir une activité ; de même
une garantie. Encore plus un fonds d’investissement. Mais la législation, la réglementation, la
fiscalité incitative, etc., peuvent avoir des buts tout à fait étrangers à l’économie. Nous nous y
intéressons et les étudions seulement « en tant que » ces outils sont pertinents pour une action
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économique. Ainsi, le domaine n’est pas fait, a priori, pour agir sur l’économie. Mais il y a quand
même une multitude de cas où il peut nourrir ou orienter une activité économique.
La rédaction : Vous proposez notamment la mise en concurrence des autorisations
domaniales. Cela peut surprendre alors que le Conseil d’État a refusé, au contentieux,
une telle évolution.
Charles Touboul : La décision Paris Jean Bouin a jugé qu’il n’y avait pas d’obligation juridique, ni
dans les textes ni dans les principes, y compris européens, de mettre en concurrence. Cela
n’empêche pas le législateur de se saisir de la question et de se dire qu’il serait économiquement
rationnel de le faire.
La rédaction : Vous disiez que les acteurs de l’action économique étaient peut-être trop
nombreux. Pouvez-vous préciser ce point ?
Jacky Richard : Dans le cadre des auditions – nous en avons fait une soixantaine – nous avons
acquis la conviction que beaucoup de monde faisait beaucoup de choses, de manière mal
coordonnée, qu’il s’agisse de l’organisation gouvernementale, des opérateurs, des autorités
administratives indépendantes, etc. Sans parler des juxtapositions de compétences des collectivités
territoriales, quelles que soient les dispositions de la loi NOTRe.
Nous proposons donc de réduire le nombre d’acteurs, de recentrer sur ceux habilités à détenir la
majorité des leviers et surtout de clarifier le rôle des uns et des autres. Ainsi, en matière de droit
des entreprises, les collaborations entre la Chancellerie et Bercy nous ont paru pouvoir faire l’objet
d’articulations plus précises. Cette réflexion implique aussi de revisiter les procédures de décision.
Il faut avoir davantage recours au droit souple, lignes directrices ou codes de bonne conduite. Et
faire appel à des processus administratifs que l’on peine à développer dans notre pays : des
évaluations préalables mieux faites, des évaluations ex-post et des expérimentations.
La rédaction : Vous appelez à une répartition plus claire des compétences entre les
collectivités territoriales et l’État et entre les collectivités territoriales elles-mêmes.
C’est un sujet dont on parle depuis 30 ans et c’était l’un des objectifs de la loi NOTRe.
Comment y parvenir ?
Jacky Richard : Ce n’est pas parce que le problème se pose depuis de nombreuses années que la
proposition n’est pas pertinente ! Je pense qu’il y a eu globalement des progrès dans la répartition
des compétences, notamment avec cette articulation nouvelle entre État, régions et métropoles.
Charles Touboul : Comme on le dit souvent, « tout est économique », y compris dans les
politiques publiques. Le message qu’on essaie d’adresser est qu’il faut cartographier les choses,
savoir où commence l’action économique et où elle finit. C’est vrai entre l’État et les collectivités
locales mais aussi entre collectivités locales et au sein de l’État. Il ne s’agit pas de bouleverser
l’organisation de l’État, pas davantage de refaire la loi NOTRe – qui apporte de bonnes choses pour
clarifier les rôles. Mais il faut savoir « qui fait quoi » et veiller à ce que ce vaste orchestre soit
conduit de manière efficace et harmonieuse. Nous faisons donc des propositions de pilotage
d’ensemble. Nous préconisons par exemple de formaliser une « stratégie économique nationale ».
La rédaction : Quelle différence entre cette stratégie économique nationale et feu le
Plan ?
Jacky Richard : Le Plan a été mis aux orties et puis on s’est aperçu qu’il avait quelques vertus en
termes d’éclairage sur l’avenir ou de coordination des politiques publiques. Sectoriellement, il y a
beaucoup de documents stratégiques, en matière de finances publiques, d’industrie, etc. Or il faut
pouvoir prendre du recul, de la hauteur. C’est notamment nécessaire vis-à-vis de nos partenaires
européens mais aussi, l’économie étant mondiale, des grandes institutions. Nous avons d’ailleurs
également fait des propositions en matière de diplomatie économique, de présence dans les lieux,
publics ou privés, qui forgent les standards économiques.
Charles Touboul : Il ne s’agit pas de ressusciter le « Plan de la Nation ». Encore qu’il y ait eu
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d’excellentes choses dans ses méthodes d’élaboration. En particulier, c’était un lieu et une occasion
pour que les décideurs économiques, le gouvernement, les partenaires sociaux se retrouvent
autour d’un débat sur « où on va » en matière économique. Cela fait partie des aspects
intéressants que l’on pourrait faire revivre, en en actualisant évidemment les modalités.
Quant au contenu même de la stratégie, l’idée est assez simple. Des stratégies économiques
nationales, on en fait dix par an ! Une fois définie dans programme présidentiel et précisée dans le
discours de politique générale du premier ministre, elle est en effet déclinée et actualisée par
chaque projet de loi de finances, y compris rectificative et chaque projet de loi de financement de la
sécurité sociale puis rappelée dans les éléments transmis à Bruxelles dans le cadre de la
surveillance budgétaire et des équilibres macro-économiques. Bref, cette stratégie économique
nationale, en réalité, existe déjà de manière diffuse. Ce ne serait pas si compliqué ni si
révolutionnaire de définir un moment pour se mettre autour d’une table, avec les parties prenantes,
et de la formuler de manière claire, afin qu’une fois adoptée, elle constitue un document de
référence.
La rédaction : Comme vous le relevez, le « sentiment dominant » est que l’action
économique des personnes publiques n’a plus d’espace de liberté, du fait notamment de
l’intégration européenne. En quoi cette perception est-elle, comme vous l’affirmez, « très excessive » ?
Charles Touboul : Il y a effectivement deux sentiments un peu défaitistes auxquels on espère
répondre. Celui de l’opinion publique est que les leviers économiques essentiels – monétaire et
budgétaire – ne sont plus à Paris. C’est vrai pour le levier monétaire, moins pour le levier
budgétaire. Mais, en tout état de cause, cela n’empêche pas d’avoir une politique économique
nationale authentique et même ambitieuse.
Le second sentiment défaitiste, qui est plus propre à l’administration, est que le droit, surtout celui
de l’Union, empêche d’agir ou crée au moins une forte insécurité pour l’action économique. Ce
sentiment est ressorti de presque une audition sur deux. Il ne correspond pas à la réalité et l’étude
essaye d’en convaincre les acteurs publics. Les traités ne sont plus écrits comme avant ; ils sont
beaucoup plus équilibrés dans les grands principes. Le droit dérivé est plus ouvert, comme pour les
marchés publics. La politique menée par la Commission, notamment en matière d’aides d’État, est
aujourd’hui recentrée sur l’essentiel et permet un grand nombre d’initiatives nationales. Il faut
essayer d’en tirer parti. Pour cela, il faut « se mettre » au droit de l’Union et penser les initiatives
publiques ab initio dans le cadre de cette grille ; les administrations le font mais il y a encore des
marges de progression. Et il faut discuter avec la Commission. Le droit de l’Union est un droit
interprété par les administrations à Bruxelles avant de l’être par le juge. Il faut jouer cette carte et
nouer le dialogue avec elles aussi souvent que nécessaire.
La rédaction : En dépit du « foisonnement » de textes relatifs à l’action économique, le
Conseil d’État ne recommande pas une codification. Pourquoi ? Et comment, alors, en
faciliter l’accès et la compréhension ?
Charles Touboul : On s’est posé la question : faut-il un code de l’action économique des
personnes publiques ? Mais on s’est vite rendu compte qu’il n’y aurait pas une plus-value
considérable par rapport aux codes existants. L’action économique étant très diffuse, on trouve des
éléments pertinents dans le code général de la propriété des personnes publiques, dans le code de
commerce, dans le code des marchés publics ou dans le code général des collectivités territoriales ;
il n’y aurait aucun intérêt à les dépecer… Il reste néanmoins une multitude de textes qui traitent de
l’action économique et qui ne sont pas toujours très lisibles ou accessibles, y compris pour les
personnes publiques elles-mêmes. Ainsi, le droit des sociétés publiques était extrêmement éclaté il
y a encore un an. Et puis on a demandé au législateur une habilitation non pas pour codifier ce
droit, mais pour le regrouper et le clarifier. Cela a abouti à l’ordonnance d’août 2014 qui nous a
semblé un exemple tout à fait pertinent.
La matière restera nécessairement éclatée, dans des codes qu’on ne va pas refaire et dans des lois
qui garderont leur autonomie. Mais, en définitive, ce qui manque, c’est une présentation didactique
du cadre général dans lequel les personnes publiques doivent s’inscrire lorsqu’elles entendent
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conduire une action économique : un instrument d’aide à la décision présentant de manière
synthétique les outils disponibles et les exigences qui s’attachent à leur utilisation.
Jacky Richard : On en revient au point de départ de notre entretien : c’est à ce souci de cohérence
et coordination que répond aussi notre guide pratique qui va être mis en ligne et actualisé
régulièrement.
Propos recueillis par Marie-Christine de Montecler
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