Chapitre V. Réduction des endomorphismes. Marc de Crisenoy Convention: dans tout le cours, K désigne un corps commutatif. (En pratique K = Q, R ou C). 1) Sous espaces stables. Déf. 1. Soit E un K-ev. Soient u ∈ L(E) et F un sev de E. On dit que F est stable par u si u(F ) ⊂ F . Rq. 2. Soit E un K-ev. Soient u ∈ L(E) et F un sev de E. Alors F est stable par u ssi ∀x ∈ F u(x) ∈ F . Ex. 3. Soit E un K-ev. a) Soit u ∈ L(E). Alors {0E } et E sont stables par u. b) Soit α ∈ K. Alors tout sev de E est stable par αIdE . Déf., notation et rq. 4. Soit E un K-ev. Soient u ∈ L(E) et F un sev de E. On suppose que F est stable par u. On appelle restriction de u à F l’application de F dans lui même qui à x associe u(x). On la note u|F . C’est un endomorphisme de F . Prop. 5. Soit E un K-ev de dimension finie. On note n = dim E. Soit e = (e1 , . . . , en ) une base de E. Soit u ∈ L(E). On note M = Mat(u, e). M ∈ Mn (K). On note M = (aij )(i,j)∈{1,...,n}×{1,...,n} . On suppose que n ≥ 2. Soit p ∈ {1, . . . , n− 1}. On note F = Vect(e1 , . . . , ep ). N P On découpe M en 4 blocs: M = où: Q R N = (aij )(i,j)∈{1,...,p}×{1,...,p} , N ∈ Mp (K). P = (aij )(i,j)∈{1,...,p}×{p+1,...,n} , P ∈ Mp,n−p (K). Q = (aij )(i,j)∈{p+1,...,n}×{1,...,p} , Q ∈ Mn−p,p (K). R = (aij )(i,j)∈{p+1,...,n}×{p+1,...,n} , R ∈ Mn−p (K). Alors les 3 assertions suivantes sont équivalentes: i) F est stable par u, ii) ∀(i, j) ∈ {p + 1, . . . , n} × {1, . . . , p} aij = 0, iii) Q = On−p,p . Lorsque ces assertions sont vraies, on a N = Mat(u|F , (e1 , . . . , ep )). Indication pour ii) =⇒ i). Commencer par montrer que ∀j ∈ {1, . . . , p} u(ej ) ∈ F . Théo. 6. Soit E un K-ev. Soient u, v ∈ L(E). On suppose que u ◦ v = v ◦ u. Alors Im(v) et Ker(v) sont stables par u. 2) Valeurs propres et vecteurs propres d’un endomorphisme. Déf. 7. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit α ∈ K. On dit que α est une valeur propre de u s’il existe x ∈ E \ {0E } tel que u(x) = αx. Rq. 8. La condition x 6= 0E est essentielle! Déf. 9. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit x ∈ E. 1 On dit que x est un vecteur propre de u si x 6= 0E et s’il existe α ∈ K tel que u(x) = αx. Déf. 10. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soient α une valeur propre de u et x ∈ E. On dit que x est un vecteur propre de u associé à α si x 6= 0E et u(x) = αx. Rq. 11. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit x un vecteur propre de u. Alors il existe une et une seule valeur propre de u à laquelle x soit associé. Exo. 12. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit x ∈ E \ {0E }. Vérifier que Kx est stable par u ssi x est un vecteur propre de u. Déf. et notation 13. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). On appelle spectre de u, et l’on note Sp(u), l’ensemble des valeurs propres de u. C’est une partie de K. 3) Sous espaces propres d’un endomorphisme. Prop. 14. Soient E un K-ev, u ∈ L(E) et α ∈ K. Alors α est une valeur propre de u ssi u − αIdE n’est pas injectif. Rq. 15. Soient E un K-ev et u ∈ L(E). Alors 0K est une valeur propre de u ssi u n’est pas injectif. Déf., notation et rq. 16. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit α une valeur propre de u. On appelle sous espace propre (de u) associé à α, et l’on note Eα , le sev de E suivant: Ker(u − αIdE ). Il est non nul. Rq. 17. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit α une valeur propre de u. Alors: a)i) ∀x ∈ E (x ∈ Eα ⇐⇒ u(x) = αx). ii) Eα = {0E } ∪ {x ∈ E | x est un vecteur propre de u associé à α}. b)i) Eα est stable par u, ii) u|Eα = αIdEα . Prop. 18. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit m ∈ N∗ . Soient α1 , . . . , αm des valeurs propres de u deux à deux distinctes. Soient x1 , . . . , xm ∈ E. On suppose que pour tout i ∈ {1, . . . , m} xi est un vecteur propre de u associé à αi . Alors (x1 , . . . , xm ) est libre. Indications. Procéder par récurrence sur m. Si nécessaire, pour comprendre ce qu’il se passe, regarder les cas m = 2, 3. Cor. 19. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). On suppose que E est de dimension finie. Alors u a au plus dim E valeurs propres. Théo. 20. Soit E un K-ev. Soit u ∈ L(E). Soit m ∈ N∗ . Soient α1 , . . . , αm des valeurs propres de u deux à deux distinctes. Alors Eα1 , . . . , Eαm sont en somme directe. 2 4) Polynôme caractéristique. Exo. 21. Soit n ∈ N∗ . Soit B = (bij ) ∈ Mn (Q). On suppose que ∀i, j bij ∈ Z. Justifier que det B ∈ Z. Notation. 22. On note K[X] l’anneau des polynômes à coefficients dans K. Rq. 23. Notons F = K(X) le corps des fractions rationnelles à coefficients dans K. On rappelle que par construction F est un corps incluant K[X]. (En un sens à préciser c’est le plus petit corps ayant cette propriété, mais nous ne nous servirons pas de cela). Soit n ∈ N∗ . Soit B = (bij ) ∈ Mn (F). On suppose que ∀i, j bij ∈ K[X]. Alors det B ∈ K[X]. Exo. 24. a) Vérifier cette remarque pour n ∈ {1, 2, 3}. b) Démontrer la (on pourra utiliser une récurrence sur n ou utiliser la formule explicite du déterminant). Déf. et notation 25. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). det(XIn − A), qui est un polynôme à coefficients dans K, est appellé polynôme caractéristique de A et est noté χA . Rq. 26. Certains cours adoptent une définition légèrement différente: c’est det(A − XIn ) qui est appelé polynôme caractéristique de A. Ex. 27. Soit n ∈ N∗ . a) Soit A = (aij ) ∈ Mn (K). On suppose que A est triangulaire supérieure ou triangulaire inférieure. Alors χA = b) Soient b1 , . . . , bn ∈ K. Alors χdiag(b1 ,...,bn ) c) Soit b ∈ K. Alors χbIn = (X − b)n . n Y = (X − bi ). n Y (X −aii ). i=1 i=1 Prop. 28. Soit n ∈ N∗ . Soit B = (bij ) ∈ Mn (K(X)). On suppose que ∀i, j bij ∈ K[X]. Alors ∀x ∈ K (det B)(x) = det((bij (x))i,j ). Indication. Procéder par récurrence sur n. Cor. 29. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Alors ∀x ∈ K χA (x) = det(xIn − A). Lemme 30. Soit n ∈ N∗ . Soit B = (bij ) ∈ Mn (K(X)). On suppose que ∀i, j bij ∈ K[X] et que ∀i, j deg bij ≤ 1. Alors deg B ≤ n. Indication. On pourra utiliser une récurrence sur n ou utiliser la formule explicite du déterminant. Prop. 31. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Alors le polynôme χA a les propriétés suivantes: i) il est unitaire de degré n, 3 ii) le coefficient de X n−1 est −tr(A), iii) son terme constant est (−1)n det A. Indications. Démontrer i) et ii) ensemble, on pourra utiliser une récurrence sur n ou utiliser la formule explicite du déterminant. Prop. 32. Soit n ∈ N∗ . Soient M, M 0 ∈ Mn (K). On suppose que M et M 0 sont semblables. Alors χM = χM 0 . Rq. 33. Ceci permet de retrouver le fait que si deux matrices carrées de même taille sont semblables, alors elles ont même déterminant et même trace. Lemme 34. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Soient e, e0 deux bases de E. Alors χMat(u,e) = χMat(u,e0 ) . Déf. et notation 35. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). χMat(u,e) ne dépend pas du choix de la base e. Par définition, c’est le polynôme caractéristique de u, on le note χu . Ex. 36. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit β ∈ K. Alors χβ IdE = (X − β)dim E . Prop. 37. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Alors ∀x ∈ K χu (x) = det(xIdE − u). Rq. 38. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Il faut remarquer que XIdE n’a pas de sens. A fortiori, det(XIdE − u) n’a pas de sens non plus. Théo. 39. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. On note n = dim E. Soit u ∈ L(E). Alors le polynôme χu a les propriétés suivantes: i) il est unitaire de degré n. ii) le coefficient de X n−1 est −tr(u). iii) son terme constant est (−1)n det u. Théo. 40. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Soit α ∈ K. Alors: α est une valeur propre de u ⇐⇒ α est racine de χu . Ce théorème permet de donner une nouvelle preuve du résultat suivant: Prop. 41. Soit E un K-ev de dimension finie. Soit u ∈ L(E). Alors u a au plus dim E valeurs propres. Rq. 42. (Cas où K = C). Soit E un C-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Alors u a au moins une valeur propre. Exo. 43. Soit E un R-ev de dimension finie. On suppose que dim E est impaire. Soit u ∈ L(E). Alors u a au moins une valeur propre. Théo. 44. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). 4 Soit F un sev non nul de E. On suppose que F est stable par u. Alors χu|F divise χu . Indications. Compléter une base de F en une base de E. Considérer des blocs. Notation et prop. 45. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Soit λ une valeur propre de u. On note mλ la multiplicité de λ dans χu . Alors dim Eλ ≤ mλ . Indication. Eλ est stable par u. Cor. 46. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Soit λ ∈ K. On suppose que λ est une racine simple de χu . Alors Eλ est une droite. 5) Valeurs propres d’une matrice carrée. Notation, déf. et lemme. 47. (Rappel). Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). On considère l’application ϕA : Mn,1 (K) → Mn,1 (K) définie par ϕA (X) = AX. Alors ϕA est un endomorphisme de Mn,1 (K). ϕA est appelé endomorphisme canoniquement associé à A. La matrice de ϕA dans la base canonique de Mn,1 (K) est égale à A. Déf. 48. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Soit α ∈ K. On dit que α est valeur propre de A s’il existe X ∈ Mn,1 (K) \ {0} tel que AX = αX. Rq. 49. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Soit α ∈ K. Alors α est valeur propre de A ssi α est valeur propre de ϕA . Déf. et rq. 50. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). On appelle spectre de A, et l’on note Sp(A), l’ensemble des valeurs propres de A. On a Sp(A) = Sp(ϕA ). Rq. 51. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Alors χA = χϕA . Prop. 52. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Soit α ∈ K. Alors α est valeur propre de A ssi α est racine de χA . 6) Diagonalisation d’un endomorphisme. Prop. et déf. 53. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Alors les 2 assertions suivantes sont équivalentes: X i) Eα = E, ii) il existe une base de E formée de vecteurs propres de u. α∈Sp(u) Lorsque ces assertions sont vraies, on dit que u est diagonalisable. Rq. 54. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. On note n = dim E. Soit u ∈ L(E). Soit e = (e1 , . . . , en ) une base de E. Alors Mat(u, e) est diagonale ssi pour tout j ∈ {1, . . . , n} ej est un vecteur propre de u. Rq. 55. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Alors u est diagonalisable ssi il existe une base e de E telle que Mat(u, e) soit diagonale. 5 Théo. 56. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Alors les 2 assertions suivantes sont équivalentes: i) u est diagonalisable, ii) χu est scindé sur K et pour tout racine α de χu , on a dim Eα = mα . Prop. 57. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). On suppose que χu est scindé dans K et que ses racines sont simples. Alors u est diagonalisable. Rq. 58. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. On note n = dim E. IdE est diagonalisable. χIdE = (X − 1)n , donc χIdE a une et une seule racine, c’est 1. (C’était prévisible, l’identité a une et une seule valeur propre: 1). 1 est racine de χIdE avec la multiplicité n; donc 1 n’est pas racine simple de χIdE lorsque n ≥ 2. 7) Diagonalisation d’une matrice carrée. Déf. 59. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). On dit que A est diagonalisable si A est semblable à une matrice diagonale de Mn (K). Rq. 60. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Si A est diagonale, alors A est diagonalisable. Rq. 61. Soit n ∈ N∗ . Soit A, B ∈ Mn (K). On suppose que A et B sont semblables. Alors A est diagonalisable ssi B l’est. Prop. 62. Soit E un K-ev de dimension finie non nulle. Soit u ∈ L(E). Les assertions suivantes sont équivalentes: i) u est diagonalisable. ii) pour toute base e de E, Mat(u, e) est diagonalisable. iii) il existe une base e de E telle que Mat(u, e) soit diagonalisable. Rq. 63. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). Alors A est diagonalisable ssi ϕA l’est. Rq. 64. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). On suppose que A est diagonalisable. Alors χA est scindé dans K. Prop. 65. Soit n ∈ N∗ . Soit A ∈ Mn (K). On suppose que χA est scindé dans K et que ses racines sont simples. Alors A est diagonalisable. Rq. 66. Soit A = diag(1, 0, 1) ∈ M3 (K). A est diagonale, donc diagonalisable. 1 est racine double de χA . 6