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« Quand il y en a un ça va… » : caractère privé des
propos incriminés
le 14 décembre 2012
PÉNAL | Presse et communication
Un propos injurieux, même tenu dans une réunion ou un lieu publics, ne constitue le délit d’injure
que s’il a été « proféré » au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenu à haute voix
dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public ; à défaut, il constitue une
contravention qui ne permet pas aux associations habilitées d’exercer les droits de la partie civile.
Crim. 27 nov. 2012, F-P+B, n° 11-86.982
Les délits de presse commis par la parole sont de loin ceux à l’occasion desquels les contestations
sur la teneur, le sens et la portée des propos ainsi que sur les circonstances de la publicité ou son
absence sont les plus fréquentes et parfois les plus délicates à trancher (Rép. pén., vo Presse
[procédure], par Guerder, no 515). L’arrêt du 27 novembre 2012 en offre une nouvelle illustration,
dans une affaire très médiatisée impliquant un ancien ministre.
Le ministre en question tint les propos suivants, enregistrés et diffusés par les médias, en se
référant à l’origine arabe prêtée à l’un de ses interlocuteurs : « Ah mais ça ne va pas du tout, alors,
il ne correspond pas du tout au prototype alors. C’est pas du tout ça[…] Il en faut toujours un.
Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ». L’intéressé fut
cité devant le tribunal correctionnel à la requête du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour
l’amitié entre les peuples) sous la prévention d’injures publiques envers un groupe de personnes à
raison de leur origine (L. 29 juill. 1881, art. 33). Le prévenu fut relaxé pour le premier propos et
condamné par le second, qui fut cependant requalifié en contravention d’injure raciale non
publique. Saisie par les parties et le ministère public, la cour d’appel (Paris, 15 sept. 2011) confirma
la nature contraventionnelle des faits et, relevant que l’injure non publique ne figurait pas dans la
liste des infractions permettant aux associations habilitées d’exercer les droits de la partie civile,
prévue à l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881, elle jugea que le prévenu devait être mis hors de
cause.
Statuant sur le pourvoi formé par le MRAP qui contestait, en un unique moyen fondé sur la violation
des articles 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), R. 624-4 du
code pénal, 23, 33 et 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 et du principe du droit d’accès au juge, le
caractère privé des propos poursuivis et l’irrecevabilité de sa constitution de partie civile, la
chambre criminelle approuve les conclusions de l’arrêt entrepris. Sur l’élément de publicité, tout
d’abord, la haute cour rappelle qu’« un propos injurieux, même tenu dans une réunion ou un lieu
publics, ne constitue le délit d’injure que s’il a été "proféré" au sens de l’article 23 de la loi sur la
presse, c’est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre
public » ; elle répond ainsi à la partie civile qui prétendait que la présence d’une ou plusieurs
personnes étrangères au groupement constitué par les militants UMP, précisément des journalistes,
avait conféré un caractère public à la diffusion des propos injurieux. Sur la recevabilité d’action
civile de l’association, ensuite, la chambre criminelle se contente d’énoncer que « le droit d’agir
reconnu aux associations habilitées par l’article 48-1 de la même loi n’est prévu que pour les délits
limitativement énumérés par ce texte » ; le MRAP, sur ce point, se prévalait d’une méconnaissance
du droit d’accéder à un juge, garanti par l’article 6, § 1er, précité, qui ne pouvait que céder face au
principe de légalité.
L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 vise les crimes et délits notamment commis « par des
discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics », et il appartient à la Cour de
cassation de constater si la publicité, élément constitutif de certaines infractions de presse (dont
l’injure publique qui, lorsqu’elle présente un caractère racial, est incriminée à l’art. 33, al. 3, de la L.
du 29 juill. 1881 et assortie d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 22 500 € d’amende),
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se trouve établie (Crim. 2 juin 1964, Bull. crim. no 191 ; 5 oct. 1993, ibid. no 276). Il résulte de la
jurisprudence que certains lieux sont considérés comme publics par nature tandis que d’autres le
sont de façon occasionnelle seulement ; dans le premier cas, les propos tenus à haute voix
bénéficient d’une présomption de publicité (Crim. 15 mars 1983, Bull. crim. no 82 ;RSC 1984. 320) ;
dans le second, les lieux et les propos qui y sont tenus ne deviennent publics qu’en raison de
circonstances particulières appréciées par le juge (V., par ex., Crim. 9 janv. 1948, Bull. crim. no 9).
L’élément de publicité est également reconnu si les destinataires des propos ne sont pas liés par
une communauté d’intérêts (Rép. pén., vo Injure, par Massis, Dupeux et Bourg, no 101 ; V., par ex.,
pour la diffusion d’un écrit au sein d’un parti politique qui ne constitue pas une distribution
publique, Crim. 27 mai 1999, no 98-82.461, Bull. crim. no 112 ;Dr. pénal 2000. Comm. 1, obs. M.
Véron).
Mais pour être réalisée, la publicité ne doit pas seulement emprunter l’une des voies prévues par
l’article 23, elle doit encore être intentionnelle : l’élément de publicité ne peut être retenu que s’il
existe une intention coupable de rendre publics les propos incriminés. Ainsi, même tenus dans un
lieu public, des propos injurieux ne constitueront pas le délit d’injure publique s’ils ont été tenus
sans volonté de publicité (T. Massis et alii, art. préc., no 107 ; V. Paris, 17 oct. 1956, Gaz. Pal. 156.
2. 268). C’est ce principe qui est rappelé dans l’arrêt commenté, la chambre criminelle relevant
l’absence de volonté de l’auteur des propos injurieux de les « proférer » au sens de l’article 23
précité. Cette absence d’intention coupable au sens de l’article 121-3, alinéa 1er, du code pénal a
pour double conséquence logique de faire tomber les propos injurieux (par ailleurs caractérisés en
tous leurs éléments) sous la qualification contraventionnelle de l’article R. 624-4 du code pénal
(contravention de la 4e classe assortie des peines complémentaires prévues à l’art. R. 624-5) et
d’exclure l’action des associations de lutte contre le racisme (l’art. 48-1 visant les seuls délits de
discrimination, de diffamation et d’injure raciales ; sur les modalités de cette action, V. P. Guerder,
art. préc., nos 152 s.).
par Sabrina Lavric
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