Application dans le temps des lois modifiant la récidive

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Application dans le temps des lois modifiant la récidive
le 14 avril 2015
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Pénal
PÉNAL | Droit pénal général | Peine et exécution des peines
Concernant les condamnations prononcées par une juridiction pénale d’un autre État membre de
l’Union européenne, prises en compte en vertu de la loi du 10 mars 2010, il suffit, pour retenir l’état
de récidive, que l’infraction constitutive du second terme soit postérieure à l’entrée en vigueur de
cette loi.
Crim. 24 mars 2015, F-P+B, n° 15-80.023
En l’espèce, un homme avait été mis en accusation devant la cour d’assises des Deux-Sèvres du
chef, notamment, de viols aggravés en récidive. Il avait interjeté appel de l’ordonnance de mise en
accusation et la chambre de l’instruction avait confirmé l’ordonnance. L’accusé avait donc formé un
pourvoi au terme duquel il critiquait, d’une part, les motifs retenus par la chambre de l’instruction
et, d’autre part, l’état de récidive légale qui avait été retenu.
La Cour de cassation, estimant que la chambre de l’instruction avait répondu aux articulations
essentielles du mémoire dont elle était saisie et relevé qu’il existait des charges suffisantes pour
ordonner son renvoi devant la cour d’assises, rejette le pourvoi. Elle rappelle, pour ce faire, que «
les juridictions d’instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la
personne mise examen sont constitutifs d’une infraction ». Quant à l’étendue de sa propre
compétence, la Cour précise qu’elle n’a « d’autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits
établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ». Il est en effet constant que
la chambre de l’instruction est souveraine pour apprécier, au point de vue du fait, l’existence des
charges, à la condition que les motifs de son arrêt soient exempts d’insuffisance ou de
contradiction (V., not., Crim. 17 sept. 1997, n° 97-83.617, Bull. crim. n° 302 ; D. 1997. 233 ; RSC
1998. 325, obs. Y. Mayaud ).
Par ailleurs, le mis en examen critiquait l’état de récidive légale qui avait été retenu car l’infraction
constituant le premier terme de la récidive avait fait l’objet d’une condamnation en Allemagne, le
15 décembre 2004. Or, indiquait le mis en examen, la possibilité pour les juridictions nationales de
prendre en compte les condamnations prononcées par un autre État membre avait été introduite
dans le code pénal (art. 132-23-1) par la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010, soit postérieurement à
sa première condamnation. La chambre criminelle rejette ce moyen en indiquant que, « du fait de
l’application immédiate de l’article 132-23-1 du code pénal issu de la loi du 10 mars 2010 prenant
en compte les condamnations prononcées par une juridiction pénale d’un autre État membre de
l’Union européenne, il suffit, pour retenir l’état de récidive, que l’infraction constitutive du second
terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur ».
La loi du 10 mars 2010 a mis en œuvre la décision cadre 2008/675/JAI en insérant dans le code
pénal un article 132-23-1 aux termes duquel : « Pour l’application du présent code et du code de
procédure pénale, les condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un État membre de
l’Union européenne sont prises en compte dans les mêmes conditions que les condamnations
prononcées par les juridictions pénales françaises et produisent les mêmes effets juridiques que ces
condamnations ». L’entrée en vigueur de cette disposition a été fixée au 1er juillet 2010 (et
repoussée au 1er avril 2012 s’agissant de la réhabilitation). Il est bien évident que la prise en
compte des décisions prononcées par des juridictions étrangères produit ses effets, notamment, en
matière de récidive.
La question posée à la Cour de cassation était celle de l’application dans le temps de ces
dispositions qui conduisent à aggraver la situation du prévenu en prenant en considération, pour la
récidive, les condamnations prononcées par une juridiction étrangère. En l’espèce, le premier terme
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de la récidive était constitué par une condamnation prononcée en 2004 et le second terme par des
faits commis après l’entrée en vigueur du dispositif. En considérant que la disposition est
d’application immédiate, la Cour de cassation se situe dans la droite lignée de sa jurisprudence.
Cette position s’explique, selon la Cour, par le fait que l’aggravation de la peine résultant de la
récidive se rattache à la commission de la seconde infraction et est indépendante de la première
(V. Crim. 31 août 1893, cité in Rép. pénal, v° Récidive, par M. Herzog-Evans, n° 202). La formule
utilisée, dans l’espèce commentée, est d’ailleurs en tout point similaire à sa jurisprudence
antérieure (V. Crim. 29 févr. 2000, n° 98-80.518, Bull. crim. n° 95 ; D. 2000. 107 ; RSC 2001. 167,
obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; Dr. pén. 2000. 37, chron. Marsat). Reste que cette solution parait
peu conforme au texte de l’article 112-2 du code pénal qui limite, en matière pénale, l’application
immédiate à certaines hypothèses, à savoir les lois de compétence et d’organisation judiciaire, les
lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure, les lois relatives au régime
d’exécution et d’application des peines ainsi que les lois relatives à la prescription de l’action
publique et à la prescription des peines. Celles relatives à la récidive n’entrent donc dans aucune
de ces catégories, tant et si bien que, lorsqu’une loi nouvelle aggrave la situation du prévenu, elle
ne devrait pas rétroagir (V., pour une critique de la position de la Cour de cassation, RSC 2001. 167,
obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, art. préc.). La Cour de cassation, en soulignant qu’il dépend de
l’agent de ne pas commettre l’infraction constitutive du second terme, semble estimer que la loi
était prévisible pour l’agent et, partant, qu’est respecté le principe de légalité selon lequel une loi
pénale n’est légitime que si elle prévient avant de réprimer.
Force est donc de constater que, malgré les critiques doctrinales, la chambre criminelle reste
fermement campée sur ses positions, lesquelles sont d’ailleurs confortées par la jurisprudence
européenne (V. CEDH, gde ch., 29 mars 2006, Achour c. France, req. n° 67335/01, D. 2006. 2513,
et les obs. , note D. Zerouki-Cottin ; ibid. 1649, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi et
S. Mirabail ; Just. & cass. 2008. 215, étude K. Guermonprez-Tanner ; AJ pénal 2006. 215 ; ibid.
360, obs. C. Saas ; RSC 2006. 677, obs. F. Massias ).
par Lucile Priou-Alibert
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