Complexe de Pick : éliminer la confusion au sujet de la maladie de Pick et de la démence par atrophie fronto-temporale Les progrès des techniques diagnostiques se sont traduits par des taux croissants de diagnostic d’affections comme l’atrophie frontale et temporale. Malgré tout, il reste difficile de reconnaître et de distinguer les syndromes cliniques de ces affections et d’autres affections connexes. Cependant, un des moyens de mieux les comprendre serait de définir une nouvelle terminologie pour classer et pour relier ces troubles. par Andrew Kertesz, M.D., FRCPC L e terme « maladie de Pick » désigne des cas cliniques bien définis de dégénérescence frontale et temporale progressive, telle que décrite par Arnold Pick.1 Ce même terme désigne une entité pathologique définie, du point de vue histologique, par la Le Dr Kertesz est professeur au Département de sciences neurologiques cliniques de la University of Western Ontario et directeur du Cognitive Neurology and Alzheimer Research Center au St. Joseph’s HealthCare – St. Joseph’s Hospital de London (Ontario). présence d’inclusions globulaires argyrophiles (corps de Pick) et des neurones achromatiques gonflés (cellules de Niemann-Pick). Lorsque Pick a décrit pour la première fois le cas d’un patient atteint d’une aphasie progressive accompagnée d’un trouble du comportement et, plus tard, d’autres cas de démence par atrophie du lobe frontal avec aphasie, il a déterminé seulement les caractéristiques anatomiques, définissant plus tard les caractéristiques histologiques. Par la suite, dans des cas de maladie de Pick d’importance clinique, associée à une atrophie frontale et temporale, les autopsies ont révélé l’absence des caractéristiques histologiques types à l’autopsie. Après avoir passé en revue un grand nombre de leurs propres cas, Constantinidis et ses collègues2 ont établi la classification suivante de la maladie de Pick : a) maladie de Pick accompagnée de corps de Pick; b) maladie de Pick accompagnée seulement de neurones gonflés; c) maladie de Pick accompagnée seulement d’une gliose et d’une perte de neurones. De l’avis de ces chercheurs, « malgré les dissemblances entre ces formes de la maladie de Pick, compte tenu de l’absence de connaissances suffisantes au sujet de la pathogenèse, il [était] sage [...] de préserver le caractère unique de l’entité de Pick ». De nombreux autres articles publiés plus tard sur la maladie de Pick étaient fondés sur les conclusions de l’autopsie, et les caractéristiques cliniques et variables étaient obtenues de manière rétrospective. Cette situation a alimenté l’idée que la maladie de Pick est difficile à diagnostiquer in vivo. Démence fronto-temporale Grâce à la neuroimagerie, la présence d’une atrophie fronto-temporale a pu être démontrée de plus en plus souvent chez des sujets vivants. Par contre, au lieu d’axer de nouveau le diagnostic de maladie de Pick vers le tableau clinique, des auteurs d’études plus récentes ont conçu de nouvelles appellations, par exemple, « démence de type lobe frontal » ou « démence frontale ». Les groupes ayant décrit l’entité « démence de type lobe frontal » sont ensuite arrivés avec un autre néologisme, soit la dégénérescence fronto-temporale.3 Tous ces chercheurs reconnaissaient par ailleurs que le syndrome clinique est identique : les patients présentent des corps de Pick ou seulement une perte de neurones et une gliose. Ils évaluaient à 20 % l’incidence des démences La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Mars 2001 • 5 Glossaire Démence fronto-temporale. Maladie de Pick d’importance clinique ou complexe de Pick. Cette appellation décrit également un tableau clinique incluant l’apathie et la désinhibition ou une pathologie sans corps de Pick. Elle a remplacé le terme « démence de type lobe frontal ». En plus des formes avec apathie et désinhibition, on distingue aussi la forme avec stéréotype compulsif dans le tableau clinique initial. Corps de Pick. Inclusions compactes, rondes, argyrophiles, dans le gyrus dentatus et le néocortex. Certains auteurs sont d’avis que ces inclusions définissent la maladie de Pick, mais on observe divers types d’inclusions dans le complexe de Pick et, parfois, l’absence d’inclusion, alors que le syndrome clinique est le même. Cellules de Niemann-Pick. Neurones gonflés. Les cellules de Pick sont une caractéristique de toutes les composantes du complexe de Pick, et ces neurones gonflés ont d’abord été définis dans la maladie de Pick, mais plus tard, comme un signe cardinal de la dégénérescence cortico-basale. On observe également dans toutes les composantes du complexe de Pick une spongiose des couches superficielles du cortex, une gliose et une perte de neurones. Aphasie progressive primaire. Syndrome initial faisant également partie du complexe de Pick ou de la maladie de Pick d’importance clinique. Plusieurs pathologies sont associées, tout comme dans la démence fronto-temporale. On observe chez le patient une aphasie d’évolution lente avant l’apparition de tout autre symptôme. Le discours, d’abord amnésique, devient de plus en plus réduit. Démence sémantique. L’aphasie sémantique, c’est-à-dire une forme d’aphasie sensorielle transcorticale dans laquelle le discours n’est pas réduit et qui est caractérisée par une difficulté à comprendre et à nommer, mais avec la préservation de la fluidité du discours et de la syntaxe. L’incapacité de donner un sens touche aussi les stimuli visuels. Dégénérescence cortico-basale. Forme extrapyramidale de la maladie de Pick. Définie, du point de vue clinique, par des symptômes extrapyramidaux unilatéraux, une apraxie et le syndrome de la « main extra-terrestre », chez de nombreux patients, on observe des caractéristiques de démence fronto-temporale et d’aphasie progressive primaire et des syndromes cognitifs d’emblée présents. Par conséquent, l’entité pathologique de dégénérescence cortico-basale ainsi que le syndrome clinique de dégénérescence cortico-basale font partie du complexe de Pick. Paralysie pseudo-bulbaire progressive. Forme de paralysie reliée à la dégénérescence cortico-basale des points de vue pathologique, génétique et clinique. Démontrée par des recherches récentes, cette relation est importante, mais controversée. Démence reliée à une SLA. D’abord décrite comme une entité distincte, caractérisée par la présence d’inclusions particulières, tau-négatives et synucléine-négatives et ubiquitinepositives, forme de démence ayant permis de constater qu’il y avait un changement important entre ces cas et d’autres composantes du complexe de Pick. Ce ne sont pas tous les patients qui présentent les inclusions caractéristiques, et on observe parfois ces inclusions en l’absence d’une SLA. FTDP-17. Démence fronto-temporale et parkinsonisme reliés au chromosome 17. Dans la plupart de ces familles, les sujets présentent des mutations de la protéine tau, mais d’autres n’en présentent pas ou, encore, sont atteints d’une pathologie tau-négative. Complexe de Pick. Maladie de Pick d’importance clinique englobant tous les syndromes de démence fronto-temporale, d’aphasie progressive primaire, de dégénérescence cortico-basale et toutes leurs variétés pathologiques, y compris la maladie de Pick, la dégénérescence cortico-basale, la démence sans histologie distincte et la démence reliée à une SLA. dégénératives. Une importance prépondérante était accordée aux troubles du comportement et, aujourd’hui, le terme « dégénérescence fronto-temporale » est utilisé pour désigner le syndrome de démence avec apathie et désinhibition ainsi que comme synonyme de la maladie de Pick. Aphasie progressive primaire Le même phénomène de création d’un nouveau terme pour désigner la maladie 6 • La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Mars 2001 de Pick est survenu lorsque des chercheurs ont classé l’aphasie progressive primaire comme une entité distincte.4 Il faut savoir toutefois que dans plusieurs cas subséquents (et antérieurs) d’aphasie progressive primaire, on avait mentionné la présence de corps de Pick. Dans d’autres cas encore, le tableau histologique incluait une gliose, une perte de neurones et une spongiose des couches II et III du cortex, caractéristiques identiques à celles décrites dans la démence de type lobe frontal, ainsi que des lésions sous-corticales avec une achromasie neuronale semblable à celle décrite dans la dégénérescence cortico-basale.5 La forme d’aphasie progressive primaire avec discours réduit entraîne souvent un mutisme qui ne peut être distingué de celui de la démence frontale. D’autres aspects du langage sont ensuite touchés, particulièrement des changements du comportement évoquant un déficit du lobe frontal. De plus, on observe parfois des complications extrapyramidales et une sclérose latérale amyotrophique (SLA). Il existe aussi une forme intéressante, caractérisée par la préservation de la fluidité du discours et de la syntaxe, mais avec une perte de la compréhension sémantique, forme dite « démence sémantique ».6 Syndrome de dégénérescence cortico-basale Plusieurs cas de maladie de Pick ont été décrits chez des personnes qui présentaient des caractéristiques extrapyramidales. Les chercheurs ont alors reconnu que des altérations sous-corticales surviennent dans la maladie de Pick, même en l’absence de symptômes extrapyramidaux. Lorsque Rebeiz et ses collègues7 ont décrit la dégénérescence du cortex, du gyrus dentatus et du locus niger, ils ont reconnu que cette pathologie était semblable à la maladie de Pick. Plus tard, le syndrome apraxique extrapyramidal, avec paralysie du regard et « main extra-terrestre » (alien hand syndrome), a été désigné par un néologisme : la dégénérescence cortico- basale8 ou dégénérescence ganglionnaire corti- Syndrome clinique du complexe de Pick Démence frontale Aphasie progressive primaire Dégénérescence cortico-basale SLA SLA SLA : sclérose latérale amyotrophique (peut se manifester dans l’une ou l’autre des composantes de ce complexe). Figure 1 Le concept unificateur du complexe de Pick co-basale. La plupart des patients atteints d’une dégénérescence corticobasale manifestent un trouble du langage qui ressemble à l’aphasie progressive primaire et à la démence frontotemporale, les deux syndromes se chevauchant de façon importante. On reconnaît que les descriptions pathologiques et cliniques de la dégénérescence cortico-basale ne correspondent pas entièrement. Il serait donc utile de faire une distinction entre le syndrome apraxique extrapyramidal qui se manifeste par des signes cliniques, le syndrome de la dégénérescence cortico-basale et l’entité pathologique de la dégénérescence cortico-basale (voir ci-dessous). Démence reliée à une SLA Depuis peu, les chercheurs portent un grand intérêt à la relation entre la démence et la SLA. Dans un premier temps, cette relation a été décrite dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob, mais il semble aujourd’hui que plusieurs de ces patients n’étaient pas atteints d’une maladie à prion, mais plutôt d’une dégénérescence fronto-temporale s’accompagnant de changements spongiformes des couches superficielles du cortex. D’ailleurs, un nombre croissant d’articles sont publiés sur cette question, touchant, par exemple, des patients atteints d’une dégénérescence frontotemporale et d’une aphasie progressive primaire et présentant une SLA ainsi que des cas de SLA s’accompagnant d’une démence. Des auteurs ont récemment laissé entendre que des cas de dégénérescence fronto-temporale accompagnée d’une SLA présentent des inclusions neuronales spécifiques, négatives pour les protéines tau et synucléine et positives pour l’ubiquitine. Néanmoins, la spécificité de ces caractéristiques a été remise en question par plusieurs descriptions de cette pathologie ne s’accompagnant pas d’une SLA et de plusieurs autres cas de maladie de Pick ou de dégénérescence fronto-temporale accompagnée d’une SLA, mais en l’absence d’inclusions ubiquitine-positives. Formes neuropathologiques Il y a peu de temps encore, la présence ou l’absence de corps de Pick et de neurones gonflés ainsi que leur distribution servait à la classification de sousgroupes. La coloration différentielle à l’aide d’épitopes phosphorylés (tau, ubiquitine, cristalline αB et Gallyas) a permis de distinguer, plus ou moins clairement, les formes de pathologie suivantes : 1) Démence accompagnée de corps de Pick, définie par la présence de corps de Pick argyrophiles, tau-immunoréactifs, dans le gyrus dentatus de l’hippocampe ainsi que dans d’autres territoires néocorticaux et sous-corticaux présentant des neurones gonflés (cellules de Pick), une gliose et des altérations spongiformes dans les couches II et III du cortex (maladie de Pick); 2) Gliose et perte de neurones, avec ou sans spongiose, ou présence de neurones gonflés dans les couches profondes, forme également appelée « démence sans histologie distinctive »; 3) Dégénérescence cortico-basale caractérisée par des neurones gonflés, des plaques astrocytaires Gallyas-positives et tau-immunoréactives, des filaments argyrophiles dans la substance blanche, le cortex et les noyaux gris, et une globose ou amas neurofibrillaires en anneaux dans le locus niger (inclusions cortico-basales) (dégénérescence cortico-basale); 4) Inclusions cytoplasmiques, tau et synucléine-négatives, ubiquitine- La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Mars 2001 • 7 positives dans le gyrus dentatus et d’autres régions corticales et souscorticales, avec ou sans SLA, telles qu’elles sont décrites ci-dessus. Puisque ces différentes formes se chevauchent du point de vue des caractéristiques morphologiques et de leur distribution et qu’elles ne sont pas spécifiques d’aucun phénotype clinique, il est encore trop tôt pour les considérer comme des entités distinctes. Complexe de Pick On a suggéré le terme « complexe de Pick » pour éliminer la confusion qui persiste lorsqu’on parle de maladie de Pick et de démence fronto-temporale.5 Le complexe de Pick est un concept qui permet d’unifier les syndromes cliniques de démence fronto-temporale, d’aphasie progressive primaire et de syndromes de dégénérescence corticobasale qui se chevauchent ainsi que leurs caractéristiques neuropathologiques sous-jacentes; cence fronto-temporale » et « démence fronto-temporale » ne tiennent pas compte d’une atteinte sous-corticale souvent présente, de la pathologie pariétale et de la symptomatologie extrapyramidale ni de la relation avec la SLA. Qui plus est, le terme « démence fronto-temporale » sème la confusion parce qu’il désigne l’aspect trouble du comportement de ce syndrome ou le syndrome dans son ensemble, y compris l’aphasie progressive primaire. Une confusion semblable était causée par l’utilisation du terme « maladie de Pick », expliquant pourquoi ces deux affections n’étaient pas diagnostiquées dans tous les cas. Traitement Le traitement de la maladie de Pick n’est pas encore défini. On avait d’abord cru que le métabolisme du zinc était anormal chez ces patients, mais le traitement à l’aide d’un chélateur s’est révélé inefficace. Plus récemment, l’expérience a Le complexe de Pick est un concept qui permet d’unifier les syndromes cliniques de démence fronto-temporale, d’aphasie progressive primaire et de syndromes de dégénérescence cortico-basale qui se chevauchent ainsi que leurs caractéristiques neuropathologiques sous-jacentes; ce concept met l’accent sur les points communs plutôt que sur les différences. de la protéine tau, mais les résultats ont été décevants. Génétique Des résultats de recherches récentes mettant en évidence une relation génétique avec le chromosome 17 q21-22 dans plusieurs familles nombreuses atteintes d’un trouble ressemblant beaucoup au complexe de Pick ont été décrits.9 La région commune du chromosome à tous ces sujets contient le gène pour la protéine tau qui stabilise le microtubule. Des chercheurs ont identifié plus de 20 mutations de la protéine tau et diverses caractéristiques phénotypiques. Cette découverte génétique apporte un argument puissant en faveur de l’unité de ce syndrome et évoque une pathogenèse possible. Des études biochimiques récentes sur le fractionnement de la protéine tau permettraient d’expliquer quelques-unes des variations de la pathologie et des manifestations cliniques, mais il est encore trop tôt pour relier les sous-types à certains tableaux cliniques. La cartographie génique, des études biochimiques et histochimiques aideront à mieux comprendre ce syndrome, mais on ne doit pas perdre de vue la cohérence clinique, pathologique et génétique et on doit se montrer prudent dans l’interprétation des différences. ce concept met l’accent sur les points communs plutôt que sur les différences. Il tient compte à la fois du chevauchement des caractéristiques pathologiques et cliniques, il évite de restreindre la pathologie et la symptomatologie clinique au cortex fronto-temporal et il reconnaît la relation avec la maladie de Pick (Figure 1). Les termes « dégénéres- montré que le traitement symptomatique de la nervosité, des comportements compulsifs à l’aide d’inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) ou de la trazodone chez des sujets atteints d’une démence fronto-temporale a été utile. Le traitement par le lithium a été essayé chez quelques patients parce qu’on croyait que cet agent influait sur la déphosphorylation Résumé Le diagnostic de démence fronto-temporale, ou maladie de Pick, est évoqué chez un patient, en général âgé de moins de 70 ans, qui présente des antécédents de désinhibition, de démence « frontale » ou d’aphasie progressive primaire et chez qui la neuroimagerie révèle une atrophie fronto-temporale. Ces patients devraient être orientés vers un centre de soins tertiaires. Références 1. Pick, A. Über die Beziehungen der senilen Hirnatrophie zur Aphasie. Prag Med Wchnschr, 1892; 17:165-7. 2. Constantinidis, J, Richard, J, Tissot, R. Pick’s disease - histological and clinical correlations. Europ Neurol, 1974; 11:208-17. 3. The Lund and Manchester Groups. Clinical and neuropathological criteria for frontotemporal dementia. J Neurol Neurosurg Psychiatry, 1994; 57:416-8. 4. Mesulam, MM. Slowly progressive aphasia without generalized dementia. Ann Neurol, 1982; 11:592-8. 5. Kertesz, A, Hudson, L, Mackenzie, IRA, et coll. The pathology and nosology of primary progressive aphasia. Neurology, 1994; 44:2065-72. 6. Snowden, JS, Goulding, PJ, Neary, D. Semantic dementia: a form of circumscribed cerebral atrophy. Behav Neurol, 1989; 2:167-82. 7. Rebeiz, JJ, Kolodny, EH, Richardson, EP Jr. Corticodentatonigral degeneration with neuronal achromasia. Arch Neurol, 1968; 18:20-33. 8. Gibb, WRG, Luthert, PJ, Marsden, CD. Corticobasal degeneration. Brain, 1989; 112:1171-92. 9. Wilhelmsen, K. Frontotemporal dementia is on the MAPt. Ann Neurol, 1997; 41:13940. 8 • La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Mars 2001