Le sens de l`observance. Ethnographie des pratiques

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Sciences Sociales et Santé, Vol. 25, n° 2, juin 2007
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Le sens de l’observance. Ethnographie
des pratiques médicamenteuses
de personnes hypertendues
Aline Sarradon-Eck*
Résumé. L’étude de l’expérience des traitements hypotenseurs met au
jour les logiques plurielles, sociales et symboliques, permettant de comprendre ce qui construit culturellement les pratiques médicamenteuses
des individus. Le suivi de l’ordonnance répond à des logiques d’imputation (mécanisme causal de l’hypertension artérielle, effets indésirables
des médicaments), des logiques d’appropriation (fidélisation au traitement, expérimentation, intégration du traitement dans la vie quotidienne)
et des logiques d’autorégulation (continuité du traitement, maîtrise du
corps et du traitement). L’observance est analysée dans la relation médecin-patient comme un comportement de soumission à l’autorité médicale,
mais aussi comme une manière d’objectiver la relation de confiance et de
renforcer l’identité professionnelle des généralistes.
doi: 10.1684/sss.2007.0201
Mots-clés : hypertension artérielle, relation médecin-patient, adhésion
thérapeutique.
* Aline Sarradon-Eck, anthropologue, CReCSS (Centre de Recherche Cultures, Santé,
Sociétés), Université Paul-Cézanne, (Aix-Marseille,U3), MMSH, 5, rue du Château de
l’Horloge, BP 647, 13094 Aix-en-Provence Cedex 2, France ;
e-mail : [email protected]
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Au cours des trois dernières décennies, les traitements antihypertenseurs ont permis une nette diminution des accidents vasculaires cérébraux
et des accidents coronaires. Cependant, les cliniciens sont souvent
confrontés à des hypertensions artérielles non-contrôlées (1), posant à la
fois un problème clinique, un problème de santé publique, en raison de
leurs risques de complications cardiovasculaires, et un problème économique car elles peuvent conduire à une inflation des prescriptions
(ANAES, 2000). Elles interrogent aussi les niveaux de l’observance thérapeutique (2) des personnes hypertendues (3). En effet, l’observance aux
hypotenseurs est considérée, du point de vue biomédical, comme « mauvaise » (Girerd et al., 1998 : 197). Dès lors, de très nombreux travaux cliniques et épidémiologiques se sont attachés à évaluer l’observance aux
hypotenseurs, procédure complexe et discutable (4) qui mesure le degré
d’observance à un temps T du traitement. Dans une approche prédictive,
des facteurs limitant l’observance (caractéristiques sociodémographiques,
facteurs liés aux traitements et à sa prise, facteurs psychologiques) ont été
recherchés.
(1) L’objectif du traitement est actuellement, selon les recommandations de l'ANAES
(2000), d’abaisser la pression artérielle en dessous de 140/90 mmHg chez les personnes de moins de 60 ans, et en dessous de 160 mmHg chez les personnes de 60 à 80 ans
indépendamment de la pression diastolique. En France, une étude en cours de la
CNAMTS suggère que, pour 47 % des personnes hypertendues traitées en 2000, bénéficiant de l’exonération du ticket modérateur pour hypertension artérielle sévère, le
contrôle tensionnel n’est pas atteint (Guilhot et al., 2002).
(2) Nous entendons par observance thérapeutique le degré d’application des prescriptions médicales par le malade : posologie, nombre de prises, horaires des prises, durée
du traitement, recommandations corrélées. L’observance est quantifiée en pourcentage
exprimant le degré ou le niveau d’observance du malade.
(3) De récentes études cliniques suggèrent que l’observance insuffisante des traitements hypotenseurs serait responsable de deux tiers des hypertensions artérielles non
contrôlées (Wuerzner et al., 2003)
(4) Quantifier l’observance nécessite que l’on fixe un taux seuil en dessous duquel, soit
le traitement n’est plus efficace, soit des complications apparaissent (pharmacorésistance, par exemple). Ce seuil n’a pas fait l’objet d’étude précise pour les traitements
hypotenseurs. Il est classiquement admis dans la littérature, depuis les travaux de Haynes
et al. (1976), que le seuil minimal d’observance thérapeutique pour obtenir un contrôle
de la pression artérielle est de 80 % de la dose de médicaments ingérés. Mais cette définition d’un seuil de l’observance de 80 % est reconnue arbitraire, ne s’appuyant pas suffisamment sur des corrélations avec la mesure de la pression artérielle (Ebrahim, 1998).
De plus, elle ne tient pas compte des nouvelles formes galéniques (monoprise, libération
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Les analyses historiques de la littérature médicale sur l’observance
de Trostle (1988) et, plus récemment, de Lerner (1997), montrent que les
approches médicales du respect de l’ordonnance, qui se justifient par des
préoccupations cliniques ou de santé publique, sont traversées par des
dimensions symbolique, idéologique et économique. Ces auteurs soulignent que l’histoire du concept d’observance (compliance) reflète celle de
l’exercice du monopole professionnel d’un pouvoir et d’un contrôle dans
le domaine de la santé et des soins, et renvoie à une idéologie de l’autorité des médecins et des professionnels de santé (Trostle, 1988). Ainsi, le
concept d’observance traduit la norme de comportement que le malade
doit adopter face à la prescription médicale, la non-observance étant alors
une déviance (Donovan et Blake, 1992) et l’étiquette « non-observant »
est invariablement critique et porteuse de jugement normatif (Lerner,
1997).
Les sciences sociales ont porté un regard critique sur l’approche
médico-centrée de l’observance. Par exemple, Ross (1991) a montré que
la mise en cause du patient « non-observant » est une simplification qui
occulte un défaut de communication soignant-soigné et un manque de
connaissance de la part des soignants des difficultés rencontrées par les
patients dans le suivi des traitements. Desclaux (2003) a montré l’importance, au Sénégal, des déterminants institutionnels (approvisionnement en
médicaments, fonctionnement des services, modalités de suivi des
patients, cultures professionnelles) dans l’inobservance des antirétroviraux. Plus généralement, les recherches en sciences sociales sur l’observance thérapeutique (et notamment depuis l’épidémie de sida) ont montré
les limites des « hypothèses mécanistes et simplificatrices qui voudraient
prédire et contrôler de manière stable et définitive le rôle de facteurs isolés sur le comportement d’observance » (Morin, 2001 : 17). Elles ont
insisté sur la complexité et la variabilité de la relation entre les facteurs
sociaux ou culturels et le degré d’observance (Chesney et al., 2000), et sur
le caractère dynamique de l’observance au cours du temps « se modulant
en fonction du vécu autour du traitement » (Spire et Moatti, 2000).
À la suite des travaux de Conrad (1985) et dans une approche centrée sur le patient, une partie des sciences sociales considère les divers
prolongée), ni des nouvelles molécules apparues depuis. Elle ne précise pas l’intervalle
minimal entre deux prises (une personne qui prendrait son traitement 8 jours sur 10, ou
24 jours consécutifs avec un arrêt de 6 jours consécutifs par mois est-elle suffisamment
« observante » ?). Elle ne précise pas, pour les bi- ou trithérapies, le seuil nécessaire pour
chaque hypotenseur. Il est ainsi difficile de mesurer « l’observance » des hypotenseurs,
et ses déterminants, alors que sa définition reste imprécise et arbitraire.
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degrés d’observance comme des stratégies propres qui régulent le rapport
des patients au médicament dans la vie quotidienne et leur consommation
médicamenteuse (Collin, 1999, 2002, 2003 ; Haxaire 2002 ; Lerner,
1997). Elles étudient les « pratiques médicamenteuses des malades » afin
de comprendre le sens du traitement pour le malade (Conrad, 1985), et
elles analysent l’expérience du traitement pour ce dernier (Ankri et al.,
1995 ; Desclaux, 2003 ; Wallach, 2004). Dans cette approche, il ne s’agit
pas de savoir quels sont les « bons » ou « mauvais » observants, mais de
« comprendre à quelles conditions sociales et culturelles se réalise ou non
le suivi de l’ordonnance » (Fainzang, 2001a : 34)
L’expérience des médicaments
Les premiers travaux en anthropologie du médicament, réalisés dans
les pays du Sud, ont montré, d’une part, que l’efficacité du médicament
faisait l’objet d’une construction culturelle (Etkin, 1988) et, d’autre part,
que les médicaments étaient aussi des marchandises et des objets sociaux
porteurs de significations multiples (Van der Geest et Whyte, 2003). Dès
lors, l’anthropologie du médicament questionne la place et le sens de l’objet-médicament dans le quotidien des malades et des soignants. Elle étudie les aspects relatifs au vécu des traitements, aux perceptions de leur
efficacité et de leurs effets secondaires, aux logiques sous-jacentes à l’automédication, à la sous-consommation ou à la surconsommation médicales et aux réinterprétations de l’ordonnance, en analysant les variations
locales du rapport entre le « médicament signifié et interprété par le
patient », la réalité de ses effets biologiques, et le « médicament socialisé » (Desclaux et Levy, 2003 : 11).
Dans les pays occidentaux, des travaux ont aussi montré que le mode
d’action des médicaments, leurs indications, leur efficacité et leurs effets
indésirables sont pensés par les usagers de la biomédecine selon des représentations culturelles du corps et de la physiologie (Blumhagen, 1980 ;
Britten, 1996 ; Fainzang, 2001a ; Haxaire, 2002 ; Helman, 1978 ; HeurtinRoberts et Reisin, 1992). Ces conceptions (mode d’action, efficacité,
effets indésirables) sont confrontées aux représentations collectives et
symboliques du médicament communes aux produits de la pharmacologie
moderne (Collin, 2002) ou spécifiques à chaque classe thérapeutique, et
réinterprétées dans le cadre des relations dynamiques entre les individus,
le système de soins et le corps social (Ankri et al., 2002 ; Collin 1999,
2002, 2003 ; Haxaire, 2002 ; Sow et Desclaux, 2002b).
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Dans cette perspective compréhensive, nous avons conduit une étude
ethnographique sur l’expérience des hypotenseurs par des hypertendus
(5), d’octobre 2002 à avril 2004, dans le Sud-Est de la France, en zone
rurale. L’enquête a associé des entretiens semi-directifs avec 68 personnes
traitées pour hypertension artérielle et une étude du discours d’une partie
de ces personnes (45) en situation de soins (consultation médicale). La
répartition des 68 personnes interviewées selon le genre (39 femmes et
29 hommes), et l’âge (de 40 à 95 ans, 52 d’entre eux ayant plus de 60 ans)
correspond à la prévalence de ce dysfonctionnement dans la population
française (Duhot et al., 2002). La plupart des personnes bénéficiaient de
l’exonération du ticket modérateur pour une affection de longue durée
(hypertension artérielle seule ou associée à d’autres pathologies) et toutes
étaient traitées à la date de l’enquête depuis plus d’un an. Notre approche
étant compréhensive, nous n’avons pas recherché de corrélations entre les
caractéristiques sociodémographiques et économiques (6) du groupe de
répondants et les résultats de l’enquête. Dans les entretiens, nous nous
sommes attachés à comprendre la gestion quotidienne de l’objet-médicament, ses liens avec les représentations de la maladie et du corps, l’expérience sociale du traitement (statut de malade, continuité du traitement et
contraintes sociales et matérielles inhérentes aux traitements).
En France, l’hypertension artérielle étant principalement prise en
charge par les médecins généralistes (Frérot et al., 1999), nous avons
conduit dans le même temps une ethnographie de la consultation de
11 médecins généralistes (3 femmes et 8 hommes), exerçant tous en zone
rurale ou semi-rurale, dans le même secteur géographique que les hypertendus interviewés. Notre souci a été, à l’intérieur d’une unité relative de
la pratique généraliste (soins primaires), de rechercher une diversité (âge,
genre, mode d’exercice seul/groupe, présence/absence de secrétariat,
(5) Cette étude, coordonnée par A. Sarradon-Eck et financée par la CNAMTS, a été
confiée au Programme anthropologie de la santé du CreCSS de l’Université PaulCézanne d’Aix-en Provence. Elle a été menée par A. Sarradon-Eck (PAS/CReCSS),
M. Faure (PAS/CReCSS), M.A. Blanc (LAMES), avec la participation de M. Egrot
(PAS/CReCSS) (Sarradon-Eck et al, 2004b).
(6) La majorité des répondants sont inactifs (retraités ou en invalidité). Ils sont issus
pour la plupart de milieux sociaux équivalents : agriculteurs exploitants : 9 % ; artisans, commerçants, chefs d’entreprise : 16 % ; cadres, professions intellectuelles supérieurs : 9 % ; professions intermédiaires : 7 % ; employés : 50 % ; ouvriers : 9 %. Le
niveau d’étude de la population est majoritairement faible : 79 % ont un diplôme inférieur au baccalauréat, dont 12 % de non-diplômés. Douze pour cent ont un niveau
équivalent au baccalauréat et 9 % ont un diplôme supérieur au baccalauréat.
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informatisation). L’observation directe de la pratique de ces médecins
(consultations, visites à domicile, temps hors soins), en continu pendant
une à deux semaines, a été complétée par des entretiens — semi-structurés et informels — avec ces médecins, et la participation à des séminaires
de formation continue de médecins généralistes. L’étude du contexte de la
prescription nous a ainsi permis d’appréhender les éléments organisationnels du système de soin (modalités de suivi des patients) et, en particulier,
les identités, rôles et cultures professionnelles des généralistes.
L’hypertension artérielle essentielle (c’est-à-dire sans cause
connue) n’est pas considérée comme une « maladie » dans le discours
scientifique, mais comme un facteur de risque cardiovasculaire (PostelVinay, 1996). Dysfonctionnement fréquent (8 millions de personnes traitées en France), l’hypertension artérielle n’est pas une affection
symptomatique ou invalidante du point de vue biomédical, en l’absence
de complication. Elle nécessite néanmoins un traitement et une surveillance médicale prolongés.
Le suivi de l’ordonnance et ses logiques
Les approches biomédicales, ou sociocognitives, postulent une rationalité uniquement fondée sur la logique avantage/désavantage, qui est une
logique biomédicale et non une logique populaire comme l’a démontré
Massé (1995). L’anthropologie de la santé a établi que les comportements
des malades jugés irrationnels du point de vue biomédical répondent à leur
propre rationalité dans la mesure où, comme l’écrit Fainzang (2001b),
« ils obéissent à d’autres logiques et qu’ils sont fonction de la perception
que le patient a de sa maladie et de l’efficacité de son traitement ». Mettre
en évidence ces logiques plurielles, sociales et symboliques permet de
comprendre ce qui construit culturellement les pratiques des individus.
Le savoir populaire sur la maladie et ses traitements n’est pas qu’une
somme de connaissances. Intégrant dans une causalité circulaire les causes de la maladie, les circonstances et les symptômes, il est un processus
de signification permettant à l’individu d’expliquer sa maladie (causalité,
mode d’action des traitements) et de lui donner un sens dans le contexte
biographique et social qui est le sien (Massé, 1997). Notre analyse s’inscrit dans une ethnologie de l’expérience, telle qu’elle a été théorisée par
Kleinman et Kleinman (1991) et Good (1998) dans le courant de l’anthropologie interprétativiste qui cherche à rendre compte de la maladie
comme une expérience humaine créatrice de sens, un ensemble d’unités
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de significations (7) ancrées dans l’histoire de vie du malade et associées
les unes aux autres par des relations de causalité et des logiques analogiques, chronologiques, métaphoriques ou symboliques.
L’ethnologie de l’expérience de l’hypertension artérielle et des traitements hypotenseurs nous a permis de construire le réseau sémantique de
l’hypertension artérielle. Elle montre la cohérence du savoir populaire et
des pratiques médicamenteuses qui, loin d’être irrationnelles (selon la
rationalité biomédicale), obéissent à des logiques d’imputation, des
logiques d’appropriation et des logiques d’autorégulation qui conditionnent l’adhésion aux traitements et le suivi de l’ordonnance autant que la
perception que les individus peuvent avoir du risque cardiovasculaire et
des moyens de réduction de ce risque. Aujourd’hui banalisée dans le discours médical et social, l’hypertension artérielle ne fait l’objet ni d’une
stigmatisation sociale, ni d’un discours politique, ni d’un discours associatif — il n’existait pas en France au moment de l’enquête d’associations
de patients hypertendus. Cette particularité de l’hypertension artérielle
peut expliquer la cohérence et l’homogénéité des discours recueillis et des
représentations qui leur sont associées.
Logiques d’imputation
Mécanisme causal et efficacité des médicaments
L’étude américaine de Blumhagen (1980) suggère que les entités
nosologiques populaires et les modèles étiologiques qui leur sont associés
(« Hyper-Tension » où l’élévation de la pression artérielle est imputée à
des facteurs psychosociaux comme le stress, et « Hyper-Pression » où l’élévation de la pression artérielle est imputée à des facteurs physiques ou
héréditaires) permettent aux malades d’interpréter leur expérience et d’organiser leurs conduites. D’autres auteurs soulignent que les patients définissant l’hypertension artérielle comme une « maladie des nerfs » sont
moins observants que ceux qui la perçoivent comme une « maladie du
sang » parce qu’ils considèrent que le médicament hypotenseur n’est pas
l’élément le plus important du traitement (Heurtin-Roberts et Reisin,
1992). Cela a également été observé aux Antilles (Dressler, 1982) où les
(7) L’ensemble organisé de ces associations d’unités de significations formant ce que
Good et Delvecchio-Good (1980) ont appelé les réseaux significations ou réseaux
sémantiques qui traduisent les ponts symboliques que l’individu établit entre les différents événements et expériences de sa vie, et le monde qui l’entoure.
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personnes qui attribuent leur dysfonctionnement au stress, comme un facteur « d’échauffement du sang », ont plus souvent recours aux thérapeutiques traditionnelles (tisanes). Dans notre étude, comme dans celle de
Haxaire réalisée en Basse-Normandie (2002), les nombreux individus qui
conçoivent l’hypertension artérielle comme un désordre des « nerfs » n’en
sont pas moins « observants ». Leur adhésion et leur degré d’observance
ne semblent pas influencés par leurs modèles étiologiques. En effet, les
étiologies populaires évoquées par les répondants — le « stress », le
« tempérament nerveux », l’hérédité, la vieillesse, l’alimentation et, dans
une moindre mesure, la ménopause et le climat — seules ou en association, n’interviennent pas directement dans la réinterprétation de l’ordonnance, contrairement aux représentations culturelles du corps et de la
physiopathologie.
Le réseau sémantique des hypertendus de cette étude qui relie les
symptômes ressentis par les personnes, les étiologies et les causes instrumentales par des logiques analogiques et métaphoriques, place le « sang »
au cœur de leurs représentations du corps et du mécanisme causal. Cellesci s’appuient sur une conception populaire mécaniste du corps comme une
machine hydraulique associant cœur-pompe, vaisseaux-tuyaux, débit-force
motrice. Cette conception a été décrite il y a dix ans par Durif-Bruckert
(1994) et semble toujours d’actualité pour le système cardiovasculaire dans
la population étudiée âgée, rappelons-le, de plus de 40 ans (52/68 individus ayant plus de 60 ans). La conception mécaniste du corps offre un cadre
d’interprétation des symptômes et du mécanisme causal de l’hypertension
artérielle dans le registre de la surpression, de la compression ou de la perte
de force motrice. Les mécanismes physiologiques qui font intervenir les
« nerfs » ne sont pas très explicites dans les récits, les nerfs ont le pouvoir
d’élever la pression sanguine par leur action sur le sang (« échauffement du
sang », interruption de la circulation sanguine). La relation entre sang et
nerf est étroite comme en témoigne le diagnostic populaire de « tension
nerveuse », véritable entité nosologique populaire, et l’analyse des catégories étiologiques populaires de l’hypertension artérielle qui, dans notre
étude comme dans les études américaines (Heurtin-Roberts, 1993, Wilson
et al., 2002) ou suédoises (Kjellgre et al., 1997), placent le « stress »
comme la première cause d’hypertension artérielle. « Stress » — qui dans
sa conception émique signifie la pression sociale et/ou un choc émotionnel
— et pression artérielle sont reliés par une logique métaphorique dans la
pensée populaire. En effet, le registre sémantique employé pour décrire
l’expérience corporelle est celui du débordement, de l’excès refoulé. La vie
sociale ou les émotions submergent l’individu qui ne peut plus faire face à
l’accumulation. L’hypertension artérielle est alors la métaphore de la pression sociale, ou encore la métaphore de l’inquiétude et des émotions.
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LE SENS DE L’OBSERVANCE
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Comme l’ont écrit Van der Geest et Whyte (1989), les métaphores
permettent de penser concrètement le corps, la maladie et de donner du
sens aux médicaments. Le médicament hypotenseur est alors appréhendé
par les interviewés comme un remède qui rétablit un équilibre interne,
conforte, assure et pérennise le bon fonctionnement de la machine corporelle. Réguler (la pression), fluidifier (le sang) et nettoyer (les vaisseaux),
éliminer (l’excès de liquide), dilater (les vaisseaux) et protéger le coeur
(« organe essentiel ») sont les principaux modes d’action des hypotenseurs
en correspondance avec la représentation mécanique profane du corps
dont il s’agit d’assurer la circulation des fluides. Cependant, leur action de
protection du cœur et de la vie est intimement liée à une représentation du
corps dans la société occidentale qui accorde une dimension symbolique
à l’organe cœur (Durif-Bruckert, 1994 ; Loux, 1979), organe protecteur et
à protéger spécifiquement au point qu’une personne nous parlait de ses
médicaments hypotenseurs comme des « médicaments de survie ».
Les représentations mécaniques et symboliques du mode d’action des
médicaments expliquent la hiérarchisation effectuée par certains hypertendus
dans l’observance des traitements, les médicaments perçus « pour le cœur »
étant pris plus régulièrement que ceux qui sont perçus comme étant secondaires : « Je n’ai jamais oublié mes médicaments pour l’hypertension par
contre il m’arrive d’oublier celui pour le sucre (...) Il est moins important, je
trouve, c’est moi qui dis ça (...) Le diabète, c’est le foie, le pancréas, alors
que l’hypertension, c’est le cœur et le cœur, c’est le moteur, il est irremplaçable » (homme, 73 ans, employé). La hiérarchisation s’applique aussi aux
diurétiques (8) qui ne sont pas pensés par certains comme un traitement spécifique de l’hypertension artérielle mais plutôt comme un « complément ».
En effet, le diurétique est souvent réinterprété par les interviewés comme un
« fluidifiant » permettant « d’alléger » ou « d’aérer » le sang, facilitant ainsi
sa circulation dans les vaisseaux sanguins, ou encore comme un médicament
« pour soulager les reins ». Dans ce dernier cas, leur action est considérée
comme « complémentaire » permettant d’évacuer un excès de liquide dans
le sang lors des épisodes d’élévation de la pression artérielle, à l’instar de la
saignée auxquels ils ont longtemps été associés dans la pensée savante (9).
(8) Il s’agit ici des diurétiques prescrits spécifiquement comme hypotenseurs par les
médecins traitants.
(9) Il faut insister sur l’âge des répondants à cette étude, dont la moyenne est élevée
(68,5 ans) ce qui signifie que la plupart ont connu l’époque où les médecins ne traitaient
que les hypertensions artérielles symptomatiques (c’est-à-dire sévères ou compliquées)
et où les moyens thérapeutiques étaient limités et peu efficaces. Les premiers essais thérapeutiques pour traiter l’hypertension artérielle légère à modérée (c’est-à-dire asymptomatique du point de vue médical) ont débuté en 1963 (Postel-Vinay, 1996).
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Ils sont alors perçus comme un traitement des hausses tensionnelles, et
non comme le traitement de base de l’hypertension artérielle, ce qui
génère chez certains un mésusage du médicament avec des prises irrégulières.
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Les effets indésirables
Les représentations du mode d’action des médicaments croisent la
représentation sociale du « médicament-poison ». Le médicament est un
objet dont de nombreux auteurs ont souligné, après Dagognet (1964),
l’ambivalence car il est le vecteur symbolique de la puissance de la
science et de la technique (Benoist, 1999) avec ses effets positifs — l’efficacité biologique — mais aussi dangereux par ses effets indésirables et
par la « dépendance » aux médicaments (Conrad, 1985 ; Haxaire et al.,
1998). Cette représentation s’accompagne d’une suspicion envers les
médicaments, produits chimiques « fabriqués en usine » (Britten, 1996).
Sous-tendue par une logique naturaliste, elle exprime la crainte d’une
transformation profonde du corps par des réactions chimiques plus ou
moins contrôlées, d’une rupture de l’équilibre entre l’homme et la Nature
par l’introduction de substances chimiques qui lui sont étrangères.
Comme les autres médicaments chimiques, les hypotenseurs sont
réinterprétés à travers des représentations que Collin (2002) appelle « la
théorie populaire critique face au médicament ». En effet, ils sont reconnus efficaces par les personnes hypertendues qui leur attribuent également
une toxicité intrinsèque au produit chimique, ressentie ou redoutée à travers les effets indésirables, exprimés parfois en termes d’empoisonnement
par quelques interviewés. D’où l’adhésion et la tolérance aux traitements
composés de comprimés de petite taille (« petit cachet », « petit rond »,
« un petit truc de rien du tout »), avec des prises restreintes, ou encore la
consommation des médicaments au cours du repas pour diminuer leur
nocivité digestive : « Pour l’estomac c’est mieux, il dérouille moins »
(homme, 57 ans, ouvrier). La limitation de la toxicité passe aussi par l’évitement des « mélanges détonants » avec d’autres médicaments ou avec
l’alcool : « Je ne vais quand même pas mélanger le vin avec les médicaments ! » (homme, 74 ans, artisan) c’est-à-dire du cumul des produits et
de la réaction chimique non contrôlée qui s’ensuivrait.
Les représentations des hypotenseurs croisent aussi une représentation sociale négative des médicaments génériques, partagée par les
patients (Fainzang, 2001a ; Holloway et al., 2002) et par les médecins
(Lagarce et al., 2005 ; Paraponaris et al., 2004) que nous retrouvons dans
les relevés ethnographiques : le générique est perçu comme une contrefa-
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çon, de moins bonne qualité et porteur d’effets indésirables (10). Ces derniers sont, pour toutes les personnes qui se sont exprimées sur ce thème,
de l’ordre du « malaise ». Cette symptomatologie, difficile à décrire et à
définir pour les personnes, apparaît alors comme une métonymie du médicament générique, les personnes interviewées ne connaissant ni son origine, sa composition : « Ils ne sont pas les mêmes ». De plus, en regard
des médicaments de marque appelés parfois par les répondants des
« médicaments traditionnels », l’appellation du générique le plus souvent
par son principe actif (11), accentue son étrangeté (il a un « nom barbare », nous dit un médecin). Elle enlève au médicament le contenu symbolique de la spécialité, et le charge d’un autre contenu symbolique. En
effet, les discours de méfiance et de scepticisme envers les génériques
contiennent aussi des prises de position des personnes qui relèvent du
politique dans lesquelles les génériques apparaissent comme le substrat de
la restriction économique et des inégalités sociales face à la maladie. Le
discours de cette dame de 63 ans, commerçante, reflète ces opinions critiques très souvent énoncées dans les salles d’attentes ou les cabinets de
consultation : « Le pharmacien m’a bien dit que c’était le même médicament que le Célectol® mais que si je voulais vraiment du Célectol®, je
paierais la différence. Je trouve que c’est un chantage. Non c’est vrai ! je
trouve que c’est du chantage. En plus, cela n’est pas comme ça que l’on
redressera la sécu, ce n’est pas vrai. Et comme d’habitude, c’est ceux qui
auront de l’argent qui pourront avoir ce qu’ils veulent. Comme d’habitude!!! »
Cette attitude critique des personnes interviewées est une formulation de l’opposition des usagers à un système qu’ils jugent injuste, à une
vision technocratique de la santé qui, selon eux, ne tient pas compte du
point de vue des patients. Le scepticisme exprimé envers les génériques
s’apparente aux stratégies décrites par Van der Geest et Whyte (2003) à
propos des médicaments pour formuler des oppositions « à quelque chose,
que ce soit le médecin, l’établissement médical, la technologie biomédicale ou le pouvoir des formes cosmopolites (de l’Occident) ».
(10) Par exemple : « J’ai le sentiment que les génériques sont moins efficaces, même
si c’est la même molécule » (homme, 66 ans, agriculteur) ; « J’ai eu des malaises avec
les médicaments génériques. Il y a quelque chose là-dedans qui ne me convient pas
dans les médicaments génériques. Ils ne sont pas les mêmes, ça, moi j’en suis sûre »
(femme, 63 ans, employée).
(11) Exemples de dénominations communes internationales : furosémide, aténolol,
celiprolol, propanolol.
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Logiques d’appropriation
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Fidéliser
Si, depuis 2002, la consommation des médicaments génériques ne
cesse de croître en France sous l’action conjuguée de mesures législatives
et incitatives envers les prescripteurs, les pharmaciens et les usagers, plusieurs hypertendus interviewés restent réticents au changement du médicament de marque pour un générique (12). Leurs discours sur les
génériques sont un miroir dans lequel apparaissent les opinions et les
attentes des personnes à l’égard des médicaments. Ces discours expriment
la confiance qu’elles accordent à « leur » hypotenseur dont elles ont expérimenté l’efficacité, souvent après de nombreux « essais », qu’elles « supportent » relativement bien et qu’elles ont l’habitude de prendre, ainsi
qu’une aspiration à une certaine « tranquillité » compromise par la substitution du produit princeps par un générique. Les génériques bouleversent
alors le processus de fidélisation construit au fil des ans avec le médicament. En effet, les personnes interviewées ont beaucoup insisté sur la
complexité de leur traitement et sur les « tâtonnements » des médecins
pour trouver « le bon traitement » qui leur est compatible. La notion de
compatibilité entre le médicament et l’individu est souvent évoquée par
les répondants pour expliquer la réussite thérapeutique (13). L’efficacité
des hypotenseurs est pensée, par les patients comme par les médecins
observés, comme une compatibilité entre un individu et un produit, et non
comme l’adéquation entre un dysfonctionnement et une action thérapeutique. Dès lors, une forme de personnalisation du traitement (« mes médicaments ») s’effectue qui peut être compromise par la substitution de
génériques aux médicaments de marque. De plus, cette substitution se fait
rarement par « un » médicament générique qui serait toujours le même,
mais par différentes marques selon l’approvisionnement de l’officine,
créant une perte de repères (nom, couleur et forme des comprimés) pour
les personnes traitées, et compromettant leur appropriation.
(12) Ce constat rejoint celui d’une étude quantitative réalisée en Espagne où les
patients atteints de pathologies chroniques sont réticents au changement d’une spécialité qu’ils ont adopté pour un médicament générique (Valles et al., 2003).
(13) La compatibilité est une notion souvent utilisée par les individus, dans des contextes culturels variés pour expliquer la réussite ou l’échec d’un médicament comme dans
les études sur les antirétroviraux au Sénégal (Sow et Desclaux, 2002b) ou les infections respiratoires aux Philippines (Hardon, 1994).
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Intégrer le médicament dans la vie quotidienne
La fidélisation au médicament se retrouve également dans les pratiques ordinaires des personnes qui intègrent la prise médicamenteuse
dans leurs activités quotidiennes, facilitant une pérennisation de son usage
comme cela a déjà été décrit pour les traitements au long cours (Ankri et
al., 1995 ; Fainzang, 2001a ; Sow et Desclaux, 2002a). Elle se traduit dans
une routinisation des prises, souvent organisées autour des repas. Les
médicaments hypotenseurs sont le plus souvent entreposés dans la cuisine
(14), ou au moins absorbés dans cet espace, de manière à être visibles, et
placés dans des objets du quotidien récupérés et détournés de leur fonction première (15). Le rangement dans la cuisine répond à une logique utilitaire (ne pas oublier la prise et pouvoir absorber le médicament avec un
liquide) mais aussi à une logique d’intégration du médicament comme un
objet qui a sa place aux cotés des objets de la vie de tous les jours. En
effet, selon Fainzang (2003), les lieux de rangement des médicaments correspondent aux différents modes de perception de l’objet qu’ils représentent et à l’importance qui leur est accordée. Le rangement dans la cuisine,
« espace social premier » témoigne ainsi de l’importance que leur donnent
les patients. Il signe, avec leur absorption au moment des repas, la relation
étroite entre les aliments et les médicaments. Dans le cas des hypotenseurs, la prise au moment des repas n’est pas une nécessité pharmacocinétique, ce que les hypertendus savent très bien. Il semble alors que,
comme cuisiner rend les aliments « culturellement comestibles »
(Fischler, 2001), consommer ses médicaments au cours du repas, c’est
peut-être aussi les rendre culturellement comestibles, c’est-à-dire assimilables : « Parce que ça se mélange avec ce qu’on mange » (femme,
50 ans), mais aussi domesticables : « Je déjeune, je prends un morceau de
pain, je prends une partie de mes médicaments, je continue de déjeuner et
puis je prends le reste : histoire qu’ils ne se retrouvent pas tous ensemble
en même temps. Après ils se retrouvent peut-être, ils font ce qu’ils veulent
mais moi j’évite de les prendre tous d’un coup. Les médicaments peuvent
avoir des effets les uns avec les autres, c’est pour ça que j’essaie de les
(14) Contrairement au reste de la pharmacie familiale qui est rangée dans un autre lieu
de l’habitation (salle de bains, chambre à coucher).
(15) Nous avons pu observer que les hypotenseurs, comme les médicaments pris tous
les jours pour d’autres maladies chroniques, sont rangés dans des boîtes de lessive
vides, dans des petits paniers en osiers, dans des boîtes en plastique pour aliments,
dans des sacs plastiques, ou encore dans d’anciennes boîtes de médicaments assez
grandes faisant fonction de « pharmacie du jour ».
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séparer. Et puis, il ne faut pas qu’ils se collent dans le tube digestif, alors
que si on a mangé, ils glissent tout seul » (homme, 68 ans, cadre).
L’absorption de nourriture, opération technique et symbolique,
limite l’indiscipline supposée des médicaments, leur toxicité et les rend
assimilables par l’individu. Mais la relation étroite entre les médicaments
et les aliments atteste aussi de l’acceptation du traitement par les patients
et leur adhésion à une thérapeutique nécessaire pour leur survie, comme
est nécessaire la consommation pluriquotidienne de nourriture.
Maîtriser le traitement
Les manières de ranger les médicaments et de les ingérer, les multiples astuces pour ne pas les oublier, et ce que Sow et Desclaux (2002a) ont
appelé « les habitus d’observance », traduisent le pragmatisme des individus. Néanmoins, elles révèlent aussi leur créativité dans l’utilisation
d’un produit imposé comme l’est le médicament, et son appropriation. En
effet, l’enquête révèle des « tactiques » des hypertendus, des « manières
de faire avec le médicament » (pour paraphraser De Certeau, 1998) afin
de se réapproprier son usage à sa façon et non de faire comme la rationalité médicale l’ordonne comme, par exemple, l’interruption du traitement
hypotenseur lors des fins de semaine. Celle-ci est souvent décrite dans la
littérature biomédicale sous le terme de « congés thérapeutiques »
(Urquhart, 1997). Elle est considérée par les épidémiologistes et les cliniciens comme un « oubli » pouvant être responsables de sous-dosages,
voire d’effets rebonds avec leurs conséquences cliniques graves (Burnier
et al., 1997). Or, notre étude montre que ces « repos thérapeutiques » ne
sont pas dus à des « oublis » mais à un choix délibéré des personnes
hypertendues qui s’accorde avec le besoin d’effacer temporairement la
maladie quelques heures par jour ou quelques jours par an : « De toute
façon j’y pense tous les jours à les (hypotenseurs) prendre. Cela m’arrive
volontairement qu’un dimanche sur deux, je ne les prenne pas, volontairement (...) Comme ça. Je ne sais pas pourquoi mais souvent le dimanche
volontairement, je ne les prends pas. Ce n’est pas un oubli. C’est une journée de repos complet quoi ! Est-ce que c’est pour reposer mon estomac ?
Je n’en sais rien. Sinon, je prends toujours très régulièrement mon traitement, tous les matins après le petit déjeuner » (homme, standardiste,
54 ans).
Nous pouvons alors émettre l’hypothèse que le « repos thérapeutique » pérennise l’usage du médicament — et renforce peut-être l’observance au long cours — parce qu’il est une rupture transitoire dans la
répétition quotidienne des activités permettant de supporter la monotonie
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de la routinisation, mais également parce qu’il favorise l’appropriation de
l’objet-médicament.
Logiques d’autorégulation
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Expérimenter
Comme cela a été décrit dans d’autres affections chroniques (voir
Conrad, 1985), l’absence de prise de médicament, ponctuelle ou prolongée, accidentelle ou volontaire, permet aux hypertendus d’expérimenter
les effets sur le corps de l’interruption du traitement et d’acquérir un
savoir sur la maladie. Ainsi, plusieurs personnes nous ont déclaré ne pas
prendre leur médicament certains jours pour limiter les effets indésirables
ressentis ayant des conséquences sur la vie familiale et sociale (effets sur
la sexualité, effets invalidants des diurétiques liés à l’augmentation de
l’excrétion urinaire, fatigue retentissant sur la qualité de vie). La plupart
des hypertendus interviewés sont de grands lecteurs de notices accompagnant les médicaments dans lesquelles ils cherchent principalement les
effets indésirables pour s’y préparer ou éventuellement les prévenir. La
lecture de la notice donne au patient un rôle actif dans la gestion de son
traitement. Principale (et parfois seule) source d’informations sur les
médicaments des interviewés, elle participe à l’appropriation des médicaments par la connaissance des effets secondaires. Elle permet aux individus de relier leur propre expérience sur les médicaments au savoir
biomédical. L’acquisition d’un appareil d’automesure tensionnelle répond
à cette même recherche de savoir sur son propre corps et sur sa maladie.
Les patients l’utilisent pour vérifier la réalité d’une hypertension artérielle, pour tester leurs hypothèses sur les liens de causalité entre les
symptômes ressentis et les chiffres tensionnels, pour trouver des facteurs
déclenchant aux élévations de la pression artérielle. Le savoir acquis par
l’information, l’expérience et l’expérimentation permet aux patients un
contrôle profane du facteur de risque cardiovasculaire que constitue l’hypertension artérielle.
Assurer la continuité du traitement
Les données ethnographiques révèlent également des stratégies personnelles d’ajustement du traitement pour éviter des accidents d’observance ou des ruptures de stocks pour les médicaments conditionnés sous
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la forme de boîtes de 28 comprimés (16). En effet, la temporalité de la
prescription est perçue, par les patients et par les médecins (17), à travers
un cadre de référence culturel qui est le mois calendaire, et non la
semaine. Le conditionnement des médicaments sous la forme de boîtes de
28 comprimés est alors vécu comme une contrainte exercée sur l’individu
obligé de régler son comportement sur un « temps » qui n’est plus celui
de sa société, mais celui d’une institution sociale dont il ne comprend pas
la règle et qu’il juge « ridicule » ou « débile » (18). Nous avons recueilli
de nombreux discours d’incompréhension, mais surtout des déclarations
d’interruptions de 2 à 3 jours de traitement par mois. En effet, certaines
personnes manquent de comprimés en fin de traitement. D’autres, anticipant la fin du « mois » de traitement, suspendent leur traitement un ou
deux jours par mois : « Moi j’ai mon truc, je n’en prends pas le 15... et le
30 » (femme, 70 ans, employée). Cette adaptation du découpage médical
du traitement (28 jours) au rythme mensuel traditionnel des individus est
une autre « tactique » (au sens de De Certeau, 1998) pour s’approprier
l’objet-médicament. Le mode de conditionnement génère aussi d’autres
pratiques plus ou moins « bricolées » avec la complicité de l’entourage et
des professionnels de santé comme des délivrances de traitement sans
ordonnance de la part des pharmaciens, des doublements de posologies
par les médecins, des stockages de boîtes de réserve (19).
De plus, l’hypertension artérielle nécessitant un traitement prolongé
(souvent pendant toute la vie) alors qu’elle n’occasionne ni gène, ni handicap, cela génère chez certains patients des interruptions temporaires de
traitement : « Des fois je le prends le soir, avant de me coucher, si je l’ai
(16) Certains hypotenseurs sont conditionnés en boîtes de 28 comprimés, correspondant à 4 semaines de traitement. Cette manière de conditionner les médicaments vient
des États-Unis où les médecins prescrivent les traitements en « semaines », et non en
« mois » comme c’est l’habitude en France. Mais d'autres médicaments restent conditionnés en boîtes de 30 comprimées ou plus.
(17) Un seul médecin dans notre étude convoque ses patients tous les 28 jours (ou un
multiple de 28 jours), les autres donnant leur rendez-vous tous les « mois » (ou un multiple du « mois »).
(18) Le « temps » des médicaments de 28 jours évoque le calendrier lunaire comme le
laisse penser cette réflexion ironique d’un hypertendu : « Il y a des boîtes de 10 et des
boîtes de 15. Moi, je n'ai pas de boîtes de 28, ça c'est pour les femmes ! » (homme, 73
ans, employé).
(19) Ces pratiques non conformes aux « bonnes pratiques » peuvent avoir des conséquences en santé publique (utilisation de médicaments périmés, risque d’erreur de
posologies) et en économie de la santé (gaspillage).
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oublié, parce que des fois on n’y pense pas. Celui qui est réellement
malade, qui a besoin d’un médicament, il y pense, lui. Mais là, je n’ai
jamais eu de problèmes avec la tension » (homme, 80 ans, musicien).
Pour d’autres, l’absence de symptômes rend plus contraignante la consultation de renouvellement de l’ordonnance. La contrainte sera perçue d’autant plus grande que la personne est en activité professionnelle. Dès lors,
ceux qui ressentent négativement l’obligation de se rendre tous les mois à
la pharmacie pour renouveler leur traitement ou la consultation médicale
de renouvellement d’ordonnance, interrompent parfois volontairement
(temporairement ou de manière prolongée) leur traitement.
L’observance et la relation médecin-patient
Notre perspective n’est pas ici d’analyser l’interaction soignant-soigné qui est, depuis les travaux de Haynes et al. (1979), considérée comme
un des déterminants de l’observance. Nous avons tenté d’interroger le rapport du malade au médicament en tant que « rapport informationnel et
symbolique au médecin et à la médecine » (Morin, 2001 : 11), ainsi que
celui du médecin au médicament comme un élément de sa culture professionnelle. Nous ne l’avons pas analysé dans les affects et les processus
transférentiels de l’interaction clinique, mais à partir de la notion d’observance et de ce qu’elle représente pour chaque partenaire de la relation.
L’observance du point de vue du médecin
Si les médecins attribuent majoritairement les « oublis » de prise à
des troubles cognitifs, ils ont des interprétations des interruptions de traitement (caractère asymptomatique de l’hypertension artérielle, manque de
rationalité, manque de considération pour la préservation du « capital
santé ») qui témoignent de leur postulat d’une rationalité uniquement fondée sur la logique coût/bénéfice. D’autres interprétations — le « déni », la
« dépression », une « personnalité immature », la négligence — témoignent d’une lecture en termes psychopathologiques de la non-observance.
Comme l’a montré Leeber (1997) dans un autre champ de la pathologie
(cancérologie), l’observance insuffisante rapportée à des processus
psychologiques (troubles de la personnalité, troubles de l’adaptation,
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volonté entravée) est examinée par les soignants pour ce qu’elle révèle du
patient, et non pour ce qu’elle dit de ce que le patient subit (20).
Les échecs rencontrés par les médecins dans l’éducation à la santé
(observance thérapeutique et observance des règles hygiéno-diététiques)
sont vécus difficilement par certains médecins qui se situent dans le « pôle
relationnel » (21) de la pratique médicale car ils « faussent la relation »,
dès lors que le patient introduit un désordre en ne respectant pas les règles
habituelles de l’interaction (la compliance). L’observance apparaît alors,
selon ces médecins, comme une condition nécessaire à l’instauration
d’une relation médecin-malade et non sa conséquence. Mais les entretiens
des médecins et l’observation des consultations montrent que l’observance est surtout un enjeu majeur de la relation médecin-patient parce
qu’elle peut ébranler la configuration identitaire professionnelle du généraliste. Nous avons ainsi décrit deux « formes identitaires » (Dubar,
2002), deux « figures » retrouvées à des niveaux divers chez tous les
médecins étudiés (22).
Le médecin de famille
Les généralistes déclarent connaître les niveaux d’observance thérapeutique de leurs patients. Ils utilisent différentes stratégies pour évaluer
l’observance dont la plus courante est la ponctualité du renouvellement de
l’ordonnance. Mais l’interrogatoire du patient par le médecin reste pour
ces derniers le meilleur outil d’évaluation. Ceux-là ont la certitude de
« bien connaître » leurs patients —« Je les connais et sincèrement je sais
s’ils les prennent bien, s’ils les prennent mal » — et de pouvoir deviner la
réalité cachée. Nous avons montré dans une autre étude (Sarradon-Eck et
al., 2004a) que les médecins généralistes sont socialisés dans un idéal
relationnel qui leur fait revendiquer une proximité avec leurs patients et
(20) Nous avons ainsi observé, dans les formations continues des généralistes, que les
discussions autour de cas cliniques d’observance insuffisante (thérapeutique ou diététique) se focalisaient sur la personnalité du patient, sur son histoire et sur sa relation
avec le médecin. La recherche d’une explication de l’observance insuffisante interroge
uniquement le « fonctionnement » du patient, mais jamais son expérience « sociale »
de la maladie et des traitements, ni la signification sociale de ses conduites.
(21) Les professionnels de santé oscillent entre le paradigme scientifique et le paradigme relationnel (Aïach et al., 1994). Pour une analyse de cette dualité chez les médecins généralistes, voir Membrado (1993).
(22) Il ne s’agit pas d'une typologie, mais de tendances dégagées par notre analyse sur
lesquelles aucun médecin ne se calque dans l’absolu.
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des relations privilégiées avec eux. Les médecins qui se définissent
comme des « médecins de famille » valorisent les « relations humaines »
et une connaissance approfondie et intime de la vie de leurs patients (être
un « confident » au point de « faire partie de la famille ») avec lesquels
ils ne se contentent pas d’échanges strictement professionnels. Dès lors, la
volonté ou la certitude de « tout savoir » sur leur patient (y compris son
niveau d’observance) n’est pas une attitude d’autorité, mais la recherche
d’une confirmation de leur identité de médecin de famille.
L’expert
Lorsque le médecin est mis en échec dans son action thérapeutique
du fait de l’inefficacité des traitements prescrits, il met souvent en cause
le patient (en lui assignant un statut de « mauvais observant ») ce qui lui
permet de conserver son rôle d’expert et le contrôle de la décision thérapeutique. Cette attitude n’est pas généralisable à tous les médecins rencontrés, mais nos observations de consultations et de sessions de
formation médicale continue de généralistes, comme la focalisation de la
recherche clinique sur le thème de l’observance, montrent les difficultés
des médecins à penser les hypertensions artérielles non-contrôlées autrement que comme une « résistance » implicite du patient. Cette imputation
au patient de la responsabilité de l’inefficacité de son traitement s’inscrit
dans une conception de la « non-observance » comme une déviance à la
norme positiviste d’une médecine fondée sur des données validées de la
science (Lerner, 1997). D’ailleurs, certains généralistes utilisent le registre sémantique de la « discipline » pour parler de l’observance, indiquant
qu’ils la considèrent comme un comportement d’obéissance du patient à
une règle médicale. Un faible niveau d’observance remet en cause la fonction de contrôle de la santé et de ses paramètres dont la société a chargé le
médecin, et les règles médicales de la relation thérapeutique. Dès lors,
ceux-là conçoivent difficilement que les patients n’entrent pas dans un
rapport asymétrique expert-profane dans lequel le patient suit les conseils
et les directives du médecin détenteur du savoir pour s’acheminer vers la
santé ou la guérison, tel qu’il a été décrit par Parsons (1958). En effet, ils
estiment que la proportion de personnes insuffisamment observantes est
faible parmi les personnes hypertendues dans leur clientèle. D’autres pensent au contraire que les patients ne suivent pas les traitements selon leurs
directives, ou interrompent le traitement. Ces derniers ont alors conscience de l’autonomie du patient et de son pouvoir de dire ou de ne pas
dire au médecin ce qu’il fait : « il faut de l’humilité pour être médecin »,
« le malade a le droit de choisir ». D’autres encore acceptent de considérer la rencontre médecin-patient comme une négociation (au sens de
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Strauss, 1992) dans laquelle le médecin doit s’adapter au point de vue du
malade (« faire des efforts ») et transférer son savoir (informations, explications) (23).
Quelle que soit sa « figure » d’appartenance, le généraliste a été
formé dans une logique de l’action (être dans le faire, agir, guérir et non
dans le « prendre soin », dans l’accompagnement) qui a pour corollaire un
sentiment d’inutilité et d’usure pour les médecins lorsque le patient n’adhère pas au modèle biomédical. Face aux conduites d’observance insuffisante de leurs patients, les généralistes se perçoivent alors « dans le rôle
d’observateur et non dans celui d’exécuteur, ou d’opérateur ». Les discours d’échec concernant le traitement, qui s’expriment dans un langage
métaphorique de la « perte de contrôle » (« naufrage », « dérive », dérapage) de la situation du patient et de la relation thérapeutique (24), traduisent une représentation du rôle de médecin comme un « guide » ou un
« capitaine ».
Face à cet effacement du contrôle professionnel par le contrôle profane qui porte atteinte à leur identité professionnelle, certains médecins
procèdent à des étiquetages à connotation négative (25) envers ces
patients « non-compliants », « qui n’en font qu’à leur tête », « qui décrochent de la démarche », dont il n’a « rien à (en) tirer ». Ceux-là, dans
leurs discours ou leur dialogue avec les patients, expriment une conception de leur rôle en matière d’éducation à la santé qui est d’imposer des
normes sanitaires et des normes de vie, de « cadrer » le patient et de limi-
(23) Par exemple : « C'est clair que, au niveau du grand changement global, on est
passé de la médecine où le médecin avait uniquement à dire “c’est ça, point final”, et
puis tout le monde disait “amen”, à une médecine où maintenant, moi, je ressens le
besoin d’avoir à expliquer, à convaincre, négocier les choses » (homme médecin,
46 ans).
(24) Par exemple : « Je suis en échec total », « Je suis devant un mur », « Je suis désarmé devant ce qui va au naufrage », « Le médecin devient spectateur de la dérive de
son patient », « À quoi ça sert tout ce que je fais ? », « C’est un malade ingérable, je
n’arrive rien à faire comprendre, c’est un échec complet, pourtant j’ai 30 ans d’expérience ». Ces discours ont été recueillis lors de séminaires de formation continue auxquels nous avons participé sur le thème de l’éducation du patient. Les organisateurs
(médecins généralistes) de ces séminaires avaient demandé explicitement aux médecins participants de rapporter des situations cliniques dans lesquelles ils se percevaient
en échec dans leur éducation à la santé. Nos observations ne concernent pas le contenu
de ces « échecs », mais la manière de les exprimer et leurs significations.
(25) Voire injurieux : « Il y a les gens tordus, et aussi les gens coincés, les chiants :
ça n’a pas marché, ça ne marchera pas… » (médecin homme, 43 ans).
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ter sa « liberté » à choisir son comportement en matière de santé et de maladie, montrant alors leur difficulté à penser le patient comme « sujet »,
acteur libre et déterminé de sa vie (Lecorps, 2004). D’autres admettent
que les comportements des malades face à leurs traitements sont aussi
« des espaces de liberté » pour eux-mêmes. Nous voyons là l’épaisseur
des contradictions entre un discours public qui prône l’autonomie du
patient dans sa prise en charge (voire la compétence profane), et les pratiques médicales qui n’accordent cette autonomie qu’en échange d’une
acceptation de l’expertise et de l’autorité médicale.
Les patients suffisamment observants se verront a contrario attribuer des qualificatifs positifs : « Au point de vue observance et tout, elle
est parfaite » (médecin homme, 44 ans). Ils induisent chez les médecins
des attitudes de sollicitude et de bienveillance (voire de sympathie), l’observance étant une « valeur ajoutée » attribuée au « bon » malade.
L’observance du point de vue du patient
Les absences volontaires de prises décrites plus haut, ou les oublis
involontaires de comprimés évoqués par les patients au détour d’une
phrase (« peut-être une ou deux fois dans le mois », « celui du matin ou
celui du soir »), ne sont pas considérés par les malades comme une entorse
aux prescriptions médicales. Les hypertendus interviewés ne définissent
pas l’observance en termes de seuil ou de doses de médicaments ingérés.
Le terme observance n’apparaît d’ailleurs jamais dans leur discours. Pour
décrire leurs pratiques médicamenteuses et le suivi de l’ordonnance, ils
utilisent les expressions « être sérieux » ou « faire attention ». « Être
sérieux », c’est donner à l’hypertension artérielle un statut de maladie ou,
du moins, de trouble suffisamment grave pour justifier d’un traitement
médical et s’engager à suivre ce traitement. La formule « on se soigne »
est également utilisée par les individus pour signifier à la fois leur niveau
élevé d’observance médicamenteuse, leur adhésion au système biomédical et à la notion de préservation de la santé par des comportements
conformes aux normes médicales. Ces locutions témoignent d’un modèle
de conduite du « bon malade » que les patients pensent devoir adopter
pour coller à l’image du malade idéal attendu par les médecins. Ainsi,
lorsqu’ils veulent nous dire qu’ils ne suivent pas exactement les directives
médicales, ils utilisent l’expression « je suis un mauvais malade ». Dans
les discours des interviewés, le « mauvais malade » est celui qui ne s’occupe ni de sa santé, ni de savoir quels sont les médicaments qu’il prend,
ni leur mode d’action. L’image valorisée dans les entretiens est celle du
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« bon malade » prenant ses médicaments « sans jamais les oublier »,
« régulièrement », « sérieusement ».
La suspicion d’observance insuffisante de la part des médecins face
aux hypertensions artérielles non contrôlées par les médicaments est mal
acceptée par les patients car elle témoigne d’un manque de confiance du
médecin à l’égard du patient. En effet, l’observance renvoie, dans le discours des hypertendus, à une relation médecin-malade empreinte de la
soumission et de l’obéissance à l’égard du médecin qui détient le savoir :
« Je suis assez obéissant (...) S’il fallait en prendre plus, ce serait plus
contraignant, mais s’il (le médecin) augmente ses doses, j’obéirai. C’est
lui qui décide, c’est pas moi. Je lui fais confiance » (homme, 64 ans,
employé). Ces discours font écho aux analyses de Fainzang (2001a) selon
lesquelles la question posée par le suivi de l’ordonnance — l’observance
selon la dénomination biomédicale — renvoie en partie à la soumission
aux ordres qu’elle contient. Elle rappelle avec Dagognet que le mot
« ordonnance » renvoie au mot « ordre » et « ordonner », lequel est « d’abord un terme juridique, signifiant la promulgation des décisions qui ont
force de loi » (Dagognet, 1994). La prescription écrite (l’ordonnance) a
une connotation coercitive à laquelle les patients sont sensibles lorsqu’ils
y répondent dans le registre de l’obéissance et de la soumission à la décision médicale : « Maintenant je suis bien rentré dans l’ordre. Je passe ma
visite quand on me l’ordonne et tout et tout » (homme 66 ans, agriculteur).
Le suivi de l’ordonnance, abordé du point de vue du patient, souligne la
nature des rapports sociaux médecin-patient qui restent des rapports asymétriques pour une partie de la population.
Néanmoins, l’obéissance n’exclut pas la négociation, et plusieurs
hypertendus (26) nous ont décrit des situations où le patient a négocié la
décision (sur le fait de l’adresser à un spécialiste ou sur le médicament
prescrit) en imposant parfois son point de vue au médecin. Les patients
expriment aussi des insatisfactions concernant le manque d’informations
fournies par les médecins sur le mode d’action des médicaments ou sur
leurs effets indésirables. Ils justifient cette insuffisance d’information par
le manque de temps dont le médecin dispose. Cependant, en disculpant
ainsi les médecins, ils écartent d’autres facteurs comme la distance
sociale, la directivité ou le paternalisme des médecins dans l’interaction
médecin-malade, souvent objectivés par les sciences sociales.
(26) Le groupe de répondants est trop faible pour que nous puissions dégager des profils en fonction de l’âge, du genre ou des caractéristiques socio-économiques.
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La confiance
Selon les interviewés, la soumission à l’autorité médicale ne peut
exister en dehors d’une « relation de confiance » qui définit, pour les
médecins observés comme les hypertendus (27), la nature de la relation
médecin-malade, ce qui ne signifie pas que la confiance soit le seul élément structurant les rapports sociaux entre médecins et malades et n’exclut pas des ressentis négatifs mutuels. La relation de confiance est
néanmoins, en France, un schème culturel qui codifie les comportements
des partenaires de la relation et leur permet d’interpréter les conduites
(28). Dès lors, les discours recueillis décrivent explicitement ou « en
creux » un idéal relationnel que la plupart connaissent ou aspirent à
connaître, dans lequel la confiance est à la fois le résultat d’une relation
interpersonnelle et la condition sine qua non de l’adhésion thérapeutique
et de l’observance.
La notion de confiance est, dans les discours des hypertendus, une
notion complexe et polysémique. Elle comprend la compétence professionnelle du médecin, évoquée par les patients qui sont attentifs au savoir
de ce dernier, à son expérience professionnelle et à sa rigueur scientifique.
Elle ne se réduit pas seulement à cela, et les entretiens décrivent le « bon
médecin » comme un expert attentif et consciencieux qui est aussi disponible, sachant écouter, désintéressé financièrement, ayant des qualités
humaines comme la gentillesse ou la sympathie. À l’opposé, les discours
des patients sur la confiance désignent les caractéristiques du « mauvais
médecin » : négligence, manque de disponibilité, intrusion dans la vie privée, absence d’altruisme et relation marchande. Cette conception du rôle
et des qualités du médecin s’inscrit dans une représentation populaire du
(27) Quarante-et-une personnes sur 68 se sont exprimées sur ce thème (24/39 femmes,
et 17/39 hommes). Leurs discours sont très homogènes. Au début de l’étude, nous pensions que cette homogénéité pouvait résulter d’un biais de sélection des personnes
interviewées, rencontrées par l’intermédiaire de leurs médecins traitants (n = 43), euxmêmes opérant une sélection plus ou moins consciente des hypertendus « à interviewer ». Nous avons alors réalisé d’autres entretiens auprès d’hypertendus (n = 25)
recrutés par la méthode de « proche à proche », sans l’intermédiaire du médecin. Dans
ce second groupe, nous avons effectivement recueilli plus de discours négatifs envers
les médecins, mais ceux-ci dessinent « en creux » une relation idéale basée sur la
confiance.
(28) Rappelons que la relation médecin-malade est définie dans le Code de déontologie médicale comme une relation de confiance.
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« médecin de famille » (29), retrouvée dans les relevés ethnographiques,
dans laquelle il est d’abord le médecin « de toute la famille », soignant les
personnes à tous les âges de la vie, dans une proximité avec ses patients
telle qu’il est perçu parfois comme un membre de la famille ou un ami,
signifiant que le patient le fait entrer dans sa vie : « C’est plus qu’un docteur pour moi, c’est un ami. Je lui fais mes confidences » (femme, 76 ans).
La relation avec le médecin est alors une relation personnalisée et prolongée : « Et puis toute ma famille était soignée par mon ancien médecin traitant. Cela fait 15 ans qu’elle me soignait. Et puis le médecin de campagne
(...) arrive mieux à cerner ses malades qu’en ville parce qu’il les voit dans
leur contexte » (femme, 63 ans, commerçante dont le généraliste a cessé
son activité). Balint (1960) a qualifié l’histoire qui se construit entre les
deux protagonistes de la relation de « compagnie d’investissement
mutuel » dans laquelle le double capital (affectif et connaissance de l’individu dans son environnement) acquis par le médecin et le malade de
manière réciproque aboutit à l’obtention d’une confiance mutuelle.
Dans l’interaction médecin-patient, qu’elle s’inscrive dans un
modèle paternaliste ou dans celui de la décision partagée, les médicaments
participent à des échanges d’ordre symbolique. En effet, comme l’écrivent
Van der Geest et Whyte « ils facilitent, façonnent et renforcent les relations sociales, car ils expriment et confirment l’amitié, le dévouement et
la sollicitude, particulièrement dans la rencontre entre un médecin et son
patient » (Van der Geest et Whyte, 2003 : 102). À travers la prescription,
le praticien transfère au patient le pouvoir de guérir, tout en matérialisant
par le médicament la relation médecin-patient (voir aussi Collin, 2002).
Néanmoins, l’observance n’est pas qu’une forme de gratification symbolique objectivant la confiance accordée au médecin, autant qu’une soumission à l’autorité médicale. L’adhésion au traitement et un niveau élevé
d’observance ont également une dimension de « concession » par le
patient à l’expertise médicale et à la responsabilité professionnelle du
médecin mise en évidence par Collin (2003). En effet, certains hypertendus soulignent qu’ils n’ont pas d’autre choix que celui d’accorder leur
confiance au praticien.
(29) Cette représentation du médecin traitant comme le « médecin de famille » est prégnante dans notre enquête effectuée en zone rurale et semi-rurale (où le généraliste est
aussi appelé « médecin de campagne »), auprès d’une population « âgée » et habituée
à voir régulièrement un médecin, mais ne peut pas être généralisée à l’ensemble de la
population française.
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Conclusion
Le suivi de l’ordonnance, dans les pathologies chroniques ou les traitements prolongés, est un processus complexe qui associe l’appropriation
du médicament par le malade et son intégration dans le quotidien, la personnalisation et la fidélisation au médicament. Il intègre aussi la fidélisation au médecin et objective la relation de confiance du patient envers lui,
la reconnaissance de son rôle d’expert et de médecin de famille. Mais il
compose aussi avec des facteurs externes au malade, au médicament et à
la relation thérapeutique, ainsi qu’avec les dimensions symboliques du
médicament.
Pour les médecins, leurs conceptions de la notion d’observance, de
leur rôle et de leur mission d’éducation à la santé reflètent une idéologie
de l’action et de l’utilitarisme, et les valeurs de bienveillance et de responsabilité qui imprègnent la culture médicale. Elles entrent en conflit avec
les valeurs sociétales phares d’autonomie de la personne et de maîtrise de
soi expliquant le malaise des médecins face au contrôle profane des traitements. Car, dans son quotidien, l’hypertendu a une régulation autonome
de son traitement. Celle-ci répond à des logiques d’expérimentation, de
maîtrise des risques pour la santé, de maîtrise du corps et du traitement, de
contrôle des effets indésirables, de contrôle de l’ingestion, de limitation
des contraintes imposées par la prescription (renouvellement de l’ordonnance), de continuité du traitement (conditionnement des médicaments),
d’intégration sociale, d’automatisme et de routinisation. À l’instar de l’objet-médicament, le suivi de l’ordonnance et sa réinterprétation sont des
analyseurs de la gestion du quotidien, du rapport de l’individu à son corps
et à la maladie, et de la relation soignant-soigné.
Remerciements
Cette recherche a bénéficié d’une aide de la Caisse nationale d’assurance maladie. Je remercie Murielle Faure, Marie-Anne Blanc et Marc
Egrot pour leur contribution à cette recherche, ainsi qu’Alice Desclaux et
les deux lecteurs anonymes de la revue pour leur lecture attentive et leurs
précieux commentaires sur ce texte.
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LE SENS DE L’OBSERVANCE
ABSTRACT
The meaning of adherence.
Ethnography of medication practices in hypertensive patients
The study of patients experience of anti-hypertensive drugs shows the
impact of various social and symbolic logics. Its allows to understand
how people’s medication practices are set up. Adherence to prescription
relies on a logic of imputation (about the instrumental cause of high blood
pressure, about side effects), a logic of appropriation (related to loyalty to
treatment, testing, and integration in everyday life), a logic of self-regulation (continuity of treatment, body control and medication control).
Adherence is analyzed in patient-practitioner relationship as a submission
to medical authority. It may also be considered as an indicator of trust in
doctors. It is also a locus of consolidation for professional identity of
general practitioners.
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ALINE SARRADON-ECK
RESUMEN
El sentido de la observancia.
Una etnografía de las prácticas relativas
al uso de medicamentos hipotensores
El estudio de la experiencia de los tratamientos hipotensores revela las
lógicas plurales, sociales y simbólicas, que permiten comprender la construcción cultural de las prácticas relativas al uso de medicamentos. El
mayor o menor respeto de la prescripción médica responde a lógicas de
imputación (mecanismo causal de la hipertensión arterial, efectos indeseables de los medicamentos), a lógicas de apropiación (fidelización al tratamiento, experimentación, integración del tratamiento en la vida
cotidiana) y a lógicas de autorregulación (continuidad del tratamiento,
control del cuerpo y del tratamiento). La observancia es analizada, en la
relación médico-paciente, como un comportamiento de sumisión a la
autoridad médica, pero también como una manera de objetivar la relación
de confianza y de reafirmar la identidad profesional de los médicos internistas.
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