ÉDITORIAL Travailler en équipe : des aspirations légitimes, des contraintes et des conflits bien réels Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Éric Galam decine Generale, D epartement de Me Universit e Paris Diderot [email protected] Membre de la commission des pratiques et des parcours de la HAS Mots clés Gestion du travail en équipe en soins de santé. DOI: 10.1684/med.2016.59 L a prise en compte de l’importance du travail d’équipe est finalement assez récente tant la culture médicale est influencée par le paradigme un peu mythique du « colloque singulier ». Ce référentiel est désormais largement mis en cause ne serait-ce que par la non moins paradigmatique exigence de qualité et d’économie des soins. Si l’on ajoute à cela la recherche de l’harmonie et la croyance incantatoire que « tout le monde il est beau. . . », on ne voit pas trop comment on pourrait parler de conflits dans les équipes de soin. Et pourtant. L’intrusion des tiers Sous le prétexte légitime de maîtrise des dépenses de santé, les « Références Médicales Opposables (RMO) » avaient été présentées en leur temps (années 2000) comme un outil emblématique par la Sécurité sociale elle-même [1]. Si les soignants partageaient ce point de vue, c’était plutôt pour s’en inquiéter tant l’intrusion d’un tiers dans les décisions était vécue comme traumatisante et choquante, voire scandaleuse, par nombre de médecins. Et si les RMO ont laissé la place aux « référentiels » et autres recommandations de bonne pratique, la possibilité de contrôle, de sanctions et donc de conflits est toujours bien présente et redoutée plus ou moins explicitement. Ainsi la qualité, désormais acceptée, est plus souvent vécue comme contrainte que comme aide à une pratique sereine. D’ailleurs, la question du tiers payant fait aussi écho au tiers contrôlant. Et chacun pressent qu’elle peut être source de conflits potentiels. Relation médecin/patient : l’harmonie revendiquée La première équipe de soin est constituée du patient et de ses soignants. Elle repose avant tout sur la relation soignant/patient et est le plus souvent harmonieuse et aidante. Elle peut aussi poser des difficultés [2], déboucher sur des incompréhensions, des conflits, des reproches ou même des plaintes. Sans parler des désaccords possibles avec l’entourage des patients qui font aussi partie de « l’équipe » de soin, au même titre d’ailleurs que les internes qui travaillent avec nous dans nos cabinets. Ces derniers peuvent aussi être confrontés à des conflits avec leurs maîtres de stage dans l’appréciation des soins aux patients [3]. Conflits et sécurité des soins ÉDECINE 196 MÉDECINE Mai 2016 Lancé en 2013 et prévu pour 5 ans, le Programme National pour la Sécurité du Patient [4] se donne pour objectif d’inciter et fédérer l’action des autorités publiques, autour de 4 axes, dans le domaine de la sécurité des patients : l’information du patient co-acteur de sa sécurité, l’amélioration de la déclaration et la prise en compte des évènements indésirables associés aux soins, la formation et l’appui au développement de cultures de sécurité (axe 3), l’innovation et la recherche. L’un des 5 objectifs généraux de l’axe 3 est libellé ainsi : « S’appuyer sur la pluri-professionnalité et l’équipe pour construire une culture de sécurité ». Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Le développement d’une culture de sécurité des soins au sein des équipes et des structures s’appuie notamment sur la pratique du « retour d’expérience » entre les professionnels, afin de progresser collectivement, et la valorisation du travail en équipe et pluri-professionnel devenu la règle pour de nombreuses prises en charge. PACTE et interruptions de tâches : la Haute Autorité de Santé sur tous les fronts La HAS continue à produire force recommandations, plus ou moins connues et utiles aux médecins. L’un de ses départements, la MSP (Mission sécurité du Patient), fournit un travail remarquable notamment à propos du travail d’équipe, de ses dysfonctionnements possibles, de ses critères de qualité et des moyens de leur mise en œuvre. Par exemple, le programme PACTE (Programme d’Amélioration Continue du Travail en Equipe) est destiné aux établissements de santé candidats à optimiser le travail d’équipe sur une thématique donnée. Il s’appuie sur le fait que le travail d’équipe [5-7] constitue une barrière de sécurité contre les événements indésirables, est un facteur de qualité de la prise en charge du patient et de santé et de bien-être au travail pour les professionnels. Mais, ajoute la HAS, améliorer le travail en équipe nécessite aussi de prendre en compte les objectifs de l’équipe, l’organisation et la culture de sécurité préexistantes, le leadership au sein de l’équipe ainsi que de définir des modalités de suivi et de mesure pour une implémentation réussie. L’enjeu est de passer d’une équipe d’experts à une équipe experte. Autre champ : les interruptions de tâche qui posent nombre de questions autour du suivi, de la transmission et des échanges entre soignants à propos d’un ou plusieurs patients donnés. Vaste problème dont on peut appréhender une partie de la complexité et de l’importance lors de l’administration des médicaments. Elles font tellement partie du quotidien qu’elles sont banalisées et presque transparentes. Pourtant un grand nombre de ces situations sont à risques d’erreurs. La HAS publie une brochure et des outils clés en main [8] proposant une démarche de vigilance et de gestion des risques dans ce type de situations à partir des facteurs humains et organisationnels. Où commence l’équipe et où finit-elle ? L’équipe est certes centrée sur les intérêts du patient mais aussi, même si c’est un peu plus délicat à assumer, sur ceux de la collectivité et des différents intervenants. Toute la question est de savoir où commence l’équipe et où elle s’arrête. Elle est, en tout cas, plus apparente dans le contexte hospitalier qu’en ambulatoire où libéral rime encore très souvent avec pratiques individuelles de soignants plus ou moins isolés. Pourtant, aucun médecin ne travaille seul avec ses patients qui ont aussi affaire avec les pharmaciens, les biologistes, les éventuels spécialistes, les paramédicaux et parfois les services hospitaliers ou sociaux. L’équipe ambulatoire est moins structurée, moins consciente d’elle-même mais bel et bien toujours présente. Élargissant le cadre du cabinet isolé, le développement de réseaux de santé, qu’ils soient ou non centrés sur l’hôpital, une pathologie ou un bassin de vie donné, a été fortement encouragé par la loi du 04 mars 2002. Dans la même dynamique, la Maison de santé pluridisciplinaire ou pluriprofessionnelle (MSP), définie par l’article L. 6323-3 du Code de la Santé Publique, s’appuie sur un groupe de professionnels de santé de premier recours et un projet de santé. Au-delà des fonctions de coordination, il s’agit-là d’encourager l’émergence de nouvelles pratiques professionnelles voulues comme plus globales, collectives, préventives et inscrites dans la durée. L’irruption de l’équipe dans la formation des médecins généralistes Le travail en équipe est l’une des compétences de médecine générale [9]. La compétence « travailler en équipe au sein du système de santé » était la cinquième des 11 compétences de médecine générale. Depuis que ces compétences sont passées au nombre de 6, elle n’apparaît plus explicitement mais reste une compétence transversale de la pratique et donc de la formation des médecins généralistes. La façon dont cette compétence est abordée a fait l’objet de plusieurs travaux de thèse [10, 11]. Nous savons, et l’article de Jane Kenaghan « Entre médecins et infirmiers, risques d’événements indésirables » inclus dans ce numéro nous en donne un exemple, que les conflits ne sont pas si rares à l’hôpital. Qu’en est-il en ambulatoire ? Vaste champ de recherche encore largement inexploré. Avis aux thésards. Le groupe c’est toujours mieux ? Plébiscitées dans les aspirations des jeunes et des institutions, les MSP semblent représenter une alternative au dilemme libéral/salarié. Travailler en ambulatoire, certes mais pas seul. La panacée est-elle enfin à portée ? Pas si sûr. Nombre de conflits, traités ou pas par les juridictions ordinales, relèvent de tensions entre professionnels de santé travaillant en groupe. Une étude récente sur l’épuisement professionnel en Grande Bretagne [12] a montré que celui-ci était plus élevé dans les cabinets de groupes que lors de l’exercice individuel. Qu’en est-il également des incompréhensions et risques inhérents au travail d’équipe ? Un ouvrage au titre explicite, « Les décisions absurdes » [13], apporte des MÉDECINE Mai 2016 197 éléments d’analyse de la dynamique de groupe pas toujours aussi glorieuse qu’on veut bien le croire. Alors seul ou accompagné ? fromage ou dessert ? Chacun en fonction de son histoire, de ses besoins, désirs et compétences. Dans tous les cas, les difficultés et richesses dépendent non seulement de la structure où l’on exerce mais aussi de chacun de nous et de ceux qui nous entourent. On travaille toujours avec les autres et on le fait avec plus ou moins de bonheur. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Les facteurs influençant le travail des équipes Une étude hospitalière [14] repère 3 catégories de facteurs : 1) les facteurs interactionnels : volonté à collaborer, confiance mutuelle, communication, respect, 2) les facteurs organisationnels structurels (il faudrait privilégier, selon les auteurs, une structure plate, décentralisée en opposition à une structure plus traditionnelle hiérarchique qui ne facilite pas la mise en place d’une prise de décision partagée et une communication ouverte) et administratifs (incluant des mécanismes de coordination et de communication), 3) les facteurs macrostructurels : le système social (notamment les pouvoirs des différentes professions) et culturel, les systèmes professionnel et éducatif. Or, les caractéristiques de ces différents domaines sont loin d’être enseignées aux étudiants en médecine et aux médecins qu’ils deviennent. Travailler la réflexivité, l’équipe. . . et les valeurs Un ouvrage paru en 2013 [15] souligne l’intérêt de la vigilance par rapport à son activité professionnelle. RÉFÉRENCES 1. Allemand H, Jourdan MF. Les références médicales opposables. Rev Med Ass Maladie 2000 ; 3 : 47-53. Il consacre un confrères, avec Il s’attarde en par les uns ou fragilités. chapitre entier aux relations entre les pharmaciens et avec l’hôpital. particulier sur les courriers écrits les autres, leur importance et leurs Chacun à sa place et avec les autres pour un objectif centré sur le patient. On peut aussi progresser dans les échanges et ça, ça se travaille. Tout dépend des objectifs de l’équipe et de chacun de ses membres. Or, ces objectifs ne sont pas toujours totalement explicites et partagés par tous. Au fond, il s’agit de changer de niveau de logique en étant attentif aux interactions, à ce qui est dit et ce qui ne l’est pas, à la façon dont sont discutées les difficultés, à la manière dont circule l’information et dont elle est tracée et accessible. Les échanges de courrier entre le premier recours et l’hôpital sont ici notamment en question. Encore plus complexe : le dossier partagé finira-t-il par voir le jour ? Avec quelles modalités et quels garde-fous ? Les outils proposés par l’approche systémique et la sociologie sont ici particulièrement utiles. En particulier, lorsque différentes professions sont amenées à collaborer, la prise en compte des spécificités de chaque métier et l’attention aux « interstices » et à leur gestion est utile. Enfin et peut-être surtout, la prise en compte des « valeurs », ce qui est important et ce qui l’est moins, des différents intervenants et de leur groupe d’appartenance est une nécessité. Et l’EBM rejoint ainsi la VBM : Values Based Medicine [16]. Nous y reviendrons prochainement. ~Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. 9. Compagnon L, Bail P, Huez JF, et al. Définition et description des compétences en médecine générale. Exercer 2013 ; 108 : 148-55. 2. Galam E. Soigner les soignants La formation implicite des médecins et leurs fragilités. Médecine 2015 ; 11 : 388-90. 10. Sellam M. Travailler en équipe au sein du système de santé. Analyse des traces d’apprentissage produites par les Internes du Département de Médecine Générale Paris Diderot. Soutenue à Paris 2014. 3. Galam E, Multon R. Disagreements between GP trainees and their seniors. Management and impacts on the hidden curriculum. Qualitative study of 37 situations in Paris. Presse Med 2016 ; 45 : e39-50. 11. Talbi R. Se préparer à l’exercice professionnel : analyse des traces d’apprentissage produites par les internes du département de médecine générale Paris Diderot. [Thèse d’exercice, Médecine]. Paris : Université Paris Diderot ; 2015. 4. Ministère des affaires sociales et de la santé. Programme national pour la sécurité des patients. PNSP http://social-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/qualite-des-soins-etpratiques/securite/securite-des-soins-securite-des-patients/pnsp.(accès le 08/05/2016). 12. Orton P, Orton C, Pereira Gray D. Depersonalised doctors : a cross-sectional study of 564 doctors, 760 consultations and 1876 patient reports in UK general practice. BMJ Open 2012 ; 2 : e000274. 5. Baxter SK, Brumfitt SM. Benefits and losses : a qualitative study exploring healthcare staff perceptions of teamworking. Qual Saf Health Care 2008 ; 17 : 127-30. 13. Morel C. Les décisions absurdes. Paris : Gallimard, 2002. 6. Zwarenstein M, Goldman J, Reeves S. Interprofessional collaboration : effects of practice-based interventions on professional practice and healthcare outcomes. Cochrane Database Syst Rev 2009 ; (3) : CD000072. 14. Kosremelli Asmar, Wacheux F. Facteurs influençant la cllaboration interprofessionnelle : cas d’un hôpital universitaire. Université Saint-Joseph. Conférence Internationale en Management. Beyrouth Feb 2007:57-75. 7. Salas E, Rosen MA. Building high reliability teams : progress and some reflections on teamwork training. BMJ Qual Saf 2013 ; 22 : 369-73. 15. Amalberti R, Brami J. Audit de sécurité des soins en médecins de ville. Paris : Springer, 2013. 8. HAS. Outil de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments. L’interruption de tâches lors de l’administration des médicaments. Janvier 2016. 16. Fulford Bill. Ten principles of values based medicine. http://www.wpanet.org/uploads/Sections/Philosopy_and_Humanities/ten-principlesof-value-based-medicine.pdf accès le 29 avril 2016.. 198 MÉDECINE Mai 2016