Travailler en équipe :
des aspirations légitimes,
des contraintes et des conits
bien réels
La prise en compte de limportance du travail déquipe est finalement
assez récente tant la culture médicale est influencée par le paradigme
un peu mythique du « colloque singulier ». Ce référentiel est désormais
largement mis en cause ne serait-ce que par la non moins paradigmatique
exigence de qualité et déconomie des soins. Si lon ajoute à cela la
recherche de lharmonie et la croyance incantatoire que « tout le monde il
est beau... », on ne voit pas trop comment on pourrait parler de conflits
dans les équipes de soin. Et pourtant.
Lintrusion des tiers
Sous le prétexte légitime de maîtrise des dépenses de santé, les « Références
Médicales Opposables (RMO) » avaient été présentées en leur temps (années
2000) comme un outil emblématique par la Sécurité sociale elle-même [1].
Si les soignants partageaient ce point de vue, cétait plutôt pour sen inquiéter
tant lintrusion dun tiers dans les décisions était vécue comme traumatisante
et choquante, voire scandaleuse, par nombre de médecins. Et si les RMO ont
laissé la place aux « référentiels » et autres recommandations de bonne
pratique, la possibilité de contrôle, de sanctions et donc de conits est
toujours bien présente et redoutée plus ou moins explicitement. Ainsi la
qualité, désormais acceptée, est plus souvent vécue comme contrainte que
comme aide à une pratique sereine. Dailleurs, la question du tiers payant fait
aussi écho au tiers contrôlant. Et chacun pressent quelle peut être source de
conits potentiels.
Relation médecin/patient :
lharmonie revendiquée
La première équipe de soin est constituée du patient et de ses soignants. Elle
repose avant tout sur la relation soignant/patient et est le plus souvent
harmonieuse et aidante. Elle peut aussi poser des difcultés [2], déboucher
sur des incompréhensions, des conits, des reproches ou même des plaintes.
Sans parler des désaccords possibles avec lentourage des patients qui font
aussi partie de « léquipe » de soin, au même titre dailleurs que les internes
qui travaillent avec nous dans nos cabinets. Ces derniers peuvent aussi être
confrontés à des conits avec leurs maîtres de stage dans lappréciation des
soins aux patients [3].
Conits et sécurité des soins
Lancé en 2013 et prévu pour 5 ans, le Programme National pour la Sécurité
du Patient [4] se donne pour objectif dinciter et fédérer laction des
autorités publiques, autour de 4 axes, dans le domaine de la sécurité des
ÉDECINE
196 MÉDECINE Mai 2016
ÉDITORIAL
Éric Galam
D
epartement de M
edecine G
en
erale,
Universit
e Paris Diderot
Membre de la commission des pratiques
et des parcours de la HAS
Mots clés
Gestion du travail en équipe en soins
de santé.
DOI: 10.1684/med.2016.59
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patients : linformation du patient co-acteur de sa
sécurité, lamélioration de la déclaration et la prise en
compte des évènements indésirables associés aux soins,
la formation et lappui au développement de cultures
de sécurité (axe 3), linnovation et la recherche. Lun des
5 objectifs généraux de laxe 3 est libellé ainsi :
«Sappuyer sur la pluri-professionnalité et léquipe pour
construire une culture de sécurité ».
Le développement dune culture de sécurité des soins au
sein des équipes et des structures sappuie notamment
sur la pratique du « retour dexpérience » entre les
professionnels, an de progresser collectivement, et la
valorisation du travail en équipe et pluri-professionnel
devenu la règle pour de nombreuses prises en charge.
PACTE et interruptions de tâches :
la Haute Autorité de Santé
sur tous les fronts
La HAS continue à produire force recommandations, plus
ou moins connues et utiles aux médecins. Lun de ses
départements, la MSP (Mission sécurité du Patient), fournit
un travail remarquable notamment à propos du travail
déquipe, de ses dysfonctionnements possibles, de ses
critères de qualité et des moyens de leur mise en œuvre.
Par exemple, le programme PACTE (Programme dAmé-
lioration Continue du Travail en Equipe) est destiné aux
établissements de santé candidats à optimiser le travail
déquipe sur une thématique donnée. Il sappuie sur le
fait que le travail déquipe [5-7] constitue une barrière
de sécurité contre les événements indésirables, est un
facteur de qualité de la prise en charge du patient et de
santé et de bien-être au travail pour les professionnels.
Mais, ajoute la HAS, améliorer le travail en équipe
nécessite aussi de prendre en compte les objectifs de
léquipe, lorganisation et la culture de sécurité pré-
existantes, le leadership au sein de léquipe ainsi que de
nir des modalités de suivi et de mesure pour une
implémentation réussie. Lenjeu est de passer dune
équipe dexperts à une équipe experte.
Autre champ : les interruptions de tâche qui posent
nombre de questions autour du suivi, de la transmission
et des échanges entre soignants à propos dun ou plusieurs
patients donnés. Vaste problème dont on peut appré-
hender une partie de la complexité et de limportance lors
de ladministration des médicaments. Elles font tellement
partie du quotidien quelles sont banalisées et presque
transparentes. Pourtant un grand nombre de ces situations
sont à risques derreurs. La HAS publie une brochure et
des outils clés en main [8] proposant une démarche de
vigilance et de gestion des risques dans ce typedesituations
à partir des facteurs humains et organisationnels.
Où commence léquipe
et où nit-elle ?
Léquipe est certes centrée sur les intérêts du patient mais
aussi, même si cest un peu plus délicat à assumer, sur ceux
de la collectivité et des différents intervenants. Toute la
question est de savoir où commence léquipe et où elle
sarrête. Elle est, en tout cas, plus apparente dans le
contexte hospitalier quen ambulatoire où libéral rime
encore très souvent avec pratiques individuelles de
soignants plus ou moins isolés.
Pourtant, aucun médecin ne travaille seul avec ses
patients qui ont aussi affaire avec les pharmaciens, les
biologistes, les éventuels spécialistes, les paramédicaux et
parfois les services hospitaliers ou sociaux. Léquipe
ambulatoire est moins structurée, moins consciente
delle-même mais bel et bien toujours présente.
Élargissant le cadre du cabinet isolé, le développement de
réseaux de santé, quils soient ou non centrés sur lhôpital,
une pathologie ou un bassin de vie donné, a été fortement
encouragé par la loi du 04 mars 2002. Dans la même
dynamique, la Maison de santé pluridisciplinaire ou pluri-
professionnelle (MSP), dénie par larticle L. 6323-3 du
Code de la Santé Publique, sappuie sur un groupe de
professionnels de santé de premier recours et un projet de
santé. Au-delà des fonctions de coordination, il sagit-là
dencourager lémergence de nouvelles pratiques pro-
fessionnelles voulues comme plus globales, collectives,
préventives et inscrites dans la durée.
Lirruption de léquipe
dans la formation des médecins
généralistes
Le travail en équipe est lune des compétences de
médecine générale [9]. La compétence « travailler en
équipe au sein du système de santé » était la cinquième des
11 compétences de médecine générale. Depuis que ces
compétences sont passées au nombre de 6, elle napparaît
plus explicitement mais reste une compétence transversale
de la pratique et donc de la formation des médecins
généralistes. La façon dont cette compétence est abordée
afaitlobjet de plusieurs travaux de thèse [10, 11].
Nous savons, et larticle de Jane Kenaghan « Entre
médecins et inrmiers, risques dévénements indésira-
bles » inclus dans ce numéro nous en donne un exemple,
que les conits ne sont pas si rares à lhôpital. Quen est-il
en ambulatoire ? Vaste champ de recherche encore
largement inexploré. Avis aux thésards.
Le groupe cest toujours mieux ?
Plébiscitées dans les aspirations des jeunes et des
institutions, les MSP semblent représenter une alternative
au dilemme libéral/salarié. Travailler en ambulatoire,
certes mais pas seul. La panacée est-elle enn à portée ?
Pas si sûr. Nombre de conits, traités ou pas par les
juridictions ordinales, relèvent de tensions entre pro-
fessionnels de santé travaillant en groupe. Une étude
récente sur lépuisement professionnel en Grande Breta-
gne [12] a montré que celui-ci était plus élevé dans les
cabinets de groupes que lors de lexercice individuel.
Quen est-il également des incompréhensions et risques
inhérents au travail déquipe ? Un ouvrage au titre
explicite, « Les décisions absurdes »[13], apporte des
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éléments danalyse de la dynamique de groupe pas
toujours aussi glorieuse quon veut bien le croire.
Alors seul ou accompagné ? fromage ou dessert ? Chacun
en fonction de son histoire, de ses besoins, désirs et
compétences. Dans tous les cas, les difcultés et richesses
dépendent non seulement de la structure où lon exerce
mais aussi de chacun de nous et de ceux qui nous
entourent. On travaille toujours avec les autres et on le
fait avec plus ou moins de bonheur.
Les facteurs inuençant le travail
des équipes
Une étude hospitalière [14] repère 3 catégories de
facteurs : 1) les facteurs interactionnels : volonté à
collaborer, conance mutuelle, communication, respect,
2) les facteurs organisationnels structurels (il faudrait
privilégier, selon les auteurs, une structure plate, décen-
tralisée en opposition à une structure plus traditionnelle
hiérarchique qui ne facilite pas la mise en place dune
prise de décision partagée et une communication
ouverte) et administratifs (incluant des mécanismes de
coordination et de communication), 3) les facteurs macro-
structurels : le système social (notamment les pouvoirs
des différentes professions) et culturel, les systèmes
professionnel et éducatif. Or, les caractéristiques de ces
différents domaines sont loin dêtre enseignées aux
étudiants en médecine et aux médecins quils deviennent.
Travailler la réexivité, léquipe...
et les valeurs
Un ouvrage paru en 2013 [15] souligne lintérêt de
la vigilance par rapport à son activité professionnelle.
Il consacre un chapitre entier aux relations entre
confrères, avec les pharmaciens et avec lhôpital.
Il sattarde en particulier sur les courriers écrits
par les uns ou les autres, leur importance et leurs
fragilités.
Chacun à sa place et avec les autres pour un objectif
centré sur le patient. On peut aussi progresser dans les
échanges et ça, ça se travaille. Tout dépend des objectifs
de léquipe et de chacun de ses membres. Or, ces objectifs
ne sont pas toujours totalement explicites et partagés
par tous.
Au fond, il sagit de changer de niveau de logique en
étant attentif aux interactions, à ce qui est dit et ce qui ne
lest pas, à la façon dont sont discutées les difcultés, à la
manière dont circule linformation et dont elle est tracée
et accessible. Les échanges de courrier entre le premier
recours et lhôpital sont ici notamment en question.
Encore plus complexe : le dossier partagé nira-t-il par
voir le jour ? Avec quelles modalités et quels garde-fous ?
Les outils proposés par lapproche systémique et la
sociologie sont ici particulièrement utiles. En particulier,
lorsque différentes professions sont amenées à collabo-
rer, la prise en compte des spécicités de chaque métier
et lattention aux « interstices » et à leur gestion est
utile.
Enn et peut-être surtout, la prise en compte des
« valeurs », ce qui est important et ce qui lest moins,
des différents intervenants et de leur groupe dapparte-
nance est une nécessité. Et lEBM rejoint ainsi la VBM :
Values Based Medicine [16]. Nous y reviendrons pro-
chainement.
~Liens dintérêts : lauteur déclare navoir aucun lien
dintérêt en rapport avec larticle.
RÉFÉRENCES
1. Allemand H, Jourdan MF. Les références médicales opposables. Rev Med Ass
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2. Galam E. Soigner les soignants La formation implicite des médecins et leurs
fragilités. Médecine 2015 ; 11 : 388-90.
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Management and impacts on the hidden curriculum. Qualitative study of
37 situations in Paris. Presse Med 2016 ; 45 : e39-50.
4. Ministère des affaires sociales et de la santé. Programme national pour la sécurité
des patients. PNSP http://social-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/qualite-des-soins-et-
pratiques/securite/securite-des-soins-securite-des-patients/pnsp.(accès le 08/05/2016).
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healthcare staff perceptions of teamworking. Qual Saf Health Care 2008 ; 17 : 127-30.
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practice-based interventions on professional practice and healthcare outcomes.
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7. Salas E, Rosen MA. Building high reliability teams : progress and some reections
on teamwork training. BMJ Qual Saf 2013 ; 22 : 369-73.
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médicaments. Linterruption de tâches lors de ladministration des médicaments.
Janvier 2016.
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médecine générale. Exercer 2013 ; 108 : 148-55.
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11. Talbi R. Se préparer à lexercice professionnel : analyse des traces dapprentissage
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of 564 doctors, 760 consultations and 1876 patient reports in UK general practice. BMJ
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Internationale en Management. Beyrouth Feb 2007:57-75.
15. Amalberti R, Brami J. Audit de sécurité des soins en médecins de ville. Paris :
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16. Fulford Bill. Ten principles of values based medicine.
http://www.wpanet.org/uploads/Sections/Philosopy_and_Humanities/ten-principles-
of-value-based-medicine.pdf accès le 29 avril 2016..
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