abc article original Ann Biol Clin 2005 ; 63 (6) : 627-30 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Épidémiologie moléculaire de la mucoviscidose en Tunisie T. S. A. J. C. S. Messaoud1 Bel Haj Fredj1 Bibi1 Elion2 Férec3 Fattoum1 1 Laboratoire de biochimie clinique, Hôpital d’Enfants de Tunis, Tunisie 2 Laboratoire de biochimie génétique, Fédération de génétique, hôpital Robert Debré, Paris, France 3 Laboratoire de génétique moléculaire, Établissement français du sang – Bretagne, Brest, France Résumé. La mucoviscidose ou fibrose kystique du pancréas est la maladie autosomique récessive la plus fréquente dans la population nord européenne. Le développement des techniques de biologie moléculaire a largement facilité la mise en place des techniques d’étude des différentes lésions moléculaires du gène CFTR responsables de la mucoviscidose dont le nombre actuellement est supérieur à 1 300 mutations. Dans le présent travail, nous rapportons la stratégie d’étude de ces lésions sur 390 enfants appartenant à 383 familles non apparentées suspects de mucoviscidose et qui nous sont parvenues de la plupart des régions de la Tunisie. Plusieurs techniques de biologie moléculaire ont été utilisées pour le diagnostic génotypique : l’extraction de l’ADN à partir du sang périphérique, la réaction de polymérisation en chaîne (PCR), l’électrophorèse sur gel de polyacrylamide, la PCR multiplex et l’électrophorèse sur gel en gradient dénaturant (DGGE) suivie au besoin par une réaction de séquençage du gène CFTR. Cette étude a permis d’identifier 17 mutations localisées sur différents exons du gène CFTR. La mutation délétionnelle F508del est la plus fréquente (50,74 %) suivie de 3 autres mutations communément retrouvées dans les pays du bassin méditerranéen : G542X, W1282X et N1303K, à côté de 4 autres mutations (T665S, 2766del8, F1166C, L1043R) retrouvées exclusivement à ce jour, dans la population tunisienne. Les résultats obtenus ont permis d’une part, d’établir le profil des mutations mucoviscidosiques et leur distribution dans le pays et, d’autre part, de mettre en œuvre une stratégie de prévention de ces maladies à travers le conseil génétique et le diagnostic prénatal. Mots clés : mucoviscidose, défaut moléculaire, population tunisienne Article reçu le 4 mars 2005, accepté le 9 septembre 2005 Abstract. Cystic fibrosis is the most frequent autosomal recessive genetic disease in North European population. This pathology seems to not be rare in Tunisia. On another hand, development of molecular biology technics has largely contributed to implement the study of the different mutations in the CFTR gene where over of 1.300 mutations were reported. Herein, we describe the strategy used to detect molecular defects responsible of cystic fibrosis on 390 childrens (383 families) in Tunisian population. Several technics were performed for genotype diagnosis: DNA extraction was from peripheral blood. Polymerase chain reaction (PCR) and polyacylamide gel electrophoresis, and reverse dot blot procedures were used to detect known point mutations. Denaturant gradient gel electrophoresis (DGGE) were used in a next step searching for the unknown point mutations that are later indentified by automated sequencing on ABIprism 310. This strategy allowed us to detect 17 different mutations located on the different exons of the CFTR gene. The most frequent was the F508del (50,74 %) followed by three other mutations (G542X, W1282X and N1303K) known to be common in the Mediterranean area. For mutations (T665S, 2766 del8, F1166C, L1043R) were exclusively found, up to Tirés à part : S. Fattoum Ann Biol Clin, vol. 63, n° 6, novembre-décembre 2005 627 article original now, in the Tunisian population. Our results permitted to establish cystic fibrosis mutations and their distribution in Tunisia and to implement an appropriate prevention program of these diseases through the genetic council and prenatal diagnosis. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Key words: cystic fibrosis, molecular defect, Tunisian population La mucoviscidose est la maladie héréditaire autosomique récessive la plus fréquente dans les populations caucasiennes d’Europe centrale (1/3 000). Elle est réputée rare en Afrique du Nord et au Maghreb. C’est une exocrinopathie généralisée, frappant les glandes séreuses et les glandes à sécrétion muqueuse. Sont touchés principalement l’appareil respiratoire, le tube digestif, mais également les glandes sudoripares et le tractus génital avec obstruction des canaux déférents entraînant une stérilité par azoospermie [1]. Son diagnostic a toujours reposé sur des signes cliniques d’orientation (pulmonaires et ou digestifs) complété par un test de la sueur positif avec des chlorures ≥ 60 mmol/L. La confirmation du diagnostic se fait par l’analyse moléculaire du gène CFTR à la recherche de la lésion en cause. Le gène CFTR est porté par le bras long du chromosome 7 ; il code pour une protéine de 1 480 acides aminés, appelée CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) responsable du transfert des ions chlorures à travers la membrane cellulaire [2]. Plus de 1 300 mutations différentes responsables de mucoviscidose ont été identifiées de par le monde. La mutation F508del reste la plus fréquente en Europe [3]. Ces mutations sont regroupées en plusieurs classes selon la nature de la lésion moléculaire et le mécanisme physiopathologique en cause. Cette classification est à la base de l’étude des corrélations génotype-phénotype dans l’expression de la mucoviscidose. Nous rapportons dans le présent travail une mise à jour de la fréquence et de la distribution des mutations identifiées concernant une cohorte de 383 familles qui nous sont parvenues de la plupart des régions de la Tunisie pour suspicion de mucoviscidose. Matériel et méthodes Population En Tunisie, les premiers travaux ont commencé en 1990 avec l’analyse du test de la sueur, que nous avons réalisé chez 5 571 enfants suspects de mucoviscidose, l’âge de ces malades varie entre 1 mois et 12 ans. Ce test était positif dans 7 % des cas soit 390 enfants appartenant à 383 familles non apparentées. Le dosage des ions chlorures est 628 effectué par potentiométrie sur de la sueur recueillie par iontophorèse [4, 5]. Les taux usuels sont généralement admis comme : normal < 40 mmol/l et douteux entre 40 et 60 mmol/L. L’analyse moléculaire a été effectuée chez les sujets présentant des signes cliniques évocateurs de mucoviscidose avec au moins deux tests de la sueur positifs (269 enfants). Devant la sévérité du tableau clinique, deux enfants ayant présenté un test négatif ont bénéficié d’une analyse génétique. De même, cette étude a été réalisée chez un sujet d’origine algérienne présentant une stérilité masculine. Stratégie d’étude moléculaire La stratégie d’étude moléculaire passe par plusieurs étapes nécessitant une extraction de l’ADN [6], une amplification par PCR simple [7] et une électrophorèse sur gel de polyacrylamide pour la recherche des mutations F508del et 2766del 8 [8]. Pour les mutations connues, une PCR multiplex utilisant un mélange de plusieurs couples d’amorces à la fois suivie d’une électrophorèse capillaire sur analyseur automatique de fragments (ABI 310 Applied BioSystem, États-Unis). Cette technique permet actuellement de tester 31 mutations à la fois (oligonucleotide lingand assay : OLA) [9]. Pour les mutations inconnues, une électrophorèse sur gel à gradient dénaturant (DGGE) est pratiquée pour compléter l’exploration du gène CFTR [7, 10]. Une réaction de séquençage selon la technique de Sanger permettra de préciser le siège et la nature des mutations ciblées par la DGGE : E1104X, R74W, D1270N, Y122X, T665S, R1066C, I148T, F1166C. Cette technique est réalisée sur un automate de type ABI Prism 310 (Applied BioSystems, États-Unis) [11]. Pour 40 malades, la chromatographie liquide à haute pression dénaturante (dHPLC) a été réalisée en remplacement de la DGGE [12]. La recherche des grandes délétions a été effectuée sur 32 malades par PCR quantitative en temps réel. Résultats et commentaires Le test de la sueur effectué chez nos malades a été positif chez 381 enfants avec des taux allant de 67 à 159 mmol/L (moyenne des chlorures de 91,8 ± 24,4 mmol/L). Sur les Ann Biol Clin, vol. 63, n° 6, novembre-décembre 2005 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Épidémiologie moléculaire de la mucoviscidose 540 chromosomes étudiés soit 270 malades, la lésion moléculaire a été identifiée dans 70 % des cas révélant 17 mutations différentes (tableau 1). Ces résultats confortent ceux rapportés précédemment sur une étude préliminaire réalisée sur 47 chromosomes [13] ; la mutation F508del est de loin la plus fréquente (50,74 %) suivie de trois autres mutations communément retrouvées dans les pays du pourtour méditerranéen : G542X (7,96 %), W1282X (6,66 %) et N1303K (5,92 %). La mutation 2766 del 8, nouvellement décrite en Tunisie occupe la 5e place (4,25 %). Elle a été observée à l’état homozygote dans deux cas et hétérozygote composite dans 6 cas issus de six régions différentes du pays. Les autres mutations identifiées sont plus rares : il s’agit de la mutation 711+1G→T (4,23 %). La mutation E1104X (1,85 %) nouvellement identifiée dans notre série et 7 autres mutations encore plus rares : G85E, D1270N, R74W, R1066C, Y122X, T665S et I148T. La mutation V201M a été détectée par dHPLC [14], dans un cas de stérilité masculine par agénésie bilatérale des canaux déférents (CABVD). Par ailleurs, nous rapportons deux nouvelles mutations à l’état hétérozygote, décrites pour la première fois dans la littérature : la mutation F1166C identifiée par DGGE et la mutation L1043R (par dHPLC) et situées respectivement au niveau des exons 19 et 17a du gène CFTR. L’homozygotie est retrouvée dans 64,44 % des cas dont 66,09 % sont F508del/F508del et 33,9 % non F508del/non F508del. Ce phénomène est favorisé par le taux communément élevé de consanguinité en Tunisie, comme il a déjà été observé dans d’autres maladies génétiques fréquentes telles que la b-thalassémie et la drépanocytose. Dans notre série la consanguinité a été notée à l’interrogatoire dans 211 couples, le degré de parenté concerne 86,44 % des cas dont 28,81 % sont du 1er ou du 2e degré. La répartition géographique a permis de constater que les sujets étudiés sont originaires de 19 gouvernorats différents (tableau 2). Le grand Tunis et le sud-est (SE) semblent être les régions les plus concernées par la mucoviscidose avec respectivement 22,18 % et 18,18 % des patients identifiés. Ceci peut être expliqué en partie par le recrutement plus important de malades issus de ces régions. La répartition des mutations permet de constater une grande hétérogénéité dans la plupart des gouvernorats. Enfin nous voulons noter la présence de deux cas de test de la sueur négatifs (23 et 26 mmol/L) avec des signes cliniques évocateurs qui nous ont poussé à procéder à l’analyse moléculaire. Ceci nous a permis en effet d’identifier deux mutations à l’état homozygote dans les deux cas (F508del/F508del et G542X / G542X). Pour le restant des sujets présentant une forte suspicion clinique de mucoviscidose (48 cas), aucune mutation n’a été retrouvée par les techniques utilisées malgré un test de Ann Biol Clin, vol. 63, n° 6, novembre-décembre 2005 Tableau 1. Spectre des mutations du gène CFTR dans la population tunisienne. Mutations F508del G542X W1282X N1303K 711+ 1G→ T 2766del 8 E1104X G85E R74W D1270N Y 122X T665 S R1066C I 148T F1166C L1043R V201M Non déterminée Nombre de chromosomes Homozygote Hétérozygote Total 230 44 274 34 9 43 32 4 36 20 12 32 20 3 23 4 6 10 4 5 9 4 2 6 2 2 2 2 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 96 Fréquence Pourcentage 50,74 7,96 6,66 5,92 4,25 1,85 1,66 1,11 0,37 0,37 0,18 0,18 0,18 0,18 0,18 0,18 0,18 17,77 Tableau 2. Répartition géographique des familles répertoriées pour mucoviscidose (1 ou 2 mutations identifiées). Régions Grand Tunis Nord-Est Nord –Ouest Centre-Est Centre-Ouest Sud-Est Étranger Non déterminée Familles Nombre 60 49 25 19 26 52 1 38 Pourcentage 22,18 18,18 9,30 7,00 9,50 19,30 0,37 14,17 la sueur positif à plusieurs reprises (de 92 à 113 mmol/L, avec une moyenne de 97 ± 7,2 mmol/L). La fréquence de 50,74 % pour la F508del peut cadrer avec le gradient décroissant décrit pour cette mutation du nordouest de l’Europe (88 % au Danemark) au sud-est [3]. Les nouvelles mutations tunisiennes publiées en 1996 (T665S et la 2766 del 8) et retrouvées dans 9 familles non apparentées de diverses régions du pays n’ont pas encore été rapportées dans d’autres ethnies. Cela suggère vraisemblablement une spécificité à la population tunisienne étudiée, d’autant plus que la mutation 2766 del 8 a été retrouvée dans la plupart des cas, en association avec la mutation N1303K. Des études complémentaires sont nécessaires pour un typage précis afin d’expliquer cette hétérozgotie composite. 629 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. article original Le taux élevé (17,77 %) de mutations restant non identifiées après une première recherche ayant comporté l’analyse de tous les exons n’est pas pour nous étonner, cette même proportion a été rapportée dans d’autres pays du monde tels que l’Espagne, l’Italie et certaines régions de la France. Le gène CFTR est en effet de grande taille (250 Kb) et une recherche plus fine doit s’intéresser aux zones de régulation du gène en 5’ et en 3’ mais également aux séquences introniques non encore explorées. Nous pensons en particulier à la mutation 1811+ 1,6 Kb A→G retrouvée avec une fréquence élevée (8,8 %) dans les régions du sud-ouest de la France avec lesquelles nous partageons plusieurs autres mutations [15]. Nous pensons également à une autre mutation, la 3120+1 G→A récemment identifiée par DGGE à des taux significativement importants (9 à 14 %) dans certaines populations arabes (Arabie saoudite) ou d’origine africaine, avec lesquelles d’ailleurs nous avons en commun une mutation très rare : la D1270N généralement retrouvée dans les cas de stérilité par agénésie des canaux déférents [16]. Conclusion La mucoviscidose est une affection rare sans être exceptionnelle dans notre pays. Nous avons observé une nette augmentation du nombre de patients diagnostiqués au fil des années (prés de 383 familles répertoriées à ce jour) grâce à la sensibilisation des praticiens et au developpement des moyens du diagnostic. Les données épidémiologiques et moléculaires que nous venons d’évoquer sont de nature à attirer l’attention sur la nécessité de ne pas exclure cette pathologie de la routine des explorations chez les enfants présentant des signes évocateurs de mucoviscidose afin de permettre un diagnostic et une prise en charge précoces. Elles ont également un intérêt majeur dans l’étude des corrélations phénotype-génotype [17] afin d’instaurer une prévention efficace de ces maladies génétiques invalidantes, par le biais du diagnostic prénatal chez les couples à risque. Remerciements. Le présent travail a été mis en route dans le cadre d’une coopération Tuniso-française (CNTS-Brest, Hôpital Robert Debré-Paris) et est financé actuellement dans le cadre d’un contrat recherche à l’hôpital d’enfants de Tunis par les Ministères de la Recherche scientifique et de la Santé publique (Lab santé 01). Nous remercions les collègues du groupe d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition de la société tunisienne de pédiatrie qui ont bien voulu nous adresser leurs patients pour étude génétique. 630 Références 1. Bienvenu T. Les bases moléculaires de l’hétérogénéité phénotypique dans la mucoviscidose. Ann Biol Clin (Paris) 1997 ; 55 : 113-22. 2. Férec C, Mercier B, Audrézet MP. Les mutations de la mucoviscidose : du génotype au phénotype. Med Sci (Paris) 1994 ; 10 : 631-9. 3. Tomaiuolo R, Spina M, Castaldo G. Molecular diagnosis of cystic fibrosis : comparison of four analytical procedures. Clin Chem Lab Med 2003 ; 41 : 26-32. 4. Gibson LE, Cooke RE. 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