LE FRANC CFA
Une dynamique monétaire d’avenir
Il est légitime d’exiger des banques centrales de « contextualiser »
leur action et de revoir leurs arbitrages.
Rompre le processus schizophrénique – Au moment des indépendances, les chefs d’État ont choisi
de préserver la coopération monétaire mise en place par le franc CFA. Dans la doctrine de
l’intégration régionale, il y a d’abord la zone de libre-échange, ensuite une union douanière avec la
mise en place de tarifs extérieurs communs, puis un marché unique commun avec la libre-circulation
des personnes, des biens, des services et des capitaux, et, enfin, la création d’une monnaie commune
ou d’une monnaie unique. Le fait pour l’UEMOA et la CEMAC d’avoir entamé le processus par la fin
engendre une forme de schizophrénie : le processus d’intégration est bouclé dans les textes, mais
pas tout-à-fait dans la réalité. Les États membres se retrouvent pris dans cet entredeux ; il leur
manque les mécanismes incitatifs pour donner un contenu réel à une monnaie reçue en héritage. Il y
a là dès lors une forte responsabilité des politiques qui, souvent, alors qu’ils affirment la nécessité de
l’intégration refusent dans le même temps tout abandon de souveraineté. À l’heure actuelle, ce qui
s’observe sur le terrain, c’est un dessaisissement des institutions communautaires (des banques
centrales, des commissions de l’UEMOA et de la CEMAC, de la banque africaine de développement)
au profit des chefs d’État, plus enclins à personnaliser les enjeux. Ainsi, sur la question de la sécurité
alimentaire, c’est le président du Niger, Issoufou Mahamadou, qui est le chef de file ; sur la question
de l’énergie, c’est le président du Bénin, Thomas Boni Yayi ; sur la question de la paix et de la
sécurité, c’est le président sénégalais, Macky Sall ; sur la question du financement, c’est le président
ivoirien, Alassane Ouattara. Ils respectent ce partage de responsabilités avec sérieux mais l’exercice
reste purement intergouvernemental, et non fédéral. Un moment ou l’autre se posera la question du
type d’intégration voulu.
AUJOURD’HUI, UN TIERS DE L’AGRICULTURE VIVRIÈRE africaine pourrit dans les champs faute
d’être transportée pour être conservée et commercialisée. Les infrastructures qui seraient
nécessaires font défaut sur le continent qui, ici comme dans tous les autres secteurs, doit importer
ces outils. Comment le continent assurera-t-il ces importations si sa monnaie devient faible ?
Sortir du fétichisme de la monnaie – Le discours à l’œuvre depuis 55 ans sanctuarise la stabilité
procurée par le franc CFA. Mais aujourd’hui l’argument ne suffit plus : c’est la stabilité
macroéconomique que la région doit trouver. Quand une banque centrale fait bien son travail, sa
base idéologique est le monétarisme, la neutralité de la monnaie ; mais dans la zone franc CFA, le
rationnement du crédit, doublé par la faiblesse des impulsions monétaires (notamment lié au degré
d’informalité de l’économie), empêche la monnaie de se mettre au service de l’économie ; la
monnaie n’est plus neutre, et toute politique monétaire dévoyée. Par ailleurs, toute politique
budgétaire est aussi impossible car, depuis le début des années 1980, les budgets sont corsetés dans
le cadre des ajustements structurels et des critères de convergence.