27 janvier 2016 LE FRANC CFA - Centre d`Etude et de Prospective

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Note d’étonnement
JANVIER 2016
LE FRANC CFA
Un frein à l’émergence des pays africains ?
LE FRANC CFA
Dépasser les mythes.
PROBLÉMATIQUE
Le franc CFA est-il un frein à l’émergence des pays africains ? La question n’est pas neutre : tous les
États africains n’ont pas le franc CFA en partage et, par ailleurs, tous les États africains de la zone
franc CFA ne sont pas pressés de se mettre sur la voie de l’émergence. La question n’est pas non plus
nouvelle : alors que le franc CFA venait en 1958 de se transformer en « franc de la communauté
française d'Afrique », avec les indépendances, début des années 1960, il a été rapidement interpellé
tant dans sa valeur et sa pertinence, que dans son dispositif institutionnel ou dans son aptitude à
favoriser le développement des pays associés. Les premières salves ont été portées par les hommes
de science : professeurs d’université, chercheurs et théoriciens, dont certains parmi ces derniers
exerçaient parfois des responsabilités étatiques. Même si ces « opposants » ne se sont jamais
montrés unanimes dans leurs analyses, ils n’ont pas été seuls : des oppositions ont aussi émané des
milieux économiques : des milieux industriels soucieux de leur productivité, des exportateurs de
matières premières. Faut-il y ajouter les institutions de Bretton Woods ? Il ne fait de doute pour
personne que la dévaluation du franc CFA de janvier 1994 a été largement fomentée depuis
Washington. Mais le plus inattendu reste l’attitude de certains chefs d’État, très en verbe lorsqu’il
s’agit de critiquer le dispositif institutionnel du franc CFA.
Qu’est-ce qui fait problème avec le franc CFA ? Est-ce les noms de colonies françaises d’Afrique ou
de communauté française d'Afrique, restés dans nombre d’esprit ? Est-ce l’idée d’un certain
abandon depuis la disparition du franc ? La zone franc est devenue la portion congrue d’une vaste
zone euro (les monnaies qui la constitue ne représentent que 3 % de la masse monétaire de l’euro).
Est-ce encore son statut de monnaie commune ? Mais qu’y-a-t-il d’incongru à ce que plusieurs États
décident d’exercer collectivement leur souveraineté monétaire ? N’est-ce pas là la voie de
l’intégration tant vantée et tant recherchée ?
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MÉMO
La zone franc rassemble 15 États africains et 3 territoires du Pacifique répartis en 4 groupes :
 8 États d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le
Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo formant l'Union économique et monétaire ouest-africaine
(UEMOA), dont l'institut d'émission est la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest
(BCEAO) ; pour ce groupe, franc CFA est désormais désigné par franc de la communauté
financière d’Afrique ; son code ISO 4217 est XOF ;
 6 États d’Afrique centrale : le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo,
le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad, formant la Communauté économique et
monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), dont l'institut d'émission est la Banque des États de
l'Afrique centrale (BEAC) ; pour ce groupe, franc CFA est désigné par franc de la coopération
financière d'Afrique centrale ; son code ISO 4217 est XAF ;
 l'Union des Comores, utilisant le franc comorien ; son code ISO 4217 est KMF ;
 l'île de La Réunion a utilisé le franc CFA de 1945 à 1975, et Mayotte l'a utilisé de 1946 à 1976,
avant d'adopter tous deux le franc français puis l'euro ;
 les trois collectivités françaises du Pacifique : la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la
Nouvelle-Calédonie, dont l'institut d'émission est l’Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)
utilisent le franc pacifique (ou franc CFP) ; son code ISO 4217 est XPF.
Ces monnaies (XAF, XOF, KMF et XPF) représentent 3 % de la masse monétaire de l’euro. D'autres
pays, y compris en Afrique, utilisent une monnaie appelée franc, sans qu'elle soit arrimée à l'euro
et donc sans faire partie de la zone franc (c’est le cas de Djibouti et du franc djiboutien arrimé au
dollar américain, ou de la Guinée et du franc guinéen dont le change est libre).
Ne serait-ce pas le cortège des contreparties exigées en échange de la garantie du Trésor public
français (dont l’obligation pour les pays de déposer auprès de ce dernier 50 % de leurs réserves de
change) ?
Pourtant, derrière ce dispositif institutionnel qui dérange tant se tient un double enjeu : celui, d’une
part, d’une coopération délibérément choisie avec un partenaire dans un ensemble où la monnaie
n’est qu’un maillon ; et celui, d’autre part, de la stabilité : dans un monde en proie à la volatilité et
aux fluctuations erratiques.
Ne faudrait-il pas retourner la question et nous demander si le franc CFA n’est pas davantage
l’accélérateur de la croissance pour les États et les communautés de sa zone ?
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IDÉES CLÉS
LE FRANC CFA EN QUATRE FAITS STYLISÉS SUR…
Les échanges intracommunautaires – La part des échanges intracommunautaires au sein de la zone
franc CFA est relativement faible puisqu’elle oscille entre 10 et 15 %. En d’autres mots, 85 à 90 % des
échanges commerciaux des pays sont réalisés avec d’autres zones ou d’autres pays. Dès lors, la
question pertinente serait de savoir à quoi sert une monnaie unique en l’absence de relations
commerciales étroites. La monnaie perd ici sa fonction d’intermédiaire des échanges pour ne plus
être qu’une unité de compte et une réserve de valeur. Cette faiblesse des échanges
intracommunautaires s’explique par le fait que les États de la zone franc CFA sont restés au stade
d’une insertion primaire au sein du commerce international. Par exemple, alors que six pays sur huit
de l’UEMOA sont producteurs de coton, ils ne transforment que 3 % de la fibre et en exportent 97 %.
La compétitivité – Il est anachronique que des économies faibles – parmi les plus pauvres au monde
– soient rattachées de manière fixe à une des monnaies les plus fortes car une monnaie forte agit
finalement comme une taxe sur les exportations et une subvention sur les importations. Il en résulte
une très faible incitation à produire localement. L’illusion de la richesse favorise les importations.
Tous les pays de l’UEMOA à l’exception de la Côte d’Ivoire ont une balance commerciale déficitaire.
Avec un taux de change flottant, ce déficit chronique engendrerait de facto une dépréciation de la
monnaie. Qui plus est, sous l’impulsion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale,
l’UEMOA a réduit ses barrières douanières. Ce « désarmement tarifaire », couplé à une monnaie
faible, explique l’absence d’émergence d’une industrie, ne serait-ce que de transformation des
matières premières.
Le financement des économies – L’information économique est restée très embryonnaire et les
banques associent d’importants risques à la zone UEMOA et y rationnent en conséquence le crédit.
Le ratio crédits à l’économie / PIB ne dépasse pas les 20 %, ce qui est très inférieur au ratio moyen
des économies émergentes ou avancées. Pour rappel, ce ratio s’établit respectivement à 100 % dans
la zone euro et 150 % en Afrique du Sud. Aux États-Unis, il était de 300 % jusqu’à la crise des
subprimes. Les économies de la zone franc CFA souffrent d’un défaut de financement – elles en sont
restées au stade du troc.
Mais à ce rationnement endogène du crédit vient encore s’ajouter un rationnement administratif, lié
à la méfiance entretenue par la banque centrale (BCEAO) à l’égard du crédit à l’économie, car en
l’absence d’une industrie locale le crédit contribue lui-même à aggraver le déficit commercial et donc
le risque d’une dévaluation monétaire. C’est cette crainte qui justifie l’établissement chaque année
au mois de novembre d’un « programme monétaire » : les services des études et du crédit de chaque
direction nationale de la banque sont invités à fournir au siège le montant de crédits à ne pas
dépasser compte tenu des performances anticipées des économies et des objectifs en matière
d’avoirs extérieurs nets et d’inflation pour l’année à venir. La technique pose évidemment problème
dans un système financier libéralisé, en faussant les signaux de prix normalement disponibles (taux
directeurs de la banque centrale et taux débiteurs des banques). Il en résulte par ailleurs une
surliquidité bancaire, aujourd’hui estimée à 1 400 milliards de francs CFA au sein de l’UEMOA – soit
un montant deux fois supérieur à celui des réserves obligatoires !
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L’orientation de la politique monétaire – Pour la BCEAO à Dakar comme pour la BEAC à Yaoundé,
l’objectif reste la défense du taux de change. L’accumulation de réserves qui en résulte, auprès du
Trésor français, apparaît dès lors logique. Alors que les conventions du compte d’opérations
imposent aux deux banques centrales de couvrir leurs émissions monétaires à hauteur de 20 %, ces
taux frôlent aujourd’hui les 100 %. C’est finalement un régime de currency board (caisse d’émission
monétaire) qui prime – à l’image de la relation entre Hong-Kong et les États-Unis ou de l’Argentine
aussi avec les États-Unis jusqu’en 2002. Dans un environnement dominé par d’immenses besoins en
termes de croissance et d’emplois, cette relation n’est évidemment pas rationnelle.
LE FRANC CFA EN QUATRE PERSPECTIVES LIÉES
La transformation structurelle des économies – La question de la transformation structurelle des
économies de la zone franc s’avère une priorité. Ce qui pose la question des chaînes de valeur et de
l’aptitude d’une montée en gamme.
Le régime de change du franc CFA – Actuellement les deux banques centrales africaines ciblent le
taux de change nominal ; il serait envisageable de lui substituer le taux de change réel – reposant sur
la compétitivité réelle de l’économie. Le handicap d’une monnaie forte tomberait de lui-même, le
franc CFA s’en trouvant de facto rattaché à un panier de devises, en phase avec les orientations
commerciales des pays de la zone.
L’inclusion financière – Le taux de bancarisation de 4 % au sein de l’UEMOA témoigne du maintien
des économies dans l’informel. Les évolutions aujourd’hui à l’œuvre dans le domaine de la microfinance mériteraient toutefois de faire l’objet d’une surveillance afin que les taux d’intérêt pratiqués
ne soient pas prohibitifs. La « surliquidité bancaire » plaide elle-même en faveur d’une plus grande
intermédiation financière.
Un aggiornamento – A l’aune de la crise des subprimes, toutes les banques du monde ont évolué
dans la perception de leurs missions ; les politiques monétaires non conventionnelles aussi mises en
œuvre un peu partout dans le monde (basées sur le quantitative easing, l’assouplissement
quantitatif) ont elles-mêmes revisité l’arbitrage entre croissance économique et lutte contre
l’inflation. À l’instar des autres banques centrales – japonaise et maintenant américaines et
européennes – les deux banques centrales de la zone franc CFA doivent absolument revoir leur
capacité à aider les États, ce que faisait d’ailleurs auparavant la BCEAO (jusqu’en septembre 2002) en
allouant à chaque Trésor national 20 % des recettes fiscales de l’année écoulée. Actuellement les
émissions d’obligations coûtent en moyenne aux États membres 6 % alors que les taux directeurs de
la banque centrale sont à 2,5 %.
Avec une population qui double tous les 25 ans, et composée à 40 % de jeunes de moins de 15 ans
(et 75 % de moins de 35 ans), il est légitime d’exiger des banques centrales de « contextualiser » leur
action et de revoir leurs arbitrages. La mesure pourra être accompagnée par la création de deux
fonds : un fonds contra-cyclique (à l’exemple du FMI), apte à répondre aux chocs exceptionnels
(catastrophes naturelles, pandémies) ; un fonds structurel « de productivité », pour financer les
investissements dans les infrastructures.
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LE FRANC CFA
Une dynamique monétaire d’avenir
Il est légitime d’exiger des banques centrales de « contextualiser »
leur action et de revoir leurs arbitrages.
Rompre le processus schizophrénique – Au moment des indépendances, les chefs d’État ont choisi
de préserver la coopération monétaire mise en place par le franc CFA. Dans la doctrine de
l’intégration régionale, il y a d’abord la zone de libre-échange, ensuite une union douanière avec la
mise en place de tarifs extérieurs communs, puis un marché unique commun avec la libre-circulation
des personnes, des biens, des services et des capitaux, et, enfin, la création d’une monnaie commune
ou d’une monnaie unique. Le fait pour l’UEMOA et la CEMAC d’avoir entamé le processus par la fin
engendre une forme de schizophrénie : le processus d’intégration est bouclé dans les textes, mais
pas tout-à-fait dans la réalité. Les États membres se retrouvent pris dans cet entredeux ; il leur
manque les mécanismes incitatifs pour donner un contenu réel à une monnaie reçue en héritage. Il y
a là dès lors une forte responsabilité des politiques qui, souvent, alors qu’ils affirment la nécessité de
l’intégration refusent dans le même temps tout abandon de souveraineté. À l’heure actuelle, ce qui
s’observe sur le terrain, c’est un dessaisissement des institutions communautaires (des banques
centrales, des commissions de l’UEMOA et de la CEMAC, de la banque africaine de développement)
au profit des chefs d’État, plus enclins à personnaliser les enjeux. Ainsi, sur la question de la sécurité
alimentaire, c’est le président du Niger, Issoufou Mahamadou, qui est le chef de file ; sur la question
de l’énergie, c’est le président du Bénin, Thomas Boni Yayi ; sur la question de la paix et de la
sécurité, c’est le président sénégalais, Macky Sall ; sur la question du financement, c’est le président
ivoirien, Alassane Ouattara. Ils respectent ce partage de responsabilités avec sérieux mais l’exercice
reste purement intergouvernemental, et non fédéral. Un moment ou l’autre se posera la question du
type d’intégration voulu.
AUJOURD’HUI, UN TIERS DE L’AGRICULTURE VIVRIÈRE africaine pourrit dans les champs faute
d’être transportée pour être conservée et commercialisée. Les infrastructures qui seraient
nécessaires font défaut sur le continent qui, ici comme dans tous les autres secteurs, doit importer
ces outils. Comment le continent assurera-t-il ces importations si sa monnaie devient faible ?
Sortir du fétichisme de la monnaie – Le discours à l’œuvre depuis 55 ans sanctuarise la stabilité
procurée par le franc CFA. Mais aujourd’hui l’argument ne suffit plus : c’est la stabilité
macroéconomique que la région doit trouver. Quand une banque centrale fait bien son travail, sa
base idéologique est le monétarisme, la neutralité de la monnaie ; mais dans la zone franc CFA, le
rationnement du crédit, doublé par la faiblesse des impulsions monétaires (notamment lié au degré
d’informalité de l’économie), empêche la monnaie de se mettre au service de l’économie ; la
monnaie n’est plus neutre, et toute politique monétaire dévoyée. Par ailleurs, toute politique
budgétaire est aussi impossible car, depuis le début des années 1980, les budgets sont corsetés dans
le cadre des ajustements structurels et des critères de convergence.
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Le défi de notre génération est d’entamer la transformation
structurelle du continent.
L’objet est donc de retrouver ces deux leviers – monétaire et budgétaire – pour créer les conditions
d’une croissance structurelle inclusive. Trois éléments en constitueront le préalable :
1. Une vision
Quelle est la vision développée par les chefs d’État sur l’avenir de leur économie ?
2. Une gouvernance de qualité
Le franc CFA est aujourd’hui perçu comme un optimum de second rang dans des
environnements défaillants en termes de gouvernance. Après avoir vécu 70 ans avec le franc
CFA, les États vont-ils en rester là, dans une forme d’immobilisme ? Les banquiers centraux
refusent eux-mêmes de communiquer tant sur leur politique monétaire que sur les
contraintes auxquelles ils sont eux-mêmes assujettis.
3. L’évaluation
Cette évaluation ne pourra s’effectuer que sur une vision clairement annoncée.
En attendant, nous pouvons seulement nous demander : à qui profite cet immobilisme ? Qu’une
génération rentière en soit satisfaite, c’est probablement le cas, mais le défi de la nouvelle
génération, qui arrive au pouvoir, est d’entamer la transformation structurelle du continent. Cette
nouvelle génération ne peut accepter que celle qui l’a précédée en s’asseyant dans les fauteuils
laissés vides par les colonisateurs, attende que tout passe sans rien faire. Chaque génération a une
responsabilité historique, et celle de l’élite aujourd’hui aux manettes est de conduire les pays de la
zone à l’émergence.
LA ZONE FRANC REPOSE SUR 4 PRINCIPES :
1.
2.
3.
4.
La fixité du change
La garantie de la convertibilité
La liberté de circulation des capitaux
La centralisation des réserves de change
C’est ce dernier principe qui est peut-être le plus fondamental ; il est l’expression de la solidarité
régionale : c’est lui qui permet à l’importateur togolais de riz de s’approvisionner sans même se
rendre compte qu’il utilise parfois pour cela les devises de la Côte d’Ivoire.
Il serait absurde de perdre les gains de cette intégration régionale. L’objet est de faire un saut
qualitatif. C’est là la voie à suivre : faire un petit pas vers l’optimalité des zones UEMOA et CEMAC.
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Il serait absurde de perdre les gains de cette intégration régionale.
L’objet est de faire un saut qualitatif. C’est là la voie à suivre :
faire un petit pas vers l’optimalité des zones UEMOA et CEMAC.
Le rôle du politique dans une union monétaire – Qu’est-ce qui fait que la zone dollar est
performante en dehors même de toute intégration économique ? En réalité l’intégration politique
prend ici le pas : si survient dans État de la zone un choc dont le coût pourrait s’élever à 1 % du PIB,
des transferts s’effectuent pour rétablir l’équilibre*.
Ce que l’Histoire nous apprend c’est que les unions monétaires qui n’ont pas été précédées ou qui
n’engendrent pas rapidement une union politique sont vouées à l’échec. Les exemples d’échecs mais
aussi de réussites sont probants ; côté réussite, l’on peut citer l’union douanière allemande fondée
en 1834 par le Deutscher Zollverein ; cette union sera suivie de la fondation de la Confédération de
l'Allemagne du Nord (1867), puis de celle de l’Empire allemand (1871), puis enfin de la création du
mark (1875). Le même processus de réunification a été opéré en 1989, après la chute du mur : l’exRDA abandonne sa monnaie pour adopter celle de la RFA. Un autre exemple de réussite est fourni
par l’Italie qui présentait cinq monnaies au moment de la fondation du Royaume d’Italie en 1861 ;
c’est la lire piémontaise, la plus utilisée, qui a finalement été choisie pour devenir la lire italienne.
Dans ces trois cas de figure, l’union politique a bien précédé l’union monétaire.
Au contraire, dans le cas de l’Union monétaire latine : une convention monétaire unit, en décembre
1865, quatre pays signataires (Belgique, France, Suisse, Italie) qui sont rejoints par la Grèce dès 1868.
L’objet de ce traité était d’instituer une organisation monétaire commune fondée sur le régime de
bimétallisme or-argent. Sans autre développement politique, l’Union fut dissoute le 1er janvier 1927.
Le même sort attendait l’Union monétaire scandinave (Danemark, Suède, Norvège), créée en 1873,
qui survivra à la prise d’indépendance de la Norvège (jusqu’alors territoire autonome de la Suède)
mais non à la Première Guerre mondiale : le système monétaire s’effondre dès août 1914, après que
la Suède eut décidé d’abonner l’équivalence-or.
Une étude de prospective initiée par la Commission de l’UEMOA en 2011 (« UEMOA Vision 2020 »)
préconisait la constitution rapide d’une union politique reposant a minima sur une confédération – la
mutualisation d’un certain nombre de fonctions, au premier rang desquelles les douanes, la défense
et la sécurité, les affaires étrangères. C’est à partir de cette première vision politique commune que
les États pourront décider des systèmes idoines de transferts qui jetteront les bases d’un fédéralisme
budgétaire.
L’UEMOA, C’EST AUJOURD’HUI un État leader (la Côte d’Ivoire) suivi de 7 États suiveurs. Y instaurer
un fédéralisme budgétaire en dehors de toute union politique serait demander à la Côte d’Ivoire le
reste de l’Union. Pourquoi se sentirait-elle obliger de le faire ?
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Le sujet au cœur du débat (et de la solution à trouver) réside dans la relation entre l’union politique
et la viabilité d’une union monétaire.
Nous, Peuple Africain.
Nous, Peuple Africain – Que choisiraient les Africains si l’opportunité leur était offerte ? Peut-être
rejetteraient-ils le franc CFA ou à tout le moins son arrimage à l’euro, pour le regretter assez
rapidement tant il est vrai que « la monnaie est un fait social total »1. C’est d’ailleurs à ce titre qu’a
été perçue la dévaluation de 1994, bien au-delà de ses aspects économiques, dans sa dimension
affective (« Vous nous avez dévalués »).
La question revient dès lors à se demander : comment les États doivent-ils gérer à l’avenir la
spécificité de la relation France-Afrique ? Au moment des indépendances, les arguments politiques
jouaient de manière centrifuge : le désir d’indépendance financière constituait une forte incitation à
sortir de la zone franc CFA, mais les arguments économiques continuaient encore d’exercer un effet
centripète du fait de la relation économique persistante entre la France et ses anciennes colonies. La
raison économique l’emportait et suffisait à garantir la stabilité de la relation France-Afrique. 55 ans
plus tard, les « forces » sont dans un rapport contraire : sur le plan économique, la France n’est plus
le premier partenaire commercial de la zone (elle est clairement devancée par la Chine), et les forces
sont ici devenues centrifuges, faisant percevoir le franc CFA comme le dernier avatar de la
colonisation ; mais, sur le plan politique, c’est exactement l’inverse : les opérations Sangaris et
Barkhane, et toutes les interventions militaires françaises redonnent à la France une légitimité.
Martine LE BEC
Rédactrice en chef adjointe de la revue Prospective Stratégique
rapporteur du Club Nouveaux Repères
1
Georg Simmel, Philosophie de l’argent (1900)
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