Franc CFA

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Afrique / Economie
Le franc CFA, révélateur discret de l’ambiguïté des indépendances africaines
(MFI / 23.11.2010) Cinquante après les indépendances africaines, le franc CFA est
la monnaie commune de quatorze pays africains. Solidement arrimé à l’euro, il
continue pour certains d’être le symbole de l’influence française dans ses
anciennes colonies.
Si la question de la survivance de la zone franc, cinquante ans après les indépendances,
est la grande oubliée des débats franco-africains, c’est qu’elle peut être très vite
gênante. Elle est en effet emblématique de l’hésitation permanente des autorités
politiques de ces pays africains entre l’affirmation totale de leur indépendance
économique et la nécessité de continuer à se placer sous la protection de l’ancienne
puissance coloniale.
L’entrée d’une ex-colonie espagnole, la Guinée équatoriale en 1985, puis celle de la
Guinée-Bissau ex-portugaise en 1997 dans le club du franc CFA n’ont pas altéré
l’association dans les esprits entre franc CFA et influence française.
Une zone franc, deux francs CFA et deux banques centrales
Le franc des colonies françaises d’Afrique est né le 26 décembre 1945, le jour où la
France ratifie les accords de Bretton Woods dont l’objectif est de créer un ordre
monétaire international doté de nouvelles règles au sortir de la Seconde Guerre
mondiale. Le franc des colonies devient, en 1958, le franc de la Communauté française
d’Afrique, au moment où le général de Gaulle propose la formule de « la
communauté » aux colonies d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
La Guinée sous Sékou Touré est la seule qui rejette l’offre, demande et obtient
l’indépendance immédiate du pays en octobre 1958, près de deux ans avant toutes les
autres. La Guinée sort de la zone franc en 1960, crée sa propre banque centrale
chargée de frapper le franc guinéen.
Après la création du « nouveau franc français » en décembre 1958, la parité est fixée à
1 franc français pour 50 FCFA. Cette parité fixe ne bougera pas pendant 36 ans,
jusqu’à la dévaluation du franc CFA, le 12 janvier 1994, qui fut un choc retentissant
pour les usagers de la monnaie. En une nuit, la monnaie perdait la moitié de sa valeur
extérieure, 1 FF valant désormais 100 FCFA. La valse des étiquettes des produits
importés dans les supermarchés des capitales de tous les pays de la zone reste dans les
mémoires.
Le passage de la France à l’euro, le 1er janvier 1999, ne change rien à la parité qui
s’ajuste automatiquement : un euro vaut 6,55957 francs français, donc 655,957 FCFA.
Deux francs CFA d’égale valeur extérieure coexistent en Afrique : le franc de la
communauté financière africaine qui a cours dans les pays membres de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et le franc de la coopération
financière en Afrique centrale qui circule dans les pays membres de la Communauté
économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).
Basée à Dakar (Sénégal), la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO)
bat le franc CFA de la zone UEMOA tandis que la Banque des États d’Afrique
centrale (BEAC) établie à Yaoundé (Cameroun) se charge du franc CFA de la zone
CEMAC. Les deux instituts d’émission sont régis par des accords de coopération avec
le gouvernement français.
Perpétuation du pacte colonial et instrument de domination ?
Comme tous les symboles du passé colonial qui ont survécu longtemps après la
proclamation des indépendances, ce lien monétaire franco-africain fait l’objet de
controverses et de positions parfois très tranchées.
Deux clans s’opposent : d’un côté, ceux qui mettent en avant la contribution essentielle
du franc CFA à l’intégration des économies de 14 pays africains, les avantages d’une
monnaie stable garantie par un pays important sur la scène économique mondiale et
désormais arrimée à la solide monnaie commune européenne ; de l’autre, ceux qui y
voient le symbole de l’absence d’indépendance monétaire et économique des
anciennes colonies africaines.
Les pourfendeurs du franc CFA dénoncent la perpétuation du pacte colonial et
l’utilisation de cette monnaie comme un instrument discret et puissant du maintien de
la domination économique de la France dans son ancien pré carré. Au cœur des
critiques, se trouve la règle qui impose à chacune des banques centrales de déposer 50
% de leurs réserves de change – 65 % jusqu’en 2005 –, dans un compte d’opérations
ouvert au Trésor français. Cette obligation est la contrepartie de la garantie de
convertibilité illimitée du FCFA accordée par la France. De là à affirmer que les
réserves des pays africains de la zone franc « enrichissent la France », c’est un pas que
n’hésitent pas à franchir les commentateurs les plus virulents. Tout en reconnaissant la
réduction de la marge de manœuvre de la banque centrale induite par le mécanisme du
compte d’opérations, un économiste de la BCEAO à Dakar rappelle que toutes les
banques centrales du monde placent des réserves sur des places étrangères et que la
capacité interne de la BCEAO, par exemple, à opérer des placements financiers
complexes est limitée.
La France encore très présente
La place de la France dans le dispositif institutionnel des deux banques centrales est un
autre sujet de discussion. Le processus d’africanisation des instituts d’émission,
engagé dans les années 1970, n’a pas mis fin à la présence de représentants de l’État
français au sein de leurs conseils d’administration.
Avant une réforme institutionnelle de la BCEAO en avril 2010, la plus importante
depuis des décennies, deux représentants de la France siégeaient dans le Conseil
d’administration de la banque sur un total de 16 membres. Moins connu, le directeur
local de l’Agence française de développement (AFD) était membre du comité national
du crédit, organe qui délibère dans chaque État membre sur la distribution du crédit et
le volume de l'émission. La politique monétaire de la zone était cependant déterminée
par le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances des États membres, sans
intervention a priori de la France.
La réforme de 2010, discutée pendant des années, a renforcé l’indépendance de la
BCEAO à l’égard de la France. Il n’y a plus de représentant français au sein des
nouveaux conseils nationaux de crédit, mais il y aura toujours un représentant de la
France au conseil d’administration et un représentant également au comité de politique
monétaire, le nouvel organe décisionnel en matière de politique monétaire dans la zone
qui se réunit tous les trimestres. Si on fait remarquer au sein de la banque à Dakar que
les représentants de la France n’ont qu’une voix aux côtés des représentants des huit
États ouest-africains membres au sein du conseil et du comité, et qu’on salue l’esprit
de la récente réforme, beaucoup estiment qu’elle aurait dû aller plus loin. Et que, par
exemple, la présence de la France au sein du comité de politique monétaire n’est pas
nécessaire, sauf peut-être lors des réunions extraordinaires, convoquées en cas de
risque de crise monétaire.
Les principes fondamentaux de la gestion du franc CFA qui a survécu à toutes les
crises économiques, politiques et sociales dans les pays africains membres en
cinquante ans, mais également à la mort du franc français, son étalon historique,
semblent éternels. À moins que le projet de création d’une monnaie unique en Afrique
de l’Ouest à l’horizon 2018 et le grand dessein d’une union monétaire à l’échelle de
tout le continent africain qui figure dans les plans ambitieux de l’Union africaine ne
deviennent plus crédibles qu’ils ne l’ont jusque-là été.
Gilles Yabi
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