De la désinflation compétitive

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De la désinflation compétitive
à la monnaie unique
Norbert Holcblat, économiste
L'état de la France 2011-2012 La Découverte 2011
L'arrivée de la gauche au pouvoir à l'occasion de la
présidentielle de 1981 avait semblé enterrer le tournant de
1976 (premier gouvernement de Raymond Barre) qui avait
marqué la rupture avec le « keynésianisme » de la politique
économique française. Après quelques mois de volontarisme,
les premières inflexions de la politique de la gauche sont
intervenues en juin 1982 et le tournant définitif s'est produit en
mars 1983 avec l'adoption d'une franche politique de rigueur.
Celle-ci a été couplée avec un engagement sans nuance
dans l'approfondissement de la Communauté européenne,
elle-même de plus en plus modelée selon une logique
libérale. Les grandes orientations alors adoptées seront
globalement maintenues par les gouvernements successifs
au-delà des alternances politiques. La politique économique
dorénavant poursuivie a reposé sur quatre piliers :
-1. Le « franc fort », c'est-à-dire l'ancrage du franc au mark
par le biais du SME (Système monétaire européen). Cet
ancrage est apparu comme la pierre angulaire de la politique
économique à compter de 1983. Deux ultimes réajustements
de la parité du franc par rapport au mark allemand ont eu lieu
sous le gouvernement Chirac en 1986 et 1987. Le maintien
de la parité a ensuite quasiment été érigé en dogme par
Pierre Bérégovoy (ministre de l'Économie et des Finances de
1984 à 1986 et de 1988 à 1992, puis Premier ministre
jusqu'en 1993) et le franc est demeuré attaché au mark en
dépit, notamment, des incidences de la réunification
allemande.
- 2. Une politique salariale restrictive. L'indexation de fait des
salaires (en glissement) sur les prix a été remise en cause à
partir de la mi-1982. La pression du chômage aidant, les
salaires réels ont commencé à progresser sensiblement
moins vite que la productivité, enclenchant un déplacement
du partage de la valeur ajoutée en faveur des profits [voir
article p. 141].- 3. Le troisième pilier est la recherche de
l'équilibre budgétaire par la maîtrise d( la dépense publique,
qui doit cependant composer avec la conjoncture économique
dégradée de la première moitié des année; 1990. À partir du
projet de budget pour 1995, la réduction du déficit (non
seulement du budget, mais de l'ensemble des finances
publiques - comptes sociaux inclus) est redevenue la
préoccupation centrale : il s'agissait d'être en situation de
respecter le critère de limitation du déficit public à 3 % du PIB
figurant dans le traité de Maastricht de 1992. Les différents
budgets ont imposé des limites strictes à l'évolution des
dépenses. Des réformes restrictives de l'indemnisation du
chômage étaient déjà intervenues en 1992-1993, l'évolution
des dépenses de santé a été infléchie par le plan de réforme
de la Sécurité sociale de novembre 1995.
- 4. Le dernier pilier est la libéralisation de l'économie. Depuis
le budget de 1985, la préoccupation d'équilibre budgétaire
s'est doublée de la part des gouvernements successifs d'une
volonté de réduction des prélèvements fiscaux sur les
ménages - impôt sur le revenu -et sur les entreprises - taxe
professionnelle et impôt sur les sociétés -. Pour ce qui est de
l'impôt sur le revenu, l'allégement du barème s'est
accompagné de la mise en place de régimes dérogatoires
pour les revenus financiers. La libéralisation du système de
crédit, le développement de la finance directe et la
modernisation de la place financière de Paris ont été engagés
par la gauche à partir de 1984 et poursuivis depuis.
En matière de privatisation, de retraite, de baisse du coût du
travail et d'allégement des règles de gestion de la maind'œuvre, les gouvernements de droite ont pris l'initiative, mais
les mesures prises en 1986-1988 (gouvernement Balladur)
n'ont, pour l'essentiel, pas été infirmées lors des retours du
Parti socialiste au gouvernement. Si, avant 1986 et de 1988 à
1993, la gauche s'était refusée à privatiser (sauf à la
périphérie du secteur public), elle a profondément transformé
le mode de gestion des entreprises publiques dans le sens
d'une intégration grandissante des contraintes marchandes.
De 1997 à 2002, le gouvernement de Lionel Jospin a marqué
un ralliement sans guère de nuances au transfert au privé du
secteur public.
La politique de désinflation compétitive a largement réussi à
remplir les objectifs que ses initiateurs s'étaient fixés :
l'inflation française a baissé pour devenir parmi les plus
faibles de l'Union européenne, la parité franc/mark est restée
stable à partir de 1987, et le taux de marge des entreprises a
retrouvé des niveaux équivalents à la période antérieure au
premier « choc pétrolier » (1973-1974). Les excédents du
commerce extérieur et de la balance des paiements ont
marqué la disparition de la contrainte extérieure telle qu'elle
était appréhendée au début des années 1980. La pression
d'un marché des capitaux libéralisé et mondialisé s'y est
cependant substituée. Ces résultats, acquis à la fin des
années 1980, ont sensiblement modifié l'image de la France
aux yeux des investisseurs et des institutions financières
internationales, favorisant, à partir de 1993, la décrue
progressive des taux d'intérêt. Ils ont donné une crédibilité au
processus de marche vers l'Union économique et monétaire
consécutif au traité de Maastricht. Cela s'est traduit en 1993
par l'indépendance de la Banque de France en cohérence
avec la décision de mettre en place une Banque centrale
européenne (BCE) indépendante, dont la mission est de
mettre en œuvre une politique monétaire avant tout inspirée
par un objectif de stabilité des prix. Pourtant, au début des
années 1990, l'économie française a connu une récession
plus importante que celle de 1974-1975 et la reprise de 1994
s'est vite estompée.
Le gouvernement Juppé (1995-1997) s'était clairement inscrit
dans la continuité de cette politique, au moins à partir de
l'automne 1995, une fois définitivement écartées les
dénonciations de la « pensée unique » de la campagne
présidentielle de Jacques Chirac (1995).
Le gouvernement Jospin, installé début juin 1997, a très
rapidement montré que les infléchissements qu'il entendait
apporter ne remettaient pas en cause le choix de l'Union
monétaire. Dès la mi-juin, au sommet d'Amsterdam, il décida
d'accepter le Pacte de stabilité négocié entre les Quinze en
décembre 1996 à Dublin et institutionnalisant le critère du
plafond de déficit budgétaire au-delà du passage à la
monnaie unique.
Dès 1997, grâce à des mesures de rééquilibrage (économie
et alourdissement de l'impôt sur les bénéfices des sociétés) et
à l'affermissement de la reprise, le besoin de financement de
l'État a été ramené à3,6% du PIB et celui de l'ensemble des
administrations publiques à 3 % (y compris la soulte
correspondant à la prise en charge des retraites versées par
France Telecom à l'État) : la France s'est ainsi inscrite dans le
cadre de l'objectif fixé par le traité de Maastricht pour le
passage à la monnaie unique. Le cap devait être maintenu les
années suivantes. L'amélioration de la conjoncture
économique (et le mouvement des chômeurs de l'hiver 19971998) ont suscité au début de 1998 quelques débats sur
l'usage à faire des fruits de la croissance. L. Jospin a alors
clairement affirmé sa volonté d'en rester pour l'essentiel au
cadre fixé.
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