LA DIFFERENCIATION STRUCTURELLE EN CONTEXTE AFRICAIN Sur un enjeu des transformations en cours dans les champs économique et politique(*) Yves-André FAUm Deux imposants chantiers paraissent remplir l’agenda de l’Afrique subsaharienne contemporaine. Au plan économique tout d’abord où les problèmes actuels, pour n’avoir pas été totalement imprévisibles, sont nés de la confluence d‘évolutions éminemment néfastes et non maîtrisées par les gouvernements. En schématisant leur genèse il est permis d’identifier en premier lieu la montée cumulative de déséquilibres extérieurs, manifestés entre autres par la survenance, quasi simultanée -et par là même constitutive d’une conjoncture particulièrement critique-, entre la fin de la décennie soixante-dix et le début des années quatre-vingt, des effets d‘un endettement devenu exponentiel, d’une chute des recettes d‘exportation, d‘un mouvement de désinflation en Occident et d‘un relèvement des taux d’intérêt. La profonde dégradation des balances des paiements de tous les pays africains qui en a résulté porte témoignage comptable de cette première évolution. Le second volet, interne, de cette périlleuse situation, s’est signalé par la forte progression des déficits internes - finances publiques au sens large: administrations et secteurs parapublics -, par l’accroissement des arriérés de paiements, la faillite des systèmes bancaires nationaux, l’essoufflement du processus d’industrialisation, le repli de l’investissement. Un peu partout d’importants trains de réformes et de mesures d‘austérité ont été mis en oeuvre dans le cadre de programmes d‘ajustement structurel (PAS) arrêtés peu ou prou avec l’aide, quand ce n’était pas directement par le FMI (Fonds Monétaire International) et la BIRD (Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement dite Banque mondiale). Ces PAS ont globalement visé la restauration des grands équilibres financiers, l’assainissement des comptes publics, le désengagement économique des Etats, la réduction des importations, la libéralisation des prix et, théoriquement au moins, l’instauration d’un environnement incitatif de nature à assurer la relance des appareils productifs et à développer les exportations dans le cadre d’économies ouvertes à la concurrence internationale(1). (*) Inédit (1) Dans une littbrature, devenue fort abondante, consacrée aux ro rammes d‘ajustement structurel on signalera l’ouvrage désormais “classique” de Durufl%19% et les divers articles garus dans plusieurs livraisons -notamment dans les no3 B 7- de la revue Chroniques du UD, Paris, ORSTOM, qui renvoient eux-mêmes à des références bibliographiques nombreuses. 153 On a pu naturellement douter de la réalité de l’ajustement visé en principe par les programmes de restructuration et s’interroger sur l’adaptation véritable des PAS aux causes et composantes des crises auxquelles ils sont censés remédier; on peut encore, comme le fait subtilement Jean-François Bayart (Bayart 1992) soupçonner à présent un déplacement de l’objet des PAS et avancer qu’ils répondent désormais, pour les organisations multilatérales de Bretton Woods, à la double préoccupation de perpétuation de leur être bureaucratique et de maintien de leur “rating” bancaire, condition, comme on sait, de leur crédibilité pour lever des fonds à très faible intérêt sur le marché financier international ; toutes ces critiques et questions sont parfaitement légitimes et fécondes car elles rendent compte du décalage constant entre objectifs apparents visés et résultats réellement atteints ; cependant elles ne sauraient suggérer - et il semble même préférable d’affirmer explicitement le contraire - que l’absence d’ajustement des économies et de relance des activités résulteraient d‘un manque réel de rigueur; notamment elles ne doivent pas masquer ce fait majeur que les sociétés africaines ont été soumises depuis plus d’une décennie à des politiques d‘austérité mettant à mal, par leurs effets sociaux, les conditions de vie du plus grand nombre, générant, par leurs effets économiques, la récession dans de nombreux secteurs d’activité et entamant enfin les moyens d‘intervention de la puissance publique par quoi tenaient encore, tant bien que mal, maintes scrciétés au sud du Sahara. Sans doute faut-il voir plutôt dans une rigueur persistante non suivie d‘avantages visibles par tous et dans des répartitions inégalitaires des fardeaux de l’ajustement certains des facteurs premiers des révoltes surgies dans de nombreux pays africains au détour de l’année 1990. Car, dans le même temps où les politiques dconomiques de rigueur, pourtant bien concrètes depuis une dizaine d’années, tardaient à remettre les pays africains sur les chemins d’une nouvelle croissance, promise mais apparemment inaccessible - la diminution, en termes réels, du produit par habitant au Sud et l’amplification des transferts financiers nets vers le Nord montrent les limites de cet objectif -,leurs gouvernants, alertés par les bailleurs de fonds et débordés soudain par des mouvements sociaux de grande ampleur ont été sommés d’ouvrir le jeu politique, d’accepter le passage au multipartisme, d’organiser des élections ”libres et sincères”. Dans plusieurs cas ils ont été contraints de respecter le verdict des urnes en s’effaçant devant de nouvelles équipes dirigeantes incarnant l’alternance des idées et des générations et censées assurer, dans un bouillonnement confus d’attentes et d’aspirations quelquefois peu compatibles entre elles, aussi bien l’assainissement des gestions publiques que la “moralisation” de la vie politique et l’amélioration des conditions d’existence d’une population ayant payé un lourd tribut à une décennie d‘ajustement structurel (réduction des dépenses sociales de l’Etat, suppression des subventions, augmentation des tarifs de services publics, licenciements, etc.). 154 Sur le versant économique et financier des réformes en cours l’orientation générale et logique est claire et résumable en une courte formule ; les mesures dites d’ajustement prises çà et là pour contenir les plus forts déséquilibres extérieurs et diminuer les déficits internes tendent à modifier des régimes extensifs de production qui ont prévalu jusque-là en maints domaines, et pas seulement dans le secteur agricole mais aussi en matière industrielle et d’administration publique ; sont également attaqués les divers monopoles économiques et financiers et toutes sortes de situations de rente (par exemple en matière d’importatiodexportation, dans les circuits commerciaux intérieurs, etc.) dont certains, déjà anciens, n’avaient guère été affectés par l’accession des ex-pays colonisés à la souveraineté juridique, et dont beaucoup d’autres, créés depuis les années soixante, étaient le résultat de la régulation politique que devait servir impérieusement l’allocation des ressources économiques. Quant aux changements, imposés ou négociés, qu’on peut observer depuis peu sur les scènes politiques, ils ont pour effet, en poussant au démantèlement des régimes de confusion p a r t a t a t , voire en congédiant - avec les dWicultés et les incertitudes qu’on sait - des leaders qui s’étaient appropriés à titre viager le pouvoir gouvernemental, d’ouvrir l’espace de l’expression et de la représentation politiques A une pluralité d’intérêts, d’idéologies et d’organisations. Ces mouvements et ces changements qui affectent la sphère économique et la sphère politique, au-delà bien entendu de la diversité des formes par lesquelles ils s’expriment et des objectifs qu’ils servent et tenant justement à la spécificité de chacun de ces deux secteurs d’activité, ne sont cependant pas sans présenter certaines affinités fondamentales. I1 ne s’agit pas ici de faire allusion aux relations d’influence réciproque où s’inscrivent en permanence l’économique et le politique ni même d’évoquer, plus particulièrement à propos de la conjoncture présente, les conditionnements mutuels de I’état du jeu politique et de la situation d’ajustement structurel où se trouvent tels et tels pays. Une homologie discrète relie les processus de transformation dans les deux sphères: en chacune ce ne sont pas seulement les ressources qui sont passibles d’une répartition différente d‘hier, ce sont aussi, surtout, les conditions du jeu et de participation au jeu qui sont en voie de changement important - loin d‘être acquis certes, on conviendra aisément de cela. Aussi il n’est pas interdit de voir dans les bouleversements présents un enjeu, implicite mais transversal et peutêtre décisif à terme, qui serait celui d‘une plus grande différenciation et autonomisation acquise par un certain nombre de sphères de l’activité sociale, au premier rang desquelles la vie économique et la vie politique. Telle est en tout cas l’hypothèse qui sous-tend le présent texte et qui propose de lire les tensions, les ruptures et les transformations que connaît l’Afrique noire du début de la décennie quatre-vingt dix en ayant recours à des pistes théoriques et des cadres interprétatifs légués par des 155 approches - du développement et de la modernisation - ayant eu cours, naguère, dans les sciences sociales, en économie, sociologie et science politique principalement. A condition de les débarrasser de leurs scories épistémologiquement critiquables et de les compléter par les apports d’écoles plus récentes - de la structuration et de l’analyse des champs en l’occurrence -, ces ouvertures compréhensives sur la dynamique sociale paraissent encore susceptibles de mettre en lumière un des enjeux, que l’on pense majeurs même s’il n’est appréhendable que sur le long terme, des changements économiques et politiques actuels en Afrique subsaharienne. Différenciations structurelles et changements sociaux Si l’on tient pour exactes mais marginales les premières références historiques à la question de la division du travail que l’on trouve sous la plume de Boisguilbert dès 1695 (Perrot et Wolf€ 1986)’ on peut raisonnablement faire remonter la généalogie de la pensée autour du thème de la spécialisation des tâches au célèbre ouvrage d’Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations de 1776. Les trois premiers chapitres du livre I de la Richesse des Nations y sont en effet consacrés. Dans sa somme relative à l’Histoire de l’analyse économique Joseph A. Schumpeter (Schumpeter 1954/1983, tome I, pp. 258-275), tout en paraissant quelque peu injuste à l’égard du précurseur frangais(2)a pu, non sans arguments, voir dans l’ouvrage de 1’Ecossais la première solide réflexion sur le sujet à la fois pour l’insistance avec laquelle le penseur développait ce point mais aussi pour avoir, le premier, assimilé la division du travail au progrès économique. L’amélioration des techniques de production, la croissance du machinisme sont appréhendés par Adam Smith comme la conséquence de cette division. Celle-ci apparaît dans son oeuvre à la fois comme le résultat du développement des échanges et de l’expansion des marchés et à la fois comme l’instrument permettant de mesurer les effets de cette évolution (le progrès économique). Mais, comme on a pu par ailleurs le faire remarquer, cette division du travail, dans la même oeuvre, n’est pas expurgée de toute conception immanente et téléologique de l’activité sociale : Schumpeter lui-même accordait que la spécialisation dans l’oeuvre d‘A. Smith relevait d’une propension innée à l’échange” (Schumpeter 1954A983, tome I, p. 267). (2) I1 est signifcatif que dans sa formidable Hisfoire Joseph Schumpeter, ui n’oublie aucun des fondateurs de la pensée économique, présente et évalue les nomBreux travaux de Boisguilbert sans faire allusion au thème de la division du travail -dont Perrot et Wolf€ disent pourtant qu’il est le oint de départ des analyses de c e F e u r (Perrot et Wolff 1986 p. 5)- et en remette ye mérite pionnier exclusif au pro esseur écossais. De même n’omettons pas l’influence qu’a pu exercer sur les premiers penseurs du libéralisme économi ue le fameux ouwa e que le médecin hollandais étabh Londres Bernard de Mandede, publia en 1714 :f a fable des abeilles ou Vicesprivés, bénéflcespubiics, première véritable analyse des effets de com osition dont certams, baptisés “pervers”, ont été rendus célèbres auprès d‘un large pubic par tel sociologue françm contemporain. 156 Des pionniers de l'analyse économique aux fondateurs de la sociologie: inspiré par les travaux d'H. Spencer et son Traité de philosophie, Emile Durkheim, dans sa thèse De la division du travail social de 1893 s'était intéressé à la question des causes et du sens du passage à une différenciation sociale croissante dans les sociétés modernes (Durkheim 1893/1973). L'évolution de formes sociales "simples" vers des formes sociales "complexes" sur la base de processus de différenciation et d'agrégation était présentée comme liée à l'accroissement de la densité sociale (croît démographique, augmentation du volume et de la densité des relations et communications etc .).Ces perspectives apparaissaient épistémologiquement assainies par rapport à des conceptions antérieures rapportant la division du travail social à la pression des consciences utilitaristes ou à la mise en oeuvre du pacte social sur une base volontariste. Mais si l'explication s'annonçait moins ambitieuse au plan du finalisme et de facture plus mécaniste, car la différenciation dans l'analyse durkheimienne était conçue comme générée par des transformations d'ordre morphologique affectant les relations sociales, elle n'était pas épargnée par une tonalité évolutionniste. On sait que le schéma de la différenciation sociale se trouvait, chez Durkheim, corrélé à la constitution de deux types idéaux de solidarité : soit une solidarité à fondement mécanique correspondant à des ensembles sociaux de faible volume où l'organisation est peu différenciée, le droit de type répressif et l'individu intégré dans une conscience collective très vivace ; soit une solidarité à fondement organique correspondant à des sociétés de volume et densité élevés, dans lesquelles les fonctions sociales sont nettement différenciées, le droit de type coopératif et l'individu émancipé. Durkheim montrait en outre que la division qu'il examinait était à l'oeuvre dans tous les domaines de l'activité sociale (religion, politique, économie etc.) : elle générait en conséquence et spécialisation des rôles et apparition de la solidarité organique. Plus près de nous le sociologue américain Talcott Parsons (Parsons 1951 et 1973) a érigé les processus de différenciation sociale en une forme essentielle du changement social. Ses derniers travaux, comme l'a noté - pour mieux en critiquer la tendance - Anthony Giddens (Giddens 1987) sont eux aussi clairement marqués par la pensée évolutionniste. L'évolution sociale y est cernée en tant que processus progressif de différenciation reposant sur des "fonctions" de spécialisation, d'adaptation, de segmentation de sous-systèmes sociaux, d'intégration et de socialisation ("pattern maintenance"). La démultiplication en sous-systèmes apparaît dans ce cadre conceptuel comme synonyme d'une complexité sociale croissante et la différenciation y est présentée comme étant de nature parfaitement fonctionnelle. Le sociologue américain met en place le tableau 157 typologique et historique des établissements humains qui va des "sociétés primitives" aux "sociétés modernes" en passant par des "sociétés intermédiaires", les premières étant jugées les plus "simples" en raison du faible degré ou même de l'absence de différenciation, de la prédominance accordée aux relations de parenté et à la force du mythe qui rassemble la totalité communautaire. En science politique, à partir des années cinquante vont apparaître, essentiellement aux Etats-Unis, d'innombrables études et schémas qui se proposent d'identifier les ressorts du développement politique et de la modernisation. Cette école largement sujette à biais et à critiques nous intéresse ici dans la mesure où la daérenciation apparaît finalement "comme le dénominateur commun à tous les modèles" avancés dans le paradigme développementaliste (Badie 1978 p. 42). On sait que les travaux sur le développement politique ont trouvé initialement une forte inspiration chez les économistes ; ceux-ci avançaient que l'accès des sociétés à la modernité se vérifiait sur la base de transformations successivesjugées nécessaires ou en tout cas positives et observables par un certain nombre de processus qualitatifs (passage de l'autosubsistance à l'économie de marché, de l'agriculture à l'industrialisation, de la ruralité à la citadinité etc.) et/ou mesurables par une batterie d'indicateurs quantitatifs (PNB, taux de scolarisation, volume des communications etc .). Parallèlement à l'affaiblissement des allégeances et affiliations de type traditionnel, d'une individualisation des relations, d'une mobilité sociale etc., des phénomènes de division du travail, de différenciation des structures et des fonctions, de spécialisation des tâches se situaient au coeur de ces transformations développementales(s),. Les travaux de W. W. Rostow (Rostow 1953 et 196011963) ont sans doute le mieux représenté ces nouvelles préoccupations de milieu de siècle et dont l'influence a largement débordé le milieu originaire des économistes. Exprimant une vision progressiste du développement de l'humanité, Rostow avangait, on s'en souvient, que celle-ci connaît nécessairement et successivement cinq phases distinctes : la société traditionnelle, les conditions préalables au démarrage, le démarrage, la marche vers la maturité et l'ère de consommation de masse (Rostow 1960A963, chapitres 2 à 6). L'influence de la tradition évolutionniste et organiciste était nette, s'exerçant àtravers les préjugés de la nécessité, à quoi renvoyait la notion rostowienne d'étape, et de l'immanence - ainsi les pays du tiers monde étaient présentés comme caractérisés par de "simples" retards rattrapables sur la base d'une mobilisation, en chacun (3) .Une autre source d'inspiration des analystes du développementalisme en science ohtique a résidé sans doute dans les études de Max Weber consacrées à "comprendre" Papparition progressive dans l'histoire des sociétés d'un appareil politique spécialisé, meme si ces derniers travaux ne sont pas entachés des errements si visibles dans les contributionsplus contemporaines(Weber 1947/1967et 1963). 158 d'eux, des "ressources latentes" : ils étaient localisés, sur cette échelle, entre la 2e et la 3e étapes que 17Eur0pe-occidentakétait cens& avoir franchies entre la fin du 18e siècle et le début du 19e siècle. En outre l'économiste américain établissait une claire et mécanique liaison entre l'état économique des sociétés et leur régime politique - source probable de l'intérêt, positif ou critique, que les politistes, par delà l'oeuvre rostowienne, accordèrent désormais à ce type de problématique du développement. Enfin W. W. Rostow, mêlant conception téléologique de l'histoire et défense des "valeurs américaines" identifiait la dernière étape du développement des sociétés comme une phase de répétititodconsécration de la démocratie des Etats-Unis. Les défaillances épistémologiques et les faiblesses de méthode de ces approches développementalistes ont été nombreuses (Badie 1978, après et avec d'autres auteurs, en a synthétisé les plus graves). L'ensemble des sociétés est jugé appelé à connaître ces "heureuses" transformations, à être touché par l'dan nécessaire de la modernité sociale et politique (abandon progressif de formes autoritaires, épanouissement des "capacités" gouvernementales.. .), à réaliser historiquement des propriétés identifiées comme étant universelles (institutionnalisation du pouvoir, sécularisation de l'autorité et des représentations ...) etc. Finalisme (le but à atteindre est clair et les sociétés s'y engagent résolument), unilinéarité (les mêmes lois de transformation sont valides pour tous en tous temps), simplifications et ethnocentrisme figurent parmi les avatars bien connus de ces travaux. D'autres critiques adressées aux études réalisées dans ce paradigme sont également justifiées (immanence, uniformité, continuisme et cumulativité, fonctionnalisme excessif, emprunts non contrôlés à la biologie - croissance - et utilisation abusive de métaphores du monde "naturel" etc .). Arrêtons-nous cependant sur la notion de différenciation utilisée dans certaines des plus importantes contributions à cette école développementaliste(4). Les politistes, en ce domaine, ont à la fois emprunté des sillons tracés par des sociologues et par des économistes et à la fois mis au point leur contribution propre. Edward Shils fut l'un des premiers à réaliser des travaux en ce sens. Ayant établi une finalité commune à l'ensemble des sociétés et notamment des jeunes Etats affranchis de la tutelle coloniale (croissance économique, démocratisation etc .) il formule une typologie des régimes-politiques (4) Sans avoir à entrer dans les détails d'une sociologie de la connaissance, contentons-nous ici d'indiquer que la vogue du paradigme développementaliste,au milieu du X e siècle, est tí mettre en rap ort avec le courant des indépendances, l'éclatement des anciens empires coloniaux, la re86fmition des forces et des alhances à 1'Bchelleinternationale, les espolrs et les intérCts bien compris que faisaient naître les olitiques nouvelles de coopération. Les travaux en sciences sociales visant à comprendre cheminement de pays ayant récemment accédé, ou sur le point d'accéder la souveraineté, participaient de ces problématiques et de ces calculs. i 159 ordonnés selon le degré de différenciation des structures qu'ils connaissent (organisations politiques comme les partis, institutions formelles comme les Assemblées etc.), c'est-à-dire selon que ces structures sont plus ou moins permanentes, spécialisées, autonomes (Shils 1960). Almond et Coleman orientent très nettement leurs considérations relatives au développement politique vers des perspectives fonctionnalistes. Ils repèrent un ensemble de grandes fonctions universellement remplies (tous systèmes sociaux générant peu ou prou des fonctions politiques, les structures politiques remplissant plusieurs fonctions etc.) à partir desquelles des travaux taxinomiques et comparatifs sont jugés possibles et souhaitables. Un des concepts-clefs de cette construction est la différenciation structurelle considérée comme exprimant le mieux le degré de modernisation de chaque système politique concret à partir d'un état minimal de sociétés connaissant des structures politiques discontinues et peu spécialisées, caractérisées par conséquent par une très faible division du travail politique (Almond et Coleman 1960). Quelques années plus tard Almond et Powell enrichissent le schéma par l'introduction de la variable "culture politique" et l'identification de nouvelles l'fonctions". Ces auteurs remettent sur le chantier une nouvelle taxinomie des systèmes politiques dont le principe est toujours le degré de différenciation structurelle (en tant que transformation opérant dans l'assemblage des rôles : apparition de nouveaux rôles, spécialisation et autonomisation des sphères d'accomplissement des rôles, c'est-à-dire constitution de "sous-systèmes" distincts) croisé cette fois par un axe consacré au degré de "sécularisation I' de l'univers culturel des acteurs qui favorise en retour la spécialisation et l'autonomisation (Almond et Powell 1966). Dans le meme temps L. Pye construit un modèle de développement ordonné autour de trois dimensions : la propension égalitaire (élargissement du suffrage à de nouvelles couches sociales, augmentation de la participation populaire au "système politique", recrutement dans la bureaucratie publique sur une base croissante de compétence etc.), la "capacité" du système politique ("capabilities" décomposées en innovation, mobilisation et reproductiodsurvie) exprimant son degré de rationalité et d'efficacité, enfin la daérenciation structurelle, reprise des premières analyses d'Almond, envisagée sous l'angle d'une différenciation et d'une spécialisation des rôles politiques. Pye relativise I'inexorabilité (téléologie) et l'accomplissement harmonieux (fonctionnalisme) qui gauchissaient des travaux antérieurs. Pour tenir compte de ce que ces processus de développement se réalisent avec difficulté, en générant des problèmes, des tensions, des conflits, il évoque et formalise les diverses crises (d'identité, de légitimité etc.) auxquelles seraient confrontés les systèmes politiques en voie de transformation rapide et qu'ils devraient surmonter pour accéder à la 160 "modernité". On le voit : cet auteur introduit de la dynamique, du conflictuel, de l'incertitude relative dans son analyse mais le modèle développementaliste demeure sous-jacent à la démonstration. Les correctifs apportés ne sont donc que partiels (Pye 1966). S. Huntington, de son côté, propose une distinction entre développement et modernisation, celle-ci ne pouvant concerner que les effets du processus d'industrialisation dans les sphères économique, sociale et politique. I1 élabore un modèle, moins ambitieux que les précédents, autour du concept d'"institutionnalisation" qui devient la notion centrale de son schéma du changement. I1 relie le développement d'un système politique à l'apparition d'une configuration institutionnelle (ensemble d'organisations, de procédures, de règles) de plus en plus stable, complexe, autonome, adaptative, etc. En ce sens il situe l'enjeu du changement dans I'autonomisation croissante des structures politiques (Etat, organisations partisanes, professionnels de la politique, appareil administratif animé par des bureaucrates recrutés sur une base de compétence technique, etc.). II tient compte des diverses forces et intérêts qui freinent ou empêchent cette institutionnalisation dans les diverses sociétés du tiers monde et tendent à maintenir des orientations particularistes (selon la terminologie parsonienne) et des usages "privés" des positions d'autorité (exercice patrimonial du pouvoir, pratiques de corruption etc.) (Huntington 1968)(5). D. Apter apportera sa contribution à l'analyse de la modernisation à la fois sur le plan formel et général et en réalisant une étude de cas consacrée au Ghana. Mais, principalement intéressé par les questions de l'autorité et de la mobilisation (alors étroitement liée dans la littérature au thème de la modernisation), il néglige la variable de la diflërenciation. Dans le flot de reproches scientifiques auxquels s'exposent les travaux situés dans le paradigme développementaliste - et qui se trouvent excellemment synthétisés en France par Badie (Badie 1978 pp. 50-55)prennent une place notable R. Nisbet qui critique la métaphore de la croissance (Nisbet 1969) et surtout l'historien C. Tilly aux réflexions décapantes sur le plan de la méthode en même temps qu'enrichissantes sur le fond (Tilly 1970). Celui-ci démonte les tentatives faites par les sociologues et les politistes des décennies 50 et 60 pour rendre compte à tout prix des profonds changements structurels observés dans les sociétés et qui remettaient naïvement au goût du jour les idées évolutionnistes fondées sur des présupposés d'unilinéarité et d'irréversibilité de ces changements. I1 place sous les feux de sa critique du néo-évolutionnismedes auteurs comme Eisenstadt (analysant le système politique des Empires), Smelser (étudiant le changement social lié à la révolution industrielle et plus précisément encore aux transformations de l'industrie textile britan(5) S. Huntington, outre ses travaux comparatifs et théoriques, a réalisé des études de cas sur le Liberia, 161 . nique), Bellah, Black et bien d’autres. Sa contribution décisive est de montrer les limites ou les contre-exemples historiques de la tendance jugée irrépressible et irréversible par les développementalistes - à la division du travail, à la différenciation sociale en faisant remarquer, à l’appui de nombreux travaux d’historiens et d‘anthropologues, l’existence et la nécessité de prendre en compte des processus inverses (involution, tendances régressives ou “dévolution“ selon son propre terme). Cet apport est important: il ne disqualifie ni l’existence ni l’utilité d’analyser des processus de différenciation mais attire l’attention des chercheurs sur le fait que des processus agissent en concomitance dans des sens quelquefois opposés et qu’à des mouvements de plus grande complexité et de différenciation des structures sont associés ou se substituent des processus de dédaérenciation (disparition d’unités sociales structurellement organisées et autonomes et remplissant jusque-là des fonctions spécifiques). La réversibilité est donc toujours possible, jamais à écarter et, même dans les situations de division accrue du travail, des tensions, des mouvements en sens contraire doivent être identifiés et éclairés. Dans une étude plus récente et consacrée à ”l’action de 1’Etat” P. Birnbaum tenait à restituer ce double mouvement complexe de différenciation et de dédifférenciation (Birnbaum 1985). Fonctionnement socid et littérature africaniste Le fonctionnement et l’organisation des sociétés et des systèmes politiques de l’Afrique subsaharienne contemporaine, les innombrables descriptions, études, analyses auxquelles elles ont donné lieu peuvent suggérer que la question de la différenciation structurelle mérite peut-être d’être reprise. Sous réserve de l’élaguer de ses scories téléologiques et ethnocentriques, de l’alléger des fâcheux présupposés où l’ont contrainte les paradigmes du développementalisme et de la modernisation, qui posaient plus de problèmes qu’ils n’en résolvaient et à condition, enfin et bien évidemment, de ne pas l’appréhender comme un donné ou un acquis mais, plus modestement, en tant que processus en effectuation permanente et aux résultats incertains. En heureux complément des grilles d’analyses sociales, économiques et politiques portant sur le fonctionnement des sociétés subsahariennes, la problématique de la différenciation structurelle peut apporter une intelligibilité rationalisée à des phénomènes concrets, à des évolutions en cours empiriquement observables. Pour aussi généraux et schématiques que soient les développements qui suivent - car il faudrait preciser, mesurer, argumenter et renvoyer à de trop nombreux travaux - il ne paraît pas erroné d’avancer que les formations sociales africaines contemporaines s’organisent et fonctionnent selon un principe d‘assez faible diEérenciation des structures et des rôles. Tel est le constat qu’on est en droit de dresser à la lecture des analyses sur telle ou telle société globale 162 ou encore que justifie l’observation des réalités quotidiennes. Certes le degré de différenciation n’est pas le même entre deux systèmes “nationaux-étatiques“, même s’ils sont voisins et culturellement et socialement proches du fait de chevauchements d’ensembles ethniques. Plusieurs variables expliquent des trajectoires spécifiques et donc des situations fort variées de l’un à l’autre (agencements sociaux précoloniaux, formes et modalités de la mise en dépendance coloniale et postcoloniale, nature et orientations de la direction politique et configuration des composantes sociales contemporaines, processus inégaux de croissance, d’urbanisation, d’industrialisation, contenu et orientation des processus d‘accumulation etc.). De très multiples facteurs rendent cependant compréhensibles et de nombreux indicateurs assurent la visibilité de cette relative, variable mais assez générale indifTérenciation. En même temps que, soulignons-le aussitôt, de profonds mécanismes agissent dans le sens d’une plus grande division du travail social, d‘une plus nette spécialisation des rôles, d’une autonomisation croissante, de sphères, secteurs, champs d’activité, systèmes institutionnalisés d’action et d‘interaction ; mais ces mouvements conduisent à nuancer le constat général d’une faible différenciation, non à le récuser. Sans avoir à détailler les interpénétrations des divers registres d’action saisissables à un certain niveau de généralisation et d’abstraction - par exemple l’imbrication qu’on sait étroite, bien que modulée selon les lieux et les groupes observés, entre le politique et le religieux, entre l’économique et le social, l’économique et le politique etc. -, relevons dans le désordre quelques faits et propriétés remarquables. L’exercice d’essence patrimonialiste des pouvoirs - cf. Eisenstadt 1973, Médard 1983etc., tous travaux inspirés par les analyses pionnières de Max Weber, notamment sur le sultanisme - et qui s’analyse comme l’extension à des ensembles sociaux plus larges que la famille et le lignage de l’autorité “patriarcale”, renvoie à un modèle, persistant en d6pit de formes modernes, où les structures politiques sont la chose, la propriété du gouvernant, et qui génère tendanciellement une indistinction de la personne et de la fonction, des ressources privées et des ressources publiques, les collaborateurs et agents de l’entreprise de domination ,politique et administrative étant moins des “fonctionnaires” que des serviteurs ou des clients (autrefois des esclaves). L‘organisation réticulaire de la société en réseaux clientélistes ne se vérifie pas seulement dans la mise en place des allégeances et affiliations politiques mais couvre l’ensemble des activités sociales (religion : cf. Paden 1973; économie : cf. Cohen 1969 ; etc.) même si elle est prépondérante dans la structuration des rapports politiques (Leca et Schemeil 1983 pour le monde arabe ;Cruise O’Brien 1975 et Coulon 1981pour le Sénégal etc.). 163 Relevons rapidement la question du "straddling" (par quoi on désigne le chevauchement des positions de pouvoir et des positions de richesse) avancée dans le débat kenyan - et qui correspond aux notions de fluidité/mixité formalisées, pendant la même période et indépendamment des discussions sur l'économie politique de l'ex-colonie britannique, dans les analyses portant sur d'autres pays telle la Côted'Ivoire (cf. Fauré et Médard 1982, Fauré 1986)(6). Depuis longtemps un sociologue aussi averti que Georges Balandier avait attiré l'attention sur l'imbrication dynamique, dans les jeunes Etats africains, des positions de pouvoir, de prestige et de richesse : "la participation au pouvoir.. .donne une emprise sur l'économie, beaucoup plus que l'inverse". .."le jeune Etat national a des incidences comparables à celles de 1'Etat traditionnel puisque la position par rapport à l'appareil étatique détermine encore le statut social, la forme de la relation à l'économie et la puissance matérielle" (Balandier 1969). Ce faisant l'analyste suggérait trois phénomènes majeurs : l'interpénétration des niveaux, le rôle princeps de la dynamique politique, enfin des continuités historiques et sociologiques entre les modes de gestion pré et postcoloniaux, interdisant d'appréhender le patrimonialisme et des phénomènes connexes (corruption, népotisme, familisme, patronage, système de prébendes etc.) comme des accidents ou des monstruosités. Paul Kennedy, s'agissant du Ghana, était parvenu à des conclusions très proches : "Power is the "base value" and can be turned into wealth more readily than wealth can be turned into power" (Kennedy 1980, p. 28). La question a rebondi ces dix dernières années à propos de la bourgeoisie kenyane, de sa nature, de ses modes de formation, de ses bases d'accumulation et de ses fonctions économiques et politiques. Après un mouvement de balancier mettant successivement et trop exclusivement en évidence soit le rôle de l'instance économique soit le rôle de l'Etat dans la formation des classes sociales, plusieurs auteurs spécialistes de l'économie politique de ce pays ont remarqué l'étroite imbrication des positions de pouvoir et d'accumulation, l'aptitude à l'enrichissement dépendant du rapport à la sphère politico-étatique même si sa perpétuation dépend aussi des investissementsréalisés dans la sphère de l'économie d'entreprise. La notion de "straddling", développée notamment par l'historien du Kenya M. Cowen, rend compte de cette relation et s'applique assez bien à l'ensemble de l'Afrique noire, si l'on daigne ne pas oublier les spécialisations ancestrales de communautés ethnico-religieuses dans les flaires - les Hausa en sont un fameux exemple, cf. à leur sujet l'ouvrage classique et remarquable d'Abner Cohen (Cohen 1969) - et de notables exceptions de formation de groupes entrepreneuriaux en dehors ou plutôt sur les friches des Etats (6) On trouvera dans Fauré 1991a, pp. 13-16, une résentation de la question du straddling"appliquée àla Côte-d'Ivoire, au Kenya et au %riire. 164 postcoloniaux comme l'a admirablement montré Janet MacGaffey à propos du Zaïre (MacGaffey 1987). Dans son étude sur l'émergence du capitalisme africain John Iliffe a construit trois idéaux-types d'"entrepreneurs" renvoyant à trois faCons de "faire" le capitalisme africain contemporain : dans un premier type de situation l'Etat s'est efforcé de prévenir et d'empêcher l'émergence d'une classe d'entrepreneurs nationaux ; cette situation, contrairement à ce qu'indique l'historien, ne se vérifie pas dans les seuls régimes politiques socialistes (Guinée, Mali etc .), elle correspond aussi à de nombreux cas oÙ les dirigeants politiques postcoloniaux se sont défiés des effets prévisiblement autonomistes de l'apparition d'un milieu national d'entrepreneurs qui ne devraient rien ou peu au patronage politique, comme on a pu le constater en Côte-d'Ivoire formellement libérale et comme l'avait noté Huntington, s'agissant du secteur industriel au Liberia. Dans un deuxième type l'Etat et ses ressources ont été utilisés pour accéder à la propriété privée, à la constitution ou à l'appropriation d'entreprises privées, à la prospérité dans les affaires : l'auteur parle alors de "bourgeoisie parasitaire" dont la richesse et les intérêts économiques dérivent directement de sa position politique ou administrative. Le troisième type de situation concerne le "nurture capitalism" (capitalisme materné, à la fois "nourri" et "éduqué") :1'Etat alors cherche à générer une classe nationale d'entrepreneurs dans le cadre de mesures conscientes et volontaristes pouvant entrer dans ce que nous appelerions des "politiques publiques" : très peu de pays (Kenya, Nigeria) seraient concernés par cette troisihme forme de capitalisme. Bref, dans la plupart des situations - même celles relevant du premier modèle car la répression d'une classe entrepreneuriale n'exclut pas la prospérité des affaires et l'enrichissement prioritaire des proches de la direction politique -, l'entrecroisement des positions de pouvoir et d'enrichissement ne peut plus susciter de doutes (Iliffe 1983). D'une manière générale ces facteurs contribuent, parmi d'autres, à créer une situation où se mêlent sphères et activités politiques et économiques. A la manière dont Karl Polanyi, tout en distinguant quatre institutions de l'économie "moderne" (équilibre des grandes puissances, étalon-or international, marché auto-régulateur, Etat libéral) reconnaissait le rôle prépondérant du marché auto-régulateur, fondement des trois autres institutions (Polanyi 1944/1983), on peut se demander dans quelle mesure, en Afrique noire, et en dépit de l'existence de plusieurs mondes formellement distincts mais fonctionnellement peu autonomes (le religieux, l'économique, le politique etc.) l'ordre politique ne s'impose pas comme la matrice de l'ensemble. Auquel cas il faudrait logiquement s'attendre à ce que les crises et les conflits développent des effets sensiblement plus incertains dans leur étendue que dans des systèmes sociaux structurés en champs nettement plus autonomes oh le cloisonnement sectoriel peut offrir comme autant de frontières au 165 déploiement de la déflagration. En d'autres termes la conséquence serait que, sous certaines conditions, l'occurrence soit grande qu'une crise sociale, ailleurs localisée dans un secteur, se transforme ici en "crise totale" , affectant l'ensemble de l'espace social. Plusieurs concepts et formules ont été forgés ou redécouverts et m i s à contribution, dans la littérature scientrique, pour rendre compte, soit dans leurs manifestations ponctuelles et élémentaires, soit dans leur globalité et leur essence, de ces réalités africaines de confusion relative des ordres et des secteurs, d'indistinction tendancielle de la personne et de la fonction, d'imbrication des domaines publics et des domaines privés : on a parlé de patrimonialisme ou de néo-patrimonialisme (Eisenstadt 1973, Médard 1983, etc.), de système de patronage (Clapham 1983), de régime clientéliste, quand bien même serait-il "transcendé" (Bayart 1979), d'économie politique des prébendes (Joseph 1987), de la "politique du ventre" (Bayart 1989), quand d'autres, ne trouvant là que matière à coquetterie terminologique des politistes, ont préféré avoir recours à des métaphores pour décrire cependant des situations analogues, des principes semblables d'organisation et de gestion(7). Si les interprétations, les outils d'analyse, le vocabulaire sont à présent fmés et clarifés et permettent d'avancer dans la compréhension de ces réalités sociales, si celles-ci ont donné lieu à d'excellentes descriptions et études, l'une des rares réserves que l'on soit en droit de formuler est justement que ces études qui apprhhendent les manifestations en quelque sorte phénoménologíques de ces indifférenciations et leur donnent sens par des constructions théoriques analyses du clientélisme, du système des prébendes, des régimes néopatrimonialistes, etc. - ne remontent pas ou peu, dans le travail de rkgression explicative, à des facteurs moins immédiats et qui caractérisent cependant, en profondeur, les cadres(8) o Ù se déploient les systèmes d'action et de représentation qui réalisent, donnent vie, de manière routinière à de telles pratiques. En d'autres termes, et à partir d'un exemple précis on dira que I'économie d'essence patrimonialiste des pratiques (politiques, administratives etc.) a d'autant plus de chance de se produire et de se reproduire que la faible autonomisation des sphères ici le public, là le privé, ici l'institutionnel, là le particdïm - ne vient pas (7)C$st le cas par exem le d'EmmanueLTerrayqui'€vo ue oétiquement le "climatiseur" -celui de la CÖte-d'Ivoire et la véranda" pour rentfrecampte du fonctionnement &"tat contemporaine en l'occurrence- "apparaissant comme un conglomérat de ositioqs de pouvoir dont les occupants sont, comme tels, en mesure à la fois de s'assurer eux-memes de substantiels revenus et de repandre autour d'eux places, prébendes, gratifications et services" (Terray 1986 p. 38-39). L'amusement qu'inspire à cet analyste les soucis lexicaux des politistes n em &%e pas que ce sont des situations strictement identiques qui sont appréhendees, ici $ans la relative rigueur conceptuelle, 111 dans la talentueuse digression littéraire et métaphorique. f $3) Ou 1s: "propriétés structurelles" selon le sens u'en donne Anthony Giddens :principes orgamsaQondes totalités sociétales (Giddens 1837 pp. 244 et s.). 166 délégitimer ces pratiques de corfusion des ressources publiques et privées. La catégorie "patrimonialisme" par laquelle on qual& habituellement tel type de situation oip se confondent biens publics et ressources privées est donc tout autant déterminante, structurante que déterminée et structurée à son tour par cette propriété générale d'organisation et de fonctionnement du social qui n'établit pas de frontière tendanciellement étanche entre les sphères, les ordres, les niveaux d'action. Pour une problématique nouvelle de la diffhrenciatiom La thèse défendue ici est que les errements de la pensée évolutionniste et téléologique ne sauraient avoir pour effet de disqualifier, de tenir pour nulles et non avenues, les observations empiriques relatives à la faible différenciation des sociétks concernées. De ce point de vue certaines données des analyses demeurent valides et les faits et mécanismes décrits par exemple par F.Eggs, spécialiste dans les années soixante des administrations des pays du tiers monde sont toujours à retenir : utilisant une métaphore inspirée du mécanisme physique de diffraction de la lumière il parlait de "société prismatique" pour évoquer le niveau peu élevé de spécialisation des structures (Riggs 1964). De son côté John N. Paden, étudiant les transformations religieuses et politiques dans le grand centre urbain de Kano (nord Nigeria) se heurtait, dans l'approche de la communauté dont il tentait une monographie multidimensionnelle, à la faiblesse de la différenciation et il érigeait ce concept en élément clef de l'étude des sociétés (Paden 1973pp.3 et 5.). I1 paraît en conséquence possible et souhaitable de procéder à une réhabilitation partielle et critique du thème de la différenciation et de l'autonomisation structurelles, un peu à la manière dont R.K. Merton avait tenté naguère de sauver la théorie fonctionnelle des impasses fonctionnalistes où l'avaient conduite un certain nombre de ses collègues : "Ici comme dans d'autres domaines de l'activité intellectuelle, l'abus n'exclut pas l'usage" (Merton 1949, p. 93). C'est un peu aussi le sort qu'a subi le couple modernisatiodmobilisation: F. Chazel a bien montré qu'on devait à Etzioni d'avoir favorisé la séparation de ces deux notions, celle de mobilisation (fort utile, enrichissante et féconde pour la recherche cf. les travaux, outre Chazel, de Nettl, Oberschall, Tilly, Dobry etc.) n'étant plus réduite à celle de simple indicateur de la modernisation comme le voulait K. Deutsch (Chazel 1975). Questionner une situation sociale ou politique sous l'angle de la différenciation et de l'autonomisation ne revient pas nécessairement à exprimer l'adhésion, explicite ou implicite, à un bloc paradigmatique (constitué d'une théorie du social et de ses présupposés, comme Thomas 167 S . Kuhn l’a mis en évidelace dans sa “structure des révolutions scientifiques”, cf. Kuhn 196W1972) ; il est possible et souhaitable d’en €aire un outil d’analyse sans que celui-ci soit mis au service d’une représentation du monde social, de ce que F. Perroux désignait par “vision, acte préanalytique” (Perroux 1960). Un certain nombre de travaux généraux, plus ou moins abstraits et formalisés, invitent donc à se ressaisir du thème de la différenciation dans des perspectives renouvelées, enrichies et, on l’espère, expurgées des biais précédemment évoqués. Les analyses de L.Dumont (Dumont W 7 ) , celles de M. Sahlins (Sahlins 1972) ont montré l’erreur ethnocentrique qu’il y aurait à considérer que “la vie 6conomique”, ailleurs qu’en Occident, donnerait lieu aux mêmes catégories pratiques et représentationnelles et qu’une “sphère économique“ y serait aisément identifiable. De son cdté Karl Bolanyi, dans des études pénétrantes, a clairement demontré que jusqu’à ce qu’apparaisse le stade d’une 6conomie marchande généralisée, l’instance économique (dans sa triple dimension de pratique, de représentation d’activité spécifique et comme processus structurant un nouvel ordre) n’était pas séparable de l’ensemble des autres activités humaines, que les actes économiques de production et d’hchange étaient encastrés (embedded) dans la totalité de l’ordre social au sein duquel agissent les individus (Polanyi 3194/1983 et 1947A975). Dans le contexte malgache les conclusions de G. Althabe sont voisines: une sphère économique n’est pas distinctement observable (Nthabe 1982). Située à un haut niveau de formalisation, la dernière étude d’hthony Giddens encourage à la fois 1’étude des différenciations et prévient un certain nombre de dangers (Giddens 1987). Attaché à constituer une théorie synthétique de la structuration, il s’efforce de réconcilier la sociologie structurelle et la sociologie de l’action, à rapprocher démarches individualisantes et approches holistiques : “les propriétés structurelles sont tout à Ba fois conditions et résultats des activités des agents“. Il reproche les dérives structuro-fonctionnalistes et structuralistes auxquelles a donné lieu la notion de structure, érigée ici et là en contrainte implacable enfermant l’action sociale tout en montrant l’importance de la “contextualité”en tant que situation de co-présence et cadre référentiel de l’interaction. Pour avoir réservé de longs développements la critique de l’évolutionnisme à travers, notamment, les travaux de Parsons et bien qu’il présente par ailleurs une théorie de la modernité qui n’y fasse pas directement référence, A. Giddens ne consacre pas moins une place à la question de la différenciation dans son panorama classificatoire des types de sociétés. Les sociétés divisées en classes sont caractérisées par une “séparation relative des quatre sphères institutionnelles” (Giddens 1987, p. 241) à savoir le politique, l’économique, le juridico-répressif et 168 le CultureVsymbolique. "Le principe structurel distinctif des sociétés de classes du capitalisme moderne est la séparation, accompagnée d'une dépendance réciproque, de 1'Etat et des institutions économiques" (Giddens 1987, p. 242). Le théoricien de la structuration utilise donc à son tour ce concept de différenciation expurgé toutefois des prémices fonctionnalistes dans lesquelles il a été, jusque-là, essentiellement mis à contribution. L'identification empirique et l'analyse des processus de différenciation et d'autonomisation structurelles peut Qtre, croit-on, facilitée également par d'autres emprunts à plusieurs séries de travaux ou de problématiques développés ces dernières années. Les études réalisées directement - ou pouvant indirectement être placées - sous le sceau de la "théorie des champs" peuvent Qtre d'un appréciable secours (Boltanslci 1975, Bourdieu 1971a et b et 1976, Bourdieu et de Saint-Martin 1978 etc.). Le "champ" a été initialement identifié à un espace social de relations fonctionnant au sein de marchés particuliers et doté d'une logique spécifique(9). I1 n'est sans doute pas nécessaire d'insister sur l'inspiration "économique" de cette construction - on sait que son initiateur s'en est défendu en avançant que "la théorie des pratiques proprement économiques n'est qu'un cas particulier d'une théorie générale de l'économie des pratiques" (Bourdieu 1980a, p. 209), mais le débat est-il clos pour autant ? Le champ, c'est un secteur, un domaine, une sphère, une région de l'espace social global doté d'un ensemble de règles orientant les conduites des participants et affecté par certaines propriétés (les logiques de champ) : ces caractéristiques ouvrent d'intéressantes perspectives analytiques. Michel Dobry qui n'a pourtant pas placé son travail sous l'égide de l'analyse des champs (mais bien plutôt sous le sceau, assez profondément renouvelé il est vrai, de la mobilisation) a dû faire appel à une notion très voisine (Dobry 1986). S'intéressant aux processus de crise dans les "systèmes sociaux complexes", il définit ceux-ci comme des systèmes "qui sont différenciés en des sphères sociales autonomes, fortement institutionnalisées et dotées de logiques sociales spécifiquest1 (Dobry 1986, p. 40). Plus loin il évoque "...l'existence, dans la plupart des systèmes sociaux modernes, d'une multiplicité de sphères ou de champs sociaux différenciés, inextricablement enchevetrés et, simultanément, plus ou moins autonomes les uns par rapport aux autres ..." (ibidem p. 97). I1 insiste légitimement sur les deux faces (interne et externe) des secteurs identifiés, non seulement définis par une logique (interne et spécifique au secteur) mais aussi par l'autonomie dont (9) En dehors des références récédentes qui portent sur des analyses de constitution de certains champs particuliers fcham religieux, champ scientifique, champ de la baqde dessinée, etc.), une qrésentation phs génBrale de cette notion est faite dans Bourdieu 1980b, pp. 113-120 - Quelques propriétés des champs"- et dans Bourdieu et Wacquant 1992, pp. 71-90 -"Lalogiquedes champs". 169 tel secteur bénéficie par rapport aux autres secteurs (interdépendance). Les "logiques spécifiques" renvoient, mais non exclusivement, aux grands idéaux-types de la logique du marché économique, de la logique des grandes bureaucraties rationnelles, de la logique des systèmes militarisés etc. Elles portent sur les "activités fonctionnelles" spécialisées propres à chaque secteur (ibidem p. 99). - 1 O n le voit : ces notions et définitions de "secteur", comme le reconnait l'analyste, ne sont pas très éloignées des autres notions de champ, sphère ou même de "système d'action" que l'on trouve sous la plume de Crozier et Friedberg. Toutes se rejoignent en ce qu'elles peuvent être saisies comme des "espaces sociaux d'interdépendance des acteurs, des zones limitées d'endodéterminisme et, pour parler comme Luhmann, d'autoréférence" (Dobry 1986, p. 102). On sait que l'une des propriétés fondamentales des champs est d'être un espace de positions telles que les propriétés de la position peuvent être saisies indépendamment des caractéristiques du détenteur de celle-ci. Ce qu'il importe ici, c'est de souligner que la construction du champ, ou du secteur, ou de la structure d'interaction dépend des multiples actions, notamment individuelles, microsociologiques, qui la font exister et s'imposer en tant que structure objective; mais, en retour, l'appartenance au champ (ou secteur etc.) expose l'acteur à des effets de structure ou de système qui orientent sa conduite. Tout paraît se passer, dans la construction du champ (ou secteur ou sous-système etc.), à la manière intèractive dont Werner Sombart a interprété le rapport des capitalistes (acteurs individuels) au capitalisme (structure) (Sombart 1913A966). S'interrogeant sur les conditions de formation de l'esprit capitaliste, Sombart notait qu'elles variaient avec les phases du développement capitaliste. I1 opérait une distinction entre séquence du "capitalisme naissant" et séquence du "capitalisme avancé" : la place occupée par le sujet dans l'une et l'autre est ainsi définie par l'auteur : ...Ilà la phase du capitalisme naissant c'est l'entrepreneur qui fait le Capitalisme, tandis que dans la phase avancée c'est le capitalisme qui fait l'entrepreneur" (ibidem p. 183). La première phase correspond donc à une période d'absence d'organisations capitalistes - les entrepreneurs étant des monades - e t à un premier cycle d'accumulation d'une foule d'expériences, de connaissances, d'épreuves etc. Dans la phase suivante, comme le notera aussi de son côté Max Weber (Weber 1947/1967) l'organisation capitaliste, en tant qu'univers de règles, d'attitudes, d'institutions techniques, de principes organisationnels, d'éthique économique et professionnelle - ethospréexiste à chaque entrepreneur. Ces indications, non seulement aident à mieux comprendre une histoire (celle du capitalisme européen par ex.), mais sont d'un apport méthodologique fécond pour d'autres recherches : elles invitent à 170 demeurer attentif au jeu d’interaction acteurlsecteur, à la genèse de la construction du secteur. Un champ se construit, il n’est pas donné. I1 est le produit incertain d’une succession d’évènements, de faits, d’actions et d’interactions. Il n’est pas une structure immanente “toutefaite” et il faut se garder à son égard de tout objectivisme. Animé par des acteurs, un champ se structure de leurs luttes et de leurs collusions, de leurs intérêts, des enjeux qu’ils partagent ou qu’ils se disputent, des pratiques, règles, valeurs qui le constituent, de l’échange de “capitaux” qui y circulent et qui sont autant de ressources qui s’accumulent, se négocient, se monnayent etc. Espaces de jeu, le champ ou le secteur ainsi définis constituent des univers relativement autonomes où s’afirment des règles relativement spécifiques qui, partagées par les acteurs participant au jeu, ont tendance à produire un stock commun de croyances, une axiomatique du secteur, l’intériorisation des valeurs “du groupe” contribuant à l’apparition d’un ethos (Weber 1947, pp. 48 et s.). On voit aisément le lien existant entre la problématique de la construction des champs et la thématique de la différenciation structurelle. En outre différenciation et autonomisation des secteurs apparaissent comme deux processus imbriqués qu’il semble raisonnable de maintenir associés dans l’analyse : les outils de l’autonomisation concourent à la spécification accrue du secteur ; en contrepartie on peut s’interroger sur une dSérenciation qui ne se prolongerait pas par une autonomisation. A coup sûr cette autonomie ne peut être, dans la grande majorité des cas, que relative. Participent à l’autonomisation du. champ, entre autres, la création de principes internes de légitimation, la reconnaissance, par les acteurs du champ, d‘un corps d’impératifs techniques, le travail des instances de consécration, la division du travail à l’intérieur même du champ. Un élément essentiel de l’autonomisation consiste dans la constitution d’un l’corps d’agents”. En ce sens les mécanismes de professionnalisation des acteurs, ce qui fait qu’ils vont se consacrer pleinement à l’accomplissement des activités spécifiques au secteur, sont extrêmement importants. On se souvient de la fameuse lettre d’Engels à Conrad Schmidt par laquelle il montrait que la constitution du droit en “domaine autonome” était corrélée aux progrès de la division du travail et à l’apparition d’un corps de professionnels : les juristes. De son côté Max Weber a fortement insisté sur l’importance de la professionnalisation des acteurs politiques dans la construction de l’espace particulier des entreprises politiques développant des moyens d’action spécifiques (prébendes, contrôle des emplois etc.). Il reste à apporter quelques rapides mais nécessaires précisions d‘ordre méthodologique. La faiblesse relative de la différenciation constatée sur le continent africain ne postule bien évidemment aucune 171 homogénéité des systèmes sociaux concernés : il s’agit de sociétés plurales caractérisées par une multiplicité de clivages ethniques, culturels, religieux, régionaux, économiques, etc. D’autre part l’assimilation que font beaucoup d’auteurs entre différenciation et complexité pose beaucoup de problèmes et ne paraît pas très utile ici : les sociétés jugées complexes par ces analystes étant celles caractérisées par une multiplicité de secteurs/champs sociaux dzérenciés. Pourtant, par-delà cette complexité structurelle, on peut aussi avancer que l’absence ou la faiblesse de la différenciation est, d’un certain point de vue, la caractéristique d’une certaine complexité non réductible à celle du premier type : la multiplicité des registres de significations, l’imbrication étroite des univers de références des acteurs peut rendre particulièrement délicate l’explicitation du sens sociologique de leur action. Deux exemples très brefs : le patron dans la relation de clientèle est-il seulement le tuteur au plan social ou aussi le personnage religieux ou pieux que beaucoup de cultures confondent ? Second exemple : le recours aux rites et aux technologies électorales importées s’est souvent réalisé, en Afrique noire, dans une atmosphère imprégnée de religiosité et de croyance dans les forces de l’invisible; l’élu a pu maintes fois se prévaloir tout autant d’une victoire par les moyens rationnels-légaux de la modernité politique (quand bien même seraientils efficacement ”aménagés”à son profit) que du choix surnaturel dont il aurait bénéfici6. Une forme de complexité ne résiderait-Ale pas dans cette confusion des registres ? Dans le même sens A. Giddens peut reprocher aux travaux taxinomiques de Parsons de se méprendre sur le “primitivisme” des sociétés en réservant la qualification de “systèmes sociaux simples” aux groupements aborigènes à faible différenciation, à faible développement économique et caractérisés par la prépondérance des relations de parent6 : “mais que fait-il de la complexit6 de leur système de parenté et d e la richesse de leur production culturelle, en particulier de leurs rituels et de leur art ?‘I (Giddens 1987, p. 335). A f ” o n s donc qu’if existe une complexité propre aux situations d’indiEérenciation structurelle. Transformations et différenciations dans l’Afrique contemporaine I1 n’est sans doute pas nécessaire de multiplier les exemples empiriques et les références aux analyses sociales et politiques qui s’efforcent de rendre compte de cette caractéristique majeure des systèmes sociaux d’Afrique subsaharienne . Reconnaître l’importance de cette propriété structurelle qu’est l’état de la différenciation sectorielle et vouloir comprendre à travers elle le fonctionnement des ensembles sociétaux et leur évolution ne doit en aucune manière donner à penser qu’il s’agirait d’un principe absolu et figé. D’une part la diversité des situations pratiques d’une région à l’autre, d’un ensemble social à l’autre 172 appellerait naturellement à préciser et nuancer cette proposition trop générale. D'autre part il faut se convaincre que cette caractéristique structurelle - que l'on prend ici pour fondamentale car entraînant toute une série d'autres phénomènes et permettant de modéliser le fonctionnement d'une société - est en permanence, mais de manière variable selon les sites, remise en question par les effets profonds de la dynamique économique, sociale et politique, par l'historicité même des sociétés concernées : processus d'institutionnalisation des organisations et des procédures, constitution des "appareils" d'Etat tendanciellement orientés vers l'exercice de compétences techniques, construction de centres gouvernementaux et spécialisation de rôles politiques, développement de l'activité économique obéissant à des règles propres marché, profit, etc. Loin d'être suspendue, la vie sociale, économique et politique, même dans le cadre d'une relative pénurie de moyens, même s'agissant d'ensembles sociaux de faible dimension, est animée par des mouvements qui tendent à générer des distinctions entre sphères d'activité, à faire se développer des logiques spécifiques à chacune d'entre elles. En dehors de ces courants certes exacts mais finalement assez abstraits de changement, on peut observer, de manière plus historique et concrète, que d'importantes transformations affectent présentement, dans l'ensemble de l'aire africaine, au moins deux grands types de champs, le champ politique et le champ économique et, de façon plus précise, à l'intérieur de ces deux grands secteurs, le champ des partis politiques et le champ des entreprises privées. L'un des enjeux majeurs mais implicite et de long terme des bouleversements qui s'opèrent sous nos yeux - et que d'aucuns appellent "crises"(1o) -, pourrait bien résider dans l'accentuation de la construction de ces champs, dans un mouvement de spécialisation, difErenciation, autonomisation de ces secteurs d'activité matérielle et symbolique. Si la structuration d'univers sociaux particuliers constitue ainsi l'un des enjeux des transformations en cours, il est bien évident que les causes, les modalités, les rythmes de ces mouvements ne se confondent pas dans les secteurs en cause. Au plan politique les scènes africaines, particulièrement effervescentes depuis la fin des années quatre-vingt, donnent à voir des equipes et classes dirigeantes sommées d'abandonner les antiennes du "parti unique", de l'l'unanimisme social", et de mettre fin à la monopolisation autoritaire de l'expression et de la représentation politiques. Certes ces transformations en cours doivent être reliées à la (10) Nous ne sommes pas loin ici de parta er la position de Jean Copans qui refute la problématique de la ou des crise@)salsissahe(s) et mesurable@)par un certain nombre d'indicateurs au profit d'une -ion de plus longue duree OB les desequilibres et transformations en cours, les tensions et les ruptures peuvent s'analyser comme le mode "normal" de modernisation des sociétbs africaines. Volr B ce sujet Copans 1990, pp. 154169. 173 fois aux situations économiques internes profondément délabrées(i i) et à la fois aux indiscutables pressions externes que les politiques dites d’ajustement structurel en place depuis une dizaine d’années dans la quasi-totalité des pays et les formidables besoins de financement que leurs cadrages comptables font apparaître, rendent de plus en plus nettes et efficaces sur les cercles gouvernementaux : ces fameuses conditionnalités dont sont assortis les PAS et dont certaines sont rendues publiques quand d’autres, jugées plus sensibles du point de vue de la souveraineté politique, restent à l’état de négociations et d’engagements confidentiels. Mais les dynamiques internes et politiques de ces crises et de ces bouleversements sont indiscutables et, pour tout dire, prépondérantes. U n des objets des mouvements sociaux et politiques africains contemporains porte sur le passage, contraint ou négocié, à des régimes pluralistes, à l’institutionnalisation de cette diversité idéologique et organique, à la constitution de systèmes multipartisans, à l’instauration de mécanismes électoraux concurrentiels, à la reconnaissance de la libre formation des associations et syndicats, à la liberté de la presse, etc. Si les tendances sont aisément lisibles, les résultats, en termes de libéralisation politique et de démocratisation, sont loin d’?Are acquis. En effet, ces nouveaux contextes pluralistes et formellement concurrentiels n’ont pas du tout empêché de spectaculaires résistances et restaurations conservatrices et l’on a vu d‘anciens dirigeants de partis-Etats surmonter les épreuves inédites du suffrage libre et sincère. En outre les nouveaux jeux de pouvoir paraissent limités, pour’l’heure, à l’activité de quelques élites urbaines et les populations, lors des divers scrutins ayant eu lieu ça et là, ont exprimé chichement leur intérêt aux compétitions électorales nouvelles et mesuré parcimonieusement leur soutien aux changements de personnel politique par de faibles taux de participation(l2). Pourtant, en dépit des effets durables de trois décennies d’appropriation et d‘exercice autoritaire des pouvoirs gouvernementaux qui font écarter l’hypothèse d‘une contribution volontaire des anciens dirigeants à un jeu politique plus ouvert, en dépit aussi des obstacles que peuvent élever sur le cours inchoatif de la démocratie pluraliste les délabrements financiers et les récessions économiques ainsi que l’intensité des revendications sociales et salariales de meilleur partage (1 1) Selon des chaînes de causalite qui doivent restituer toute la complexit6 de ces relations et non sur la base d‘un monisme economiciste rbducteur. ’ (12) On trouvera dans la revue Politique afiicuine 1991, n”43, un premier examen des rocessus de democratisation et un bilan des premières operahons electorales ayant eu heu sans ce nouveau contexte politi ue les etudes reunies dans ce numero portent sur le Kenya,l’Ouganda, la Tanzfinie, le%&babwe, la Côte-d’Ivoire, le Gabon, le Cap-Vert, SEIO Tome e PMCipe et le Nigena. Cette reference est à completer par l’annuaire Année Aficaint? 1991 qui com orte des etudes, sur les mêmes queshons, relatives à la CÔted Ivoire, la Nannbie, le halawi, Madagascar, le Niger. S’a ssant lus particulierement de la situationivoirienne, nous nous permettons de renvoyer à Faure 1891. 174 des ressources raréfiées en période d’ajustement structurel, des forces s’exercent dans le sens de l’instauration d’un marché politique libre et pluraliste. Les luttes pour la conquête du pouvoir gouvernemental mettent aux prises désormais une multiplicité d’entrepreneurs et d’entreprises politiques vigoureusement concurrentiels. L’incertitude, nouvelle, des verdicts électoraux et les rotations de personnels dirigeants que sont en mesure de provoquer des élections régulières et honnêtes, ne serait-ce que comme possibilité légalement organisée et culturellement valorisée, les alternances de forces politiques au sein des appareils exécutifs et législatifs, les systèmes de “checks and balances” que les contrôles réciproques des pouvoirs publics démocratisés et l’institutionnalisation des oppositions contribueront à produire progressivement figurent parmi les plus puissants facteurs de changement du champ politique. I1 s’ensuivra tendanciellement un abandon de l’appropriation viagère des positions gouvernementales, une séparation entre la conduite politique des pays et la siniple extorsiodcaptation des ressources économiques et administratives qu’autorisait la conquête des leviers gouvernementaux et la maîtrise des appareils d’Etat, un affaiblissement éventuel de la personnalisation des pouvoirs et des rapports de pouvoir, une spécialisation grandissante des rôles politiques et leur professionnalisation. Un espace social ayant ses acteurs, ses enjeux, ses conflits et ses collusions, ses règles et son axiomatique, ses capitaux et ses échanges, ses intérêts spécifiques, son endogénéité relative : telles pourraient être les composantes d‘un champ politique concurrentiel en formation et les ferments de son autonomisation par rapport à la “gestion” de l’administration publique et l’allocation des ressources économiques, telle pourrait être la première voie d’une différenciation structurelle accentuée. Au plan économique des mouvements se produisent en concomitance et dévoilent des homologies avec les processus en cours sur les scènes politiques. Placés désormais pour la plupart sous la vigilante tutelle des institutions financières multilatérales, les systèmes économiques nationaux sont affectés par des politiques visant à instaurer ou restaurer les marchés (des biens, des capitaux, des emplois), à faire replier des Etats jusque-là fortement interventionnistes sur des fonctions classiques de gendarme, à “libérer les initiatives privées”. Un des volets de ces politiques consiste dans le démantèlement des importants secteurs parapublics (les entreprises publiques étaient nombreuses dans tous les pays africains, quelle que soit leur orientation politique et idéologique) et à développer un large secteur d’entreprises privées, jugé potentiellement dynamique et moins coûteux pour les épargnes nationales. 175 L'orientation générale est claire qui remet en cause une trentaine d'années d'interventionnisme étatique dans le domaine économique(l3); dans les remises en cause, les bouleversements introduits par les programmes d'ajustement tendent cependant à aller bien au-delà de ces simples formes de confusion entre l'Etat et l'économie : fonctions de production et de commercialisation souvent fortement réglementées et administrées, importants secteurs d'activité réservés à la puissance publique, hauts niveaux de capitalisme d'Etat, taux élevés de protection dans les échanges extérieurs, puissance des caisses de stabilisation et autres marketing boards, etc. En réalité, c'est tout un complexe politicoéconomique, fait d'étroite imbrication entre le jeu de la régulation politique et celui de l'allocation des ressources économiques qui est menacé et que les gestions et régimes patrimonialistes africains autorisaient jusque-là : attributions de crédits bancaires, distributions d'autorisations, de licences et de quotas, dotations et subventions, reconnaissances de monopoles et aménagements de rentes de situation, mesures financières, administratives et techniques cachant mal des considérations purement politiques ou des buts de profit personnel, etc., toutes choses faiblement fondées sur une logique économique stricte mais bien plutôt déterminées par les nécessités de la construction des soutiens et loyautés ou simplement favorisées par la proximité avec les pouvoirs. En plein accord avec Jean Coussy, nous pouvons conjecturer qu'un des enjeux majeurs de ces programmes d'ajustement est d'une certaine fagon de "dépolitiser l'allocation des ressources économiques" de distendre le lien jusque-là si fort entre la régulation politique et la distribution des ressources économiques (Coussy 1991). O n peut également avancer avec lui que les mesures de désétatisation, de privatisation et de libéralisation(14) en cours d'application partout en Afrique subsaharienne tendent à réaliser le projet de séparer 1'Etat et le marché. Qu'il soit plus que douteux que l'on parvienne à ce résultat et rapidement, et pour beaucoup de raisons de fond qui ne tiennent pas à la simple "mauvaise volonté" des gouvernants, n'empêche pas que l'élan et (13) O n trouvera dans Contamin et Faure 1992 un bilan nuancé (mesure, formes, causes) de cet mterventionnisme qui peut se comprendre B partir d'une multi licité de facteurs objectifs (historiques, economiques, sociaux et politiques), qui ne se r&uit pas au simple resultat de "regrettables" distorsions oliti ues mtroduites dans le jeu économique comme aiment B le proclamer les experts la janque mondiale, et dont la profondeur et la necessite peuvent expliquer les defaillances et les limites des programmes actuels d'ajustement (notamment dans leur volet 'rvatisations" et "désen agements de l'Etat"). On verra dans Marseille 1984 et dans Freu 1988 les fondements et fes modet@, propres au ré ime colonial français, des fonctions économques assurees par l'adrmtllstration et heritks par la suite par les jeunes Etats africains. (14) En depit des faiblesses et erreurs des conceptions neolibérales qui sous-tendent ces p g r a m m e s car les leçons de l'histoire économique et du develo pement semblent avoir te oubliees qui montrent et expliquent ourtant les limitqs de l"'&onomie pure", l'utopie du marché auto-ré lateur, l'emtence dpune Btroite associahon, partout et de tous temps, du capitalisme et %s uissances publi ues, la coalescence de l'extension des marches et des interventions des g a t s , n'est-ce paslist, Polanyi, Braudel.. . ? 176 la tendance soient visibles et que de premières et importantes réformes en ce sens aient été mises en oeuvre en maints pays africains qui déboucheront, peu ou prou, sur de nouvellés situations économiques. Il est vrai que les contraintes extérieures (dette, difficulté à se procurer de l'argent frais, niveau de compétitivité, etc.) et les moyens d'action des institutions multilatérales attachées à répandre la bonne parole néolibérale contribuent à garder ferme ce cap. L'instauration ou la restauration des marchés et leur séparation de l'Etat, la libéralisation des règlementations et activités, l'extension des secteurs privés favorisée par le repli de l'interventionnisme, le soutien accordé désormais aux initiatives et opérateurs économiques peuvent ainsi constituer quelques-uns des plus puissants facteurs propres à développer un champ économique nettement différencié et plus précisément encore à bâtir un champ des entreprises privées. Un champ ayant tendanciellement ses propres logiques d'action et de référence, d'allocation des ressources et de décision, ses règles et ses valeurs spécifiques (ethos entrepreneurial, comportements de marché, ajustement par les prix, recherche de profits d'ordre strictement économique, etc.) là ou, jusqu'à présent, le "milieu" des entrepreneurs africains n'avait pas obtenu du.politique et/ou ne s'était pas en propre donné les moyens d'exister en soi et pour soi. Même si une telle situation économique qui prévalait jusqu'ici et qui était caractérisée entre autres par l'importance, en son sein, des valeurs sociales et politiques, par une faible professionnalisation des entrepreneurs des secteurs dits modernes, par la tendance à la démultiplication des investissements, à la diversification extensive des activités, était loin d'être irrationnelle. Des secteurs politique et économique qui s'autonomisent et se différencient plus nettement, qui développent en leur sein une spécialisation fonctionnelle : ce seront peut-être là les manifestations les plus importantes par leur effet et leur signification, à défaut sans doute d'être les plus spectaculaires et les plus immédiatement visibles, de ce double courant contemporain qui emporte nombre de pays africains, la "décompression autoritaire" d'une part, le "passage au marche" d'autre part. 177 aF@WNCES BIBLIOGRAPHIQUES Almond G., Coleman J.S., (ed.), The Politics of the Developing Areas, Princeton, P.U.P., 1960. Almond G., Powell G.B., Comparative Politics : a Develop-mental Approach, Boston, Little Brown, 1966. Althabe G., Oppression, libbration dans l'imaginaire. Les communautbs de la côte orientale de Madagascar, (1969), Paris, Maspéro, 1982. Annde Africaine l99w991,Bordeaux, CEAN et CREPAO, 1991. Badie B., Le d&veloppementpolitique,Paris, Economica, 1978. 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