L’observance thérapeutique : un objectif essentiel D. MISDRAHI (1) L’observance est l’adéquation entre le comportement du patient et les recommandations de son médecin concernant une prise en charge thérapeutique. C’est un phénomène complexe, multifactoriel, dynamique, et la mauvaise observance est un réel problème de santé publique : une mauvaise observance serait retrouvée, pour les neuroleptiques conventionnels, dans 50 % des cas à 1 an, et dans 75 % à 2 ans. L’arrêt du traitement entraînerait une augmentation du risque de rechute multiplié par 5 sur deux ans, et 40 % du coût hospitalier direct pourrait être attribué aux rechutes par défaut d’observance. L’observance thérapeutique dépend de déterminants liés au patient (défaut d’insight, comorbidité addictive, statut marital…), de déterminants liés au traitement (effets secondaires des médicaments, opinion du patient sur son traitement et son efficacité…), et de déterminants liés à la relation thérapeutique (alliance thérapeutique, reconnaissance par le patient de la compétence de son médecin). Des études effectuées dans des contextes culturels différents ont en particulier souligné l’importance de l’insight : plus la conscience des troubles est bonne, plus l’observance est élevée. Dans une vaste étude publiée en 2005 (2), l’analyse structurale sur le poids des différents facteurs impliqués dans l’observance thérapeutique montre que les deux principaux facteurs impliqués sont l’alliance thérapeutique et l’insight. Pour favoriser l’alliance et l’insight, il faut favoriser l’éducation et l’information du patient, en termes simples et compréhensibles, sur la maladie et ses risques évolutifs, et sur les objectifs thérapeutiques (bénéfices attendus, risques et effets secondaires). L’information doit également toucher la famille et l’entourage, et favoriser leur implication dans le projet thérapeutique. L’observance est donc bien une dimension fondamentale dans la prise en charge des troubles schizophréniques. Ses déterminants ont probablement une influence variable suivant les périodes évolutives. L’objectif d’amélioration de l’observance thérapeutique dans les schizophrénies nécessite des actions spécifiques, comme de réévaluer la prescription médicamenteuse, ou de développer et évaluer des programmes psychoéducatifs spécifiques. DÉFINITIONS Observance, compliance, adhésion thérapeutique sont des termes pratiquement synonymes. Ils se définissent comme la parfaite concordance entre la conduite du patient et les conseils et prescriptions du médecin. Haynes, en 1979, définissait l’observance comme l’« adéquation entre le comportement du patient et les recommandations de son médecin concernant un programme thérapeutique (traitement médicamenteux, psychothérapie, règles d’hygiène de vie, examens complémentaires ou présence aux rendez-vous) ». CH Charles Perrens, Bordeaux. S 1076 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1076-9, cahier 3 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1076-9, cahier 3 Il s’agit d’un phénomène complexe, multifactoriel, impliquant de nombreux déterminants ; il est dynamique, marqué par l’absence de stabilité dans le temps, et n’est pas dichotomique de type « tout ou rien », mais souvent partiel et évolutif. ASPECTS QUANTITATIFS DE LA MAUVAISE OBSERVANCE La mauvaise observance aux traitements est un vrai problème de santé publique : on considère que 50 % des patients souffrant de maladie chronique ont une mauvaise observance, ce chiffre étant plus élevé encore pour les pathologies psychiatriques. Selon les études, le taux de mauvaise observance thérapeutique dans la schizophrénie s’étend de 11 à 80 %. Dans une étude publiée en 1997 par Weiden et al. (6), la mauvaise observance avec les neuroleptiques conventionnels était de 50 % à 1 an, et de 75 % à 2 ans. Les deux tiers des ré-hospitalisations pourraient être directement reliées à un défaut d’observance. Dans l’étude observationnelle CATIE (3), où les patients étaient parfaitement consentants pour l’inclusion, 30 % décidaient de leur propre chef d’interrompre avant 18 mois leur traitement. CONSÉQUENCES D’UNE MAUVAISE OBSERVANCE Sur un plan individuel, une mauvaise observance entraîne une aggravation du cours de la maladie, avec une majoration du risque de rechute, une augmentation du risque de ré-hospitalisation, dont 50 % serait liée à un défaut d’observance, contre seulement 26 % au manque d’efficacité. Un travail récent a montré que l’arrêt du traitement entraîne une augmentation du risque de rechute multiplié par 5 sur deux ans. Par ailleurs, une mauvaise observance entraîne une aggravation symptomatique, avec un moindre taux de rémission, et une augmentation des périodes passées en état symptomatique par rapport aux périodes de rémission. Les conséquences de la mauvaise observance sont importantes également pour la collectivité en terme de santé publique, avec en particulier une augmentation des coûts : 40 % du coût hospitalier direct pourrait être attribué aux rechutes par défaut d’observance (7), et le coût global annuel par patient souffrant de schizophrénie serait pour 85 % le fait de ré-hospitalisations. DÉTERMINANTS DE L’OBSERVANCE THÉRAPEUTIQUE Déterminants liés au patient L’ensemble des études, anciennes et actuelles, font ressortir deux déterminants essentiels de non-obser- L’observance thérapeutique : un objectif essentiel vance thérapeutiques liés au patient : le défaut d’insight et la comorbidité addictive. D’autres facteurs sont également retrouvés : le sexe, le statut marital et le fait de vivre seul, la connaissance de la maladie et du traitement par le patient, l’existence de symptômes négatifs et celle de perturbations cognitives. Déterminants liés au traitement Les effets secondaires des médicaments étaient souvent mis en avant, mais les données actuelles sont plus contradictoires, en particulier avec les antipsychotiques atypiques. On peut noter l’importance de dysfonctionnements sexuels souvent ignorés, des symptômes extrapyramidaux, ou de la prise de poids. Les études récentes ont montré que l’opinion du patient sur son traitement, sa croyance subjective en l’efficacité, peuvent supplanter la gène des effets secondaires. La complexité de la prescription intervient également, comme le nombre de médicaments, ou le nombre de prises. Déterminants liés à la relation thérapeutique L’alliance thérapeutique joue un rôle important, de même que la reconnaissance par le patient de la compétence de son médecin, et la qualité de la relation établie entre eux. ÉTUDES SUR L’OBSERVANCE THÉRAPEUTIQUE DANS LES SCHIZOPHRÉNIES Une étude sur les liens entre l’insight et l’observance thérapeutique lors d’un premier épisode (5), a porté sur 101 patients schizophrènes au cours d’un premier épisode. Les principaux facteurs associés à la mauvaise observance étaient l’attitude négative envers les traitements, et la mauvaise qualité de l’insight. En revanche, les effets indésirables n’apparaissaient pas prépondérants ; de même, si les symptômes négatifs et de désorganisation contribuent à la mauvaise observance, leur influence ne semble pas majeure. Une étude de Adewuya et al. (1) a porté sur 318 patients schizophrènes selon les critères de la CIM 10, et suivis en ambulatoire au Nigeria. Les patients étaient essentiellement traités par neuroleptiques conventionnels. L’évaluation effectuée utilisait le DAI (Drug Attitude Inventory), la PANSS, et la SUMD, échelle d’évaluation de l’insight. Les résultats ont montré une corrélation négative entre l’observance et la symptomatologie mesurée par le score total à la PANSS, la présence de dyskinésies, le niveau de sédation, et un mauvais score d’insight à la SUMD. S 1077 D. Misdrahi L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1076-9, cahier 3 L’intérêt de cette étude est de confirmer dans un contexte culturel différent les données précédentes, c’est-àdire l’importance de l’insight pour l’observance thérapeutique. Une étude clinique réalisée à Clermont-Ferrand avait pour objectifs principaux l’étude du lien entre observance et insight et l’étude du lien avec l’alliance thérapeutique. L’évaluation portait sur les éléments cliniques et sociodémographiques à l’aide d’une fiche de recueil standardisée, sur un diagnostic d’abus ou de dépendance aux toxiques ou à l’alcool établi à l’aide du MINI, sur le handicap global évalué par l’EGF. L’observance était évaluée par l’auto-questionnaire MARS, instrument d’origine australienne traduit en français (4) ; l’alliance thérapeutique était mesurée par un auto-questionnaire créé pour cette étude, la 4PAS, et l’insight par l’échelle SUMD version abrégée. L’échantillon étudié comportait 38 patients schizophrènes hospitalisés, remplissant les critères de la CIM 10, dont 71 % d’hommes. Les traitements suivis pendant l’évaluation comportaient en moyenne 8 comprimés ou gélules par jour, avec au moins un antipsychotique. La prévalence des troubles addictifs était de 39,5 % d’abus ou de dépendance à un toxique et de 21 % d’abus/dépendance à l’alcool. Les résultats montrent une corrélation statistiquement significative entre le score à l’auto-questionnaire d’observance MARS et le score d’insight à la SUMD : plus la conscience des troubles est bonne, plus l’observance est élevée. Il existait une corrélation particulièrement marquée de l’insight avec la composante comportementale de l’observance, et avec celle liée à l’attitude par rapport au traitement, mais pas avec celle liée aux effets indésirables. Une corrélation était également retrouvée entre le score au MARS et celui à l’échelle 4PAS d’évaluation de l’alliance thérapeutique : meilleure était l’alliance thérapeutique, et meilleure était l’observance. Enfin, une corrélation était retrouvée entre le score à l’échelle SUMD et celui à la 4PAS, traduisant le fait que plus la conscience des troubles est élevée, plus l’alliance thérapeutique est satisfaisante. Les patients inclus présentaient un diagnostic de schizophrénie ou de troubles schizo-affectifs au sens du DSM IV, ils étaient âgés de 18 à 70 ans, consécutivement admis dans 28 services de 8 hôpitaux, et ont été suivis durant un an. Deux cent vingt-huit patients ont été inclus (134 hommes), avec une moyenne de trois hospitalisations précédentes (de 0 à 25). Sur le plan thérapeutique, 73 patients étaient traités par antipsychotiques atypiques, 128 par neuroleptiques classiques et 27 par une combinaison thérapeutique. Les mesures effectuées évaluaient les symptômes par la PANSS, les effets secondaires par l’auto-questionnaire LUNSERS, l’attitude face au traitement par le DAI et par l’échelle de VanPutten en 4 items pour l’expérience subjective, l’observance par la Morisky Compliance Scale en 4 items, et l’insight par l’échelle de Birchwood en 8 items. De façon plus originale, l’émotion et les attitudes du personnel, perçues par le patient, étaient évaluées par l’échelle PEESS en 20 items, comprenant l’analyse des attitudes de soutien et d’aide, d’intrusion ou d’indiscrétion, et de critique. L’alliance thérapeutique était évaluée par la California Pharmacotherapy Alliance scale (échelle non validée construite pour cette étude), et l’attitude coercitive ressentie par la McArthur Admission Experience Survey, explorant la coercition perçue, le sentiment de pression négative, la « voix perçue », et les réactions affective et émotionnelle liées à l’hospitalisation. L’analyse structurale montre le poids des différents facteurs impliqués dans l’observance thérapeutique : les deux principaux facteurs impliqués étaient d’une part l’alliance thérapeutique et d’autre part l’insight ; de façon indirecte par l’intermédiaire des deux facteurs précédents, on retrouvait également impliquées la connaissance sur les traitements et l’expérience vécue du patient. Ces résultats confirment l’importance de l’insight et des attitudes envers le traitement, et la moindre importance des effets secondaires ; ils soulignent également l’importance de l’alliance thérapeutique. RELATION ENTRE INSIGHT ET OBSERVANCE MOYENS DISPONIBLES POUR FAVORISER L’ALLIANCE ET L’INSIGHT La relation entre l’insight et l’observance peut être perçue comme tautologique : si le besoin perçu de traitement est un des facteurs d’insight, alors son implication dans la notion d’observance est évidente. Mais l’insight n’est pas une dimension dichotomique, et il existe une différence entre l’acceptation du besoin d’un traitement et l’observance quotidienne d’un patient. Une étude récente, publiée dans la prestigieuse revue Archives of General Psychiatry, trouve son originalité dans la taille de l’échantillon étudié (plus de 200 patients), dans la mesure de l’impact des mesures coercitives d’hospitalisation, et dans la méthode statistique de modélisation, à savoir une analyse structurale (2). Il faut favoriser l’éducation et l’information du patient, en termes simples et compréhensibles, sur la maladie et ses risques évolutifs. L’information doit également porter sur les objectifs thérapeutiques, négociés avec le patient et revus régulièrement ; il importe en particulier d’expliquer les bénéfices attendus des traitements et les risques et attitudes à avoir face aux effets secondaires. L’information doit également toucher la famille et l’entourage, et favoriser leur implication dans le projet thérapeutique, contribuant ainsi à l’éducation du patient et à l’observance. S 1078 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1076-9, cahier 3 Des solutions médicamenteuses simples peuvent être envisagées avec le patient, comme la simplification du schéma thérapeutique, le choix de la molécule présentant le meilleur profil risque/bénéfice, ou encore en évitant les associations médicamenteuses. Des actions peuvent porter sur la tolérance du traitement, en recherchant et en traitant systématiquement les effets secondaires, et en ajustant les posologies. CONCLUSION L’observance est une dimension fondamentale dans la prise en charge des troubles schizophréniques, puisque les difficultés d’observance touchent plus d’un patient sur deux. Ce domaine suscite un intérêt croissant ; toutefois, la diversité des définitions de l’observance et celle des outils d’évaluation utilisés limitent la portée de ces études. Les déterminants de l’observance sont connus, mais ils ont probablement une influence variable suivant les périodes évolutives. L’alliance thérapeutique et l’insight sont les deux facteurs majeurs impliqués dans l’observance médicamenteuse. Enfin, l’objectif d’amélioration de l’observance thérapeutique dans les schizophrénies nécessite des actions spécifiques, comme de réévaluer la prescrip- L’observance thérapeutique : un objectif essentiel tion médicamenteuse, ou de développer et d’évaluer des programmes psychoéducatifs spécifiques. Références 1. ADEWUYA AO, OLA BA, MOSAKU SK et al. Attitude towards antipsychotics among out-patients with schizophrenia in Nigeria. Acta Psychiatr Scand 2006 ; 113 (3) : 207-11. 2. DAY JC, BENTALL RP, ROBERTS C et al. Attitudes toward antipsychotic medication : the impact of clinical variables and relationships with health professionals. Arch Gen Psychiatry 2005 ; 62 (7) : 717-24. 3. LIEBERMAN JA, STROUP TS, MCEVOY J. P et al. Effectiveness of antipsychotic drugs in patients with chronic schizophrenia. N Engl J Med 2005 ; 353 (12) : 1209-23. 4. MISDRAHI D, VERDOUX H, LLORCA PM et al. Therapeutic adherence and schizophrenia : the interest of the validation of the French translation of Medication Adherence Rating Scale (MARS). Encéphale 2004 ; 30 (4) : 409-10. 5. MUTSATSA SH, JOYCE EM, HUTTON SB et al. Clinical correlates of early medication adherence : West London first episode schizophrenia study. Acta Psychiatr Scand 2003 ; 108 (6) : 439-46. 6. WEIDEN P, GLAZER W. Assessment and treatment selection for « revolving door » inpatients with schizophrenia. Psychiatr Q 1997 ; 68 (4) : 377-92. 7. WEIDEN P, OLFSON M. Cost of relapse in schizophrenia. Schizophrenia Bulletin 1995 ; 21 : 419-29. S 1079