L hygiène des mains à l aube du nouveau millénaire

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 3 - mars 2000
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ÉDITORIAL
e lavage hygiénique des mains au cours des soins est un
sujet pour lequel peu de soignants attendaient une révo-
lution en cette fin de siècle. Il a pourtant fait couler beau-
coup d’encre en 1999, et continuera de le faire en ce début de
nouveau millénaire.
La pratique optimale de l’hygiène des mains, que ce soit par
le lavage conventionnel à l’eau et au savon, médicalisé ou non,
ou par la désinfection par friction hydro-alcoolique, demeure
la première mesure de prévention des infections nosocomiales
(1). Ces infections sont coûteuses en termes de morbidité pour
le patient et sa famille, de francs et d’utilisation de ressources
diverses pour la société, au point de constituer un véritable
problème de santé publique.
Prévenir ces infections par un geste aussi simple que celui du
respect des recommandations établies paraît pourtant si simple !
Plus simple à dire qu’à faire, cependant ! En effet, malheureu-
sement, l’observance de ce geste pluriquotidien pour les soi-
gnants est très faible, ne dépassant que rarement 50 % (2, 3).
Et le phénomène n’est pas nouveau. En 1847 déjà, Ignaz Phi-
lipp Semmelweis se heurtait aux difficultés de convaincre ses
confrères de l’importance d’une parfaite hygiène des mains au
cours des soins aux parturientes (4). Non par faute de preuve
d’efficacité : l’instauration, le 15 mai 1847, de la désinfection
systématique des mains des étudiants et des médecins passant
à l’époque de la salle d’autopsie à la salle d’accouchement avait,
en effet, été suivie d’une réduction impressionnante de la mor-
talité maternelle survenant dans les suites immédiates de l’ac-
couchement, passant de plus de 10 % en avril à moins de 2 %
en juin 1847.
Àla défense des collègues de Semmelweis, disons d’abord que
ce dernier était souvent rude et peu diplomate, au point de ne
pas hésiter à traiter ses collègues non observants d’assassins,
et que la technique préconisée d’immersion dans une solution
de chlorure de chaux à 4 % pendant cinq minutes était, elle, un
peu rude pour les mains !
Au plan du comportement des soignants, peu de choses ont
changé depuis Semmelweis. Le lavage hygiénique des mains
est la mesure de prévention des infections la plus efficace, la
moins coûteuse, mais également la moins suivie (1, 2, 3). Les
recommandations établies sont mal respectées, tant au plan qua-
litatif que quantitatif (1). De nombreuses études ont montré que
le temps moyen de friction des mains avec un savon est rare-
ment supérieur à dix secondes, au lieu des trente secondes
recommandées, ou que la mauvaise observance peut être liée à
des contraintes de structure comme le trop faible nombre ou la
localisation inopportune des lavabos, ou encore à un savon
impropre à l’usage. Diverses investigations ont également
révélé que les soignants connaissent mal les indications pré-
cises concernant les pratiques d’hygiène des mains, et que leur
perception de leur niveau de performance est bien supérieure
à la réalité : ainsi, des médecins pensant avoir été observants à
80 % affichaient une observance mesurée inférieure à 30 %
(1, 2, 5). Finalement, le niveau d’éducation médicale moyen
des soignants à ce sujet semble extrêmement faible.
Certains des paramètres clés associés à cette mauvaise obser-
vance ont récemment été identifiés (3, 5),notamment le nombre
d’opportunités horaires au lavage hygiénique des mains : plus
il est élevé, moins bonne est l’observance (3). En d’autres
termes, le mauvais respect des pratiques d’hygiène des mains
semble être étroitement lié à la fréquence du lavage des mains
et au temps qui y est consacré. La relation entre ces deux para-
mètres est linéaire et les conséquences sont importantes. Ainsi,
en réanimation par exemple, il a pu être démontré qu’une infir-
mière devrait pratiquer un geste d’hygiène des mains pas moins
de dix-sept fois par heure de soins en moyenne. Appliquant
avec rigueur la technique conventionnelle de lavage des mains
à l’eau et au savon, elle devrait passer plus de 30 minutes par
heure de soins au seul geste d’hygiène des mains, ne laissant
que la moitié du temps disponible aux soins dispensés au
patient... Cette situation n’est pas compatible avec des soins de
qualité (3, 5, 6). Dès lors, on comprendra aisément qu’une sur-
charge en soins puisse être associée à une mauvaise observance
des pratiques élémentaires d’hygiène, voire à un risque accru
d’infections croisées.
Il faudrait en fait oublier les lavabos... En effet, à l’exception
des souillures macroscopiques des mains, comme celles dues
aux liquides biologiques qui nécessitent l’action détergente d’un
savon, toutes les autres situations où l’hygiène des mains est
L’hygiène des mains à l’aube du nouveau millénaire
!
D. Pittet*
*Unité de prévention et contrôle de l’infection, hôpitaux universitaires de
Genève, Suisse.
L
requise sont des indications à la désinfection par friction hydro-
alcoolique (7). Cette désinfection a l’avantage d’être réalisable
rapidement, souvent sans déplacement et en l’absence de
lavabo, permettant notamment d’épargner le temps nécessaire
au déplacement, au rinçage et au séchage des mains. Par ailleurs,
compte tenu de la dynamique pratiquement linéaire de coloni-
sation bactérienne des mains des soignants au cours des soins
(8),seule l’application d’un agent antiseptique immédiatement
disponible et actif en quelques secondes constitue une alterna-
tive efficace en cas d’enchaînement rapide des processus de
soins, en particulier chez le même patient (3, 6, 7).Finalement,
au plan microbiologique, la solution hydro-alcoolique présente
l’avantage d’un spectre large, ainsi qu’une efficacité sur la
flore cutanée supérieure à celle des savons antiseptiques
disponibles (7).
Comment améliorer l’observance ?
Les moyens mis en œuvre pour relever ce défi ont été nom-
breux : augmentation du nombre de lavabos, lavabos automa-
tiques, campagnes d’affichage, programmes d’éducation larges
ou ciblés, rétro-information du taux d’observance, quantifica-
tion bactérienne de la colonisation cutanée, sensibilisation des
patients, soutien institutionnel affiché ou pression administra-
tive (1, 2, 5, 9). Le meilleur indicateur de l’impact de ces actions
est la mesure directe de l’observance des pratiques d’hygiène
des mains, doublée de celle du taux d’incidence des infections
nosocomiales, ou de la transmission croisée de germes résis-
tants avant et après l’introduction de la modification. Pour
l’heure, peu d’études ont fait état de la mesure de ces indica-
tions. Dans notre institution, l’introduction systématique et à
large échelle d’une solution hydro-alcoolique en flacon dans la
poche ou dans le voisinage immédiat du patient, associée à une
campagne de promotion largement soutenue au plan institu-
tionnel, ont contribué à améliorer de façon très significative
l’observance de l’hygiène des mains (10). Cette amélioration,
qui s’est maintenue, a été associée à une réduction de moitié
de l’incidence des infections nosocomiales en quatre ans. L’in-
troduction de la désinfection hydro-alcoolique a été un para-
mètre essentiel à la réussite du projet.
De toute évidence, une approche multidisciplinaire de la ques-
tion est nécessaire, et les techniques de promotion envisagées
doivent impliquer plusieurs paramètres simultanément (3, 5, 9,
10), comme le suggèrent les théories des sciences de l’éduca-
tion visant à comprendre et à expliquer les changements et les
difficultés inhérentes à la résistance au changement des com-
portements humains.
Expliquer les comportements, réussir les changements... Voilà
un défi pour ce début de millénaire. Appliquée à l’hygiène des
mains, la réussite de ce changement aura un impact certain sur
les infections nosocomiales. Alors... changeons ! "
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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1999 ; 129 : suppl. 105 : abstract 300.
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