É D I T O R I A L L’hygiène des mains à l’aube du nouveau millénaire ! D. Pittet* L e lavage hygiénique des mains au cours des soins est un sujet pour lequel peu de soignants attendaient une révolution en cette fin de siècle. Il a pourtant fait couler beaucoup d’encre en 1999, et continuera de le faire en ce début de nouveau millénaire. La pratique optimale de l’hygiène des mains, que ce soit par le lavage conventionnel à l’eau et au savon, médicalisé ou non, ou par la désinfection par friction hydro-alcoolique, demeure la première mesure de prévention des infections nosocomiales (1). Ces infections sont coûteuses en termes de morbidité pour le patient et sa famille, de francs et d’utilisation de ressources diverses pour la société, au point de constituer un véritable problème de santé publique. Prévenir ces infections par un geste aussi simple que celui du respect des recommandations établies paraît pourtant si simple ! Plus simple à dire qu’à faire, cependant ! En effet, malheureusement, l’observance de ce geste pluriquotidien pour les soignants est très faible, ne dépassant que rarement 50 % (2, 3). Et le phénomène n’est pas nouveau. En 1847 déjà, Ignaz Philipp Semmelweis se heurtait aux difficultés de convaincre ses confrères de l’importance d’une parfaite hygiène des mains au cours des soins aux parturientes (4). Non par faute de preuve d’efficacité : l’instauration, le 15 mai 1847, de la désinfection systématique des mains des étudiants et des médecins passant à l’époque de la salle d’autopsie à la salle d’accouchement avait, en effet, été suivie d’une réduction impressionnante de la mortalité maternelle survenant dans les suites immédiates de l’accouchement, passant de plus de 10 % en avril à moins de 2 % en juin 1847. À la défense des collègues de Semmelweis, disons d’abord que ce dernier était souvent rude et peu diplomate, au point de ne pas hésiter à traiter ses collègues non observants d’assassins, et que la technique préconisée d’immersion dans une solution de chlorure de chaux à 4 % pendant cinq minutes était, elle, un peu rude pour les mains ! * Unité de prévention et contrôle de l’infection, hôpitaux universitaires de Genève, Suisse. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 3 - mars 2000 Au plan du comportement des soignants, peu de choses ont changé depuis Semmelweis. Le lavage hygiénique des mains est la mesure de prévention des infections la plus efficace, la moins coûteuse, mais également la moins suivie (1, 2, 3). Les recommandations établies sont mal respectées, tant au plan qualitatif que quantitatif (1). De nombreuses études ont montré que le temps moyen de friction des mains avec un savon est rarement supérieur à dix secondes, au lieu des trente secondes recommandées, ou que la mauvaise observance peut être liée à des contraintes de structure comme le trop faible nombre ou la localisation inopportune des lavabos, ou encore à un savon impropre à l’usage. Diverses investigations ont également révélé que les soignants connaissent mal les indications précises concernant les pratiques d’hygiène des mains, et que leur perception de leur niveau de performance est bien supérieure à la réalité : ainsi, des médecins pensant avoir été observants à 80 % affichaient une observance mesurée inférieure à 30 % (1, 2, 5). Finalement, le niveau d’éducation médicale moyen des soignants à ce sujet semble extrêmement faible. Certains des paramètres clés associés à cette mauvaise observance ont récemment été identifiés (3, 5), notamment le nombre d’opportunités horaires au lavage hygiénique des mains : plus il est élevé, moins bonne est l’observance (3). En d’autres termes, le mauvais respect des pratiques d’hygiène des mains semble être étroitement lié à la fréquence du lavage des mains et au temps qui y est consacré. La relation entre ces deux paramètres est linéaire et les conséquences sont importantes. Ainsi, en réanimation par exemple, il a pu être démontré qu’une infirmière devrait pratiquer un geste d’hygiène des mains pas moins de dix-sept fois par heure de soins en moyenne. Appliquant avec rigueur la technique conventionnelle de lavage des mains à l’eau et au savon, elle devrait passer plus de 30 minutes par heure de soins au seul geste d’hygiène des mains, ne laissant que la moitié du temps disponible aux soins dispensés au patient... Cette situation n’est pas compatible avec des soins de qualité (3, 5, 6). Dès lors, on comprendra aisément qu’une surcharge en soins puisse être associée à une mauvaise observance des pratiques élémentaires d’hygiène, voire à un risque accru d’infections croisées. Il faudrait en fait oublier les lavabos... En effet, à l’exception des souillures macroscopiques des mains, comme celles dues aux liquides biologiques qui nécessitent l’action détergente d’un savon, toutes les autres situations où l’hygiène des mains est 99 É D I T O R I A L requise sont des indications à la désinfection par friction hydroalcoolique (7). Cette désinfection a l’avantage d’être réalisable rapidement, souvent sans déplacement et en l’absence de lavabo, permettant notamment d’épargner le temps nécessaire au déplacement, au rinçage et au séchage des mains. Par ailleurs, compte tenu de la dynamique pratiquement linéaire de colonisation bactérienne des mains des soignants au cours des soins (8), seule l’application d’un agent antiseptique immédiatement disponible et actif en quelques secondes constitue une alternative efficace en cas d’enchaînement rapide des processus de soins, en particulier chez le même patient (3, 6, 7). Finalement, au plan microbiologique, la solution hydro-alcoolique présente l’avantage d’un spectre large, ainsi qu’une efficacité sur la flore cutanée supérieure à celle des savons antiseptiques disponibles (7). 10), comme le suggèrent les théories des sciences de l’éducation visant à comprendre et à expliquer les changements et les difficultés inhérentes à la résistance au changement des comportements humains. Expliquer les comportements, réussir les changements... Voilà un défi pour ce début de millénaire. Appliquée à l’hygiène des mains, la réussite de ce changement aura un impact certain sur les infections nosocomiales. Alors... changeons ! " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Comment améliorer l’observance ? Les moyens mis en œuvre pour relever ce défi ont été nombreux : augmentation du nombre de lavabos, lavabos automatiques, campagnes d’affichage, programmes d’éducation larges ou ciblés, rétro-information du taux d’observance, quantification bactérienne de la colonisation cutanée, sensibilisation des patients, soutien institutionnel affiché ou pression administrative (1, 2, 5, 9). Le meilleur indicateur de l’impact de ces actions est la mesure directe de l’observance des pratiques d’hygiène des mains, doublée de celle du taux d’incidence des infections nosocomiales, ou de la transmission croisée de germes résistants avant et après l’introduction de la modification. Pour l’heure, peu d’études ont fait état de la mesure de ces indications. Dans notre institution, l’introduction systématique et à large échelle d’une solution hydro-alcoolique en flacon dans la poche ou dans le voisinage immédiat du patient, associée à une campagne de promotion largement soutenue au plan institutionnel, ont contribué à améliorer de façon très significative l’observance de l’hygiène des mains (10). Cette amélioration, qui s’est maintenue, a été associée à une réduction de moitié de l’incidence des infections nosocomiales en quatre ans. L’introduction de la désinfection hydro-alcoolique a été un paramètre essentiel à la réussite du projet. 9. Kretzer E.K., Larson E.L. Behavioral interventions to improve infection control practices. Am J Infect Control 1998 ; 26 : 245-53. De toute évidence, une approche multidisciplinaire de la ques- 10. Pittet D., Sauvan V., Perneger T.V. and the members of the Infection Control tion est nécessaire, et les techniques de promotion envisagées doivent impliquer plusieurs paramètres simultanément (3, 5, 9, 1. Larson E.L., CIC 1992-1993 and 1994 APIC Guidelines Committee. APIC guideline for handwashing and hand antisepsis in health care settings. Am J Infect Control 1995 ; 23 : 251-69. 2. Jarvis W.R. Handwashing - the Semmelweis lesson forgotten ? Lancet 1994 ; 344 : 1311-2. 3. Pittet D., Mourouga P., Perneger T.V., the members of the Infection Control Program. Compliance with handwashing in a teaching hospital. Ann Intern Med 1999 ; 130 :126-30. 4. Semmelweis I. The etiology, concept and prophylaxis of childbed fever [excerpts]. In : Buck C., Llopis A., Najera E., Terris M. Ed. The challenge of epidemiology - Issues and selected readings. Washington, DC, PAHO Scientific Publication 1988 : 46-59. 5. Boyce J.M. It is time for action : improving hand hygiene in hospitals. Ann Intern Med 1999 ; 130 : 153-5. 6. Voss A., Widmer A.F. No time for handwashing ? Handwashing versus alcoholic rub : can we afford 100% compliance ? Infect Control Hosp Epidemiol 1997 ; 18 : 205-8. 7. Simon A., Sauvan V., Pittet D. L’hygiène des mains au cours des soins, 150 ans après Ignaz Semmelweis. Med & Hyg 1999 ; 57 : 1021-5. 8. Pittet D., Dharan S., Touveneau S., Sauvan V., Perneger T.V. Bacterial contamination of the hands of hospital staff during routine patient care. Arch Intern Med 1999 ; 159 : 821-6. Program. Sustained improvement of compliance with hand hygiene through bedside hand disinfection and hospital-wide promotion. Schweiz Med Wochenschr 1999 ; 129 : suppl. 105 : abstract 300. Les articles publiés dans “La Lettre de l’Infectiologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © octobre 1985 - EDIMARK S.A. Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois - Dépôt légal 1er trimestre 2000 100 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 3 - mars 2000