8 | La Lettre du Rhumatologue • N° 432 - mai 2017
TRIBUNE
Les deux faces de la télémédecine
Both sides of the telemedicine
Comme Janus, la télémédecine a deux faces : l’une tournée vers le passé,
l’autre tournée vers l’avenir. Vers le passé : le renforcement
de l’emprise des soignants et du système de santé sur le malade.
Vers l’avenir : l’accroissement de l’auto nomie du patient.
Téléconseils et jeux vidéo, plus ou moins repeints aux couleurs de la Santé,
correspondent certes à des innovations, mais ils ne constituent en rien
une révolution. Utiles et/ou ludiques, pour les uns et pas pour les autres.
Leur limite commune est le temps.
La vraie révolution est la télémédecine qui vise à améliorer la performance
des soignants et des patients. Côté soignants, le robot supprimera
les tremblements de la main du chirurgien qui abandonnera le bistouri pour
la souris, comme le cardiologue a remplacé le stétho scope par l’échographie.
On pourra donc diagnostiquer, opérer et prescrire à distance, sans avoir
à palper et à ausculter, et parfois sans même avoir à interroger et à écouter.
Côté patients, la télémédecine permettra d’améliorer à la fois la performance
et l’observance des “patients-experts” connectés sachant où ils veulent aller
et comment y aller. Juste retour des choses, les patients objectiveront
les soignants en les transformant en prestataires, devenus experts en modes
d’emploi. Comme le pro phétisait l’économiste Claude Le Pen :
“Dans la médecine industrielle de demain, le chiffre absorbera le qualitatif,
nul ne sera médecin, s’il n’est géomètre.” Funeste augure !
Hélas, ou plutôt heureusement, cette révolution technologique n’échappe
pas à l’ambivalence du progrès. Elle peut libérer le patient des contraintes
du traitement et de la dépendance aux soignants. Mais elle peut aussi
accroître sa dépendance s’il doit mesurer sans comprendre et/ou sans agir
et/ ou agir sans décider lui-même de l’action. C’est-à-dire si l’outil numérique
ne prend pas place au sein d’une éducation thérapeutique du patient, mais
prétend s’y substituer. La surveillance informatique pourrait même le placer
directement sous le contrôle de l’assureur. La mesure en continu
de la glycémie et de sa cinétique permet au patient éduqué de prendre
la bonne décision au bon moment, mais elle peut aussi entretenir
une angoisse obsessionnelle poussant le patient à mesurer sa glycémie toutes
les minutes, transformant ainsi son cerveau affolé en cellule B pancréatique.
Elle peut aussi le placer sous la dépendance infantilisante d’une e-infirmière
le “coachant” par SMS. Elle peut encore servir de mouchard, dénonçant
Pr André
Grimaldi
Service de diabétologie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.