La dimension éthique de l`attention (suite et fin)

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La dimension éthique de l’attention
(suite et fin)
L’a$en'on est-­‐elle rela'onnelle ou individuelle ? À la recherche d’une a$en'on réellement intersubjec've N. Depraz (A$en'on et vigilance) propose de croiser les apports de la phénoménologie husserlienne et de la philosophie de l’esprit. Pour Husserl, l’a=en>on est une modula>on des ac>vités de conscience, et ne peut être originairement intersubjec>ve. Il faut lui ajouter la dimension de l’empathie. L’empathie est un mouvement interne qui consiste à se me=re à la place d’autrui. Ce mouvement n’est pas une transposi>on mentale, mais une co-­‐disponibilité organique (Paarung) duquel naît un mouvement de transposi>on en imagina>on, et une capacité à se me=re en résonance par rapport au vécu d’autrui. Cependant, l’intersubjec>vité empathique s’appuie sur la corporéité et l’imagina>on, pas sur l’a=en>on. C’est ici qu’intervient l’apport de la philosophie de l’esprit, avec l’idée d’ « a=en>on conjointe » (joint a$en'on). L’exemple type est celui du regard du nourrisson (N. Eilan). 1) A la différence de l’empathie husserlienne (sujet-­‐
sujet), l’a=en>on conjointe met en scène une triangula>on (deux sujets-­‐un objet). 2) L’a=en>on des deux sujets porte sur le même objet, et également l’un sur l’autre (réciprocité). 3) C ’est même l’intersubjec>vité qui fonde l’objec>vité. Il faut tout d’abord dis>nguer plusieurs sortes d’a=en>ons conjointes: 1) L’a=en>on intersubjec>ve simple (l’objet structure la rela>on entre les deux sujets); 2) L’intersubjec>vité a=en>onnelle (la qualité du vécu a=en>onnel est l’objet de l’a=en>on comme vécu d’être-­‐ensemble); 3) L’intera=en>on (la qualité de la rela>on à autrui est l’objet de l’intera=en>on). Cependant, aucune de ces trois formes d’a=en>on conjointe ne garan>t la symétrie des vécus. Retour vers l’empathie phénoménologique L’empathie se manifeste comme suit: 1) Une associa>on passive entre mon corps vécu et le corps vécu de l’autre; 2) Une transposi>on en imagina>on dans les états internes de l’autre; 3) Une compréhension en interpréta>on de l’autre comme m’étant étranger; 4) Une responsabilité éthique envers l’autre comme personne. L’intercorporéité permet de sor>r du présupposé mentaliste de la philosophie de l’esprit, c’est-­‐à-­‐dire: 1) De l’idée qu’on puisse se transposer mentalement dans l’esprit de l’autre; 2) De l’idée que l’intersubjec>vité est ul>mement réduite à une interobjec>vité (a=en>on commune à un même objet). Cependant, l’empathie husserlienne reste un franchissement du « Je » au « Tu » qui ne fonde pas l’a=en>on sur la rela>on elle-­‐même. 5. La temporalité de l’attention
L’a$en'on au présent – le schéma husserlien L’a=en>on (au présent), la réten>on (du passé), la proten>on (à venir) forment la vie de la conscience. L’a=en>on ouvre l’une à l’autre la réten>on et la proten>on. Les réten>ons peuvent être des réten>ons-­‐percep>ons (ce que la conscience re>ent dans le « maintenant qui passe ») mais aussi des réten>ons-­‐souvenirs (qui appar>ennent à la mémoire), qui ont un impact sur les réten>ons-­‐percep>ons. Dans ce schéma, 1) Les réten>ons, l’a=en>on et les proten>ons se succèdent de manière apparemment linéaire – les réten>ons décroissent progressivement. 2) L’a=en>on est inves>e des réten>ons et des proten>ons Première complexifica'on du schéma: l’intensifica'on Pour Condillac, l’a=en>on est une augmenta>on de conscience, un phénomène d’amplifica>on de la conscience: « Entre plusieurs percep>ons dont nous avons en même temps conscience, il nous arrive souvent d’avoir plus conscience des unes que des autres, ou d’être plus vivement aver> de leur existence. Plus même la conscience de quelques-­‐unes augmente, plus celle des autres diminue. (…) ce=e opéra>on par laquelle notre conscience, par rapport à certaines percep>ons, augmente si vivement qu’elles paraissent les seules dont nous ayons pris connaissance, je l’appelle a=en>on. Ainsi, être a=en>f, c’est avoir plus conscience des percep>ons qu’elle fait naître, que de celles que d’autres produisent, en agissant comme elle sur nos sens ; et l’a=en>on a été d’autant plus grande, qu’on se souvient moins de ces dernières. » (Condillac, Essai sur l’origine des connaissances humaines, cité par N. Depraz, A$en'on et vigilance, p. 51) Deuxième complexifica'on du schéma: l’ouverture (a$en'on-­‐
vigilance) S’ouvrir, c’est qui=er la conscience de l’objet pour s’ouvrir à la présence au monde. Ce=e ouverture correspond au temps de l’a=ente. 1) Dans la tradi>on religieuse: figure du veilleur 2) La veille (Wachsamkeit) chez Husserl, ouverture au monde « Quand la conscience est vigilante (wach), je me trouve à tout instant – et sans pouvoir changer ce=e situa>on – en rela>on avec un seul et même monde, quoique variable quant au contenu. Il ne cesse d’être ‘présent’ pour moi ; et j’y suis moi-­‐
même incorporé. » (Idées directrices, I, § 27, p. 50) « (…) une mélodie reten>t, sans exercer une force affec>ve importante (…) Nous sommes occupés à autre chose, de manière à ce que la mélodie ne nous affecte pas en quelque sorte au >tre de « perturba>on ». A présent, arrive un son qui fusionne de manière par>culière, se produit une conversion qui soulève par>culièrement le plaisir sensible ou le déplaisir (…) la mélodie tout en>ère (…) s’accentue à présent d’un seul coup ; (…) l’affec>on rayonne en retour (…) favorisant l’affec>on par>culière. » (Husserl, cité par N. Depraz, A$en'on et vigilance, p. 461). La « veille » est elle-­‐même stra>fiée en une dynamique a=en>onnelle: 1) La dona>on passive (structure de tout ce qui peut venir à l’éveil de la conscience); 2) L’affec>on, s>mula>on ini>ale du sujet par l’objet; 3) L’éve i l d u m o i , q u i e st u n e co nve rs i o n a=en>onnelle (ouverture de l’a=en>on). 4) Propaga>on de l’éveil conduisant progressivement à une sorte d’éveil rétroac>f. L’intérêt de ce schéma: 1) L’a=en>on est présentée comme une dynamique d’ouverture; 2) C e = e d y n a m i q u e e s t u n e d y n a m i q u e d’intensifica>on; 3) Elle est également circulaire: les réten>ons sont affectées par l’éveil; 4) Elle intègre la dimension de l’affec>on dans le schéma temporel: la temporalité a=en>onnelle peut alors se trouver dans l’éthique. Comment conduire ce$e ouverture à une ouverture à l’autre ? L’exemple d’une pra'que a$en'onnelle: l’expérience du service ERIC dans une temporalité d’urgence ERIC: Equipe Rapide d’Interven>on de Crise (S. Kannas, 1993) Interven>on à domicile en cas de crise psychiatrique, mobilisant toute une équipe (médecins-­‐psychiatres, infirmiers, de-­‐briefers) Le temps de l’urgence est en réalité décomposable: 1) En amont de la crise: la stra>fica>on de mini-­‐crises en un blocage rela>onnel 2) L’instant de la crise: deux logiques antagonistes à l’œuvre: le passage à l’acte est le signe d’une lucidité par rapport au blocage, appelant à un renouveau de la rela>on, mais interprété par l’autre comme une rupture de la rela>on 3) La ges>on de la crise: ouvrir, plutôt que d’enfermer, amplifier la crise (« Creuser le sens de la crise, ce sera ré-­‐ouvrir l’espace de la rela>on » N. Depraz, op. cit., p. 472) Comment le psychiatre peut-­‐il « amplifier » la crise ? 1) Qui=er le mode d’être objec>f/neutre pour développer un mode a=en>f/impliqué par rapport au pa>ent – subjec>ver la rela>on, pour considérer l’autre comme un être libre; 2) Se tourner vers tout le groupe (famille et équipe médicale), c’est-­‐à-­‐dire porter son a=en>on vers l’être-­‐rela>onnel; 3) Pra>quer la résonance – faire apparaître l’être-­‐rela>onnel comme être-­‐en-­‐résonance; 4) Faire passer la rela>on interindividuelle et alterna>ve à une véritable dynamique de groupe. Ce=e dynamique « ouvre un espace de transcendance où chaque personne est porteuse à >tre égal de toute la dynamique rela>onnelle » (op. cit., p. 474) Comment faire re-­‐circuler la parole ? 1) Ne pas faire simplement écho à la parole du pa>ent (parole/contre-­‐parole); 2) Parler à chacun en même temps, et non à chacun de manière alterna>ve (écoute mul>focale); 3) Perme=re à chacun d’entendre l’autre sans renoncer à sa propre parole; 4) Pra>que « l’an>nomie discursive »: s’adresser posi>vement, mais inversement, à chacun. 
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