Cancer du poumon chez le sujet âgé : traitement du carcinome

Cancer du poumon chez le sujet âgé :
traitement du carcinome bronchique non
à petites cellules
M.-C. Pailler et J.-F. Morère
Introduction
Avec plus de 700 000 nouveaux cas annuels, le cancer bronchique primitif est
un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Premier cancer
dans le monde, son incidence augmente annuellement de 1 à 5 % selon les
pays. Une partie de cette augmentation est due au vieillissement de la popula-
tion. En Europe, 15,7 % de la population est âgée de plus de 65 ans et
l’incidence du cancer bronchique rapportée à l’âge est de 61,1 % chez les sujets
de plus de 65 ans (1). En France, ces chiffres sont similaires : 15,4 % de la
population est âgée de plus de 65 ans et l’incidence du cancer bronchique dans
cette tranche d’âge est de 53,2 %. En 2030, environ 20 % de la population
aura plus de 65 ans contre 8,5 % en 1950. L’espérance de vie s’accroît, actuel-
lement elle est de 14 ans à 70 ans, 10 ans à 75 ans et de 6 ans à partir de
80 ans (2).
Comme le montrent ces chiffres, l’espérance de vie est suffisamment longue
pour que l’on envisage par différentes thérapeutiques adaptées à chaque patient
un allongement de la survie dans cette population. Cependant, outre le stade
de la maladie, la décision thérapeutique dans cette population devra prendre en
compte d’autres facteurs liés à l’âge qui sont l’état des fonctions cognitives, les
comorbidités associées, l’environnement socio-familial.
Épidémiologie
D’après la conférence internationale d’harmonisation, le sujet âgé est défini par
un âge supérieur ou égal à 65 ans. Cependant, il n’existe pas de consensus ;
dans certaines publications, on parle de sujet âgé à partir de 65 ans, pour
d’autres à partir de 70 ans. Une étude épidémiologique de l’incidence des
cancers du sujet âgé a été faite grâce à l’IACR dans 51 pays entre 1988 et 1992.
Les résultats confirment l’incidence élevée des cancers de toute localisation
chez les sujets de plus de 65 ans (3). L’incidence annuelle est de 65 % chez les
hommes et 56 % chez les femmes dans cette tranche d’âge. Dans cette popu-
lation de sujets âgés > 65 ans, l’incidence du cancer du poumon est de 449 cas
pour 100 000 habitants. Dans la population féminine du même âge, l’inci-
dence du cancer du poumon reste au deuxième rang après le cancer du sein
avec 118 cas pour 100 000 habitantes. L’âge supérieur à 65 ans semble consti-
tuer un facteur de mauvais pronostic dans le cancer bronchique. En effet,
l’étude européenne Eurocare II retrouve un taux de survie à cinq ans standar-
disé selon l’âge significativement diminué chez le sujet âgé (4) (tableau I).
Particularités du sujet âgé
Le vieillissement s’accompagne d’une altération des fonctions organiques
conduisant à des perturbations physiopathologiques et psychologiques appe-
lées comorbidités. La prise en charge thérapeutique du sujet âgé doit à la fois
prendre en compte la situation socio-économique et les comorbidités. Elles
sont un facteur prédictif indépendant de la survie des patients ayant un cancer
(5) (tableau II). Avec l’âge, certains paramètres pharmacocinétiques sont modi-
fiés tels que l’absorption, le volume de distribution, le métabolisme hépatique
et l’excrétion rénale. La filtration glomérulaire diminue avec l’âge, nécessitant
des précautions dans l’utilisation des drogues à élimination rénale comme les
sels de platine. La clairance de la créatinine est un bon reflet de celle-ci. La
formule de Calvert permet d’ajuster les doses de carboplatine par rapport à la
clairance de la créatinine sans perdre en efficacité. Récemment, Kintzel et Dorr
ont proposé une formule pour adapter les doses d’agents anti-néoplasiques à la
134 Cancer du sujet âgé
H tout âge H 65-99 ans F tout âge F 65-99 ans
Nombre de cas 129 825 78 909 43 582 27 710
ASSR % 9,4 7,1 12,6 8,9
CI 95 % 8,8-10,0 6,2-8,1 11,1-14,5 7,0-11,2
Tableau I – Cancer bronchique : taux de survie de 5 ans standardisé selon l’âge (ASSR) Eurocare II.
filtration glomérulaire (6). Les patients âgés présentent des caractéristiques
gériatriques évaluables par des échelles et qui doivent être prises en compte
dans la décision thérapeutique. Ces échelles évaluent le degré de dépendance
des personnes âgées en termes d’activités quotidiennes (ALD). Selon Balducci
et al., une dépendance ALD est considérée comme un critère de fragilité et peut
suggérer une moins bonne tolérance à la chimiothérapie (7).
De plus, les patients atteints de cancer bronchique diffèrent des autres
patients atteints de cancer. En effet, le tabagisme est responsable également
d’une atteinte du système cardiovasculaire et respiratoire. Mazza et al., dans
une étude évaluant 3 282 patients atteints d’un cancer, évoque comme facteur
de mauvais pronostic l’existence d’une insuffisance respiratoire (8).
L’évaluation de tous ces paramètres est importante car elle va permettre
d’identifier les sujets fragilisés parmi la population très hétérogène des
personnes âgées dans le but de mettre en place une prise en charge spécifique
et de mieux sélectionner les patients pouvant recevoir une chimiothérapie.
Traitement chirurgical : possibilités, limites, difficultés
La résection chirurgicale demeure le seul traitement potentiellement curatif des
formes localisées de carcinome bronchique non à petites cellules (CBNPC).
L’âge est souvent un facteur déterminant de réduction du traitement. En effet,
Smith et al., dans une étude portant sur 5 582 cas, retrouvent une corrélation
entre l’âge et l’absence de tout traitement, une moindre chance de thoraco-
tomie, ainsi qu’une plus grande probabilité de recours à la radiothérapie (9).
Jusqu’en 1990, plusieurs équipes chirurgicales avaient retrouvé un lien entre
l’augmentation de la mortalité et l’étendue du geste opératoire ainsi qu’un âge
(65 ans) (10-12). Le North Middlesex Hospital a effectué 100 thoracotomies
entre 1959 et 1968 chez 100 patients âgés de plus de 70 ans. La mortalité
opératoire était de 14 % et augmentait avec le type de résection. Elle s’élevait
Cancer du poumon chez le sujet âgé 135
Comorbidité % de patients
Arthrose 30
Hypertension artérielle 27,5
Maladies digestives 21,6
Maladies vasculaires 21
Maladies cardiaques 20,4
Dépression 14,4
Maladies respiratoires 14,1
Tableau II – Pathologies associées chez les patients > 65 ans lors de la découverte d’un cancer (5).
à 26 % après pneumonectomie contre 14 % après lobectomie. Aucun décès n’a
été constaté après segmentectomie (10). Evans et al. avaient constaté une
augmentation de la mortalité opératoire avec l’âge : 10 % pour les patients de
moins de 65 ans, 16 % entre 65 et 69 ans et 27 % entre 70 et 83 ans (11). Ces
résultats ont été confirmés par une étude multicentrique du Lung Cancer
Study Group of North America en 1983 (Tableau III) (13). Cette mortalité
post-thoracotomie tend à diminuer depuis 10 ans (3-5 %) en raison de la sélec-
tion des patients. Afin de diminuer le risque opératoire dans cette population
âgée, des progrès ont été faits en pré, per et postopératoire. En préopératoire,
une évaluation précise du stade, un contrôle des infections broncho-pulmo-
naires, une évaluation et un traitement des comorbidités associées ont permis
une meilleure sélection des patients. En peropératoire, les progrès des tech-
niques de thoracoscopie et de chirurgie thoracique vidéo-assistée avec des
incisions limitées entre 2 et 8 cm ont réduit les complications postopératoires
liées aux traumatismes de la paroi thoracique (14).
M. Riquet et al. ont publié les résultats d’une étude rétrospective compre-
nant 1 592 patients qui ont subi une exérèse à visée curative entre 1984 et 1996
(15). L’âge médian était de 60,9 ans. Parmi eux, 189 (11,9 %) avaient entre 70
et 74 ans, 117 (7,3 %) entre 75 et 79 ans, 26 (1,7 %) entre 80 et 89 ans.
L’importance de la chirurgie n’était pas influencée par l’âge dans cette étude
(tableau IV). Sept cent trente pneumonectomies (45,9 %) et 837 (52,8 %)
lobectomies ont été réalisées.
La survie était influencée par l’âge (tableau V). L’analyse des causes de décès
dans cette étude a montré que chez les plus de 75 ans, 49 % étaient décédés
d’un autre cancer, 47 % des suites de leur cancer, enfin, la mortalité postopé-
ratoire était de 15 %.
136 Cancer du sujet âgé
Âge (ans) N résections Décès Mortalité à j 30
%
< 50 230 31,3
50-59 617 8 1,3
60-69 920 37 4,1
70-79 416 29 7,0
> 80 37 3 8,1
Tableau III – Lung Cancer Study Group : taux de mortalité en fonction de l’âge (13).
Âge (ans) Pneumonectomies
N = 730 (45,9 %) Lobectomies
N = 837 (52,8 %)
70-74 ans 11,9 % 11,8 %
75-79 ans 7,1 % 7,6 %
80-89 ans 2,2 % 1,2 %
Tableau IV – Influence de l’âge sur le type d’intervention.
D’après la littérature, la mortalité postopératoire varie de 4 à 22 % (16- 20).
Elle augmente avec l’âge et chez les patients opérés par pneumonectomie (20,
21).
Radiothérapie : peut-on proposer une radiothérapie
thoracique à un sujet âgé ?
Aucune donnée de la littérature n’a montré que la radiothérapie était moins
bien tolérée chez le sujet âgé. La tolérance est liée au volume tumoral irradié, à
la dose totale délivrée et à la dose par fraction. Elle est modulée par les comor-
bidités associées (diabète, hypertension artérielle, chirurgie), mais celles-ci ne
sont pas spécifiques de l’âge. Dans un souci de préservation de la qualité de vie
chez le sujet âgé, la dose totale et l’étalement de dose tendent à être diminués,
ainsi que l’utilisation d’un hypofractionnement, voire un arrêt du traitement
en cours. Cette attitude minimaliste a pour conséquence une diminution du
contrôle local et une augmentation du risque de complications tardives.
Cancer bronchique non à petites cellules localement avancé (CBNPC)
Existe-t-il une limite d’âge pour la radiothérapie thoracique à visée
curative ?
T. Pignon a analysé les résultats d’une étude rétrospective à partir des données
de 6 essais randomisés de l’EORTC comportant 1 208 patients. Ces 1 208
patients avaient reçu une radiothérapie thoracique curative pour un CBNPC
localement avancé ou un cancer de l’œsophage (22). Les patients ont été
séparés en six groupes en fonction de l’âge de 50 à 70 ans et plus. Le but de
cette étude était d’étudier l’influence de l’âge sur la fréquence et la sévérité des
complications aiguës et tardives, de voir si le pronostic était significativement
différent par tranche d’âge et justifiait une prise en charge différente en fonc-
tion de l’âge. La survie rapportée au siège primitif de la tumeur était identique
quelle que soit la tranche d’âge. L’incidence des toxicités tardives (dyspnée,
Cancer du poumon chez le sujet âgé 137
Âge (ans) Survie à 5 ans (%) Survie à 10 ans (%) Médiane de survie
(mois)
< 50 ans 52,8 44,,6 89
50-64 ans 48,2 32,3 57
65-74 ans 42,3 23,1 43
> 74 ans 21 7,9 24
Tableau V – Survie en fonction de l’âge.
1 / 12 100%

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