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Résumé
Après un cancer gynécologique, le recours à un traitement hormonal de substitution
dépend du type de cancer, et parfois du stade. Dans ce texte, nous présentons les données
de la littérature sur les risques oncologiques des traitements de la ménopause avant et
après le diagnostic d’un cancer gynécologique.
La prescription d’une substitution hormonale peut être proposée après un carcinome
épidermoïde du col de l’utérus ou de la vulve, après un cancer de l’endomètre de bon
pronostic, de stade précoce, bien différencié, et après un cancer épithélial de l’ovaire.
Elle est classiquement contre-indiquée après un sarcome du stroma endométrioïde
(SSE), et doit être évitée après le traitement d’une tumeur de la granulosa.
Mots clés : cancer de l’endomètre, cancer de l’ovaire, cancer du col de l’utérus,
ménopause, traitement hormonal de substitution, sarcome du stroma endométrial
Institut Curie - 26 rue d’Ulm - 75248 Paris cedex 05
Correspondance : [email protected]
L’après-cancer gynécologique :
recours au traitement hormonal
substitutif
P. THIS
(Paris)
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Déclaration publique d’intérêt
Je soussignée, Dr Pascale This, déclare ne pas avoir d’intérêt direct
ou indirect avec un organisme privé, industriel ou commercial en
relation avec le sujet traité.
INTRODUCTION
Le traitement d’un cancer gynécologique (que ce soit du col de
l’utérus, de l’endomètre ou des ovaires) chez une jeune femme est
souvent compliqué d’une ménopause chirurgicale, en raison de l’abla -
tion des ovaires, lorsque celle-ci est nécessaire sur le plan oncologique.
Il est essentiel, pour les gynécologues, de bien connaître les
possibilités éventuelles de recours à une substitution hormonale afin
d’accompagner au mieux ces jeunes patientes dans la période de
l’après-cancer gynécologique. Parfois aussi des patientes qui ont déjà
atteint l’âge de la ménopause naturelle demandent, en raison de
symptômes variés, à recourir à un traitement hormonal alors qu’elles
ont été antérieurement traitées pour un cancer gynécologique.
Nous verrons que la possibilité de substitution hormonale est très
variable selon le type de cancer. Pour chaque cancer, il est important
d’apprécier l’hormonodépendance éventuelle et les données existantes de
la littérature, à la fois sur les risques oncologiques des traitements hormo -
naux et sur l’utilisation d’hormones après un cancer gynéco logique.
Dans ce texte, nous utiliserons l’acronyme THM pour « traitement
hormonal de la ménopause » lorsque la supplémentation hormonale
concernera des femmes ménopausées à l’âge habituel, et de THS pour
« traitement hormonal substitutif » lorsque la supplémentation hormo -
nale concernera des femmes ménopausées précocement.
Nous aborderons tout d’abord les conséquences somatiques
éventuelles d’une ménopause non substituée, puis les données récentes
disponibles sur les bénéfices et les risques des THM/THS, et notam -
ment les risques carcinologiques.
Nous aborderons enfin la question de la prescription éventuelle
d’un THM/THS après un cancer gynécologique.
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I. ENJEUX À COURT, MOYEN, LONG TERME
D’UNE MÉNOPAUSE PRÉMATURÉE
Lorsque le traitement d’un cancer gynécologique nécessite l’abla -
tion des ovaires, la ménopause qui en résulte est associée à une
infertilité chez les jeunes femmes, mais aussi à des conséquences à
court terme (bouffées de chaleur, sécheresse vaginale, baisse de la
libido, voire franche altération de la qualité de la vie pour n’en citer
que quelques-uns), et également à moyen et long terme (notamment
risque d’ostéoporose) [1].
Par ailleurs, une étude américaine portant sur 1 097 femmes ayant
subi une annexectomie pour une raison non cancérologique, et compa -
rées à 2 390 femmes témoins, a montré que les femmes opérées avant
l’âge de 45 ans et n’ayant pas reçu de substitution par estrogènes
présentaient une augmentation significative de leur risque de décès (RR
1,67) [2], sans que l’on puisse faire la part d’une réelle causalité ou d’un
marqueur de risque sous-jacent.
II. BÉNÉFICES ET RISQUES DES THM CHEZ LA FEMME
INDEMNE DE CANCER
II.1. Effets cardiovasculaires
Depuis 2002, l’étude Women’s Health International (WHI), puis de
nombreuses autres études ont permis de mieux préciser les bénéfices
et les risques des THM.
Du côté des bénéfices, l’étude WHI a permis de montrer que la
prise d’un THM comportant 0,625 mg d’estrogènes conjugués équins
et 2,5 mg d’acétate de médroxyprogestérone était associée à une
diminution significative du risque de fracture du col du fémur [3].
Alors que cette première analyse concluait à un rapport défa -
vorable des risques de ce THM par rapport aux bénéfices, en raison
notamment d’une augmentation du risque coronarien, une ré-analyse
en 2007 a permis de retrouver une tendance à la réduction du risque
cardiovasculaire chez les femmes de 50 à 59 ans ; en revanche une
augmentation légère mais significative du risque d’accident vasculaire
cérébral (hazard ratio (HR) 1,32) n’était modifiée ni par la prise en
compte de l’âge, ni par celle du délai depuis l’installation de la
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ménopause [4]. Cet effet favorable dans le groupe des femmes de 50 à
59 ans a également été retrouvé dans la cohorte de l’étude WHI des
femmes hystérectomisées sous estrogènes seuls [5], et plus récem ment,
dans un essai randomisé danois [6]. L’effet protecteur d’un THM sur le
plan cardiovasculaire semble maintenant bien documenté chez les
femmes ménopausées récemment, notamment si le THM est instauré
entre 50 et 59 ans, avec une réduction du risque cardio vasculaire et de
la mortalité globale : c’est le concept de « fenêtre d’intervention
thérapeutique ».
II.2. THM et risques de cancers du sein et gynécologiques
Concernant les cancers du sein, la prise d’un THM estropro -
gestatif est associée à une augmentation légère mais significative du
risque pour l’étude WHI (HR 1,26) [3] et pour l’étude Million Women
Study (MWS) (HR 1,66) [7]. De plus, le risque varie selon le délai entre
le diagnostic de ménopause et l’introduction du THM et selon le type
du THM : il existe notamment des discordances pour les estrogènes
seuls et le type de progestatif utilisé [8-12]. Ainsi dans l’étude E3N, le
risque de cancer du sein ne semble pas augmenté pour les THM
comportant de la progestérone micronisée [9].
Concernant les cancers de l’endomètre, rappelons que l’hormono -
dépendance de ce cancer repose sur de nombreux arguments : dès les
années 1970, des études retrouvaient un lien entre la prise d’estrogènes
exogènes (notamment d’estrogènes conjugués équins après l’installation
de la ménopause) et le risque de cancer de l’endomètre [13, 14], tandis
que l’association à l’estrogène d’un progestatif permettait de réduire ce
risque [15] sans toutefois l’annuler complètement, avec des risques
variables selon le régime et le type de progestatifs [16].
Ainsi dans l’étude European Prospective Investigation into Cancer and
Nutrition (EPIC), les risques sont retrouvés augmentés significative -
ment : HR 2,52 pour les estrogènes seuls, 2,96 pour la tibolone et 1,41
pour les estroprogestatifs [16] : le risque n’est pas augmenté avec les
progestatifs dérivés de la progestérone ou de la testostérone, alors qu’il
augmente significativement avec la progestérone micronisée (HR 2,42).
Il augmente avec les régimes séquentiels (HR 1,52) mais pas avec les
régimes combinés (HR 0,24). Les données des études précli niques [17]
renforcent ces données épidémiologiques.
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Concernant les cancers de l’ovaire, alors que l’étude WHI n’avait
pas retrouvé d’augmentation du risque sous THM [18], le risque a été
retrouvé significativement augmenté dans l’étude MWS (HR 1,2) [19],
puis plus récemment dans une étude danoise (incidence rate ratio (IRR)
de 1,7 pour les tumeurs séreuses et endométrioïdes) [20] et dans une
étude américaine pour des durées de THM supérieures à 10 ans (HR
2,15 pour les estrogènes seuls, et 1,68 pour les estroprogestatifs) [21].
L’effet d’un THM sur le pronostic d’un cancer de l’ovaire est
controversé : la prise d’un THM est associée à une augmentation signi -
ficative de la mortalité par cancer de l’ovaire (relative risk (RR) à 1,23)
dans l’étude MWS [19] mais pas dans l’étude suédoise de Mascarenhas
[22]. Une petite étude plus récente retrouve par ailleurs des caracté -
ristiques pronostiques plus favorables des cancers de l’ovaire chez des
femmes ayant reçu un THM avant le diagnostic [23].
Le groupe danois a également retrouvé une augmentation signifi -
cative sous THM du risque de tumeur ovarienne à la limite de la
malignité (TOLM) (RR 1,4) [24].
II.3. Recommandations de prescriptions chez les femmes
indemnes de cancer
Dès 2006, les experts de l’AFSSAPS (Agence française de sécurité
sanitaire du médicament et des produits de santé, remplacée depuis
2012 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits
de santé (ANSM)) [25] ont établi des recom mandations de prescription
chez les femmes ne présentant pas de contre-indications carcino-
logiques ou vasculaires au THM, et ressen tant des symptômes gênants
du climatère : un THM contenant estrogène et progestérone naturels
peut être proposé, à la dose la plus faible possible et en rediscutant
régulièrement de la poursuite ou de l’arrêt de ce traitement. Ces
recommandations ont été actualisées récemment [26]. Notons que dans
celles-ci, les experts insistent sur l’intérêt de prescrire le THM chez des
femmes récemment méno pausées en tenant compte du concept de
« fenêtre d’intervention », et recommandent une substitution, si cela est
possible, chez les femmes présentant une insuffisance ovarienne
prématurée, et ce au moins jusqu’à l’âge de la ménopause naturelle.
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