Facteurs de risque de transmission du HHV-8 Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites n°90 - février 2001 VIH-SEXE Facteurs de risque de transmission du HHV-8 Nicolas Dupin service de dermato-vénérologie, Hôpital Tarnier (Paris) Risk factors for human herpesvirus 8 seropositivity and seroconversion in a cohort of homosexual men Dukers N., Renwick N., Prins M., Geskus R.B., Schulz T.F., Weverling G.-J., Coutinho R.A., Goudsmit J. . American Journal of Epidemiology, 2000, 151, 213-224 Les discordances observées entre différentes études ayant analysé les pratiques sexuelles à risque d'infection par le HHV-8 pourraient s'expliquer par la sous-estimation de certaines pratiques comme le baiser, mettant en avant le rôle de la transmission salivaire de ce virus. En 1992, une étude américaine mettait en évidence le caractère "sexuellement transmissible" de la maladie de Kaposi dans une cohorte d'homosexuels1. Dans ce travail provocateur, les auteurs montraient que le risque de maladie de Kaposi était lié au nombre de partenaires sexuels, et surtout associé à certaines pratiques sexuelles comme les rapports oro-anaux. Cette étude http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/90_1278.htm (1 sur 5) [11/04/2003 10:41:34] Facteurs de risque de transmission du HHV-8 épidémiologique avait permis de soulever, pour la première fois, le rôle d'un agent infectieux sexuellement transmissible comme agent causal de la maladie de Kaposi. Aux vues de ce travail, l'équipe de Patrick Moore, de l'université de Columbia, avait entrepris la recherche de cet agent infectieux en utilisant une technique de biologie moléculaire tout à fait originale et publiée dans la revue Science en 19932. Cette technique, dénommée RDA pour representional difference analysis, repose sur une hybridation soustractive de 2 banques d'ADN obtenues du tissu sain et du tissu lésé d'un même malade et repose sur le postulat que l'agent infectieux est présent uniquement dans le tissu lésé ou à une concentration beaucoup plus élevée que dans le tissu sain. Le résultat fut la découverte du 8e herpesvirus humain, le HHV-8 - autrement dénommé KSHV pour Kaposi's sarcoma-associated herpesvirus. Depuis, tous les auteurs s'accordent pour reconnaître que le HHV-8 est l'agent causal de la maladie de Kaposi et qu'il est également responsable de 2 pathologies lymphomateuses : les lymphomes des séreuses ou primary effusion lymphoma et la maladie de Castleman multicentrique plasmocytaire (100% chez les sujets infectés par le VIH, 20 à 50% chez les sujets non infectés par le VIH). Les études épidémiologiques reposant sur des sérologies de première génération ont permis de mieux préciser la distribution de l'infection par le HHV-8. L'un des faits marquants de la répartition géographique de ce virus est son extrême variabilité d'une zone à une autre. On peut maintenant distinguer 3 profils de distribution : les zones à faible endémie, dont les Etats-Unis et les pays du nord de l'Europe, avec une prévalence de 1 à 5% de sujets infectés, les zones d'endémie intermédiaire, comme l'Europe du Sud et les pays du Maghreb, avec une prévalence de 10 à 25%, et les zones à forte endémie, comme les pays d'Afrique équatoriale, avec une prévalence de 30 à 70%3. Les raisons de la grande variabilité de cette distribution de l'infection du HHV-8 sont mal connues et sont certainement en rapport avec les modes de transmission de ce virus. Plusieurs études d'importance viennent d'être publiées et permettent de se faire une idée plus précise des différents modes de transmission du HHV-8. Une étude menée à San Francisco dans une cohorte d'homosexuels a permis de montrer que le risque d'infection par le HHV-8 était directement lié au nombre de partenaires sexuels4, et ces résultats vont bien dans le sens des résultats publiés dès 1992 par l'équipe de Valérie Béral sur la maladie de Kaposi. Cependant, les pratiques sexuelles à risque associées à l'infection par le HHV-8 n'avaient jusque là pas été étudiées de façon systématique. C'est dans le but d'analyser les pratiques sexuelles à risque http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/90_1278.htm (2 sur 5) [11/04/2003 10:41:34] Facteurs de risque de transmission du HHV-8 d'infection par le HHV-8 que l'équipe de Jaap Goudsmit a mené une étude rétrospective sur une cohorte de 1 458 homosexuels, dont les résultats ont été publiés dans American Journal of Epidemiology. La recherche d'anticorps anti-HHV-8 a reposé sur un test ELISA combinant une protéine lytique et une protéine de latence virale. Six pratiques sexuelles ont été évaluées : rapport génito-anal réceptif, rapport génito-anal insertif, rapport oro-génital réceptif, rapport oro-génital insertif, rapport oro-anal réceptif et rapport oro-anal insertif. La prévalence de l'infection par le HHV-8 à l'entrée de l'étude était de 30%, soit 305 sujets positifs sur les 1458 sujets inclus. L'infection par le HHV-8 était plus élevée chez les sujets séropositifs pour le VIH, les sujets n'ayant pas de partenaires fixes, les sujets originaires d'Europe du Sud ou d'Amérique latine. L'infection par ce virus augmentait avec l'âge des sujets et le nombre de partenaires sexuels. Pendant la durée de l'étude, 215 sujets ont séroconverti pour le HHV-8, soit une incidence de 3,6 sujets sur 100 nouvellement infectés par an. Fait marquant, l'incidence et la prévalence de l'infection par le HHV-8 sont restées stables pendant toute la durée de l'étude, qui s'est déroulée de 1984 à 1996, témoignant indirectement de l'absence d'efficacité des mesures mises en route pour la prévention de l'infection par le VIH (préservatifs par exemple). L'analyse des pratiques sexuelles à risque de transmission du HHV-8 permet de mettre en évidence que les rapports oro-anaux insertifs (OR 5,95) ou réceptifs (OR 4,29) avec plus de 5 partenaires différents dans les 6 derniers mois, l'âge élevé (OR 2,47), la séropositivité pour le VIH (OR 2,47) sont des prédicteurs indépendants de la séroconversion pour le HHV-8. En revanche, il n'existe pas de liens entre les rapports ano-génitaux (réceptifs ou insertifs) et les rapports oro-anaux (réceptifs ou insertifs) et ces résultats contrastent avec des données publiées récemment ou avec les données publiées en 1992 sur la maladie de Kaposi. Les raisons de ces discordances entre ces différentes études sont abordées dans un commentaire paru dans le même numéro de la revue par Jeffrey Martin et Denis Osmond5. L'un des aspects qui paraît le plus important dans cette analyse est la possibilité de sous-estimer certaines pratiques que l'on pourrait qualifier de plus routinières comme le "baiser". Remontons à la source : le HHV-8 appartient à la famille des gamma-herpesvirus, dont le seul autre représentant humain est le virus Epstein-Barr (EBV). Or l'EBV est responsable de la mononucléose infectieuse ou "maladie du baiser". L'EBV infecte les cellules épithéliales de l'oropharynx et est excrété épisodiquement à vie chez certains porteurs sains. N'en serait-il pas de même pour le HHV-8 ? http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/90_1278.htm (3 sur 5) [11/04/2003 10:41:34] Facteurs de risque de transmission du HHV-8 Des études préliminaires ont montré que des séquences ADN du HHV-8 pouvaient être mises en évidence dans les sécrétions salivaires. Un travail récent, publié dans le New England Journal of Medicine, vient conforter cette hypothèse6. Les auteurs ont entrepris d'étudier l'excrétion salivaire, anale et urétrale du HHV-8 chez des malades séropositifs pour ce virus. Leur travail a reposé sur des techniques quantitatives et morphologiques, ce qui renforce la validité des résultats obtenus. Ils ont ainsi pu détecter le HHV-8 au moins dans un échantillon muqueux chez 60% des 50 malades séropositifs pour l'HHV-8. Le HHV-8 a par ailleurs été isolé dans 30% des échantillons oropharyngés et seulement 1% des échantillons anaux et génitaux. Le titre médian en HHV-8 était 2,5 fois supérieur dans les échantillons oropharyngés que dans les autres sites et les techniques d'hybridation in situ ont permis de mettre en évidence des séquences virales dans les cellules épithéliales de la cavité buccale. Dans une deuxième partie, les auteurs ont étudié 92 hommes ayant eu des relations sexuelles avec d'autres hommes et séronégatifs pour le VIH. Chez ces patients, des antécédents de relations sexuelles avec un partenaire ayant une maladie de Kaposi, de baisers avec un partenaire séropositif pour le VIH et l'utilisation de "poppers" représentaient des facteurs de risque indépendants d'infection par le HHV-8 (lire l'article de Céleste Lebbé)). Ces données suggèrent fortement que la salive pourrait être la principale voie de transmission du HHV-8 chez les patients ayant des pratiques sexuelles à risque. Qu'en est-il dans d'autres groupes et notamment chez les enfants dans les zones d'endémie ? Le profil de distribution en Afrique rend très probable l'hypothèse d'une transmission horizontale débutant dès la petite enfance et un travail récent mené chez des noirs-marrons en Guyane française illustre bien cette hypothèse7. Ainsi, dans ce travail, les seuls facteurs de risque associés à la séropositivité HHV-8 chez les enfants étaient la positivité chez la mère et/ou chez un des membres de la fratrie. Les auteurs évoquaient comme possible facteur de transmission des pratiques alimentaires couramment répandues, comme la pré-mastication des aliments par la mère. Si de nombreuses inconnues persistent quant aux modes de transmission du HHV-8, des études récentes mettent en avant le rôle de la transmission salivaire. Des études complémentaires permettront certainement d'avancer dans la compréhension de la transmission de ce virus afin de mieux définir les possibilités de prévention et de mieux comprendre la grande variabilité de la distribution géographique de l'infection. La transmission salivaire principale du HHV-8 illustre le fait que des virus à réputation sexuellement transmissible puissent diffuser de façon http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/90_1278.htm (4 sur 5) [11/04/2003 10:41:34] Facteurs de risque de transmission du HHV-8 plus large dans certaines populations en fonction de coutumes ancestrales. La transmission salivaire préférentielle du HHV-8 rend compte en partie de l'absence d'efficacité des mesures de prévention " classiques " comme le recours au préservatif, comme l'illustre la stabilité de l'incidence de l'infection par ce virus depuis l'apparition de l'épidémie VIH. 1 - Beral V, Peterman TA, Berkelman RL, Jaffe HW " Kaposi's sarcoma among persons with AIDS : a sexually transmitted infection ? " Lancet, 1990, 335, 123-8 2 - Chang Y, Cesarman E, Pessin MS et al. " Identification of herpesvirus-like DNA sequences in AIDS-associated Kaposi's sarcoma " Science, 1994, 266, 1865-9 3 - Moore PS " The emergence of Kaposi's sarcoma-associated herpesvirus (human herpesvirus 8) " N Engl J Med, 2000, 343, 1411-3 4 - Martin JN, Ganem DE, Osmond DH et al. " Sexual transmission and the natural history of human herpesvirus 8 infection " N Engl J Med, 1998, 338, 948-54 5 - Martin JN, Osmond DH Invited commentary : " Determining specific sexual practices associated with human herpesvirus 8 transmission " Am J Epidemiol, 2000, 151, 2259 6 - Pauk J, Huang ML, Brodie SJ et al. " Mucosal shedding of human herpesvirus 8 in men " N Engl J Med, 2000, 343, 1369-77 7 - Plancoulaine S, Abel L, Van Bereven M et al. " Human herpesvirus 8 transmission from mother to child and between siblings in an endemic population " Lancet, 2000, 356, 1062-5 http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/90_1278.htm (5 sur 5) [11/04/2003 10:41:34]