La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 | 405
Résumé
La maladie de Kaposi (MK) est une prolifération tumorale multicentrique survenant après transplantation d’organe
chez un patient infecté par le virus herpès 8 (HHV-8) avec une immunosuppression iatrogène. La distribution
de l’infection HHV-8 est hétérogène dans le monde avec des pays à endémicité forte (Afrique subsaharienne),
moyenne (pays du Bassin méditerranéen, Amérique du Sud) ou faible (Europe du Nord, États-Unis). Le trans-
planté avec MK est généralement infecté par HHV-8 avant la transplantation. Les lésions dermatologiques sont
aisément reconnaissables sur les peaux claires, avec une évolution parallèle à celle des lésions viscérales. Les
lésions viscérales sont princi palement localisées dans le tube digestif, les ganglions et le poumon. Les examens
virologiques sont d’une utilité limitée pour la prise en charge de la MK. Le traitement immunosuppresseur est
diminué, sans risque pour le greffon. Si possible, les anticalcineurines sont remplacés par les inhibiteurs de
mTOR. Les traitements spécifiques ne sont prescrits qu’en cas de gêne esthétique ou fonctionnelle et en cas de
risque vital. Le but n’est pas d’obtenir une rémission complète mais de stabiliser la maladie de manière à ce
qu’elle soit compatible avec une vie la plus normale possible.
Mots-clés
Virus herpès humain
de type 8
Maladie de Kaposi
Transplantation
d’organe
Traitement
immunosuppresseur
Highlights
Kaposi’s sarcoma (KS) in organ
transplant recipients consists
of an opportunistic multicen-
tric proliferation occurring in
a patient infected by human
herpes virus 8 with a iatrogenic
immunosuppression. Distribu-
tion of HHV-8 around the world
is hetero genous with highly
(Sub Saharan Africa), medium
(Mediterranean areas, South
America) and low infected
countries (Northern Europe,
USA). Organ recipients
with KS are usually HHV-8
infected before transplanta-
tion. Dermatologic lesions are
easily recognizable on fair skin.
Their evolution runs in parallel
with those of extracutaneous
KS, most frequently observed
in the gastrointestinal tract,
lymph nodes and lungs. Viro-
logical tests are not relevant for
the management of KS. Imuno-
suppressive drugs have to be
tapered to the lowest possible
level, whilst attempting to
keep the allograft functional.
If possible, anticalcineurin
drugs are switched with mTOR
antagonist. Specific therapy for
KS is only prescribed in case of
esthetic or functional trouble
and vital risk. The aim of this
management is not to obtain a
complete remission but a stabi-
lization of KS with a normal life.
Keywords
Human herpes virus 8
Kaposi’s sarcoma
Organ transplantation
Immunosuppressive therapy
31 % dans une étude nationale française récente),
celle-ci est le plus souvent asymptomatique
(95 %) [15]. Quel que soit le mode de contamination
de l’HHV-8, les hommes sont plus souvent atteints
par la MK, avec des ratios H/F variant de 2 à 40 (3).
Le risque de MK est maximal dans les 2 ans qui
suivent la greffe (16), le délai médian de survenue
étant de 13 mois après la greffe, avec des extrêmes
compris entre quelques semaines et 18 ans (16). Les
études comparant la prévalence de la MK postgreffe
selon l’organe transplanté sont contradictoires mais
suggèrent des taux comparables en transplantation
rénale et en transplantation cardiaque, quoique plus
importants dans certaines séries, en transplantation
hépatique (3).
Physiopathologie
L’apparition d’une MK après transplantation résulte
d’un déséquilibre entre les défenses immunitaires
vis-à-vis d’HHV-8 et l’expansion de progéniteurs
tumoraux infectés par HHV-8. La diminution des
réponses T spécifiques du virus HHV-8 des trans-
plantés développant une MK a récemment été
démontrée (17-19). Le caractère initialement clonal
de la MK est encore débattu. Il semble cependant
probable que la maladie soit initialement polyclonale
et que des pressions de sélection diverses favorisent
la prolifération d’un nombre limité de clones (20).
En dehors des gènes de structure, HHV-8 possède
tout un panel de gènes, latents ou lytiques, suscep-
tibles d’interférer avec la survie cellulaire, l’angio-
genèse et les réponses immunes (21, 22). Ainsi la
v-cycline, homologue des cyclines cellulaires de
type D, est exprimée dans la plupart des cellules
fusiformes kaposiennes, conduisant à la progression
non contrôlée de G1 en phase S. L’antigène nucléaire
de latence (LANA, Latency-associated nuclear
antigen) stimule le cycle cellulaire, bloque l’apoptose
médiée par p53, et inter agit avec d’autres facteurs
cellulaires impliqués dans la transcription tels
que CBP, RING3, Ets1 et mSin3A. LANA s’associe
également avec GSK-3 bêta, important modulateur
de la voie Wnt. La protéine vBcl-2, codée par l’ORF16,
est un facteur inhibant l’apoptose, exprimé à des
phases avancées de la MK. D’autres protéines virales
telles que v-FLIP inhibent l’apoptose.
HHV-8 code pour trois chemokines douées
de propriétes angiogéniques ainsi que pour un
homologue de l’interleukine 6 exprimée au cours
de la maladie de Castleman multicentrique, mais
peu dans les lésions kaposiennes. HHV-8 possède
enfin une autre protéine très angiogénique codée
par l’ORF 74 qui stimule la secrétion de VEGF et
de cytokines pro-inflammatoires. Des souris trans-
géniques pour l’ORF74 développent une maladie
cutanée et viscérale similaire à la MK.
HHV-8 possède par ailleurs de nombreux gènes
régulant les réponses immunes innées et adapta-
tives dont nous ne citerons que des exemples. Ainsi,
deux protéines transmembranaires, MIR1 et MIR2,
inhibent l’expression des antigènes HLA de classe I.
L’ ORF4 code pour une protéine qui inhibe le dépôt
de C3 à la surface cellulaire. HHV-8 a conçu de
multiples mécanismes pour inhiber les réponses
cellulaires à l’interféron α.
Caractéristiques cliniques
Des lésions cutanéomuqueuses sont présentes
dans plus de 90 % des cas. Elles sont similaires à
celles décrites au cours des autres formes de MK.
Les lésions élémentaires sont des macules réalisant
des plaques érythémateuses et violines s’infiltrant
progressivement. Leur reconnaissance est aisée sur
peau blanche du fait de leur couleur, plus difficile sur
peau noire, la couleur violine apparaissant alors plus
fonçée que la peau saine (figures 1 et 2). La présence
des lésions sur les zones traumatisées (phénomène de
Koebner) corroborerait leur présence sur les cicatrices
(figure 3). Ces lésions ne disparaissent pas à la vitro-
pression et prennent volontiers un aspect ecchy-
motique, hémorragique ou pigmenté. Des nodules
angiomateux de consistance dure peuvent s’y associer
ou s’observer de façon isolée, ou plus rarement
des nodules lymphangiectasiques de consistance
mollasse. Un lymphœdème peut accompagner les
lésions, voire les précéder et être au premier plan (23).