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3e Congrès international sur les tumeurs malignes
associées au sida
● J.P. Spano*
e National Cancer Institute (NCI), à Bethesda, organise depuis trois ans une conférence annuelle sur les
tumeurs malignes associées au sida et aux autres
types d’immunodéficience. La conférence de cette année s’est
tenue les 26 et 27 mai au Natcher Conference Center du National Institute of Health (NIH). Les principaux objectifs de cette
conférence étaient, d’une part, de montrer les progrès réalisés
dans le domaine de la recherche clinique et scientifique concernant la prise en charge des patients infectés par le VIH atteints
de tumeurs malignes, et, d’autre part, de stimuler cette
recherche à travers ses différentes disciplines (épidémiologie,
virologie, études précliniques, recherche fondamentale,
recherche de nouvelles approches thérapeutiques…).
[Le programme et les abstracts de cette conférence sont disponibles dans le volume 21 du mois de mai 1999 (pages A1 à
A41) du Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes.]
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Les tumeurs malignes associées au VIH représentent actuellement, et pour les années à venir, l’un des plus difficiles et des
plus controversés défis de prise en charge thérapeutique des
patients infectés. L’incidence de certains cancers, comme le
sarcome de Kaposi, est en diminution depuis l’instauration des
puissantes thérapies antirétrovirales bien connues sous l’appellation de “HAART” (Highly Active Antiretroviral Therapy).
D’autres types de cancers, comme les cancers du canal anal et
du col utérin ou la maladie de Hodgkin, semblent ne pas être
affectés par l’institution de cette nouvelle stratégie d’associations d’antirétroviraux.
Un des problèmes posés par les tumeurs malignes associées au
VIH est la nécessité d’un maintien pour les patients d’une
immunité efficace, avec cependant des chimiothérapies cytotoxiques administrées à des doses optimales, afin d’obtenir la
meilleure réponse objective possible. L’autre défi est la nécessité de maintenir un parfait contrôle de la réplication virale du
VIH, mais en minimisant les effets indésirables et les interactions entre les associations antirétrovirales de type HAART et
les chimiothérapies cytotoxiques.
L’amélioration de la survie globale des patients infectés par le
VIH, grâce à ces puissantes thérapies antirétrovirales (comprenant des inhibiteurs de protéases), sans toutefois restaurer com-
* SOMPS, service du Pr Khayat, 47, bd de l’Hôpital, 75013 Paris.
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plètement l’immunité, pourrait favoriser le développement de
tumeurs malignes.
Les cancers associés au sida pourraient alors être considérés
comme les prochaines “frontières” à conquérir dans le domaine
de l’infection à VIH.
ONCOGENÈSE ET ANGIOGENÈSE
Les mécanismes d’oncogenèse concernant les cancers associés
au sida ont surtout été évoqués au cours de la communication
orale de H. Hausen (abstr. S1) portant sur les virus-oncogènes.
En effet, 15 à 20 % de l’incidence globale des cancers peuvent
être liés à une infection virale. Près de 15 % des cancers, tous
types confondus, sont supposés présenter parmi leurs facteurs
étiologiques une composante infectieuse. Parmi les cancers le
plus communément concernés, on retrouve le cancer du col
utérin et l’hépatocarcinome. Les principaux types de virus susceptibles de contribuer au développement de cancers sont les
herpèsvirus, les papillomavirus, les rétrovirus, les hepadnavirus
et les flavirus. Les mécanismes physiopathologiques qui
conduisent à la prolifération tumorale diffèrent d’un type de
virus à l’autre ; il s’agit de l’atteinte directe par les oncoprotéines virales (comme les oncoprotéines E6 et E7 des HPV) de
la régulation du cycle cellulaire (abstr. S5), ou de l’intégration
du génome viral au sein du génome cellulaire (non encore
démontrée pour le VIH), un des mécanismes indirects peut
résulter de l’immunosuppression de l’hôte infecté.
Dans le cadre de l’infection à VIH, les données de ces dernières années ont surtout été marquées par la découverte d’un
nouveau virus du groupe herpès, le HHV-8 (Human Herpes
Virus-8), au sein de lésions de sarcome de Kaposi (Chang.
Science 1994 ; 266 : 1864-9), et par le rôle critique joué par les
sérotypes HPV 16, 18, 31, 33, 35, 45, 51, 52, 56, 58 (HPV à
haut risque de développement de lésions génitales) dans la survenue de certains carcinomes épidermoïdes, comme ceux du
col utérin (où des séquences d’HPV sont retrouvées dans 95 %
des cas), du canal anal (70 % des cas) ou, récemment, de l’oropharynx (20 % des cas), du nasopharynx (10-20 % des cas) ou
cutanés.
Le phénomène d’angiogenèse (abstr. S2) est caractérisé par de
multiples étapes successives régulées par de nombreuses molécules sécrétées à la fois par les cellules tumorales et les cellules
environnantes. La progression de l’angiogenèse résulte d’un
des équilibre entre des facteurs proangiogéniques et antiangioLa Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
géniques. Dans le domaine de l’infection à VIH, on retiendra
comme principales molécules proangiogéniques en cours
d’étude actuellement, sécrétées principalement par les fibroblastes :
– le FGF (Fibroblast Growth Factor),
– le VEGF (Vascular Endothelial Cell Growth Factor),
– le VPF (Vascular Permeability Factor),
– l’IL8 (interleukine 8).
Les principaux facteurs antiangiogéniques (et leurs dérivés) qui
ont déjà bénéficié d’applications cliniques, en particulier pour
le sarcome de Kaposi, sont :
– l’IFNα et l’IFNß,
– l’angiostatine,
– l’endostatine.
L’étude présentée par I.J. Fidler (abstr. S2), réalisée au MD
Anderson, rapporte les capacités de l’IFNα et de l’IFNß à
diminuer l’expression des ARN messagers et des protéines
proangiogéniques comme le bFGF et la collagénase de type IV
au sein de multiples lignées cellulaires de carcinomes humains,
comme les cancers du rein, de la vessie, du côlon et de la prostate, par le biais de mécanismes indépendants de la prolifération tumorale. Il a ainsi montré que l’IFNß peut être produit
par différents types de cellules comme les kératinocytes, les
cellules de l’épithélium de surface du côlon ou de la vessie, et
non par les cellules carcinomateuses : il interviendrait dans la
régulation du processus d’angiogenèse et participerait ainsi de
manière indirecte à la cascade moléculaire du processus métastatique.
Dans le cadre des tumeurs malignes associées à l’infection à
VIH, le sarcome de Kaposi (SK) représente un excellent
modèle d’angiogenèse ; en effet, de nombreuses cytokines
proangiogéniques sont sécrétées par les cellules fusiformes des
lésions de SK comme le bFGF, le VEGF, le VPF, l’IL6, l’UPA
(Urokinase Induces Activation), l’IL1α et l’IL1ß, le TGFß
(Tumor Growth Factor) ou encore le GM-CSF (GranulocyteMacrophage Colony Stimulating Factor). Toutes ces molécules sont susceptibles d’augmenter le pouvoir prolifératif des
cellules endothéliales, et l’IL6, en collaboration étroite avec la
protéine de régulation TAT du VIH, peut non seulement stimuler la croissance cellulaire des cellules fusiformes, mais également aider à leur migration et à leur invasion tissulaire, via la
sécrétion de sélectine E, d’ICAM-1 (Intercellular Adhesion
Molecule-1), ou de VCAM-1 (Vascular Cell Adhesion Molecule-1). Le HHV-8 impliqué dans la physiopathologie des
lésions de SK faciliterait la production par les cellules endothéliales d’IL6, de MIP-1α (Macrophage Inflammatory Protein)
et MIP-1ß, et d’IFNγ (qui semble favoriser la sécrétion de la
protéine IP-10, protéine anti-angiogénique). HHV-8, en infectant les cellules malignes et les cellules progénitrices de SK,
coderait également pour des oncogènes, qui stimuleraient
l’angiogenèse via les récepteurs couplés aux protéines G. Ces
derniers favoriseraient la sécrétion de VEGF et de KSGF
(Kaposi Sarcoma Growth Factor) via deux protéines kinases,
JNK/SAPK et p38MAPK. Celles-ci induiraient une cascade de
protéines inflammatoires et angiogéniques qui seraient mitogènes pour les cellules de SK (Bais C. Nature 1998 ; 391 : 86).
La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
Sur le plan thérapeutique, l’IFNγ se révèle intéressant étant
donné ses propriétés antiangiogéniques. L’IL12, en cours
d’étude de phase I actuellement, outre ses propriétés immunostimulantes, induirait la production d’IFNγ, qui favoriserait
l’apoptose des cellules tumorales de SK et entraînerait une
inhibition de la production de bFGF.
ÉPIDÉMIOLOGIE ET IMMUNOLOGIE
La plupart des études épidémiologiques publiées à ce jour semblent rapporter une forte corrélation entre la séropositivité pour
HHV-8 et les diverses populations susceptibles de développer
un sarcome de Kaposi. Cependant, établir une parfaite corrélation entre HHV-8 et SK nécessiterait une observation longitudinale du SK qui prendrait en compte certains facteurs comme
le nombre de partenaires sexuels, le lieu géographique de résidence des patients à risque et la séroprévalence de HHV-8, qui
semble évoluer au cours du temps. En effet, si HHV-8 est supposé être la cause du SK, il est impératif de comprendre sa distribution au sein des différents types de population, son mode
de transmission et son histoire naturelle (Martin. N Engl J Med
1998 ; 338 : 948-54).
Un taux élevé d’anticorps anti-HHV-8 semble prédire une évolution plus rapide vers le stade de sida, comme le rapporte une
étude italienne portant sur 366 patients infectés par le VIH
(abstr. 3). La population homosexuelle masculine a un risque
plus élevé de développer un sarcome de Kaposi (RR = 7 ; IC
95 % : 0,88-55,53) par rapport aux autres patients infectés à la
fois par le VIH et HHV-8. Ceci semble suggérer le rôle
d’autres cofacteurs dans le développement de SK chez ce type
de patients. En revanche, les autres maladies opportunistes ne
semblent pas être favorisées par l’infection à HHV-8.
La carte géographique concernant la distribution de HHV-8 au
sein de la population dans le monde n’est pas encore définitivement établie. La prévalence de HHV-8 semble être corrélée
à celle du SK et semble plus importante dans les populations à
risque de maladies sexuellement transmissibles, comme
l’infection à VIH, mais aussi la syphilis (Kedes. Nature Med
1996 ; 266 : 1865-9). De nombreux autres facteurs peuvent
intervenir, comme le nombre de partenaires sexuels, le type de
pratique sexuelle (comme les pratiques homosexuelles masculines). Une estimation plus précise de la séroprévalence de
HHV-8 devra probablement nécessiter une étude de population
plus large, utilisant des tests de détection virologique extrêmement sensibles [telles que les techniques ELISA ou EIA
(Enzyme Immuno Assay)] (abstr. 4).
R. Newton (abstr. 1) et I. Chitsike (abstr. 2) ont surtout présenté, au cours de cette session, les résultats plutôt préoccupants de l’incidence des tumeurs malignes associées à l’infection à VIH chez les enfants dans certains pays d’Afrique
comme l’Ouganda et le Zimbabwe. L’infection à VIH a manifestement transformé le profil des cancers pédiatriques au Zimbabwe (abstr. 2), le cancer le plus fréquent restant le SK,
(19,2 % des cancers), qui résiste au traitement de chimiothérapie cytotoxique, avec souvent une évolution dramatique. En
revanche, il ne semble pas y avoir d’association entre l’infec143
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tion à VIH et la survenue de lymphomes de Burkitt de l’enfant
sur une étude réalisée en Ouganda (abstr. 1) chez des enfants
et des adultes infectés par le VIH. On retiendra également que
l’incidence d’autres tumeurs malignes, comme les carcinomes
malpighiens de la conjonctive, du pénis et les lymphomes non
hodgikiniens (LNH), semble être plus élevée chez les adultes
infectés par le VIH que dans la population générale.
Au total, bien que les résultats préliminaires des études épidémiologiques semblent indiquer une diminution de l’incidence
du SK chez les patients infectés par le VIH, la survenue
d’autres tumeurs malignes expose les patients à un surcroît de
morbidité et de mortalité. Les mécanismes physiopathologiques responsables sont encore à l’étude. En général, les
patients infectés par le VIH tolèrent très mal les traitements par
chimiothérapie cytotoxique, ce qui nous incite à découvrir de
nouvelles approches thérapeutiques ainsi que de nouvelles
cibles tumorales plus spécifiques et donc moins toxiques.
L’évaluation thérapeutique des facteurs antiangiogéniques,
comme pour le sarcome de Kaposi et, si possible, pour d’autres
tumeurs associées au VIH, répond parfaitement à cette volonté
d’innovation thérapeutique (abstr. S3).
ASSOCIATIONS ENTRE PAPILLOMAVIRUS (HPV) ET
TUMEURS MALIGNES
L’infection à VIH est associée à une prévalence, une incidence,
une persistance et une progression plus élevées des lésions
génitales intra-épithéliales du col utérin, et à un taux de récidive après traitement plus important par rapport à des lésions
identiques diagnostiquées dans la population générale.
Une étude italienne prospective de Del Mastro (abstr. 11), réalisée entre 1994 et 1998, portant sur 229 patientes infectées par
le VIH, rapporte une prévalence de HPV de 65,7 % pour les
lésions génitales de bas grade du col utérin, de 93,3 % pour les
lésions de haut grade et de 83,3 % pour les carcinomes in situ.
Onze des 83 patientes suivies pour des lésions de bas grade ont
présenté une progression, alors que les 72 patientes restantes
ont présenté une persistance des lésions. La plupart des
patientes ayant des lésions de haut grade ou un carcinome in
situ (dont 24 ont bénéficié d’une conisation) ont également
présenté une persistance des lésions après les quatre années de
surveillance. Une patiente a même développé un cancer invasif
de la vulve, traité chirurgicalement, et une récidive a été diagnostiquée récemment sous la forme d’un carcinome in situ.
Sur les 226 patientes, 113 ont reçu, entre 1997 et 1998, un traitement antirétroviral de type HAART ; ces résultats préliminaires ne semblent pas montrer d’influence positive sur l’évolution clinique de ces lésions génitales associées à l’infection
par HPV chez les patientes traitées par ces nouvelles combinaisons antirétrovirales.
Alors que les lésions secondaires aux infections par cytomégalovirus et HHV-8 semblent présenter une incidence en baisse et
une amélioration clinique chez les patients recevant une thérapie de type HAART, les effets de cette thérapie sur des lésions
liées à l’infection à HPV apparaissent moins nets. En témoignent les résultats de l’étude de J.M. Palefsky (abstr. 13), réali144
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sée chez 78 patients infectés par le VIH, suivis pour des lésions
anales intra-épithéliales de bas grade dont l’évolution est faiblement ralentie par la prise d’une trithérapie.
MODÈLES ANIMAUX ET ÉTUDES PRÉCLINIQUES
Le rôle de l’immunodéficience dans les mécanismes d’oncogenèse a surtout été étudié avec des modèles murins. Actuellement, le modèle animal le plus intéressant reste le primate, et
en particulier le cynomolgus infecté par le SIV (Simian Immunodeficiency Virus) (Feichtinger. AIDS Res Hum Retroviruses
1992 ; 8 : 339-48). P. Biberfeld (abstr. S10) a rapporté les
résultats d’études expérimentales menées dans son centre à
Stockholm sur des cynomolgus infectés par le SIV. L’incidence de lymphomes agressifs de type B est manifestement
plus élevée pour ces modèles animaux par rapport à des cynomolgus non infectés, avec une fréquence plus élevée de localisations extra-ganglionnaires et une association avec un virus
du groupe herpès homologue de l’EBV. Au sein de certains de
ces lymphomes, des séquences de HHV-8 ont même été identifiées. Cependant, aucune tumeur maligne évoquant un sarcome
de Kaposi n’a été retrouvée en dépit de cette co-infection
SIV/HHV-8. Ainsi, le modèle simien, dans le cadre des lymphomes, semble se présenter comme un modèle pertinent pour
des études biologiques, physiopathologiques et pour le développement des différentes modalités thérapeutiques.
Les principales autres études présentées au cours de cette session ont concerné les différents types de cultures cellulaires
infectées par HHV-8 utilisées pour l’analyse des mécanismes
physiopathologiques qui conduisent à la survenue de lésions de
sarcome de Kaposi. On retiendra principalement les capacités
importantes d’infection de ce virus, puisque non seulement les
cellules fusiformes peuvent être infectées, mais également les
cellules endothéliales et les monocytes-macrophages
(abstr. 75). Il est probable que les monocytes-macrophages
soient un réservoir cellulaire pour HHV-8, favorisant sa diffusion aux autres types cellulaires et son pouvoir pathogène,
indispensables à la transformation maligne des cellules fusiformes. Ces mêmes modèles in vitro de cellules endothéliales
infectées par HHV-8 ont permis de démontrer que HHV-8 était
responsable d’un allongement de la survie de ces cellules (Nikolovska. Nature 1998 ; 394 : 588-92). HHV-8 serait à l’origine
des mécanismes d’angiogenèse via le récepteur du VEGF,
appelé VEGFR-2 ou KDR. En effet, la deuxième étude de
Nikolovska (abstr. 76) semble montrer que la stimulation du
récepteur KDR par HHV-8 joue un rôle critique dans la survie
des cellules endothéliales infectées et qu’elle pourrait être le
premier médiateur des mécanismes d’angiogenèse caractérisant
les lésions de SK. L’auteur a démontré que la présence d’un
anticorps monoclonal soluble anti-KDR (anti-KDR Moab) dans
une culture de cellules endothéliales humaines de veine ombilicale, en présence de VEGF, peut favoriser le passage des cellules infectées par HHV-8 en apoptose et ainsi inhiber la prolifération cellulaire. Cet effet antiprolifératif serait le résultat de
l’inhibition de l’activité du VEGF. Cette nouvelle approche thérapeutique pourrait permettre l’élaboration de futures études cliniques sur le sarcome de Kaposi cutané ou viscéral.
La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
SARCOME DE KAPOSI : DE NOUVEAUX TRAITEMENTS ?
LYMPHOMES
Il n’existe pas de traitement curatif du sarcome de Kaposi. Au
mieux, son évolution peut être ralentie. L’arrivée de puissants
antirétroviraux comme les thérapies de type HAART, composées d’antiprotéases, a manifestement entraîné un impact favorable sur l’incidence et l’évolution du SK (abstr. 59), et semble
même prolonger le temps de réponse à un traitement spécifique
administré de façon systémique ou par voie locale (abstr. 58).
En cas de maladie évolutive, un traitement systémique est souvent recommandé, et la chimiothérapie cytotoxique est réalisée
chez les patients ayant un déficit immunitaire avancé (CD4 <
200/mm3) ; un des traitements de référence reste le protocole
ABV associant la bléomycine, la vincristine ou la vinblastine
et la doxorubicine. Cependant, de nouvelles drogues, à efficacité comparable en termes de réponse objective, semblent
moins toxiques ; elles ont en particulier montré une persistance
de leur efficacité même après échec des traitements de référence. C’est le cas des anthracyclines liposomales comme la
daunorubicine liposomale, ou Daunoxome® (abstr. 56 et 57).
Une étude française (abstr. 57) portant sur 94 patients traités
entre 1996 et 1997 par Daunoxome ® pour un sarcome de
Kaposi muco-cutané rapporte des taux de réponse objective de
76 % et 70 % respectivement en monothérapie et polychimiothérapie, pour une dose moyenne de 40 mg/m2/cycle réalisée
tous les 14 jours. La toxicité, y compris hématologique et cardiaque, reste modérée.
C’est également le cas des taxanes, comme le paclitaxel
(Taxol®) ou le docétaxel (Taxotere®), dont les taux de réponse
objective avoisinent également les 70 %. Le paclitaxel semble
bloquer in vitro la croissance et l’invasion des cellules de SK
en inhibant Bcl-2, et induirait ainsi l’apoptose des cellules
(abstr. 55).
L’incidence des lymphomes malins non hodgkiniens (LNH) est
augmentée chez les patients infectés par le VIH (RR compris
entre 50 et 60) (Broder. Textbook of Aids Medicine, 1994), et
augmente parallèlement à l’allongement de la survie des
patients. La majorité de ces lymphomes sont de type B. Ils ont
une présentation clinique initiale souvent agressive, associant
des atteintes viscérales et médullaires, et de surcroît une évolution parfois très rapide. Ces proliférations lymphomateuses de
type B semblent résulter d’un dysfonctionnement immunitaire
secondaire à l’infection par l’EBV (Epstein Barr Virus). En
effet, la prévalence de l’infection à EBV est élevée chez les
patients infectés par le VIH, proche de 60 %, et l’EBV de type
2 semble plus fréquent chez les homosexuels (abstr. 83).
L’imputabilité de l’EBV dans la survenue des LNH est surtout
notée pour les lymphomes cérébraux primitifs, dont l’association est retrouvée dans 100 % des cas. On rappelle que la durée
médiane de survie des patients atteints de lymphomes cérébraux primitifs associés au VIH est en général inférieure à
quatre mois. À ce propos, l’association d’antirétroviraux
comme l’AZT et d’un traitement antiherpétique comme le ganciclovir semble présenter un intérêt en termes de cytotoxicité
spécifique sur des lignées cellulaires de lymphome B dérivées
de patients infectés par le VIH ou sur des lignées tumorales de
rat (abstr. 86 et 87). En effet, chez le rat, on a pu observer une
augmentation significative de la survie de ces animaux atteints
de lymphomes cérébraux primitifs, traités par AZT (médiane
de survie [MS] = 27 ± 1,9 jours, p ≤ 0,01), par ganciclovir
(MS = 28 ± 1,8 jours, p ≤ 0,01), et par AZT + ganciclovir
(MS = 19 ± 0,9 jours). Une des futures applications cliniques
serait d’étudier les effets thérapeutiques d’une radiothérapie
cérébrale associée à AZT + ganciclovir.
Les autres modalités thérapeutiques sont plutôt basées sur la
physiopathologie des lésions de SK ; les résultats préliminaires
les plus intéressants concernent l’administration d’IL12 par
voie sous-cutanée chez des patients ayant un sarcome de
Kaposi associé à l’infection à VIH (abstr. 78). L’IL12 est un
puissant inhibiteur de l’angiogenèse via la production de la
protéine IP-10 (interferon inducible protein-10). Par ailleurs,
l’IL12 favorise la prolifération, l’activation et l’activité cytotoxique des lymphocytes T “natural killer” et pourrait ainsi
restaurer en partie l’immunité de type T spécifique du VIH.
Dans l’étude de phase I de J.M. Pluda (abstr. 78), 15 patients
ont reçu de l’IL12 deux fois par semaine, selon une escalade de
dose allant de 100 ng/kg (5 patients) à 300 ng/kg (6 patients) et
500 ng/kg (4 patients). La dose maximale tolérée a été de
500 ng/kg. Quatre des 9 patients ayant reçu des doses supérieures à 300 ng/kg ont présenté une réponse partielle de leur
maladie. Les principales toxicités réversibles ont été une
fièvre, une fatigue, des myalgies/arthralgies, une élévation des
transaminases hépatiques et une neutropénie (de grade 4 pour
5 patients malgré l’administration de G-CSF). Ces toxicités
sont surtout apparues au début du traitement et ont été rapidement résolutives, malgré la poursuite de l’IL12.
La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
U. Tirelli (abstr. 91) a rapporté les résultats de l’étude randomisée de l’Intergroupe européen des LNH associés au VIH, débutée en mai 1993. Les patients étaient stratifiés en trois groupes
en fonction de la présence ou non de facteurs pronostiques,
antécédents d’infection opportuniste, CD4 < 100/mm3, indice
de Karnofsky > 1. Dans le groupe à faible risque (i.e. aucun des
trois facteurs pronostiques), 159 patients ont été randomisés
entre le bras intensif ACVB (80 patients) et le bras CHOP
(79 patients) plus G-CSF : le taux de réponse complète est de
66 % et 60 % respectivement pour les bras ACVB et CHOP.
Dans le groupe intermédiaire (présence d’un seul facteur pronostique), 110 patients ont été randomisés entre le bras CHOP
(59 patients) et le bras demi-CHOP à 50 % des doses
(51 patients). Le taux de réponse complète dans le bras CHOP
(63 % versus 39 %) s’est montré supérieur (p = 0,001). Pour les
deux groupes, les médianes de survie globale à cinq ans et de
survie sans événements restent faibles, avec 13 % de décès sur
les 75 patients en RC pour le groupe à faible risque et 24 % de
décès sur les 75 patients en RC pour le groupe intermédiaire.
Ainsi, l’évolution des LNH associés au VIH reste péjorative et
principalement liée à la sévérité de l’immunodéficience. Néanmoins, l’utilisation d’autogreffes de cellules souches périphériques chez des patients ayant un LNH associé au VIH et traités
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par une combinaison antirétrovirale de type HAART semble
réalisable et pourrait apporter de meilleurs résultats que la chimiothérapie conventionnelle (abstr. 115).
La maladie de Hodgkin, non reconnue comme une manifestation du stade de sida, avec une incidence sensiblement augmentée au cours de l’infection à VIH, a été paradoxalement
très peu évoquée au cours de ce congrès. Elle semble être
constamment associée à l’infection à EBV, comme en
témoigne l’expression de la protéine LMP à la membrane des
cellules de Steinberg ; cela pourrait en faire un nouveau type
de prolifération lymphoïde “opportuniste” (Caumes. Sida. Éditions Doin 1998 ; 163-7). On retrouve, comme pour les LNH,
des localisations extra-ganglionnaires plus fréquentes, un stade
souvent avancé, une atteinte médullaire plus fréquente et des
formes histologiques de plus mauvais pronostic (comme le
type 3, alors que les types 2 et 4 sont plus rares). Le pronostic
reste plutôt sombre, et il est rare que la médiane de survie
excède 20 mois (H. Feigal, communication orale).
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CONCLUSION
L’introduction de puissantes thérapeutiques antirétrovirales de
type HAART a considérablement amélioré le pronostic des
patients infectés par le VIH. Elles ont permis de prévenir de
nombreuses infections “opportunistes” et ont même réussi a
entraîner une diminution de l’incidence de la tumeur maligne
la plus commune : le sarcome de Kaposi. Cependant, alors que
les patients sont sur le point de profiter de cette survie prolongée, avec une restauration partielle (exceptionnellement complète) de leur immunité, nous assistons à une augmentation du
risque de développement chez eux de tumeurs malignes. La
prise en charge thérapeutique, dans les années à venir, sera
donc confrontée au difficile choix entre maintien de l’immunité et contrôle tumoral.
Au total, les nouvelles approches thérapeutiques, telles que les
nouveaux antiviraux, les facteurs antiangiogéniques ou les cytokines recombinantes, pourront probablement améliorer l’évolution de ces patients atteints de cancers associés au VIH.
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La Lettre du Cancérologue - volume VIII - no 4 - septembre 1999
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