D ossier thématique Infections transmises par le greffon Coordinateur : Y. Calmus Infections transmises par le greffon : virus herpès humain de type 8 (HHV-8) Transmission of human herpesvirus 8 by the graft during solid organ transplantation ● C. Francès* Résumé avec forte virémie associant aplasie, cytopénie, hémophagocytose, rash, hépatite, épanchement pleural et fièvre. HHV-8 peut être transmis par le greffon. Une étude prospective de cohorte a été mise en place pour préciser la morbidité de l’infection HHV-8 transmise en transplantation rénale. Trois événements cliniques (4,7 %) sont apparus chez les 64 transplantés D+/R- (une primo-infection clinique et 2 maladies de Kaposi). À 36 mois, 24,8 % des receveurs sont devenus séropositifs. L’étude a été étendue à tous les receveurs d’organes D+/R-. Un essai ouvert a étudié la prévention de l’infection HHV-8 par le rituximab en cas de virémie répétée chez les sujets D+/R-. Alors que la prévalence d’HHV-8 était élevée chez les donneurs (4 à 11 %), un seul événement clinique a été observé, après transplantation hépatique. Le risque élevé de transmission de l’HHV-8 est expliqué par la diversité de ses cellules cibles : lymphocytes B, cellules endothéliales ou progénitrices, monocytes, cellules épithéliales, principalement de l’oropharynx, cellules épithéliales tubulaires. Actuellement, il est difficile de réaliser une sérologie en urgence chez les donneurs, car il n’existe pas de technique ELISA fiable et reproductible. Même si une telle technique existait, on pourrait discuter de l’intérêt d’éliminer les donneurs positifs en raison du faible nombre d’événements cliniques apparaissant chez les receveurs à risque (D+/R-). L e virus HHV-8 a été découvert en 1994 par Y. Chang (figure 1) [1]. Comme tous les virus herpès, il présente une phase de latence qui peut évoluer, après réactivation spontanée ou induction, vers une phase lytique. L’expression des protéines, utilisées pour les tests sérologiques, varie selon l’état du virus (phase latente, phase lytique initiale ou phase lytique) [tableau I]. Différentes maladies sont associées à l’HHV-8 : maladie de Kaposi, maladie de Castleman multicentrique, lymphome primitif des séreuses, autres proliférations lymphoplasmocytaires. Ce virus peut être responsable d’un syndrome * Hôpital Tenon, Paris. 64 CT N°2 2008.indd 64 La détection d’une infection par HHV-8 repose sur différentes méthodes : ✓ détection de séquences du génome par PCR ; ✓ visualisation d’antigènes d’HHV-8 sur des coupes tissulaires par immuno­ fluorescence/immunohistochimie (figure 2) ; ✓ détection d’anticorps anti-HHV-8 dans le sérum. Cependant, aucune de ces techniques ne permet de préciser la date de contamination. L’absence de standardisation des méthodes d’immunofluorescence ou des méthodes ELISA (Enzymelinked immuno­sorbent assay) utilisées pour les tests sérologiques pose problème. Toutefois, l’immunofluorescence sur cellules infectées avec antigène latent a une bonne spécificité, et celle avec antigène lytique une bonne sensibilité. Les tests ELISA sont plus faciles à utiliser, mais, le plus souvent, ce sont des tests “maison” qui ne peuvent pas être comparés d’une étude à l’autre. Ils utilisent des peptides recombinants (orf73, orf65, orfK8.1, orfK12, etc.) ou des extraits cellulaires totaux. Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:52 D ossier thématique Tableau I. HHV-8. Phase latente Phase initiale lytique Phase lytique LANA Rta (orf50) vFLIP Z (orfK8) Protéines structurales (K8) ADN polymérase, protéase, etc. v-cycline LAMP Figure 1. Virus HHV-8. vIRF VGPCR vIL6 vMIP K1, K5 MTA (orf57) Vbcl2 La prévalence de l’infection HHV-8 est indiquée sur la figure 3. On note un gradient nord-sud, avec une prévalence parfois très élevée dans certains pays africains. Outre la transmission sexuelle (homo- et hétérosexuelle), une transmission par contacts proches peut parfois se produire très tôt dans la vie (baisers de la mère à son enfant, par exemple) [2]. La transmission par voie sanguine est rare, mais possible. En 2000, M. Luppi et son équipe ont démontré la possibilité d’une transmission de l’HHV-8 par le greffon (3, 4), grâce à l’identification génique de la partie variable du virus chez les deux receveurs de greffons rénaux et le donneur des reins. Plusieurs études rétro­ spectives de transmission de l’HHV-8 par le greffon ont fait état des résultats variables. Figure 2. Marquage de la protéine LANA. Du fait de l’absence de données fiables sur la morbidité de l’infection HHV-8 post-greffe, une étude nationale a été mise en place. Dans cette étude prospective de cohorte, tous les receveurs et donneurs de reins ont été inclus de 2001 à 2004, et suivis pendant 3 ans. La sérologie HHV-8 (immunofluorescence LANA) a été effectuée chez tous les donneurs et Forte, 40-80 % Moyenne, 10-30 % Faible, < 5 % Figure 3. Séroprévalence du HHV-8/KSH dans la population générale. 65 CT N°2 2008.indd 65 Foyers de forte séroprévalence (10-60 %) du HHV-8 et KSHV dans la population homosexuelle masculine Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:54 D ossier thématique receveurs de reins. Trois cohortes ont été constituées, la première regroupant des donneurs positifs ou négatifs et des receveurs positifs (cohorte A), la seconde des donneurs positifs et des receveurs négatifs (cohorte B), et la troisième des donneurs et des receveurs négatifs (cohorte C). Une recherche de virémie cellulaire HHV-8 a été effectuée tous les 3 mois pour les cohortes A et B (à l’hôpital Saint-Louis) ; trois tests sérologiques ont été réalisés pour la cohorte B (immunofluorescence latente et immunofluorescence lytique, ELISA orfK8.1). Les résultats de la séroprévalence HHV-8 par la technique d’immunofluorescence latente ont été classés en fonction des régions (tableau II). Tableau II. Séroprévalence HHV-8 par la technique d’immunofluorescence latente. Inter-régions françaises Nombre de donneurs Donneurs positifs (%) Nombre de receveurs Receveurs positifs (%) IR1 (Nord) 423 0 557 2,7 IR2 (Est) 492 1 531 2,3 IR3 (Centre) 556 1,3 766 2,5 IR4 (Sud) 177 0,6 165 6,1 IR5 (Sud-Ouest) 464 0,9 550 1,8 IR6 (Ouest) 929 1 1 211 1,2 IR7 (Île-de-France) 652 2,1 1 189 6,7 3 693 1,08 4 969 3,24 Total Cohorte A : 161 transplantés ; cohorte B : 64 transplantés ; cohorte C : 4 744 transplantés. 18 millions Le tableau III montre la répartition des résultats sérologiques des donneurs selon les deux techniques. 11 millions 1 million 6 Tableau III. Répartition des résultats sérologiques. 3 907 Immunofluorescence latente ELISA orfK8.1 Total Positif Négatif Total Positif 13 32 47 Négatif 20 1 818 1 838 33 1 852 1 885 < 50---------< 50 Copies/106 cellules mononuclées 20/03/2001 18/06/2001 17/09/2001 13/12/2001 Des événements cliniques sont apparus chez 4,7 % des 64 transplantés de la cohorte B : un cas de primo-infection clinique (1,6 %), avec fièvre élevée, bicytopénie, syndrome d’activation macrophagique, détection d’une virémie dès 6 mois après la greffe, et guérison sous rituximab ; deux cas de maladie de Kaposi cutanéo-viscérale (3,1 %), avec absence de primo-infection clinique, les virémies étant toujours négatives dans l’un des cas, et une virémie faible, 13 mois après l’apparition du Kaposi (figure 4), ayant été constatée dans l’autre cas. Aujourd’hui, la maladie de Kaposi est bien prise en charge, ce qui explique que, dans cette étude avec suivi de 3 ans, aucune différence en termes de survie 66 < 50---------< 50 2/01/2002 9/01/2002 16/01/2002 17/01/2002 24/01/2002 ¦Ac anti-CD20 (525 mg/j) 18/09/2003 Figure 4. Évolution de la virémie. n’ait été observée entre les cohortes (figure 5). Il en est de même pour l’esti­mation des incidences cumulées de perte du greffon et de décès sans perte de greffe (figure 6). Dans la cohorte B, un transplanté était considéré séropositif lorsque au moins deux des trois types de tests utilisés (immunofluorescence latente, lytique et ELISA) étaient positifs. À 36 mois, le taux d’incidence cumulée de sérologie positive ainsi définie était de 24,8 %. Un certain nombre de patients ont eu une séroconversion sans événement clinique. 66 CT N°2 2008.indd 1 631 1 300 Pour évaluer la morbidité de la transmission du virus HHV-8, une étude rétrospective de la cohorte B a été étendue à tous les receveurs d’organes. Il en ressort une morbidité très élevée entre 4 et 12 mois après la greffe. Un essai de phase II non contrôlé multicentrique ouvert a étudié la prévention de la primo-infection clinique HHV-8 et du sarcome de Kaposi transmise par le greffon par traitement avec le rituximab de la primo-infection HHV-8. Les sujets à risque D+/R- ont été inclus pendant 2 ans, et suivis pendant 2 ans. Les sérologies HHV-8 de tous les Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:55 D ossier thématique donneurs d’organes ont été déterminées par deux tests : immunofluorescence latente et immunofluorescence lytique. Les virémies HHV-8 ont été recherchées tous les 15 jours, et, si la virémie était positive à deux reprises, un traitement de 4 cures de rituximab était entrepris. Fait surprenant, alors que la prévalence d’HHV-8 était élevée chez les donneurs (immunofluorescence latente 4,27 %, immunofluorescence lytique 8,62 %, immunofluorescence latente ou lytique 10,79 %), un seul événement clinique a été observé, après transplantation ­hépatique. 1,00 0,95 Survie 0,90 Cohorte A Cohorte B Cohorte C 0,85 0,80 0 5 10 15 20 25 30 35 Figure 5. Estimation du taux de survie. Incidence cumulée (%) 0,20 Perte greffon cohorte A Perte greffon cohorte B Perte greffon cohorte C Décès avec greffon fonctionnel cohorte A Décès avec greffon fonctionnel cohorte B Décès avec greffon fonctionnel cohorte C 0,15 0,10 Faut-il dépister et éliminer les donneurs HHV-8 + de la transplantation ? Actuellement, il est difficile de réaliser ces tests en urgence, car il n’existe pas de technique de sérologie HHV-8 ELISA commercialisée, fiable et reproductible. Même s’il existait une technique facile et fiable, on pourrait discuter de l’intérêt d’éliminer les donneurs positifs du fait du faible nombre d’événements cliniques (4,7 %), sans décès ni perte du greffon. ■ R 0,05 é f é r e n c e s b i b l i o g r a p h i q u e s 0,00 1. Chang Y et al. Science 1994;266(5192):1865-9. 0 5 10 15 20 25 30 35 Mois Figure 6. Estimation des incidences cumulées de perte du greffon et de décès sans perte de greffe. 67 CT N°2 2008.indd 67 2. Hladik W et al. N Engl J Med 2006;355(13): 1331-8. 3. Luppi M et al. N Engl J Med 2000;343(19): 1378-85. 4. Luppi M et al. Blood 2000;96(9):3279-81. Le Courrier de la Transplantation - Volume VIII - n o 2 - avril-mai-juin 2008 30/06/08 18:34:55