Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
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Mise au point
Virus HHV-8 et maladie de Kaposi
HHV-8 and Kaposis sarcoma
Nicolas Dupin*
points forts
Highlights
»
L’herpèsvirus humain 8 (HHV-8) est le dernier des herpèsvirus
humains identifiés à ce jour. Il est associé à toutes les formes
épidémiologiques de maladie de Kaposi. Le génome de l’HHV-8
comporte un nombre sans précédent de gènes impliqués dans la
régulation de la division cellulaire ainsi que des gènes ayant une
action proangiogénique qui en font un candidat parfait comme
agent causal de la maladie de Kaposi. Les données actuelles portant
sur la détection du virus, son épidémiologie et ses caractéristiques
biologiques vont dans le sens d’un lien causal.
Mots-clés : HHV-8 – KSHV – Kaposi – Herpèsvirus – Oncogenèse –
Angiogenèse.
Human herpesvirus 8 (HHV-8) is the latest herpesvirus
identified to date. It is associated with all epidemiological
forms of Kaposis sarcoma. The HHV-8 genome contains an
unprecedented number of genes involved in cell division
regulation, as well as genes exerting proangiogenic action,
making HHV-8 a perfect candidate for the causative agent
of Kaposis sarcoma. The present data concern detection of
the virus, its epidemiology and its biological characteristics,
which tend to indicate a causal link.
Keywords: HHV-8 – KSV – Kaposi – Herpesvirus – Oncogenesis –
Angiogenesis.
L’HHV-8, également dénommé KSHV (Kaposi’s
Sarcoma-associated HerpesVirus), appartient à
la famille des Herpesviridae et à la sous-famille
des Gammaherpesvirinae, qui comprend également
l’herpèsvirus saimiri (HSV) et le virus d’Epstein-Barr
(EBV). Il s’agit d’un virus de 120 à 150 nm de diamètre
possédant une capside icosaédrique. Le génome viral
est constitué par un ADN bicaténaire de 165 kpb, et la
réplication du génome est nucléaire.
Les voies de transmission de l’HHV-8 sont débattues.
La transmission sexuelle est démontrée chez les homo-
sexuels et les bisexuels mais semble marginale chez les
hétérosexuels. Dans les pays où la prévalence de l’infec-
tion par l’HHV-8 est élevée, la transmission pourrait
avoir lieu dans la petite enfance, de la mère à l’enfant
et d’enfant à enfant, illustrant la prédominance d’une
transmission horizontale, notamment par contacts
salivaires répétés. Dans le cadre de la transplantation
d’organes, la transmission du virus du donneur au
receveur a été rapportée. Si la transmission sanguine
paraît très faible dans les pays industrialisés, elle est non
négligeable dans les pays à forte endémie. Les études
concernant la prévalence de l’HHV-8 permettent de
retenir 3 profils de distribution :
les pays où la prévalence est faible (comprise entre
1 et 5 %), représentés par les pays industrialisés de
l’Europe de l’Ouest et les États-Unis ;
les pays où la prévalence est intermédiaire (estimée
entre 15 et 25 %), représentés par les pays du pourtour
méditerranéen et, possiblement, l’Europe de l’Est ;
les pays à forte prévalence (parfois au-delà de 50 %),
représentés par les pays d’Afrique subsaharienne.
L’HHV-8 est clairement associé à toutes les formes épi-
démiologiques de maladie de Kaposi, à savoir la maladie
de Kaposi classique, la maladie de Kaposi endémique, la
maladie de Kaposi iatrogénique et la maladie de Kaposi
épidémique associée au sida. L’HHV-8 est également
associé à des proliférations lymphoïdes rares, notam-
ment la maladie de Castleman multicentrique et les
lymphomes des séreuses. La charge virale et le statut
du virus dans ces différentes tumeurs semblent assez
spécifiques (figure). Ainsi, dans la maladie de Kaposi,
le virus est retrouvé très majoritairement sous forme
latente dans les cellules fusiformes (“spindle cells”), qui
caractérisent les tumeurs de Kaposi. On estime que la
charge virale dans une cellule fusiforme est entre 1 et
5 copies par cellule. Dans la maladie de Castleman,
le virus est réplicatif dans 15 % des cellules. Dans les
cellules dérivées de lymphome des séreuses, la charge
virale dans les cellules lymphomateuses est estimée
entre 50 et 150 copies par cellule.
L’HHV-8 possède un nombre très important de gènes
impliqués dans les mécanismes de régulation de la
prolifération cellulaire, dont certains pourraient avoir
* Service de dermato-
vénéréologie,
pavillon Tarnier, hôpital
Cochin, AP-HP, Paris.
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2013
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Virus HHV-8 et maladie de Kaposi
été piratés par le virus à partir du génome de la cellule
“hôte” au cours de son évolution. Certains gènes sont
exprimés durant la phase d’infection latente. Ainsi, le
gène LNA-1 (Latent Nuclear Antigen-1) est fortement
exprimé dans les lésions de Kaposi, tout comme un gène
homologue au gène humain codant pour la cycline D
(v-cyclin) ou un gène homologue au gène humain
codant pour la protéine FLIP (v-FLIP). À l’inverse, les
gènes lytiques ne sont que très peu, voire pas, exprimés
dans les tumeurs de Kaposi et pourraient jouer un rôle
soit en amont du processus tumoral soit dans la péren-
nisation du processus tumoral en favorisant la produc-
tion de nouveaux virions ou le développement d’une
néoangiogenèse ou en permettant au virus d’échapper
au contrôle immunitaire. Le virus peut être retrouvé
dans les cellules du sang. Les cellules majoritairement
infectées sont les lymphocytes B et également des cel-
lules circulantes possiblement d’origine endothéliale
qui pourraient véhiculer le virus jusqu’à la peau, lieu
d’expression clinique de la maladie de Kaposi.
La cellule fusiforme qui caractérise le versant cellulaire
de la prolifération kaposienne est très probablement
d’origine endothéliale. La nature lymphatique ou vas-
culaire de ces cellules reste débattue (figure). Létude de
transcriptomes appliqués à des cellules microvasculaires
endothéliales a montré que l’HHV-8 était capable de
dériver le profil transcriptomique “vasculaire” en profil
“lymphatique”. Létude de transcriptomes appliqués
aux tumeurs kaposiennes montre également que le
profil observé in vivo est plutôt de type lymphatique
que vasculaire. Lensemble de ces données plaide en
faveur d’une origine endothéliale lymphatique de la
cellule fusiforme. Ces résultats corroborent les données
d’immunohistochimie qui mettent en évidence l’expres-
sion de marqueurs endothéliaux lymphatiques dans les
tumeurs kaposiennes comme le VEGFR-3, la podoplanine
ou, plus récemment, LYVE-1. L’un des points qui reste
cependant en suspens est la nature de la cellule cible
de l’HHV-8. Si certains pensent que la cellule cible est
la cellule endothéliale lymphatique, d’autres avancent
que la cellule cible pourrait être une cellule précurseur
endothéliale, voire une cellule de tout autre nature et
que ce nest qu’après l’infection qu’elle se différencierait
en cellule endothéliale lymphatique (figure).
Si l’association de l’HHV-8 est admise par tous, les
mécanismes exacts qui conduisent chez un individu
au développement tumoral ne sont pas connus. Le rôle
de l’immunité apparaît cependant primordial, tout au
moins dans la maladie de Kaposi iatrogénique et dans
la maladie de Kaposi épidémique. La rémission des
lésions dues à la maladie après modulation ou arrêt
des immunosuppresseurs est un phénomène classi-
quement observé dans le cadre de la transplantation
d’organes. De même, la rémission de la maladie de
Kaposi ainsi que la forte diminution de son incidence
chez les sujets infectés par le VIH sont clairement attri-
buées à l’utilisation des combinaisons antirétrovirales,
qui, permettant le contrôle de la réplication du VIH,
sont responsables d’une restauration immunitaire qui
permet le contrôle du processus tumoral. Les données
portant sur l’immunité cellulaire dirigée contre des
protéines de l’HHV-8 ont par ailleurs montré que les
patients ayant une maladie de Kaposi n’avaient pas de
réponse immunitaire cellulaire et que cette réponse
était observée après plusieurs mois de traitement
antirétroviral, et s’accompagnait d’une régression des
lésions kaposiennes.
Historique
La découverte de l’HHV-8 en 1994 par l’équipe de
Yuan Chang et de Pat Moore (1) a bouleversé la com-
munauté scientifique travaillant sur la physiopatho-
logie de la maladie de Kaposi (2). L’hypothèse du rôle
d’un agent infectieux dans la maladie de Kaposi avait
cependant était émise depuis le milieu des années
1960, et Gaetano Giraldo, en 1974, avait été le premier
à mettre en évidence la présence de particules de type
Herpesviridae dans des lignées primaires dérivées de
tumeurs de Kaposi. Par la suite, les travaux n’avaient
pas permis de mettre en évidence le rôle de certains
virus comme le cytomégalovirus ou l’EBV.
Figure. Cellule cible de l’infection par HHV-8 dans la maladie de Kaposi.
VEGFR-3
KSHV ?
Cellule précurseur
endothéliale
Cellule endothéliale lymphatique
KSHV-LNA-1
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Mise au point
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L’hypothèse infectieuse de la maladie de Kaposi allait
être relancée par les études épidémiologiques menées
depuis les années 1980 sur la maladie de Kaposi du sida.
En 1990, puis en 1992, 2 études menées par Valérie Beral
et al. (3) avaient très élégamment démontré, d’une part,
que la maladie de Kaposi chez les sujets infectés par le VIH
pouvait être causée par un agent infectieux sexuellement
transmissible et, d’autre part, que cet agent infectieux
pouvait être transmis par des pratiques sexuelles assez
spécifiques. Partant de ces constatations, les découvreurs
de l’HHV-8 ont appliqué une technique de biologie molé-
culaire particulièrement originale appelée amplification
différentielle”. Cette technique, décrite un an plus tôt
dans la revue Science, part du postulat qu’une maladie
peut être due à un agent infectieux présent uniquement
ou principalement dans les lésions (ici, les tumeurs de
Kaposi) et absent ou très minoritairement présent dans
le tissu sain (ici, la peau saine) chez un même individu.
Les procédés moléculaires utilisés par la suite consistent
à enrichir le tissu lésé en “matériel génomique” (ADN ou
ARN) de l’agent recherché afin de mettre en évidence
sa présence dans le seul tissu lésé. L’amplification diffé-
rentielle a permis aux auteurs de détecter un fragment
d’ADN dans les lésions de Kaposi d’un patient infecté par
le VIH. La séquence de ce fragment d’ADN présentait des
homologies avec des gènes des gammaherpèsvirus HSV
et EBV. Une réaction d’amplification génomique (PCR) per-
mettait par la suite de démontrer la présence de ce frag-
ment dans les seuls tissus kaposiens et pas dans d’autres
prélèvements, en dehors de quelques lymphomes qui se
révélèrent plus tard être des lymphomes des séreuses.
Degré d’évaluation
Depuis la publication de Science, l’étude de l’infection à
HHV-8 a été à l’origine de plusieurs milliers de publica-
tions portant à la fois sur la caractérisation du virus, les
méthodes diagnostiques, l’épidémiologie et la physiopa-
thologie des processus tumoraux consécutifs à l’infection
par l’HHV-8. Le génome viral a été totalement séquencé
à peine 2 ans après sa découverte. L’analyse du génome
a permis de mettre en évidence un nombre très impor-
tant de gènes impliqués dans la régulation de la division
cellulaire qui en font un coupable” idéal, voire parfait.
Les liens de causalité entre l’HHV-8 et la maladie de
Kaposi peuvent être analysés comme suit :
la force de lassociation est démontrée par la pré-
sence du virus dans toutes les lésions de Kaposi grâce
à la mise au point de la PCR puis, plus récemment,
au développement de techniques d’amplification en
temps réel ;
la consistance de l’association est démontrée par la
reproductibilité des résultats lorsqu’on utilise différentes
méthodes de détection sur des populations différentes ;
la présence du virus a pu être démontrée dans toutes
les formes épidémiologiques de maladie de Kaposi ;
l’HHV-8 est spécifiquement associé à la maladie de
Kaposi, bien qu’il soit également associé à la maladie
de Castleman multicentrique et aux lymphomes des
séreuses. Il est intéressant de noter que ces 3 affections
peuvent être observées chez un même individu, ce qui
renforce leur lien avec l’HHV-8 ;
l’infection par l’HHV-8 précède l’apparition de la
maladie de Kaposi. Ceci ayant été clairement démontré
dans les cohortes de patients homosexuels et dans le
cadre de la transplantation d’organes ;
la démonstration d’un gradient biologique a été faite.
Bien que le virus puisse être retrouvé dans la peau saine, la
quantité de virus est toujours supérieure dans la peau lésée ;
l’équipement génomique de l’HHV-8 ainsi que la
démonstration de son pouvoir partiellement transfor-
mant rendent son rôle plausible dans la genèse du kaposi ;
le rôle de l’HHV-8 est cohérent avec l’histoire natu-
relle et la biologie de la maladie de Kaposi ;
l’évidence expérimentale fait cependant défaut. Ceci
tient au fait que, dans la maladie de Kaposi, le virus est
essentiellement, voire exclusivement, latent, donc non
réplicatif et donc insensible aux potentielles molécules
antiherpétiques susceptibles d’agir sur la réplication virale.
Les liens entre l’HHV-8 et la maladie de Kaposi ne sont
pas totalement élucidés. Si l’association entre ce virus
et la maladie de Kaposi est clairement admise par tous,
de nombreuses questions demeurent en suspens. Elles
concernent l’épidémiologie du virus et les raisons de cette
hétérogénéité de distribution, assez inhabituelle pour un
herpèsvirus. Les voies de transmission, et notamment
l’importance de la voie salivaire comme site de réplication
du virus, s’accordent mal avec le fait que l’HHV-8 ne soit
pas un virus ubiquitaire. Ces éléments suggèrent que le
virus nest pas si facilement transmissible ou quil existe
peut-être des facteurs génétiques ou autres favorisant l’in-
fection. En dehors du facteur immunosupression, il nest
pas possible de savoir pourquoi un individu infecté par
l’HHV-8 va développer une maladie de Kaposi. Là encore,
il existe peut-être des facteurs génétiques propres à l’hôte
qui peuvent intervenir dans le développement de la
maladie. Lintérêt du virus en tant que cible thérapeutique
reste également à déterminer. Si, du fait de son caractère
latent, il reste une cible peu accessible aux thérapeutiques
curatives, la mise en place de thérapeutiques dans une
stratégie préventive pourrait avoir un intérêt notamment
dans le domaine de la transplantation, comme cest le
cas pour d’autres infections à Herpesviridae.
L’auteur n’a pas déclaré
ses éventuels
liens d’intérêts.
1. Chang Y, Cesarman E,
Pessin MS et al. Identification
of herpesvirus-like DNA
sequences in AIDS-associated
Kaposi’s sarcoma. Science
1994;265:1865-9.
2. Sarid R, Olsen SJ, Moore
PS. Kaposi’s sarcoma-asso-
ciated herpesvirus: epi-
demiology, virology, and
molecular biology. Adv Virus
Res 1999;52:139-232.
3. Beral V, Peterman TA,
Berkelman RL, Jaffe HW.
Kaposi’s sarcoma among
persons with AIDS: A sexually
transmitted infection? Lancet
1990;335:123-8.
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