146 CONSTANTIN BOBAS
Car, en réalité, nous avons à faire, dans le cas de la traduction en général, et du
théâtre en particulier, au passage d’un code à un autre et surtout de l’articulation
entre plusieurs régimes de signes, s’agissant, en défi nitive, d’un mode où plusieurs
fonctionnalités fusionnent. Nous le constatons à chaque fois que nous essayons de
défi nir cette notion, presque impossible à cerner, la théâtralité, tantôt avec le gestus
brechtien, tantôt avec la dicibilité, tantôt avec une autre association de la forme
verbale de l’auteur qui aboutira à sa présentation en tant que spectacle4. La réussite,
donc, de la traduction théâtrale dépend de son effi cacité à évoluer sur une ligne
continuellement fugitive, un lieu de convergence où tous ces ensembles de signes
différents arrivent à se rencontrer, ou à donner la possibilité de le faire, souvent en
l’espace d’un instant. L’étape la plus cruciale de cette entreprise est, sans doute, la
représentation sur scène où toute sa complexité créatrice voit le jour à travers la
collaboration de plusieurs facteurs. Toute traduction est un trait d’union, une ou
plusieurs chaînes entre l’œuvre, les langues, l’auteur, la traduction, le traducteur…,
dont les maillons ne sont pas toujours liés ou ne le sont pas de la même manière.
Mais pour la traduction théâtrale, cette chaîne est plus longue avec la re-présen-
tation, et si l’on vise à sa forme la plus aboutie, elle doit être simultanée, non pas
successive, comme c’est éventuellement le cas pour les autres traductions. C’est-
à-dire que si la traduction en tant qu’écriture est une expérience solitaire, même
s’il s’agit d’une solitude habitée, la traduction théâtrale peut être l’expérience de
multiples rencontres. Le traducteur théâtral se présenterait alors comme un col-
laborateur actif de la version scénique de la traduction, une interface nécessaire
de l’élaboration fi nale dans des conditions optimales du travail de la représenta-
tion5. Néanmoins, la théorie de la traduction théâtrale a souvent oscillé entre deux
pôles, celui d’une traduction qui, d’une manière générale, existe uniquement dans le
cadre d’une mise en scène en tant qu’ensemble, et celui où le traducteur se consacre
uniquement au texte écrit et c’est aux autres composantes du spectacle d’intervenir
ensuite6. Et il est vrai que le rôle du traducteur ne saurait être le même chaque fois,
car cela dépend de la conception dramaturgique de l’œuvre, des objectifs affi chés,
4 Justement, au théâtre la situation est multiple, car lors du passage à la scène, d’autres sys-
tèmes de signes propres au spectacle existent. Sur les systèmes de signes au théâtre et les catégories
d’expression, cf. T. Kowzan, Littérature et Spectacle, Mouton, The Hague 1975, p. 172.
5 Dans cette confi guration, nous parlons d’un théâtre contemporain où ces conditions idéales
peuvent être réunies et le texte fait partie de la réfl exion dramaturgique. Mais même quand il s’agit
de textes d’une autre période, la participation interactive du traducteur au travail de la représentation
est d’une grande importance.
6 C’est le cas par exemple de Patrice Pavis pour la première approche et de Susan Bassnett
pour la deuxième. Cf. P. Pavis, « Problems of Translation for Stage: Intercultural and Post-Mo-
dern Theatre », [dans:] The Play Out of Context: Transferring Plays from Culture to Culture, éd.
Hanna Scolnicov et Peter Holland, Cambridge Univ. Press, Cambridge 1989, pp. 25–44, et S. Bass-
nett, « Still Trapped in the Labyrinth: Further Refl ections on Translation and Theatre », [dans:]
Constructing Cultures: Essays on Literary Translation, éd. S. Bassnett et A. Lefevere, Multilingual
Matters, Clevedon 1998, pp. 90–108.
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Romanica Wratislaviensia 55, 2008
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