(« je ne suis pas démontrable »). Cette limitation vient du fait que, contrairement à la
prouvabilité, la notion de vérité n’est pas définissable à l’aide d’une formule de l’arith-
métique. (C’est un résultat classique dû à Tarski, et dont la démonstration est en fait
calquée sur celle du théorème de Gödel.) Grâce à cette subtile différence, on évite la
contradiction, mais on vérifie sans trop de difficulté que si l’arithmétique est cohérente,
alors la formule Gne peut pas être démontrée dans la théorie, de même que sa négation.
(Dans le second cas, on a besoin d’une hypothèse un peu plus forte que la cohérence,
sur laquelle on reviendra par la suite.) Voilà pour le premier théorème.
Précisons qu’il n’est pas nécessaire de chercher à comprendre le sens de la fameuse
formule G, car cette formule a précisément été construite (de manière très artificielle)
pour n’avoir aucun sens, du moins pas tel qu’on l’entend ordinairement en mathéma-
tiques. Intuitivement, la formule Gne parle plus vraiment des entiers, elle ne parle que
d’elle-même. Si cette formule n’est pas décidable dans le système formel de l’arithmé-
tique, c’est sans doute parce qu’elle n’énonce pas grand chose de plus que du bruit 1.
La portée du premier théorème
Si la formule Gen elle-même n’a pas grand intérêt, son existence est en revanche
très instructive, à la fois philosophiquement et techniquement.
Sur le plan philosophique, l’existence de la formule Gmontre que même un sys-
tème formel défini de la manière la plus rigoureuse qui soit est tout-à-fait capable d’en-
gendrer du bruit, c’est-à-dire des formules qui ne parlent plus vraiment des objets que
le système formel est censé décrire. (D’où leur indécidabilité.) Autrement dit, la ri-
gueur et le formalisme de la méthode axiomatique ne nous protègent pas totalement
contre la production de non-sens.
Sur le plan technique, on peut démontrer que la formule Gest impliquée par cer-
taines formules arithmétiques qui, pour le coup, sont très intéressantes, et même prou-
vables dans des théories strictement plus fortes que l’arithmétique. L’archétype d’une
telle formule est la formule « ConsPA » qui exprime (dans le langage de l’arithmétique,
et à travers le codage des formules et des démonstrations dans les entiers) que l’arith-
métique de Peano est cohérente. (La preuve de l’implication ConsPA ⇒Gconstitue
en effet le cœur de la démonstration du second théorème d’incomplétude.) Or il est
clair que si une implication de la forme A⇒Gest démontrable dans l’arithmétique
(où Gest la formule indécidable de Gödel), alors la formule Ane peut pas non plus
être démontrée dans l’arithmétique.
Cette méthode nous permet donc d’entrevoir les limites de l’arithmétique formelle,
en nous donnant des exemples de formules arithmétiques qu’on sait démontrer dans des
systèmes plus puissants (par exemple la théorie des ensembles), mais qu’on ne peut pas
démontrer dans PA. (Par exemple, la formule ConsPA est démontrable dans la théorie
des ensembles de Zermelo-Fraenkel, et même dans des systèmes formels beaucoup
moins puissants.)
La seconde mise en abyme : l’internalisation
Le premier théorème d’incomplétude de Gödel établit donc que :
Si l’arithmétique est cohérente, alors Gn’est pas démontrable.
1. La production de bruit est une conséquence fréquente de l’abus du procédé de mise en abyme. Il suffit
de penser à la webcam qui filme le moniteur branché à la webcam, ou au micro qui enregistre le haut-parleur
branché au micro, qui est à l’origine du fameux effet Larsen. De fait, on peut légitimement considérer la
formule Gcomme une forme d’effet Larsen en logique.
3