CRISPR-Cas9 pour l’édition de génome et l’étude des gènes du phage virulent p2
Par Marie-Laurence Lemay
Sous la direction du Professeur Sylvain Moineau
Les bactériophages (ou phages) sont les entités biologiques les plus abondantes sur Terre. Dans
l’industrie laitière, ils compromettent le processus de transformation du lait et occasionnent des
pertes de ressources et de qualité. Naturellement présents dans le lait et résistants à la
pasteurisation, les phages peuvent infecter et lyser les souches bactériennes soigneusement
sélectionnées. Lactococcus lactis est l’espèce bactérienne la plus utilisée pour la production de
fromages et elle est susceptible à l’infection par des phages. Parmi les nombreux phages virulents
de lactocoques, ceux appartenant au groupe sk1-like sont les plus problématiques dans l’industrie
laitière. Le phage p2 est le virus modèle de ce groupe. Étonnamment, près de la moitié des ses
gènes, soit une vingtaine, codent pour des protéines aux fonctions encore inconnues. Une des
raisons pour ce manque de connaissances était l’absence d’un outil pour la modification
génomique des phages virulents. L'étude des phages strictement virulents représente un défi de
taille puisque leur génome passe peu de temps dans la cellule bactérienne. Or, l'édition de leur
génome est restreinte à un cycle infectieux.
CRISPR-Cas est un système naturel de défense bactérien contre les infections virales. Le
mécanisme a été récemment adapté avec succès pour l'édition de génome d'une variété
d'organismes. Brièvement, il est constitué d'un ARN qui porte une séquence d'une vingtaine de
nucléotides identique à l'ADN envahisseur. Cet ARN guide forme un complexe avec la nucléase
Cas9, une protéine qui clive l'ADN. Lorsque le complexe rencontre sa séquence cible par
appariement des bases, l'ADN subit une coupure double-brin franche. La puissance de l'outil
réside dans le fait que la séquence de l'ARN peut facilement être modifiée afin de cibler n'importe
quelle séquence. La coupure double-brin ainsi générée peut ensuite être réparée par la machinerie
moléculaire de la cellule. En fournissant un gabarit de recombinaison homologue, nous pouvons
contraindre la cellule à réparer le bris de manière à remplacer le gène sauvage par une version
mutée, délétée ou marquée de celui-ci.
L’objectif principal de ce projet était de développer un outil d’édition génomique basé sur le
système CRISPR-Cas9 afin d’étudier le phage virulent p2. Le système CRISPR-Cas9 de
Streptococcus pyogenes a donc été cloné sur un plasmide et introduit dans la souche hôte L. lactis
MG1363, naturellement dépourvue de ce système. Ce plasmide a aussi été construit pour
produire un ARN ciblant un gène d’intérêt du phage p2, et ainsi conférer une résistance contre ce
phage. Sur un second plasmide, un gabarit de recombinaison portant un gène délété d'intérêt a été
cloné. La délétion a été choisie pour permettre aux phages d'échapper au système de défense
CRISPR-Cas9 puisque la recombinaison avec ce plasmide enlève la séquence cible. Les bactéries
portant les deux plasmides ont été infectées avec le phage p2. Seulement des phages ayant
recombinés se sont propagés sur cette souche. Le génome des phages mutants a été séquencé
pour confirmer la mutation attendue. Jusqu'à présent, deux gènes non-essentiels du phage p2 ont
été inactivés. Le système est maintenant fonctionnel pour passer à l'inactivation, la mutation et le
marquage de chacun des gènes/protéines d'intérêt. Cet outil nous permettra d'étudier l'impact de
ces inactivations et mutations sur la multiplication des phages et sur les bactéries infectées
incluant l'impact sur leurs protéomes et leurs réseaux d’interactions protéiques.