K-Theory
2 (1988) 431-463 431
9 1988
by Kluwer Academic Publishers.
Caract6re multiplicatif d'un module de Fredholm
ALAIN CONNES
Institut des Hautes Etudes Seientifiques, 35 Route de Chartres, F-91440, Bures-sur-Yvette, France
et
MAX KAROUBI
UER de Math~matiques, Universit~ de Paris VII, Tour 45.55, 5 e'ne Etage, 2 Place Jussieu, F-75251 Paris
cedex 05, France
(Received: 7 December 1987)
Abstract.
The main object of this paper is to define a pairing
EllP(A) x Kp+I(A ) ~
C*,
where
K,(A)
is the algebraic K-theory of A and
EIIP(A)
is the group generated by Fredholm modules of
dimension p. We relate this pairing to Fredholm determinants and central extensions of loop groups and the
group of diffeomorphisms of the circle.
R6sums L'objectif essential de cet article est de d6finir un accouplement
EllV(A)
x Kp+l(A ) ~ C*
o6 K,(A)
d&igne la K-th6orie alg~brique de Aet off
EIIP(A)
est le groupe engendr6 par les modules de
Fredholm de dimension p. Nous relions eet aecouplement au d~terminant de Fredholm et aux extensions
centrales des groupes de lacets et du groupe des diff6omorphismes du cercle.
Key words. Cyclic homology, Fredholm modules, loop groups, C*-algebras, group of diffeomorphisms of the
circle.
0. Introduction
Soit Hun module de Fredholm de dimension p* sur une alg6bre A. Le
caract&e additif
de ce module de Fredholm est un 616ment de la cohomologie cyclique
H~(A)
d6fini
explicitement par une trace ou une supertrace de composition d'op6rateurs dans H
(cf. [8] p. 56 ou le w de cet article). Ce caract6re additif induit en particulier un
homomorphisme
z~l: Ki(A ) ~ C
avec i = 0 ou 1 suivant la parit6 de p, qui prend en fait des valeurs enti6res.
L'objet de cet article est de montrer qu'un module de Fredholm de dimension
p induit aussi un homomorphisme
z~+l:
Kp+I(A) ~
C*
*Plus pr6cis6ment un module de Fredholm (p + 1)-sommable duns le sens de 1-8] p. 49 et de m~me parit6 que
p (la parit6 d'un module de Fredholm est d6finie darts le w
432 ALAIN CONNES ET MAX KAROUBI
off les
Ki(A )
sont les groupes de K-th6orie alg6brique de Quillen. Cet homomorphisme
peut atre interpr6t6 comme un
caractOre multiplicatif
dans la mesure off il induit un
accouplement
NEfP(A)
x
Kp+ I(A ) ~
C*,
gyvEr(A) d6signant le groupe engendr6 par les modules de Fredholm de dimension p.
Pour p = 1, la construction de
ce
caract6re multiplicatif se r6duit celle de rextension
centrale classique par C* du groupe de lacets G = C Oo(S ~, SL(n)) des applications C ~ de
S 1 ~t valeurs dans le groupe SL(n, C), dans le cas off l'alg6bre A est l'algbbre
C~ 1)
et off
le module de Fredholm est donn6 par L2(S 1) muni de l'op6rateur de Toeplitz. La
propri6t6 universelle de K2(A ) permet en effet d'interpr6ter une extension centrale de
SL(A) par C* comme un homomorphisme de K2(A )dans C*.
Si A est une alg6bre de Banach (ou plus g6n6ralement une alg6bre de Fr6chet), la
topologie alg6brique permet de d6finir des groupes de 'K-th6orie relative' K~el(A)
s'ins6rant dans des suites exactes du type (E) ci-dessous. Dans
ces
suites, les groupes
Kto~ = Ko(A )
et
K~~
= ~_ 1 (GL(A)) pour i > 0 sont les groupes classiques de
K-th6orie topologique [19], [20]. Si la topologie de A est compatible avec la structure
de module de Fredholm, les caract6res additifs zf peuvent ~tre aussi d6finis sur les
groupes K~~ et on a le diagramme commutatif suivant
Kp+z(A)--* Kp+I(A)~ Kp+I(A)~ K~I(A)
Kp +
2(A) ~ top rel
l i t
"Cp+2
p+l "Cp+l
0 ~ Z-- > C > C* ~ 0
(E)
Ici l'homomorphisme z~ 1 peut atre d6fini de deux mani6res diff6rentes: la premi6re est
d'appliquer les id6es de [20] off on construit les classes caract6ristiques secondaires de
fibr6s plats dans le contexte g6n6ral de rhomologie cyclique (ou, ce qui revient au
marne, de l'homologie de De Rham non commutative). La seconde est d'utiliser la
relation &ablie par Loday-Quillen [24] et Tsygan [31] entre la cohomologie cyclique
et la cohomologie des alg6bres de Lie (les deux approches sont compl6mentaires).
Lorsque A est l'alg6bre des fonctions C OO sur une vari6t6 Riemannienne M compacte
de dimension p, munie d'une structure spinorielle, l'op6rateur de Dirac permet de
d6finir un module de Fredholm de dimension p, qui joue le r61e de la classe
fondamentale de Men K-homologie. Notre construction donne donc un homomor-
phisme de Kp+ t(COO(M)) dans C*, qu'il devrait atre possible d'interpr6ter marne quand
p > 1, dans le cas off M est une hypersurface de genre espace dans l'espace temps, en
relation avec les termes de Schwinger en th6orie des champs. Apr6s avoir rappel6
l'interpr6tation connue dans le cas M = S 1, p = 1, nous montrons comment la
deuxi6me quantification de Fermi-Dirac produit un analogue multiplicatif de la
notion de module de Fredholm, et exprimons l'extension centrale en ces termes.
Cet article a 6t6 inspir6 par des consid6rations de physique th6orique du premier
auteur. Dans la pr6sente r6daction nous nous sommes limitbs aux aspects math6ma-
CARACTERE MULTIPLICATIF D'UN MODELE DE FREDHOLM
433
tiques de la question. D'autre part, il a 6t6 fait un usage intensif des id6es d6velopp6es
longuement dans [8] et [20]. Afin de faciliter la compr6hension du pr6sent travail par
les lecteurs non sp6cialistes, nous avons choisi de proc6der/t des rappels extraits de [8]
et [20]. Ces rappels sont essentiellement contenus dans les deux premiers paragraphes.
Dans le w nous avons aussi calcul6 (partiellement) la K-th6orie et la cohomologie
cyclique des alg~bres universelles d//p 'classifiant' les modules de Fredholm de
dimension p. Dans le w nous d6finissons un homomorphisme fondamental
Kf(A)
HC,_ l(A)
(pr6cisant un homomorphisme d~j~t d~fini dans [20]) par des m6thodes
simpliciales.Nous montrons en particulier la relation entre la suite exacte (E) et la suite
exacte fondamentale du premier auteur
HC"-2(A)
~
HC"(A) ~ H"(A, a*) ~ HC"-~(A) ~ HC "+ ~(A).
Nous reconsid6rons le probl6me darts le w dans l'esprit de la cohomologie des
alg6bres de Lie et montrons en particulier que les deux approches conduisent
essentiellement au m~me r6sultat. Dans les w et 6 nous d6crivons enfin les extensions
centrales de SL(C~~ et de Diff+(S l) associ6es fi certains modules de Fredholm.
Nous y montrons aussi la relation avec l'alg6bre de Virasoro.
Les r6sultats essentiels de cet article (~i l'exception de ceux des w et 6) ont 6t6
annonc6s dans une Note aux Comptes Rendus de l'Acad6mie des Sciences [11].
1. Les groupes
ELLP(A)
1.1. Soit A une C-alg~bre quelconque. La notion de
module de Fredholm
rappel6e
ci-dessous est due essentiellement fi Atiyah dans le cas pair [33 et fi Brown, Douglas,
Fillmore et Kasparov dans le cas impair [4, 22].
Cas pair.
On se donne un espace de Hilbert H qui se scinde en H' G H' ainsi qu'un
homomorphisme p: A -~ A~ alg~bre des op6rateurs born6s dans H, tels que
p(a)
s'6crive matriciellement sous la forme
avec u - v e •, id6al des op6rateurs compacts dans
H'.
Cas impair.
On se donne de nouveau un espace de Hilbert H qui se scinde en H + 9 H-
et un homomorphisme p: A ~ ~(/-/) tels que
p(a)
s'6crive matriciellement sous la forme
all a12~
a2i a22/
avec ai2 et a21 op6rateurs compacts H -+ ~ H -T.
1.2. Les modules de Fredholm apparaissent naturellement dans l'~tude des op~rateurs
elliptiques d'ordre 0 sur une varlet6 compacte X. Si D: H i ~ H 2 est un tel op6rateur, on
peut lui associer un module de Fredholm en consid~rant une param6trix P: n 2 ~ H 1 et
434 ALAIN CONNES ET MAX KAROUBI
l'op6rateur suivant de degr6 1 dans H = H i 9 H 2
On a alors pz _ 1 compact. Dans 1,8] p. 89 ou 68, on d6crit explicitement comment
modifier ff en un opkrateur F tel que F soit de degr6 1 et F 2 = 1. L'espace de Hilbert
H peut alors se scinder en/t' @ H' en utilisant les relations F 2 = e 2 = 1 et Fe = -- eF (e
d6signant la graduation). Enfin, comme l'a remarqu6 Atiyah [3], les espaces de Hilbert
consid6r6s ici sont des modules sur l'alg~bre A = C(X) des fonctions continues sur la
vari6t~ X. En faisant la synth~se de ce qui precede, on obtient ainsi un module de
Fredholm pair sur C(X).
D6signons par M[ o l'alg~bre des op6rateurs dans H =/4' @ H' de la forme
(; 0)
avec u - v compact. Ce qui pr6c~de peut atre interpr6t6 comme un homomorphisme
C(X) ~ ~go"
L'application induite en K-th6orie
K(C(X)) --* K(J/do) ~ 77
est l'indice analytique de l'op6rateur D ~t coefficients dans les fibr6s E engendrant
K(C(X)):cf.
1,-3].
On construit de m6me des exemples de modules de Fredholm impairs en consid6rant
des op6rateurs elliptiques auto-adjoints sur une vai6t6:,cf. I-8] p. 69 ainsi que les w et
6 de cet article.
1.3. En suivant [29], d6finissons l'id~al de Schatten ~P = 2'P(H) comme l'ensemble
des opbrateurs compacts k darts H teis que E2r/2 < + o% les 2i d6signant les valeurs
propres de k* k. On a ~P c 5eq si p < q.
EXEMPLES. (1) ~1 est l'id6al des op6rateurs/t trace ou op6rateurs nucl6aires dans le
sens de Grothendieck [29]. Si u s Y 1 (/4) et v e &~ on a Yr(uv) = Yr(vu), Tr d6signant
la trace.
(2) ~2 est l'id6al des op6rateurs de Hilbert-Schmidt. Si u = (uu)d6signe la matrice
de l'op6rateur u dans une base Hilbertienne quelconque, on a
ueLpz,~ ~lUu[ ~ < + oo.
5eZ(H) est un espace de Hilbert pour la norme 6vidente.
(3) D'apr6s l'in6galit6 de HSlder LfPo~ q c ~s,v(a,o avec 1/r = lip + 1/q. En
particulier, si u~, Ue .... ,un~ pet sin > p, le produit des u~ appartient/t Se ~ et on
a Tr(u l u2... un) = Tr(un ul... un_ 1)"
(4) Soit u un op6rateur de rnatrice (uu) dans une base Hilbertienne. On dit que u est
it d6croissance rapide si pour tout s > 0 il existe une constante C~ telle que
lui;I <~ Cj?f. Alors ueSf~(H). Plus gdn6ralement, si vest un op6rateur non
CARACTERE MULTIPLICATIF D'UN MODELE DE FREDHOLM
435
n6cessairement born6 mais d'ordre fini, uv et vu sont ~i d6croissance rapide: ils
appartiennent ~ 5fl et ont m~me trace.
1.4. En suivant [8] p. 49, on dira qu'un module de Fredholm est n-sommable si c'est
un module de Fredholm, les conditions u - v compact ou alz, a21 compacts (cf. 1.1)
6tant remplac6es par les conditions plus strictes u - v ~ 5r ou a 12, a2 ~ ~ ~" (remarque:
les op6rateurs alz et azl op6rent sur des espaces de Hilbert diff6rents mais l'extension
6vidente des d6finitions ne pose pas de probl6me). Comme l'a not6 le premier auteur, les
modules de Fredholm n-sommables apparaissent naturellement dans l'6tude des
op6rateurs elliptiques sur une vari6t6 compacte X avec A = C~176 et n > dim(X).
Sip E ~, on d6signe en g6n6ral par gltP(A) l'ensemble des classes d'isomorphie de
A-modules de Fredholm (p + 1)-sommables qui sont de m6me parit6 que p (on dira plus
bri6vement des modules de Fredholm de dimension p). Muni de l'op6ration de somme
directe, EIIP(A) est un semi-groupe commutatif. I1 est muni d'une involution naturelle
x ~ x-induite par
dans le cas pair et par
~ -01)
-
1] \a2t
\a21 a22,/
a227
dans le cas impair. La proposition suivante est alors 6vidente.
1.5. PROPOSITION. Le quotient de glIV(A), par le semi-groupe x + x-, x ~ gllV(A),
est un 9roupe eommutatif notd EUP(A). L'inclusion naturelle de gllV(A) dans gtt ~p+ 2(A)
induit un homomorphisme S: EllP(A) ~ ElIP+ Z(A).
I1 existe des alg6bres 'classifiantes' pour les groupes EllP(A). De mani6re pr6cise, sip est
pair, on d6signe par JlP la sous-alg6bre de 5r H') form6e des op6rateurs
s'6crivant
avec u - vs~P+~(H ') (H' de dimension infinie* ). Sip est impair, l'alg6bre Jr p est
form6e des op6rateurs s'~crivant
all a12~
azl a2z/
avec a~z et azl ~ ~P+ ~(H'). On d6finit de mani6re 6vidente des modules de Fredholm
'universels' (H,F)p avec H = H' G H' sur l'alg6bre d//v.
1.6. PROPOSITION. Lefoncteur Ell pest un foncteur contravariant de la catdeorie des
* Tous les espaces de Hilbert consid6r6s dans cet article sont suppos6s s6parables.
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