Le violon d`Ingres et la plume de Debussy

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Le violon d'Ingres et la plume de Debussy
BRAVO MAESTRO!
N° 435 Semaine du 20 août 2005 au 26 août 2005
Auteur : Duteurtre Benoît
Attendue depuis des années, la correspondance de Claude Debussy : garantira quelques vrais plaisirs de lecture
aux déçus de la rentrée littéraire. Dans ces documents patiemment rassemblés par le musicologue François Lesure
(disparu en 2001), les mélomanes vont découvrir un
remarquable écrivain, déjà connu parles textes publiés
de son vivant, mais tout aussi éblouissant dans 3 000
lettres éclairantes sur les conditions intellectuelles et
sociales qui accompagnèrent la naissance de la musique
moderne. Avec un talent inné, le compositeur déploie le
trait d'humour, la politesse ironique, le jugement cruel ou
la pensée profonde qui veut n'avoir l'air de rien ; comme
s'il s'excusait d'être sérieux, à la façon des artistes de
son temps. Dévorant ce volume au bord de la mer (décor
debussyste s'il en est), je me suis remémoré ces
relations intimes qu'entretiennent musique et littérature, à
travers tout une lignée de « doubles talents » ,
apparemment aussi doués pour l'une que pour l'autre.
Premier cas de figure : le compositeur-écrivain. Outre
Debussy, il y a le cas de Berlioz dont l'oeuvre littéraire
(lettres, chroniques...), avec son emphase, son sens
poétique, ses rêveries délirantes, est une contribution
presque aussi importante au romantisme que son oeuvre
musicale. Quant à Wagner, si ses drames lyriques le
classent aux yeux de certains parmi les grands écrivains allemands, il est aussi (pour ceux qui goûtent modérément
la mythologie du Ring) l'auteur d'une oeuvre autobiographique impressionnante par tout ce qu'elle nous apprend sur
l'homme et sur son époque... Second cas défigure : l'écrivain-compositeur. Les exemples sont aussi nombreux,
depuis Jean-Jacques Rousseau; qui connut le succès avec son opéra le Devin du village - curieuse contradiction de
ses propres théories, lui qui affirmait que « les Français n'ont pas de musique et n'en peuvent avoir » . Nietzsche a
composé de nombreux lieder d'une beauté parfois saisissante, quoique toujours étrangement inachevés ; et il
faudrait citer encore, au XXe siècle, Alberto Savinio, Paul Bowles ou Anthony Burgess, qui signa, outre Orange
mécanique, toute une collection de symphonies et de concertos. Même lorsqu'ils ne sont pas directement
musiciens, les écrivains semblent partagés entre ceux qui éprouvent un intense besoin de musique et ceux qui n'y
entendent rien. Parmi ces derniers figurait Victor Hugo qui, raconte Saint-Saëns, fredonnait d'un air inspiré les plus
insipides mélodies de Beethoven, persuadé s'il s'agissait des plus sublimes (ce travers lue l'empêcha pas d'être très
musical dans son écriture), Inversement et plus près de nous, Milan Kundera mêle dans ses romans et dans ses
essais la méditation sur l'art du roman, à de fréquentes notations sur Beethoven, Janacek, Schönberg ou
Stravinski... A travers la correspondance de Debussy, les amateurs découvriront le miroir d'une époque où écrivains
et musiciens se fréquentaient beaucoup plus qu'aujourd'hui ; à commencer par Debussy lui-même, comme en
témoignent les lettres passionnantes à ses plus proches amis, presque tous poètes ou romanciers : Pierre Louÿs,
Paul-Jean Toulet, Victor Segalen... Il faudra que je demande aux compositeurs de mon entourage combien
d'écrivains ils fréquentent et que je pose la question inverse aux écrivains. Je ne suis pas sûr que le résultat soit
aussi éloquent.
Correspondance, de Claude Debussy, Gallimard (sortie le 1er septembre).
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