D O S S I E R Récidives locales après traitement du cancer du sein : implications pour le suivi des patientes traitées Patterns of local recurrences after treatment of breast cancer: implications for follow-up ● A Fourquet1, A Renard1, A Savignoni2, A. de la Rochefordière1, R.J. Salmon3 pour le Groupe d’étude des cancers du sein Mots-clés : Cancer du sein, Récidive locale, Pronostic, Suivi. Keywords: Breast cancer, Local recurrence, Prognosis, Follow-up. e suivi des patientes traitées pour un cancer du sein a plusieurs objectifs : détecter une rechute locorégionale, controlatérale ou métastatique, prendre en charge les complications et les séquelles éventuelles du traitement, évaluer les résultats à long terme. Le suivi locorégional est fondé sur un examen clinique et des mammographies effectuées à intervalle régulier. La fréquence et la durée des examens de suivi ont été établies de façon empirique, et leur impact sur l’évolution de la maladie est mal connu. L’adaptation de ces modalités de suivi aux critères de risque et au pronostic est mal évaluée. La mise en pratique de ce suivi peut varier beaucoup en fonction des habitudes des centres, de l’implication des médecins libéraux, et de l’information des patientes. Nous envisagerons successivement les caractères des récidives mammaires et controlatérales, l’efficacité de la détection systématique et l’impact pronostique du suivi des patientes. L RÉCIDIVES MAMMAIRES HOMOLATÉRALES APRÈS TRAITEMENT CONSERVATEUR DU SEIN Le traitement conservateur associe une chirurgie d’exérèse de la tumeur mammaire primitive avec des berges saines, suivie d’une radiothérapie de l’ensemble de la glande mammaire (1). Fréquence Le risque de récidive homolatérale est en moyenne de 1 % par an. Le risque cumulé augmente avec le temps et n’atteint jamais de plateau, les patientes restant exposées toute leur vie à ce risque. Diagnostic des récidives locales Le diagnostic d’une récidive locale est parfois difficile, surtout lorsque le sein est dense et modifié par le traitement. La comparaison des examens cliniques systématiques et de l’imagerie (mammographie, échographie) avec les examens précédents permet de détecter des modifications qui ne sont pas toujours spécifiques (masse palpable, opacité spiculée, microcalcifications). La suspicion d’une récidive doit conduire à effectuer des prélèvements cytologiques ou biopsiques, guidés par l’imagerie. Le tableau I montre les résultats d’une étude effectuée à l’institut Curie, sur 2 850 patientes suivies pendant une période médiane de 12 ans, chez qui 386 récidives mammaires ont été * Départements de radiothérapie, institut Curie, Paris. ** Département biostatistiques, institut Curie, Paris. *** Département chirugie, institut Curie, Paris. La Lettre du Sénologue - suppl. 1 au n° 29 - juillet-août-septembre 2005 diagnostiquées. Toutes ces patientes ont été régulièrement suivies au centre : tous les six mois pendant cinq ans, puis annuellement, et faisaient des mammographies bilatérales annuelles. Dans 77 % des cas, le diagnostic de récidive a été porté à l’occasion d’une visite programmée, et, dans 23 % des cas, entre deux examens, soit par les patientes elles-mêmes, soit par leur médecin gynécologue ou généraliste. Cette proportion était constante tout au long de la période de suivi, y compris après 10 ans. Tableau I. Circonstances de la découverte des récidives locales après traitement conservateur du sein à l’institut Curie. Période de suivi (ans) 0-5 5-10 > 10 Ensemble Circonstances de diagnostic (%) Suivi programmé Intervalle 79 21 74 26 77 23 77 23 Site de récidive De façon un peu artificielle, on sépare les récidives survenant dans le site tumoral initial (dans le même quadrant) ou à proximité, et les récidives survenant à distance dans le sein. Selon le recul, la proportion de ces deux types varie, les récidives dans le même quadrant étant plus fréquentes dans les cinq premières années de suivi. À 15 ans, les proportions s’équilibrent, les récidives survenant pour moitié dans le même site et pour moitié ailleurs, dans le sein traité (2). Cinétique et variations du risque de récidive Le risque annuel n’est pas constant au cours du temps. Il a tendance à augmenter durant les quatre ou cinq premières années après le traitement, puis il décroît progressivement pour devenir constant vers la dixième année. Cette variation est illustrée par la figure 1. Durant les premières années, elle dépend des facteurs de risque initiaux, dominés par l’âge au diagnostic : plus l’âge est jeune, plus le risque est élevé (figure 2), et cette variation est pratiquement linéaire. Outre le facteur de l’âge, le risque est augmenté dans les tumeurs de haut grade, de prolifération élevée, en l’absence de récepteurs hormonaux et en présence d’emboles vasculaires péritumoraux. Ces éléments doivent être pris en compte dans l’adaptation des protocoles de suivi. Les traitements associés ont également une influence sur le risque de rechute : l’absence de berges saines après chirurgie augmente le risque. Les traitements médicaux (chimiothérapie, hormonothérapie) contribuent à réduire le risque de récidive. 7 D O S S I E R Récidives annuelles (%) 3,0 2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0 0 0 10 15 Intervalle (ans) Figure 1. Variations annuelles du risque de récidive mammaire à l’institut Curie : 2 209 patientes, 303 récidives, suivi médian : 9,5 ans, courbes lissées. % Âge 23-35 ; n = 128 15 Âge 36-40 ; n = 226 Âge 41-55 ; n = 1 071 12 9 6 RÉCIDIVE LOCALE APRÈS MASTECTOMIE 3 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Intervalle (ans) Figure 2. Variations annuelles du risque de récidive en fonction de l’âge au diagnostic à l’institut Curie : 1 424 patientes non ménopausées, suivi médian : 10 ans. Traitement des récidives locales Le traitement standard d’une récidive survenant dans le sein irradié est la mastectomie. Des tentatives de second traitement conservateur ont été effectuées, avec ou sans réirradiation : ces études portent sur de petits effectifs sélectionnés (faible taille de la récidive, carcinome in situ) et font état de taux de deuxième rechute élevés. Une réirradiation du sein à doses efficaces expose à un risque élevé de séquelles. Pronostic des récidives locales Dans la série de l’institut Curie, la survie après diagnostic d’une récidive était de 65 % à 10 ans, et la survie sans métastase de 56 %. Ces taux sont comparables à ceux d’autres études portant sur de grandes séries de patientes (tableau II). La question de savoir si la survenue d’une récidive locale a une influence sur le risque métastatique et la survie des patientes a longtemps été débattue. Globalement, la comparaison entre le taux de survie des patientes qui ont eu une récidive locale et le taux de celles qui n’en ont pas eu a donné des résultats contradictoires, certaines études ne montrant pas de différence, d’autres mettant en 8 évidence une survie moins bonne chez celles qui avaient récidivé. Les différences observées dans ces études tiennent avant tout aux différences de recul de patientes traitées : les études avec un long recul montraient moins souvent une différence (2). De multiples facteurs interviennent dans le pronostic des récidives locales, liés aux caractéristiques de la tumeur primitive, à celles de la récidive locale et aux traitements de la récidive. Le tableau III montre les résultats de l’analyse multifactorielle du risque de métastase chez les 386 patientes qui avaient une récidive locale isolée. La précocité de la récidive (moins de 2 ans) et un grade élevé sont logiquement associés à un risque métastatique élevé. La détection précoce d’une récidive de petite taille est associée à un moindre risque, de même que sa localisation dans un autre site que la tumeur initiale. Cela se retrouve également dans le risque de décès, où la survenue d’une récidive non palpable (détectée par l’imagerie) et dans un autre site est associée à une meilleure survie. Ces observations ont également été rapportées dans d’autres études : selon les paramètres étudiés, y sont retrouvés comme facteurs péjoratifs, la précocité de la récidive locale (5, 6, 8-12) et, comme facteur favorisant, d’une part, la détection à un stade précoce (cancer in situ, tumeur supérieure à 1 cm, tumeur non palpable [13]), d’autre part, la survenue dans un autre site. Le risque de survenue d’une récidive sur la paroi thoracique varie de 0,5 à 1,5 % par an. Ces récidives se manifestent le plus souvent par des tumeurs palpables, souvent enchâssées dans le derme, proches de la cicatrice de mastectomie. Elles peuvent prendre l’aspect de nodules de perméation, avec un aspect inflammatoire ou ulcéré. Elles sont parfois multiples et confluentes. Le risque de récidive pariétale est déterminé par : – les caractéristiques de la tumeur mammaire primitive (taille, Tableau II. Survie après récidive mammaire homolatérale. Données de la littérature. Auteur Van Tienhoven (3) Fowble (4) Galper (5) Kurtz (6) Haffty (7) Institut Curie Nombre de patientes 851 1 030 2 102 1 245 973 2 850 Nombre Suivi de médian après récidives récidive (mois) 67 74 65 24 341 85 52 72 73 85 386 85 Taux Survie estimé (%) à 5 ans 59 5 ans 73 5 ans 81 10 ans 64 10 ans 71 10 ans 65 Tableau III. Analyse multifactorielle du risque de métastase après récidive mammaire à l’institut Curie : 386 récidives, recul médian : 85 mois. Paramètres Premier cancer – ganglions axillaires – grade Récidive mammaire – grade – délai (ans) – taille (mm) – localisation Variables Risque relatif p pN1 vs pN0 II-III vs I 2,29 2,23 0,0001 0,008 III vs I ≤ 2 vs >2 > 15 vs ≤ 15 Même site vs autre 3,06 2,62 2,24 1,5 0,003 0,0005 0,0002 0,06 La Lettre du Sénologue - suppl. 1 au n° 29 - juillet-août-septembre 2005 envahissement ganglionnaire axillaire, extension cutanée ou musculaire profonde) constituent les critères classiques de risque de récidive et d’indication d’une radiothérapie pariétale. À ces critères s’ajoutent un âge jeune, des caractéristiques tumorales “agressives” (grade élevé, prolifération élevée, absence de récepteurs hormonaux, emboles vasculaires) ; – les traitements reçus : la radiothérapie pariétale diminue le risque de récidive pariétale des deux tiers à 20 ans (14). La chimiothérapie et l’hormonothérapie adjuvante réduisent également le risque de récidive locale. Les récidives pariétales sont associées à un risque métastatique plus élevé que les récidives après traitement conservateur du sein. La probabilité de survie à 5 ans après une récidive pariétale est en moyenne de 50 % d’après les études publiées, avec un risque de métastases secondaires qui varie de 40 à 70 %. Ce risque dépend du délai d’apparition de la récidive (les récidives précoces sont de plus mauvais pronostic), de son caractère isolé ou associé à une récidive ganglionnaire, du nombre de nodules de récidive, de leur caractère inflammatoire ou non et des traitements de la récidive. CANCER DU SEIN CONTROLATÉRAL Les femmes qui ont eu un cancer du sein ont un risque accru d’avoir un cancer dans l’autre sein. Ce risque varie de 0,5 à 1 % par an selon les études et est en moyenne de 0,8 % par an (15). Il est augmenté chez les femmes jeunes, chez les femmes qui ont un risque familial ou génétique de cancer du sein et chez celles qui ont un cancer du sein lobulaire (16). Le risque est diminué par les traitements adjuvants (chimiothérapie et hormonothérapie). Les cancers du sein controlatéraux dépistés lors du suivi régulier du premier cancer sont diagnostiqués à un stade plus précoce que le primitif. Le pronostic des cancers controlatéraux est plus défavorable lorsqu’ils sont diagnostiqués à un stade de tumeur palpable. Le délai d’apparition du cancer controlatéral constitue également un facteur de risque, la survenue précoce ayant un pronostic plus péjoratif. Le suivi régulier et le dépistage des cancers du sein controlatéraux par mammographie ont donc un impact certain sur la détection précoce de ces cancers et sur leur pronostic vital. CONCLUSION : PROTOCOLE DE SUIVI Le suivi régulier des femmes traitées pour un cancer du sein permet un diagnostic précoce des récidives locales (sein conservé ou paroi thoracique) et d’un cancer controlatéral. Il est démontré que ce diagnostic précoce a une influence sur la survie à long terme. Le risque annuel moyen de survenue d’un événement local (récidive ou controlatéral) chez une femme traitée pour un cancer du sein peut être estimé à environ 1,8 % par an, soit un risque cumulé de 36 % à 20 ans. Ce risque varie en fonction de multiples facteurs liés à l’âge, au diagnostic et à l’existence de facteurs de risques familiaux et génétiques, aux caractéristiques de la tumeur primitive et aux traitements reçus. Il justifie d’un véritable dépistage secondaire qui doit suivre les principes suivants : – être systématique et régulier ; La Lettre du Sénologue - suppl. 1 au n° 29 - juillet-août-septembre 2005 – être fondé sur un examen clinique et des mammographies bilatérales effectuées dans les mêmes conditions, permettant ainsi des comparaisons systématiques ; – être adapté aux facteurs de risques initiaux, aux traitements et au délai écoulé depuis le traitement du cancer du sein initial ; – être prolongé durant la vie entière. Ce suivi doit comporter un examen clinique tous les six mois pendant cinq ans, puis annuel durant toute la vie, et des mammographies annuelles, bilatérales en cas de traitement conservateur du sein et unilatérale en cas de mastectomie (1). Ce schéma doit être modifié, surtout dans les cinq premières années après le diagnostic, afin de prendre en compte les variations du risque annuel. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Mauriac L. Standards, options et recommandations: cancers du sein infiltrants non métastatiques [2e édition, mise à jour, version abrégée]. Bull Cancer 2002;89(2):207-24. 2. Freedman GM, Anderson PR, Hanlon AL et al. Pattern of local recurrence after conservative surgery and whole-breast irradiation. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2005;61(5):1328-36. 3. Van Tienhoven G, Voogd AC, Peterse JL et al. Prognosis after treatment for loco-regional recurrence after mastectomy or breast conserving therapy in two randomised trials (EORTC 10801 and DBCG-82TM). 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