L Cancer du sein : quel type de surveillance pour optimiser

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DOSSIER
Cancer du sein : quel type
de surveillance pour optimiser
le suivi ?
How to optimize the strategy for follow-up of breast cancer?
Éric Sebban*, Jean-Michel Vannetzel*
Quelques données chiffrées
Environ 30 % des cancers du sein aux stades I et II
sont amenés à récidiver. Parmi ces récidives, 80 %
surviennent dans les 5 premières années. Des récidives tardives, même 20 ans après, peuvent survenir.
Parmi les récidives métastatiques, 80 % sont symptomatiques et découvertes simplement par l’interrogatoire et l’examen clinique.
Problématique
Dans la mesure où la surveillance des patientes est
lourde sur les plans économique et psychologique,
le problème est de savoir si dépister le plus tôt
possible les récidives locorégionales ou les métastases apporte un bénéfice à la patiente et justifie les
contraintes que la surveillance occasionne ainsi que
les nombreux examens complémentaires ? La qualité
de vie est, là encore, un critère tout aussi important.
De plus, les patientes sont très demandeuses
d’une surveillance qui leur permettra, en cas de
normalité de l’examen, de retrouver une quiétude
psychologique. Il sera aussi nécessaire de leur faire
comprendre que “normalité de l’examen” ne veut
pas dire “absence de récidive”.
Objectifs de la surveillance
Les objectifs de la surveillance des cancers du sein
se justifient par leur évolution potentielle :
– la moitié des patientes récidiveront dans les 10 ans,
0,25
Pourcentage de risque
L
a surveillance du cancer du sein traité est le motif
de consultation le plus fréquent en oncologie. En
effet, plus de 50 000 femmes sont atteintes tous
les ans et ce chiffre ne fait qu’augmenter.
De plus, la surveillance doit être prolongée à cause
des récidives tardives. Malheureusement, ce sujet ne
passionne personne et c’est un peu le parent pauvre
de l’oncologie.
Les praticiens, qui ont en charge pendant de
nombreuses années des patientes traitées pour un
cancer du sein, se posent actuellement de nombreuses
questions au sujet de la surveillance : faut-il surveiller
les patientes, pourquoi les surveiller et y a-t-il un
bénéfice en termes de survie sans récidive ou de survie
globale ? Comment assurer cette surveillance, que
faut-il surveiller et par qui l’assurer ?
La survie globale n’est cependant pas le seul critère
de jugement et la qualité de vie, par exemple, est
tout aussi importante.
* Institut du sein Henri-Hartmann,
département de chirurgie gynécologique, mammaire et carcinologique,
clinique Hartmann, Neuilly-surSeine.
Récidives, métastases
Récidives controlatérales
Récidives locales
0,2
0,15
0,1
0,05
0
0
12
24
36
48
60
72
84
96
108 120 132 144
Mois
Figure. Récidives à long terme.
La Lettre du Gynécologue • n° 376 - novembre 2012 | 27
Mots-clés
Points forts
Cancer du sein
Surveillance
»» L’examen clinique et la mammographie sont recommandés 1 fois par an, le suivi peut rassurer certaines
patientes qui ont ressenti une peur, un abandon à l’arrêt du traitement.
»» L’intérêt en termes de survie n’est pas démontré, mais la surveillance gynécologique permet de prévenir
les complications, comme les patientes qui ont été traitées par tamoxifène.
Highlights
»» Clinical exam and mammography are recommended once a
year. This follow-up can reassure certain patients who felt
afraid or abandoned at the end
of treatment.
»» Benefits in terms of survival
have not been demonstrated,
but gynecological monitoring
makes it possible to prevent
complications, such as in
women treated with tamoxifen.
Keywords
Breast cancer
Follow-up
sous forme métastatique pour les trois quarts et
sous forme d’une récidive locorégionale pour les
autres (1) ;
– la majorité de ces récidives surviennent dans les
5 ans (dans 80 % des cas), mais la rechute à long
terme est possible, même après 10 ans (figure).
Les patientes revendiquent une surveillance intensive
en espérant un diagnostic anticipé, qui serait donc
de meilleur pronostic.
Il paraît, par ailleurs, nécessaire d’évaluer les
possibles effets indésirables des différents traitements (2).
Les médecins doivent prendre en compte :
– les bénéfices réellement obtenus par cette surveillance ;
– la qualité de vie des patientes ;
– son coût pour la société ;
– ses implications psychologiques ;
– les résultats à long terme pour l’évaluation de
l’efficacité thérapeutique.
La surveillance est fondée sur :
– le dépistage précoce de la récidive locale ou locorégionale ; le dépistage précoce d’un cancer controlatéral ; le dépistage d’ une récidive métastatique ;
– l’évaluation des résultats : qualité de vie, pronostic
fonctionnel et esthétique ;
– la réinsertion : traitements des complications iatrogènes et des séquelles liées aux différents traitements, qu’ils soient chirurgicaux, radiothérapiques,
chimiothérapiques, hormonaux et autres ; réinsertion
socioprofessionnelle et psychologique (3).
Fin des traitements
L’ arrêt des traitements est ressenti de façon variable :
certaines se sentent soulagées, avec une impression
de guérison, d’autres ont un sentiment d’abandon
avec une peur de la rechute. Il faut rassurer et aider
à la réintégration familiale et socioprofessionnelle.
Quel équilibre trouver entre l’absence totale de
surveillance demandée par certaines, qui se considèrent comme guéries, et une surmédicalisation
réclamée par d’autres qui vivent dans l’angoisse de
la récidive (tableau) ?
28 | La Lettre du Gynécologue • n° 376 - novembre 2012 La surveillance a t-elle
un intérêt démontré ?
De nombreuses études rétrospectives ont été
publiées à ce sujet. Les 2 essais italiens publiés en
1994 dans le même numéro du JAMA sont convergents et n’ont pas été contredits depuis leur parution
(4, 5).
L’étude du Givio (5) portait sur 1 320 patientes
traitées pour un cancer du sein non métastatique.
Les patientes étaient randomisées en 2 groupes :
surveillance standard et surveillance intensive. Dans
le groupe suivi intensif, un bilan biologique (hépatique), une radiographie pulmonaire, une scintigraphie osseuse et une échographie abdominale étaient
effectués tous les 6 mois en plus de l’examen clinique
standard proposé aux 2 groupes. Cette surveillance
a duré 5 ans. Une évaluation de la qualité de vie était
réalisée à 6 mois, 1, 2 et 5 ans.
Les résultats montrent une absence de différence significative entre les 2 groupes en termes
de survie sans récidive, de même qu’en termes de
survie globale. La surveillance intensive n’a permis
d’anticiper que de 1 mois le diagnostic de la rechute.
Quant à la qualité de vie, elle était identique dans
les 2 groupes.
L’étude de Del Turco (4) portait, elle, sur 1 243 patientes.
La randomisation proposée était sensiblement identique à l’étude précédente.
La survie sans récidive s’est révélée moins bonne
dans le groupe “suivi intensif” du fait d’une détection
plus précoce des récidives, mais la survie globale
restait identique.
Tableau I. Facteurs prédictifs de récidive locale.
Valeur
pronostique
Paramètres cliniques
Jeune age < 35 ans
Patiente non ménopausée
Volume tumoral
+++
++
+
Paramètres histologiques
Grade SBR
Embols vasculaires
Exérèse non in sano
Importante composante intracanalaire
Taille tumorale
Traitement adjuvant inadapté
+++
++
++
+
+
+++
DOSSIER
Il semble donc que le rôle essentiel du suivi sera de
détecter les atteintes dites “curables”, telles que
les récidives locorégionales et les cancers du sein
controlatéraux, alors que la détection des métastases
a un intérêt limité, compte tenu de leur mauvais
pronostic (conférence de consensus italienne
ANON 1995), en sachant que l’arrivée de nouvelles
molécules pourrait permettre un gain significatif
dans l’allongement de la durée de la survie.
L’American Society Of Clinical Oncology (ASCO) [6]
recommande depuis 1999 de surveiller les patientes
en insistant sur l’interrogatoire et l’examen clinique,
avec une visite tous les 4 mois pendant 3 ans, puis
tous les 6 mois pendant 2 ans, puis 1 fois par an.
Y sera associée une mammographie et une échographie mammaire 1 fois par an.
Les autres examens ne seront pas proposés systématiquement (radiographie du thorax, marqueurs,
échographie abdominopelvienne, scintigraphie
osseuse, etc.) [7].
En France, les Standard options et recommandations
(SOR) de la Fédération nationale des centres de lutte
contre le cancer (FNCLCC) rappellent et confirment
intégralement ces données.
L’IRM avec injection de gadolinium prend de plus en
plus d’importance dans ces situations. Elle diminue
les faux positifs, source de réinterventions inutiles,
car elle a une bonne spécificité, proche de 100 %,
contrairement à la mammographie (9).
C’est la raison pour laquelle elle peut être proposée
systématiquement tous les ans, en alternance
semestrielle avec l’échomammographie.
Examen gynécologique
➤➤ Les patientes ayant présenté un cancer du sein
doivent, sur le plan gynécologique, être surveillées
au même titre que les autres patientes.
➤➤ Les cancers de l’ endomètre sous tamoxifène
restent exceptionnels : estimés à 4 pour mille
femmes traitées par tamoxifène. Il n’y a donc aucune
recommandation à faire des échographies pelviennes
systématiques, ni bien sûr une hystéroscopie pour
vérifier l’épaississement endométrial.
➤➤ Les femmes sous tamoxifène doivent simplement être alertées de la gravité des métrorragies.
Le risque est rare, mais il nécessite une consultation
gynécologique et des investigations.
Données économiques
Une évaluation économique de la stratégie de
surveillance apporte un argument supplémentaire
pour ne pas multiplier les examens inutiles. Une
équipe lyonnaise (8) a comparé les coûts de 2 modalités de surveillance et retrouve une économie allant
de 35 à 75 % selon l’année de surveillance, ce qui est
loin d’être négligeable compte tenu de la fréquence
du cancer du sein.
Cas particulier des formes
héréditaires de cancer du sein
Les femmes présentant une mutation génétique
BRCA1 ou BRCA2 ou même les patientes sans mutation mais avec des risques familiaux avérés représentent une situation particulière, car elles sont plus
exposée à la récidive, dont la récidive controlatérale. Les signes radiologiques peuvent confirmer une
suspicion clinique, dépister une récidive infraclinique
ou dépister un cancer controlatéral.
Conclusion
L’objectif de la surveillance du sein traité est de faire
le plus rapidement possible le diagnostic d’une récidive locorégionale potentiellement curable, ainsi
que les cancers controlatéraux et de la sphère gynécologique.
Le suivi repose sur l’ examen clinique et la mammographie qui permettront de diagnostiquer la majorité
des récidives.
Même si son intérêt en termes de survie n’est pas
démontré, le dépistage des métastases sera néanmoins proposé en cas de symptômes. Il permet
ainsi de prévenir des complications invalidantes
en posant le diagnostic des métastases plus précocement (fractures pathologiques, compressions
médullaires, etc.).
La surveillance est également nécessaire pour dépister
les complications iatrogènes ainsi que les cancers
controlatéraux ou ceux de la sphère gynécologique
(cancer de l’endomètre sous tamoxifène).
■
Références
bibliographiques
1. Derschaw DD, Mac Cormick B,
Osborne MP. Detection of local
recurrence after conservative
therapy for breast carcinoma.
Cancer 1992;70:493-6.
2. Gion M, Mione R, Nascimbend et al. The tumor associated
antigen CA 15.3 in primary breast
cancer. Evaluated of 667 cases. Br
J Cancer 1991;63:809-13.
3. Dilhuydy JM. Préparer tôt la
réinsertion. In: Pujol H, Schraub S,
Serin D eds. Les enjeux de la prise
en charge des maladies du cancer.
Paris : Flammarion 1997:97-100.
4. Del Turco MR, Palli D, Carridi A
et al. Intensive diagnostic follow
up after treatment of primary
breast cancer: a randomised trial.
JAMA 1994;271:1593-7.
5. Givio. Impact of follow up
testing on survival and healthrelated quality of life in breast
cancer patients. A mulicenter
randomised controlled trial.
The GIVIO Investigators. JAMA
1994;271:1587-92. Comment
in: ACP J Club 1994;121:76-7.
6. Smith TJ, Davidson NE, Schapira DV et al. American Society
of Clinical Oncology 1998 update
of recommended breast cancer
surveillance guidelines. J Clin
Oncol 1999;17:1080-2.
7. Sebban E. Pour la surveillance
intensive après traitement du
cancer du sein. Gynécologie
Obstétrique et Fertilité 2006;
34:268-70.
8. Mille D, Roy T, Carrère MO et al.
Economic impact of harmonizing
medical practices: compliance
with clinical practice guidelines in the follow up of breast
cancer in a french comprehensive cancer center. J Clin Oncol
2000;18:1718-24.
9. Gilles R, Guinebretiere JM,
Shapeero LG et al. Assessement
of breast cancer recurrence with
contrast-enhanced subtraction
MR imaging: preliminary results in
26 patients. Radiology 1993;188:
473-8.
La Lettre du Gynécologue • n° 376 - novembre 2012 | 29
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