Le carcinome médullaire de la thyroïde : à propos d`un cas

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cas clinique
Mots-clés
Cancer médullaire de la thyroïde - Phéochromocytome - Hyperparathyroïdie
Calcitonine - Mutation de RET
Keywords
Medullary thyroid cancer - Pheochromocytoma - Hyperparathyroidism - Calcitonin - RET oncogene testing
Le carcinome médullaire
de la thyroïde : à propos d’un cas
Medullary carcinoma of the thyroid: a case report
C. Ajzenberg*, T. Louissaint*, D. Family*, G. Lagadec*, B. Godeau*, J.P. Becquemin**
L
e carcinome médullaire de la thyroïde (CMT) est une tumeur
rare, sporadique dans deux tiers des cas, héréditaire dans
un tiers des cas. Le dosage systématique de la calcitonine
(TCT) devant toute pathologie nodulaire de la thyroïde permet un
diagnostic précoce de CMT, ainsi que la recherche d’une hyperparathyroïdie (HPT) et/ou d’un phéochromocytome éventuellement
associés avant de réaliser une chirurgie adaptée. La recherche
d’une mutation du gène RET, qui conditionne le suivi et le dépistage génétique familial, est indispensable.
Observation
Une femme de 30 ans, sans antécédent personnel, consulte
pour un surpoids. L’examen clinique découvre un petit goitre, et
l’échographie montre deux nodules thyroïdiens médio-lobaires
hypoéchogènes de 11 mm à droite et 9 mm à gauche. La TSH
(thyroid-stimulating hormone) est normale ; la TCT, demandée
en raison d’un cancer thyroïdien chez la mère, est à 233 pg/ml
(N < 10 pg/ml) ; l’antigène carcino-embryonnaire (ACE) est à
7,2 pg/ml (N < 5 pg/­ml) et le bilan phosphocalcique est normal.
La patiente est adressée au chirurgien, qui réalise une thyroïdectomie totale, l’ablation de la parathyroïde inférieure droite
anormalement volumineuse, et un évidement jugulocarotidien
et récurrentiel bilatéral.
L’anatomopathologie montre un CMT bilatéral associé à une importante hyperplasie des cellules C (HCC) juxtatumorale sans métastase
ganglionnaire, et une parathyroïde normale. Le bilan réalisé 3 mois
plus tard, sous lévothyroxine et supplémentation vitamino-calcique
pour une hypoparathyroïdie secondaire montre la TCT à 2,3 pg/ml
stimulable par la pentagastrine (PG) à 29 pg/­ml (N < 10 pg/ml),
l’ACE à 1,1 µg/l, la TSH à 1, la PTH à 8 ng/ml (N = 6-40 pg/ml) et
des taux de calcémie, métanéphrines urinaires et chromogranine A
(CGA) normaux. Six mois plus tard, la TCT basale de 0,8 pg/ml passe
* Service de médecine interne, unité de diabétologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
** Service de chirurgie vasculaire et endocrinienne, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
24 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 317 - avril-juin 2009 à 36 pg/ml sous PG. Les bilans, renouvelés chaque année depuis,
montrent la normalité des marqueurs tumoraux et l’absence de
phéochromocytome et d’hyperparathyroïdie.
Le séquençage du gène RET chez la patiente met en évidence une
mutation en position 620 sur l’exon 10. Le dépistage génétique
familial réalisé chez 3 des 4 membres de la fatrie retrouve la
mutation chez la sœur née en 1979 et le frère né en 1974 avec un
taux de TCT à 15 et 499 pg/ml respectivement. Le bilan d’extension
préchirurgical effectué chez le frère permet d’éliminer des métastases à distance et de détecter un phéochromocytome bilatéral
asymptomatique, réséqué avant de réaliser une thyroïdectomie
totale. On apprend secondairement que la mère, décédée d’un
CMT métastatique, avait été opérée de phéochromocytome.
L’absence de tout contact avec la famille des deux parents n’a
pas permis de réaliser un arbre généalogique. Le dépistage génétique de la fille de la patiente, prévu avant sa deuxième année,
conduira, en cas de mutation du gène RET, à une thyroïdectomie
totale prophylactique.
Commentaires
Le CMT représente 5 % des cancers thyroïdiens. Il se développe
aux dépens des cellules C sécrétrices de TCT, dont l’hyperplasie
(HCC) précède le stade de micro- puis de macrocarcinome. Le
dosage de la TCT, motivé par la notion d’antécédent familial de
cancer thyroïdien, a permis le diagnostic préopératoire de CMT,
une chirurgie adaptée et la normalisation prolongée des marqueurs
tumoraux.
Le siège médio-lobaire d’un nodule thyroïdien, une cytoponction évocatrice, une adénopathie cervicale ou une métastase à
distance (20 %), des flushs ou des diarrhées motrices (5 %), des
anomalies cutanées ou un morphotype évocateur peuvent faire
découvrir ou suspecter un CMT. Cependant, c’est la découverte
d’une hypercalcitoninémie devant une pathologie uni- ou multinodulaire thyroïdienne qui révèle actuellement le plus souvent
un CMT apparemment sporadique.
cas clinique
L’ACE est un marqueur de dédifférenciation de CMT évolué et un
indicateur de mauvais pronostic.
Lorsqu’un CMT est suspecté, préalablement à la thyroïdectomie
– dans l’hypothèse d’une néoplasie endocrinienne multiple, NEM2A
ou NEM2B, même en l’absence de symptômes évocateurs –, on
éliminera systématiquement sur le dosage des métanéphrines
urinaires et de la chromogranine A, un phéochromocytome associé
dans la moitié des cas et souvent bilatéral (70 %). La surrénalectomie devra précéder la chirurgie thyroïdienne. Dans l’hypothèse
d’une NEM2A, on dosera la calcémie à la recherche d’une HPT
primitive, associée dans 5 à 20 % des cas, et nécessitant l’exploration peropératoire des 4 glandes parathyroïdes.
Il existe une bonne corrélation entre le taux de TCT et le volume
tumoral.
Lorsque le taux est supérieur à 100 voire à 250 pg/ml, un bilan
d’extension recherchant des métastases à distance, ganglionnaires, pulmonaires, hépatiques ou osseuses sera réalisé. Dès
le stade microcarcinome, un envahissement ganglionnaire est
présent dans 30 % des cas (1). La diffusion métastatique se fait
d’abord aux chaînes ganglionnaires récurrentielles (50 à 80 %),
puis jugulocarotidienne homolatérale au CMT (50 à 75 %). La
chirurgie comporte toujours une thyroïdectomie totale, un évidement ganglionnaire cervical central et prétrachéal de l’os hyoïde
au dôme aortique, un évidement jugulocarotidien et spinal, uniet homolatéral en cas de CMT sporadique unilatéral sans lésion
ganglionnaire macroscopique, bilatéral le cas échéant ou en cas
de cancer familial (2). Un évidement incomplet sera complété
dans un deuxième temps, car le pronostic dépend principalement
du staging initial, de la qualité du geste opératoire et du taux de
TCT pré- et postopératoire.
La guérison est attestée en postopératoire par la normalisation
de l’ACE et de la TCT de base et sous PG. Les taux de survie,
respectivement à 5 et 10 ans, sont de 98 et 95 % quand la TCT est
normalisée en postopératoire contre 80 et 70 % pour les patients
non guéris (3, 4). Le temps de doublement de la TCT contrôlée
tous les 6 mois dans le même laboratoire est fortement corrélé
à la survie. Pour un temps de doublement supérieur à 2 ans, la
survie est de 100 % à 5 et 10 ans ; pour un temps de doublement
inférieur à 6 mois, la survie est de 23 % et 15 % à 5 et 10 ans
respectivement (5).
L’analyse moléculaire du gène RET est systématiquement proposée,
car elle permet d’identifier dans un tiers des cas une mutation germinale autosomique dominante conditionnant le suivi du cas index,
l’enquête familiale, l’identification et la prise en charge des sujets
à risque et l’âge de la thyroïdectomie prophylactique.
Dans le cas clinique, la mutation identifiée a été décrite dans le
CMT familial et dans la NEM2A. L’histoire familiale permet de
rattacher cette mutation à une NEM2A, tandis que les données de
la littérature et celles du registre français du groupe d’étude des
tumeurs endocrines (GTE), dans lequel les tumeurs sont déclarées, permettent de proposer une thyroïdectomie prophylactique
avant 3 à 5 ans (6).
Conclusion
Le dosage systématique de TCT devant toute pathologie nodulaire
de la thyroïde permet un diagnostic précoce de CMT, un dépistage
des autres composantes d’une NEM2 éventuellement associée, la
réalisation d’emblée, par un chirurgien expérimenté, d’une chirurgie
adaptée avec thyroïdectomie totale et un évidement ganglionnaire
central et latérocervical. L’étude génétique permet d’identifier les
formes héréditaires, le dépistage familial, l’identification et la prise
en charge précoce, voire prophylactique, des sujets à risque. ■
Références bibliographiques
1. Beressi N, Campos JM, Beressi JP et al. Sporadic medullary microcarcinoma of
the thyroid: a retrospective analysis of eighty cases. Thyroid 1998;8:1039-44.
2. Quayle FJ, Moley JF. Medullary thyroid carcinoma: including MEN2A and
MEN2B syndromes. J Surg Oncol 2005;89:122-9.
3. Hyer SL, Newbold K, Harmer C et al. Familial medullary thyroid cancer:
clinical aspects and prognosis. Eur J Surg Oncol 2005;31:415-9.
4. Machens A, Ukkat J, Brauckhoff et al. Advances in the management of hereditary medullary thyroid cancer. J Intern Med 2005;257:50-9.
5. Giraudet AL, Ghulzan AA, Aupérin A et al. Progression of medullary thyroid
carcinoma: assessment with calcitonin and carcinoembryonic antigen doubling times. Eur J Endocrinol 2008;158:239-46.
6. Skinner MA, Moley JA, Dilley WG et al. Prophylatic thyroidectomy in multiple endocrine type 2A. N Engl J Med 2005;353:1105-13.
La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 317 - avril-juin 2009 | 25
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