Mini-revue Épidémiologie de l’adénocarcinome de l’estomac Dominique Lamarque Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Unité d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Hôtel-dieu de Paris, Place du Parvis de Notre Dame, 75181 Paris Cedex 04 <[email protected]> D’un point de vue épidémiologique, le cancer gastrique doit être distingué selon sa localisation et sa classification anatomopathologique (diffus ou de type intestinal). L’adénocarcinome distal de type intestinal survient au décours de l’évolution d’un processus de plusieurs décennies passant de la gastrite inflammatoire à l’atrophie étendue avec des zones de métaplasie intestinale. Ce cancer est dans la grande majorité la conséquence de l’infection par H. pylori dont l’évolution est aggravée par la réponse de l’hôte ou des facteurs intercurrents environnementaux. L’incidence de ce cancer est en diminution importante depuis la seconde moitié du XXe siècle. En revanche, l’incidence de l’adénocarcinome proximal ou du cardia est en augmentation modérée depuis 20 ans. Ce cancer est 5 fois plus fréquent chez les hommes que les femmes. Le principal facteur de risque est le reflux gastro-œsophagien. L’adénocarcinome de type diffus, représente 10 % des cancers gastriques. Son incidence est constante. Dix pour cent des cas sont de caractère héréditaire, principalement chez les sujets de moins de 40 ans. Mots clés : endoscopie, cancer gastrique, reflux gastro-œsophagien, H. pylori, adénocarcinome E doi: 10.1684/hpg.2008.0193 n termes de carcinogenèse et d’épidémiologie, le cancer gastrique doit être subdivisé en trois formes : adénocarcinome distal de type intestinal, adénocarcinome distal de type diffus et adénocarcinome proximal ou du cardia. L’adénocarcinome distal représente 75 % des cancers gastriques dans les pays occidentaux. L’adénocarcinome de type intestinal concerne 85 % des cancers distaux, la seconde 15 %. Épidémiologie de l’adénocarcinome distal de type intestinal Évolution de l’incidence Tirés à part : D. Lamarque Dans les années 1930, le cancer gastrique était la première cause de mortalité chez l’homme et la troisième chez la femme aux États-Unis. Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 101 Mini-revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Depuis cette période, l’incidence ne cesse de diminuer et à la fin du vingtième siècle, le cancer gastrique constituait la huitième cause de décès par cancer [1]. A l’échelon mondial, le cancer gastrique est le quatrième en incidence (9 %) après les cancers du poumon, du sein et colorectaux. Il représente 10 % des causes de mortalité de cancer, venant en second après le cancer du poumon [2]. Les deux tiers des adénocarcinomes gastriques distaux se développent dans les pays non industrialisés [3]. Le cancer gastrique n’est pas pour autant systématiquement associé au faible niveau de développement car son incidence est élevée au Japon ou au Portugal et faible en Gambie [2]. De grandes différences d’incidences sont observées à travers le monde : le cancer est 10 fois plus fréquent chez les Japonais vivant au Japon que chez les Blancs américains. Les incidences les plus importantes sont observées en Asie, en Europe de l’est et en Amérique centrale et du sud. Au Japon, le cancer gastrique reste la première cause de mortalité par cancer chez l’homme et la seconde chez la femme [4]. En France, l’incidence a également diminué dans les mêmes proportions et une publication de 1999 a montré une baisse de l’incidence de 20 % chez les hommes et de 30 % chez les femmes entre 1985 et 1995 [5, 6]. L’incidence globale du cancer gastrique en France est de 10 cas pour 100 000 habitants chez les hommes et de 5 cas pour 100 000 chez les femmes. On peut estimer que les adénocarcinomes distaux représentent deux tiers de ces cancers [2]. L’influence de la race sur l’incidence du cancer de type intestinal n’est décrite que chez les Noirs d’Amérique du nord qui ont un risque de cancer double de celui des Blancs, malgré la baisse de l’incidence observée depuis les années 1970 [7]. Une étude cas témoins montre que cette différence disparaît après ajustement sur le niveau socio-économique [8]. L’incidence est de 20 % plus élevée chez les Indiens d’Amérique que dans la population blanche américaine [9] mais là encore il est probable que des facteurs intercurrents environnementaux expliquent cette différence. En revanche, les facteurs qui favorisent le cancer chez les Asiatiques ne semblent pas liés à la race car il a été montré que l’incidence du cancer diminuait chez les enfants des Japonais et des Chinois ayant migré en Amérique du Nord [10]. L’âge moyen de survenue de l’adénocarcinome gastrique distal sur métaplasie intestinale est de 70 ans chez les hommes et de 74 ans chez les femmes. Le cancer est relativement rare avant 45 ans. L’incidence est deux fois plus importante chez l’homme que chez la femme et les courbes suggèrent que l’incidence chez les femmes est équivalente à celles des hommes de 10 ans plus jeunes. L’origine de cette différence 102 demeure mal expliquée. Il a été suggéré que les hormones féminines auraient un rôle protecteur [11]. Comme suggéré plus haut, l’incidence du cancer est plus élevée chez les sujets issus de faibles niveaux socio-économiques que chez les sujets de niveaux plus élevés de la même population [12-16]. La décroissance de l’incidence du cancer dans les années futures est sujette à caution parce que l’incidence est liée à l’âge et que la longévité des populations s’accroît, notamment dans les pays à développement industriel intermédiaire tels que la Chine ou l’Europe de l’est. La mortalité du cancer gastrique représente 80 % des cas incidents [17]. La mortalité est plus importante dans les populations de faible niveau socioéconomique parce que le diagnostic est plus tardif et le stade plus avancé [18]. L’amélioration de la survie a été relativement limitée ces 20 dernières années malgré les progrès de la chimiothérapie, si bien que la mortalité n’est pas différente entre les pays européens et le reste du monde, à l’exception du Japon [19, 20]. Dans ce pays, une politique de dépistage systématique a permis le diagnostic de cancer de petite taille et une baisse de 50 % de la mortalité en 30 ans [21]. Facteurs de risque du cancer gastrique distal L’adénocarcinome gastrique distal est de cause multifactorielle mais la cause prépondérante est l’infection par Helicobacter pylori (H. pylori). • L’infection par H. pylori H. pylori est une bactérie gram-négative qui colonise l’estomac humain et provoque une infection chronique. La prévalence de l’infection dans les différentes populations du globe dépend principalement de l’âge des sujets et de leurs conditions socio-économiques. Le seul réservoir de la bactérie est l’estomac humain et de nombreux arguments suggèrent une transmission directe interhumaine oro-orale ou oro-fécale par la salive, les vomissements et les selles diarrhéiques [22]. Ce mode de transmission est plus fréquent au cours de la petite enfance (avant 5 ans) et il est favorisé par de mauvaises conditions d’hygiène et la vie en promiscuité [23]. La transmission est principalement familiale et les enfants de sujets infectés sont plus souvent contaminés. Ces facteurs expliquent que la prévalence de l’infection est très forte dès l’enfance dans les pays en développement [24]. La prévalence est supérieure à 80 % en Europe de l’est, en Russie, en Afrique et au Sud-Est asiatique et elle atteint 60 % chez les enfants de moins de 10 ans. Chez les adultes des pays en développement, l’incidence de l’infection est estimée à 0,5 % par an. En revanche, dans les pays développés, la prévalence de l’infection est faible chez les enfants (inférieure à Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. 15 %). Dans les pays développés, la transmission s’effectue essentiellement par voie orale-orale par les vomissements et la salive des parents ou d’autres enfants. La contamination est plus fréquente chez les enfants séjournant en communauté, crèche ou garderie. Les adultes peuvent être contaminés surtout par contact avec du liquide gastrique, comme les endoscopistes ou les infirmières manipulant des sondes gastriques. On observe dans les pays développés un effet de cohorte expliqué par l’amélioration des conditions d’hygiène et socio-économiques depuis le début du XXe siècle. Ainsi la prévalence de l’infection était de 80 % chez les sujets nés au début du siècle dans les pays occidentaux. Il n’y a pas de lien entre infection et ethnie, sexe, consommation d’alcool ou de tabac. En France, la prévalence globale de l’infection est de 30 %. Elle varie de 5-15 % chez les sujets de moins de 20 ans à plus de 50 % chez les sujets de plus de 60 ans [25, 26]. L’évolution de la gastrite chronique induite par H. pylori est marquée par l’apparition d’une atrophie de la muqueuse et de lésions de métaplasie intestinale (figure 1). On admet selon le schéma de Corréa que 0,5 % à 2 % des patients infectés développent un adénocarcinome gastrique antral ou fundique après plusieurs décennies d’évolution de la gastrite [27]. Le développement de l’atrophie de la muqueuse gastrique dépend de la sévérité de la réponse inflammatoire. L’atrophie qui se définit par une déplétion des glandes est probablement la conséquence d’un défaut de remplacement des cellules disparaissant par apoptose, elle-même induite par l’inflammation. L’atrophie est associée à des facteurs de virulence bactériens qui sont pro-apoptotiques. Ces facteurs sont l’îlot de pathogéni- cité cag, l’adhésine babA2, les génotypes s1 et m1 de VacA et la protéine de la membrane externe, oipA [28]. In vivo, les mécanismes de l’apoptose dépendent largement de l’expression des cytokines proinflammatoires et de l’expression du complexe d’histocompatibilité de classe II [29]. Les cytokines proinflammatoires induisent l’apoptose en partie par induction de la NO (monoxyde d’azote) synthétase inductible (NOS II) qui libère du NO à forte concentration en phase aiguë de l’inflammation. Le NO dégrade l’ADN et occupe les noyaux héminiques des enzymes de la respiration mitochondriale. Les radicaux libres et le NO produits par les polynucléaires activés au contact de l’épithélium ont le même effet. Dans la muqueuse gastrique humaine infectée par H. pylori, l’accroissement de l’apoptose des cellules épithéliales est concomitant d’une augmentation de la prolifération cellulaire. Ainsi, un équilibre se constituerait entre les facteurs pro-apoptotiques et les facteurs prolifératifs dans l’épithélium de la muqueuse gastrique infectée. La rupture de cet équilibre au profit des facteurs prolifératifs pourrait favoriser la survenue du cancer gastrique. En cas d’infection chronique, l’infection par H. pylori modifie de façon complexe la régulation de la sécrétion acide. Elle exerce une action stimulatrice au niveau de l’antre et inhibitrice au niveau du fundus. Les cytokines pro-inflammatoires ont un rôle central dans ces modifications. Les interactions élémentaires de H. pylori avec des cellules endocrines ou pariétales ont des conséquences physiologiques différentes selon les sujets. La distribution de la gastrite chronique influence fondamentale- Muqueuse normale Âge Réversibilité H. pylori 15 Gastrite chronique active 100 + 40 Atrophie 50 +/- 50 Métaplasie intestinale 20 - Dysplasie 8 - Cancer gastrique 1 70 Figure 1. Cascade des anomalies histologiques gastriques conduisant au cancer. Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 103 Mini-revue Pangastrite Cellules inflammatoires Fundus H+ H+ Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Cellule pariétale TNF α IL1 β Antre H+ Figure 2. Inflammation fundique chez les patients normosécréteurs infectés par H. pylori. ment la sécrétion acide. Chez certains patients, une diminution de la sécrétion acide maximale stimulée est provoquée par l’infection et l’éradication s’accompagne d’une élévation de la sécrétion acide. La gastrite chronique observée chez ces patients a une localisation ubiquitaire, à la fois antrale et fundique. Il s’agit d’une pangastrite au cours de laquelle les lésions inflammatoires fundiques tendent à diminuer la sécrétion acide (figure 2). L’hypochlorhydrie accélère la carcinogenèse en inhibant la transformation des nitrites salivaires et en permettant la colonisation de l’estomac par des bactéries. Ces dernières convertissent les nitrites en nitrosamines qui seraient des substances carcinogènes [30]. Une étude prospective japonaise a montré que le risque de cancer gastrique est lié à l’existence d’une pangastrite (risque relatif de 15,6) ou d’une gastrite à prédominance fundique (risque relatif de 34,5) (figure 3) [31]. Une atrophie sévère de la muqueuse ou la présence d’une métaplasie intestinale était des facteurs de risque de cancer. D’un point de vue physiopathologique, l’hypochlorhydrie est induite par les cytokines TNFa et IL-1b qui inhibent la production d’acide par les cellules pariétales. L’apparition d’une hypochlorhydrie associée à la gastrite chronique est conditionnée par des facteurs héréditaires. La détermination de la prévalence de l’atrophie et de l’hypochlorhydrie chez les patients 104 apparentés au premier degré de malades ayant un adénocarcinome gastrique montre que les apparentés H. pylori positifs développent dans la moitié des cas une atrophie et dans 40 % des cas une hypochlorhydrie [32, 33]. Cette atrophie ou hypochlorhydrie n’est pas trouvée chez les patients non infectés par H. pylori ni chez les sujets témoins sans antécédents familiaux de cancer gastrique qu’ils soient H. pylori positif ou négatif. L’hypochlorhydrie observée chez les apparentés des sujets ayant un cancer est liée, au moins en partie, à l’action antisécrétoire de l’IL-1b et du TNFa dont la production est dépendante du génotype du gène codant pour cette protéine. IL-1 b et TNFa antagonisent la sécrétion acide stimulée par la gastrine [34]. La sévérité de l’inflammation est dépendante de la production d’interleukines pro-inflammatoires qui est plus abondante chez les malades ayant un génotype particulier de l’IL-1b (TT ou CT sur le locus 511) et du gène IL-1 RN, codant pour l’antagoniste de son récepteur IL-1 ra, sur une séquence de répétition variable localisée sur le second intron. Les génotypes pro-inflammatoires du locus 511 de l’IL-1b sont associés à des grades élevés d’inflammation et d’atrophie de la muqueuse et à l’hypochlorhydrie chez les patients de plus de 60 ans (figure 4) [35]. Les génotypes de virulence de H. pylori VacAs1, VacAm1 et CagA ont été également associés au risque de cancer gastrique avec des odds-ratio de 17, 6,5 et Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 H. pylori positifs (n = 1246) n° H. pylori positifs avec cancer (n = 36) (%) Risque relatif Degré d'atrophie - absente ou légère - modéré - sévère 381 657 208 (0,8) (2,7) (7,2) 1,0 1,7 4,9 Distribution de la gastrite - prédominance dans l'antre - pangastrique - prédominance dans le corps 699 337 210 (0,3) (4,2) (9,5) 1,0 15,6 34,5 Métaplasie intestinale - absente - présente 782 464 (0,8) (6,5) 1,0 6,4 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Anomalies à l'entrée de l'étude Figure 3. Développement de cancer gastrique chez les malades H. pylori positifs selon les anomalies (d’après [31]). 15, respectivement. La combinaison d’un de ces génotypes bactériens avec le génotype TT de l’IL-1b-511 accroît le risque de cancer. • Les facteurs diététiques Le rôle carcinogène de H. pylori est accentué par certains facteurs environnementaux. Ainsi, du fait de ces facteurs, la sévérité de l’inflammation provoquée par les polymorphismes inflammatoires joue un rôle moins important dans les régions à forte incidence de cancer gastrique [36]. Plusieurs études cas contrôle ont montré que la consommation de forte quantité de sel accroît le risque de cancer gastrique [36-42]. Une étude de cohorte était réalisée chez 39 000 sujets suivis pendant 11 années au Japon [43]. Un cancer gastrique était diagnostiqué chez 486 sujets durant le suivi. Une association forte entre la consommation élevée de sel et le cancer était trouvée chez les sujets masculins. La consommation de poisson salé était un facteur de risque dans les deux groupes. Plus récemment, une étude de cohorte [44] de 2 476 sujets suivis pendant 14 ans a évalué l’incidence du cancer gastrique en fonction de la consommation de sel distinguée en 4 groupes : de moins de 10 g par jour à plus de 16 g par jour. Le risque de cancer, observé chez 93 sujets, était augmenté en proportion de la consommation de sel : odds ratio de 2,4 à partir Atrophie Inflammation Fundus 3 Fundus 3 2,5 2,5 2 C/C 1,5 C/T T/T 1 C/T 1,5 T/T 1 0,5 0 C/C 2 0,5 < 60 > 60 HP positif < 60 > 60 0 < 60 > 60 HP positif Hp négatif < 60 > 60 Hp négatif Figure 4. Génotype IL-1, inflammation et atrophie fundique (d’après [35]). Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 105 Mini-revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. de 10 g/j et odds ratio de 3,0 en cas de consommation de plus de 16 g/j. Après ajustement sur différents facteurs de risque (âge, H. pylori, sexe, tabagisme, histoire familiale de cancer, atrophie de la muqueuse gastrique) l’association cancer et consommation élevée de sel se révélait particulièrement forte chez les patients infectés par H. pylori et ceux ayant une gastrite atrophique. Enfin, la forte consommation de sel augmente la fréquence des cancers chez les rats exposés expérimentalement à une substance carcinogène [45]. Un régime riche en fruits et légumes paraît réduire le risque de cancer gastrique. En fait, la réduction de ce risque paraît relativement limitée avec une diminution de 10 % qui surtout n’est pas constamment retrouvée par les études cas témoins [46, 47]. Une étude de cohorte européenne ayant suivi plus de 500 000 personnes pendant 6,5 années [47, 48] a recensé 330 cas de cancer gastrique distaux. Aucun lien n’était trouvé entre la consommation de fruits et de légumes et la survenue de ces cancers. Des essais randomisés ou d’intervention avec administration d’antioxydants n’ont pas permis de montrer de modification de lésions dysplasiques ou de métaplasie intestinale malgré un suivi prolongé jusqu’à 6 ans [49-53]. Le risque de cancer gastrique attribué à H. pylori a été rapproché d’une réduction de la concentration de vitamine C dans la lumière gastrique secondaire à l’infection. L’éradication de la bactérie s’accompagne d’une augmentation de cette concentration. Aucune étude de cohorte n’a cependant montré que la seule supplémentation en vitamine C permettait d’atténuer les lésions prénéoplasiques [50, 53]. • Le tabac La consommation de tabac est associée à la survenue de cancer gastrique. Une étude de cohorte japonaise a montré que ce risque était proportionnel à la quantité de cigarettes fumées par jour [54]. Des données identiques ont été montrées dans la population européenne dont un échantillon de 500 000 sujets a été suivi pendant 11 années. Trois cent cinq cas de cancers gastriques ont été observés et l’odds ratio des patients tabagiques était de 1,73 (IC 95 % = 1,06-2,83) chez les hommes et de 1,87 (IC 95 % = 1,12-3,12) chez les femmes [55]. La consommation d’alcool ne semble pas modifier le risque sauf chez les sujets tabagiques où l’effet des deux facteurs se combine [56]. • Autres états prénéoplasiques Ces états associent l’atrophie et l’hypochlorhydrie. Il s’agit de la maladie de Biermer dont le risque de cancer est évalué à 1 à 2 % par an [57] et des 106 moignons gastriques dont le risque est estimé à 3 % de cancer et 10 % des lésions dysplasiques 20 ans après gastrectomie partielle [58]. Épidémiologie de l’adénocarcinome proximal ou adénocarcinome du cardia Évolution de l’incidence L’incidence de l’adénocarcinome du cardia et du bas œsophage est en augmentation depuis les années 1970. Dans les années 1980, une augmentation de 5 à 10 % par an de l’incidence des cancers du cardia a été relevée aux États-Unis [59]. L’incidence a également triplé au Royaume Uni entre 1962 et 1987 [60]. Il existe beaucoup d’études sur les facteurs de risque du cancer du cardia mais peu distinguent les différents sous-types de tumeurs selon leur localisation anatomique. Les adénocarcinomes du cardia intéressant l’estomac proximal excluent les tumeurs du bas œsophage (stade I de la classification de Stiewert) [61]. Facteurs de risque du cancer gastrique proximal • Influence de la race, du sexe et de l’âge Une augmentation d’incidence de 5,6 % par an chez les mâles caucasiens a été observée dans un registre nord-américain entre 1992 et 1998 [62]. L’incidence atteignait 4,2 pour 100 000/an et était 4 fois plus importante que celle de la population noire ou indienne nord-américaine. L’adénocarcinome du cardia représente jusqu’à 50 % des cancers gastriques dans la population caucasienne nord-américaine. Le sex ratio est de 5 hommes pour une femme [63]. L’incidence s’accroît avec l’âge avec un pic entre 55 et 65 ans [64]. L’augmentation récente de la fréquence du cancer du cardia est observée principalement chez les patients de plus de 65 ans [63, 65]. • Le reflux gastro-œsophagien L’association entre l’adénocarcinome proximal de l’estomac et les symptômes de reflux gastroœsophagien a été montrée mais son degré est moins élevé que pour l’adénocarcinome du bas œsophage (Stade I) [66]. Une étude cas témoin chez 167 patients atteints d’adénocarcinome du cardia a montré par rapport à une population témoin que le risque d’adénocarcinome du bas œsophage chez les patients ayant des symptômes de RGO était de 7,7 (intervalle de confiance : 5,311,4). En revanche, le risque d’adénocarcinome du cardia était de 2,0 (intervalle de confiance : 1,4- 2,9) Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. chez ces patients. En cas de symptômes sévères de reflux gastro-œsophagien, le risque était plus élevé chez les patients ayant un adénocarcinome du bas œsophage (odds ratio : 43,5 ; intervalle de confiance = 18,3-103,5) que chez les patients ayant un adénocarcinome du cardia (odds ratio : 4.4 ; intervalle de confiance = 1,7-11,0). Il a été évoqué que le reflux gastro-œsophagien provoquant les lésions du cardia serait de faible amplitude et non susceptible de provoquer des symptômes ou d’être détecté par la ph-métrie. Le cardia serait également exposé à des composés nitrosylés potentiellement carcinogènes [67]. Ces composés seraient issus de la conversion rapide de nitrites de la salive sous l’influence de l’acidité gastrique. Ces nitrites sont issus de la conversion des nitrates contenus dans des végétaux exposés aux engrais industriels. Bien que séduisante, cette théorie n’a pas encore été soutenue par des données épidémiologiques. Les relations entre l’infection par H. pylori et le cancer du cardia sont moins claires que pour l’adénocarcinome du bas œsophage. Pour celui-ci, il existe une relation inverse entre le risque d’adénocarcinome et l’infection. En revanche des études cas témoins qui distinguent les facteurs de risque des deux localisations de cancer, montrent que l’adénocarcinome du cardia est lié à l’infection par H. pylori et à l’atrophie avec des odds ratio de 2,1 (IC 95 % = 1,1 à 4,0) et 4,3 (IC 95 % = 1,9 à 9,6) respectivement. Une récente étude cas témoin britannique a permis de distinguer des facteurs de risque en fonction de l’existence de marqueurs sérique d’atrophie du corps gastrique [68]. Cette étude a inclus 44 patients ayant un cancer du cardia excluant les cancers du bas œsophage. L’atrophie était affirmée par le dosage du pepsinogène. Les patients ayant une atrophie avaient plus fréquemment une sérologie H. pylori positive et une répartition égale d’adénocarcinomes de type intestinal et de type diffus. Cette répartition était identique à une population de 129 témoins atteints de cancers gastriques distaux. Les patients sans atrophie avaient plus fréquemment une sérologie H. pylori négative et des adénocarcinomes de type intestinal. Ces résultats suggèrent qu’une partie des adénocarcinomes du cardia ont la même pathogénie que les adénocarcinomes distaux provoqués par H. pylori et que l’autre partie aurait une pathogénie proche de celle des adénocarcinomes du bas œsophage puisque le type histologique est similaire. Ce mélange de deux types de cancer d’épidémiologie différente pourrait expliquer pourquoi l’augmentation de l’incidence des cancers du cardia (stade II de la classification de Stiewert) n’est pas aussi rapide que celles des cancers du bas œsophage (stade I de cette classification) [69]. • Autres facteurs L’obésité est un facteur de risque du cancer du cardia. Les études cas témoins ont montré un lien fort entre l’index de masse corporelle et le risque de cancer, particulièrement chez les patients de moins de 50 ans [70]. Le rôle de l’obésité dans la carcinogenèse n’est pas clair. L’intrication du reflux gastro-œsophagien avec l’obésité n’est pas admise. Certaines études ont montré que le risque de cancer était présent même en absence de symptômes de reflux [66, 70]. En revanche, l’association de ces symptômes et d’une obésité était multiplicative, l’odds ratio atteignant 12 en comparaison de patient non obèse et ne souffrant pas de reflux [71]. Le tabac ou la consommation d’alcool ne semble pas jouer de rôle dans la carcinogenèse de l’adénocarcinome du cardia. Épidémiologie de l’adénocarcinome diffus de l’estomac Évolution de l’incidence Les adénocarcinomes de type diffus représentent 10 % des adénocarcinomes gastriques. La répartition géographique de type de cancer est homogène à travers le monde [72]. Le sex ratio est d’un. L’incidence est en augmentation constante. Elle a triplé aux États-Unis de 1973 à 2000 (de 0,3 cas à 1,8 cas pour 100 000 habitants) [7]. Ces cancers surviennent plus jeunes, en moyenne 7 ans que les cancers de type intestinal [73]. D’après une série chirurgicale nationale allemande, plus de la moitié des cancers diffus surviennent avant 60 ans en comparaison d’un tiers des cancers de type intestinal. Les facteurs de risque de l’adénocarcinome diffus Il existe une association avec le groupe sanguin A (présent dans 40 % des cas de cancer) [74]. Une méta-analyse sur les études cas témoins a montré que l’infection par H. pylori est associée au cancer diffus avec le même odds ratio que pour les cancers de type intestinal [75]. Cette association paraît plus forte chez les patients jeunes. Les mécanismes de la carcinogenèse conduisant de la gastrite au cancer sans évolution vers l’atrophie restent mal élucidés (figure 5). Il est estimé que 10 % des cancers diffus sont de caractère héréditaire [76]. Les antécédents familiaux apparaissent comme des facteurs indépendants de cancer et en particulier de cancer diffus par rapport à H. pylori [33, 77]. Les cancers héréditaires doivent être suspectés chez des patients ayant un cancer gas- Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008 107 Mini-revue Âge Muqueuse normale H. pylori 15 Gastrite chronique active Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Dysplasie 40 Cancer gastrique Figure 5. Cascade des anomalies histologiques gastriques conduisant au cancer diffus. trique de type diffus avant 45 ans [78]. Le caractère héréditaire est affirmé par des critères internationaux : soit famille avec deux cas documentés de cancer diffus chez des apparentés au premier ou au second degré, avec un cas avant l’âge de 50 ans, soit trois cas de cancer diffus chez des apparentés de premier ou de second degré, quel que soit l’âge [79]. Une mutation du gène CDH-1 qui code pour la E-cadhérine est retrouvée chez 30 % des patients ayant un cancer diffus dans un contexte héréditaire [80]. La E-cadhérine est une glycoprotéine impliquée dans l’adhésion intercellulaire. Plus de 30 mutations ont été décrites principalement dans des familles d’origine européenne. En cas de mutation, le risque cumulé de cancer est de 80 % à l’âge de 80 ans [81]. D’autres mutations ont été décrites, notamment BRCA2 dans des familles juives ashkénazes, qui est muté également en cas de cancer du sein [82]. Chez ces patients ayant un cancer gastrique avant 45 ans, le risque de cancer familial est multiplié par 7 pour les parents au premier degré ce qui pose le problème d’un diagnostic de susceptibilité génétique [83, 84]. Il est actuellement recommandé de faire un dépistage d’une mutation du gène CDH-1 chez les patients ayant un cancer gastrique de type diffus avant l’âge de 45 ans [85-87]. Chez les sujets apparentés atteints de la mutation, une endoscopie sera proposée, même aux sujets de moins de 20 ans chez lesquels des lésions dysplasiques ont été décrites. La gastrectomie prophylactique a été proposée dans ces cas [88, 89]. 108 Les cancers gastriques associés aux syndromes de prédisposition héréditaire Un à trois pour cent des cancers gastriques surviennent chez des patients atteints d’un syndrome de prédisposition héréditaire : HNPCC (hereditary non-polyposis colorectal cancer), polypose adénomateuse familiale ou Peutz-Jeghers [90]. Le risque cumulé de cancer gastrique est de 15 % dans les deux premiers syndromes et de 30 % dans le troisième [83]. Ces cancers sont en grande majorité de type intestinal et d’autres formes familiales ont été identifiées sans qu’aucune mutation n’ait été isolée. Néanmoins, des critères de cancers familiaux de type intestinal ont été édictés, en analogie avec les critères d’Amsterdam établis pour dépister les syndromes HNPCC : trois cas de cancer de type intestinal dans une famille avec un lien au premier degré entre un membre atteint de la famille et les deux autres ; deux générations successives atteintes ; au moins, un des cas diagnostiqué avant 50 ans. Conclusion D’un point de vue épidémiologique, il est probable que l’incidence du cancer gastrique distal continue à diminuer dans les prochaines décennies et que les cancers du cardia viennent à constituer la majorité des cas. Le caractère héréditaire des cancers gastriques diffus doit être systématiquement évoqué chez des sujets de moins de 40 ans. Références 1. Pisani P, Bray F, Parkin DM. Estimates of the world-wide prevalence of cancer for 25 sites in the adult population. Int J Cancer 2002 ; 97 : 72-81. 2. Parkin DM, Bray F, Ferlay J, Pisani P. Global cancer statistics, 2002. CA Cancer J Clin 2005 ; 55 : 74-108. 3. Pisani P, Parkin DM, Bray F, Ferlay J. Estimates of the worldwide mortality from 25 cancers in 1990. Int J Cancer 1999 ; 83 : 18-29. 4. Inoue M, Tsugane S. Epidemiology of gastric cancer in Japan. Postgrad Med J 2005 ; 81 : 419-24. 5. Bouvier AM, Esteve J, Mitry E, Clinard F, Bonithon-Kopp C, Faivre J. Trends in gastric cancer incidence in a well-defined French population by time period and birth cohort. Eur J Cancer Prev 2002 ; 11 : 221-7. 6. Benhamiche AM, Colonna M, Aptel I, Launoy G, Schaffer P, Arveux P, et al. Estimation de l’incidence des cancers du tube digestif par région. 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