Mini-revue
Épidémiologie
de l’adénocarcinome
de l’estomac
Dominique Lamarque
Unité d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Hôtel-dieu de Paris,
Place du Parvis de Notre Dame, 75181 Paris Cedex 04
D’un point de vue épidémiologique, le cancer gastrique doit être
distingué selon sa localisation et sa classification anatomo-
pathologique (diffus ou de type intestinal). L’adénocarcinome distal
de type intestinal survient au décours de l’évolution d’un processus
de plusieurs décennies passant de la gastrite inflammatoire à
l’atrophie étendue avec des zones de métaplasie intestinale. Ce
cancer est dans la grande majorité la conséquence de l’infection
par H. pylori dont l’évolution est aggravée par la réponse de l’hôte
ou des facteurs intercurrents environnementaux. L’incidence de ce
cancer est en diminution importante depuis la seconde moitié du
XX
e
siècle. En revanche, l’incidence de l’adénocarcinome proxi-
mal ou du cardia est en augmentation modérée depuis 20 ans. Ce
cancer est 5 fois plus fréquent chez les hommes que les femmes. Le
principal facteur de risque est le reflux gastro-œsophagien. L’adé-
nocarcinome de type diffus, représente 10 % des cancers gastri-
ques. Son incidence est constante. Dix pour cent des cas sont de
caractère héréditaire, principalement chez les sujets de moins de
40 ans.
Mots clés : endoscopie, cancer gastrique, reflux gastro-œsophagien, H. pylori,
adénocarcinome
En termes de carcinogenèse et d’épidémiologie, le cancer gastrique
doit être subdivisé en trois formes : adénocarcinome distal de type
intestinal, adénocarcinome distal de type diffus et adénocarci-
nome proximal ou du cardia. L’adénocarcinome distal représente 75 %
des cancers gastriques dans les pays occidentaux.
L’adénocarcinome de type intestinal concerne 85 % des cancers distaux,
la seconde 15 %.
Épidémiologie de l’adénocarcinome distal de type
intestinal
Évolution de l’incidence
Dans les années 1930, le cancer gastrique était la première cause de
mortalité chez l’homme et la troisième chez la femme aux États-Unis.
Hépato-Gastro, vol. 15, n°2, mars-avril 2008
Tirés à part : D. Lamarque
101
doi: 10.1684/hpg.2008.0193
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Depuis cette période, l’incidence ne cesse de diminuer
et à la fin du vingtième siècle, le cancer gastrique
constituait la huitième cause de décès par cancer [1].
A l’échelon mondial, le cancer gastrique est le qua-
trième en incidence (9 %) après les cancers du pou-
mon, du sein et colorectaux. Il représente 10 % des
causes de mortalité de cancer, venant en second après
le cancer du poumon [2]. Les deux tiers des adénocar-
cinomes gastriques distaux se développent dans les
pays non industrialisés [3]. Le cancer gastrique n’est
pas pour autant systématiquement associé au faible
niveau de développement car son incidence est élevée
au Japon ou au Portugal et faible en Gambie [2]. De
grandes différences d’incidences sont observées à tra-
vers le monde : le cancer est 10 fois plus fréquent chez
les Japonais vivant au Japon que chez les Blancs
américains. Les incidences les plus importantes sont
observées en Asie, en Europe de l’est et en Amérique
centrale et du sud. Au Japon, le cancer gastrique reste
la première cause de mortalité par cancer chez
l’homme et la seconde chez la femme [4].
En France, l’incidence a également diminué dans les
mêmes proportions et une publication de 1999 a
montré une baisse de l’incidence de 20 % chez les
hommes et de 30 % chez les femmes entre 1985
et 1995 [5, 6]. L’incidence globale du cancer gastri-
que en France est de 10 cas pour 100 000 habitants
chez les hommes et de 5 cas pour 100 000 chez les
femmes. On peut estimer que les adénocarcinomes
distaux représentent deux tiers de ces cancers [2].
L’influence de la race sur l’incidence du cancer de type
intestinal n’est décrite que chez les Noirs d’Amérique
du nord qui ont un risque de cancer double de celui des
Blancs, malgré la baisse de l’incidence observée
depuis les années 1970 [7]. Une étude cas témoins
montre que cette différence disparaît après ajustement
sur le niveau socio-économique [8]. L’incidence est de
20 % plus élevée chez les Indiens d’Amérique que
dans la population blanche américaine [9] mais là
encore il est probable que des facteurs intercurrents
environnementaux expliquent cette différence.
En revanche, les facteurs qui favorisent le cancer chez
les Asiatiques ne semblent pas liés à la race car il a été
montré que l’incidence du cancer diminuait chez les
enfants des Japonais et des Chinois ayant migré en
Amérique du Nord [10].
L’âge moyen de survenue de l’adénocarcinome gastri-
que distal sur métaplasie intestinale est de 70 ans chez
les hommes et de 74 ans chez les femmes. Le cancer
est relativement rare avant 45 ans. L’incidence est
deux fois plus importante chez l’homme que chez la
femme et les courbes suggèrent que l’incidence chez
les femmes est équivalente à celles des hommes de
10 ans plus jeunes. L’origine de cette différence
demeure mal expliquée. Il a été suggéré que les hor-
mones féminines auraient un rôle protecteur [11].
Comme suggéré plus haut, l’incidence du cancer est
plus élevée chez les sujets issus de faibles niveaux
socio-économiques que chez les sujets de niveaux plus
élevés de la même population [12-16].
La décroissance de l’incidence du cancer dans les
années futures est sujette à caution parce que l’inci-
dence est liée à l’âge et que la longévité des popula-
tions s’accroît, notamment dans les pays à développe-
ment industriel intermédiaire tels que la Chine ou
l’Europe de l’est.
La mortalité du cancer gastrique représente 80 % des
cas incidents [17]. La mortalité est plus importante
dans les populations de faible niveau socio-
économique parce que le diagnostic est plus tardif et le
stade plus avancé [18]. L’amélioration de la survie a
été relativement limitée ces 20 dernières années mal-
gré les progrès de la chimiothérapie, si bien que la
mortalité n’est pas différente entre les pays européens
et le reste du monde, à l’exception du Japon [19, 20].
Dans ce pays, une politique de dépistage systématique
a permis le diagnostic de cancer de petite taille et une
baisse de 50 % de la mortalité en 30 ans [21].
Facteurs de risque du cancer gastrique distal
L’adénocarcinome gastrique distal est de cause multi-
factorielle mais la cause prépondérante est l’infection
par Helicobacter pylori (H. pylori).
L’infection par H. pylori
H. pylori est une bactérie gram-négative qui colonise
l’estomac humain et provoque une infection chronique.
La prévalence de l’infection dans les différentes popu-
lations du globe dépend principalement de l’âge des
sujets et de leurs conditions socio-économiques.
Le seul réservoir de la bactérie est l’estomac humain et
de nombreux arguments suggèrent une transmission
directe interhumaine oro-orale ou oro-fécale par la
salive, les vomissements et les selles diarrhéiques [22].
Ce mode de transmission est plus fréquent au cours de
la petite enfance (avant 5 ans) et il est favorisé par de
mauvaises conditions d’hygiène et la vie en promis-
cuité [23]. La transmission est principalement familiale
et les enfants de sujets infectés sont plus souvent conta-
minés. Ces facteurs expliquent que la prévalence de
l’infection est très forte dès l’enfance dans les pays en
développement [24]. La prévalence est supérieure à
80 % en Europe de l’est, en Russie, en Afrique et au
Sud-Est asiatique et elle atteint 60 % chez les enfants
de moins de 10 ans. Chez les adultes des pays en
développement, l’incidence de l’infection est estimée à
0,5 % par an.
En revanche, dans les pays développés, la prévalence
de l’infection est faible chez les enfants (inférieure à
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15 %). Dans les pays développés, la transmission
s’effectue essentiellement par voie orale-orale par les
vomissements et la salive des parents ou d’autres
enfants. La contamination est plus fréquente chez les
enfants séjournant en communauté, crèche ou garde-
rie. Les adultes peuvent être contaminés surtout par
contact avec du liquide gastrique, comme les endosco-
pistes ou les infirmières manipulant des sondes gastri-
ques. On observe dans les pays développés un effet de
cohorte expliqué par l’amélioration des conditions
d’hygiène et socio-économiques depuis le début du
XX
e
siècle. Ainsi la prévalence de l’infection était de
80 % chez les sujets nés au début du siècle dans les
pays occidentaux. Il n’y a pas de lien entre infection et
ethnie, sexe, consommation d’alcool ou de tabac.
En France, la prévalence globale de l’infection est de
30 %. Elle varie de 5-15 % chez les sujets de moins de
20 ans à plus de 50 % chez les sujets de plus de
60 ans [25, 26]. L’évolution de la gastrite chronique
induite par H. pylori est marquée par l’apparition
d’une atrophie de la muqueuse et de lésions de méta-
plasie intestinale (figure 1). On admet selon le schéma
de Corréa que 0,5 % à 2 % des patients infectés
développent un adénocarcinome gastrique antral ou
fundique après plusieurs décennies d’évolution de la
gastrite [27].
Le développement de l’atrophie de la muqueuse gastri-
que dépend de la sévérité de la réponse inflammatoire.
L’atrophie qui se définit par une déplétion des glandes
est probablement la conséquence d’un défaut de rem-
placement des cellules disparaissant par apoptose,
elle-même induite par l’inflammation. L’atrophie est
associée à des facteurs de virulence bactériens qui sont
pro-apoptotiques. Ces facteurs sont l’îlot de pathogéni-
cité cag, l’adhésine babA2, les génotypes s1 et m1 de
VacA et la protéine de la membrane externe, oipA
[28].
In vivo, les mécanismes de l’apoptose dépendent lar-
gement de l’expression des cytokines proinflammatoi-
res et de l’expression du complexe d’histocompatibilité
de classe II [29]. Les cytokines proinflammatoires indui-
sent l’apoptose en partie par induction de la NO
(monoxyde d’azote) synthétase inductible (NOS II) qui
libère du NO à forte concentration en phase aiguë de
l’inflammation. Le NO dégrade l’ADN et occupe les
noyaux héminiques des enzymes de la respiration
mitochondriale. Les radicaux libres et le NO produits
par les polynucléaires activés au contact de l’épithé-
lium ont le même effet.
Dans la muqueuse gastrique humaine infectée par
H. pylori, l’accroissement de l’apoptose des cellules
épithéliales est concomitant d’une augmentation de la
prolifération cellulaire. Ainsi, un équilibre se constitue-
rait entre les facteurs pro-apoptotiques et les facteurs
prolifératifs dans l’épithélium de la muqueuse gastrique
infectée. La rupture de cet équilibre au profit des
facteurs prolifératifs pourrait favoriser la survenue du
cancer gastrique.
En cas d’infection chronique, l’infection par H. pylori
modifie de façon complexe la régulation de la sécré-
tion acide. Elle exerce une action stimulatrice au niveau
de l’antre et inhibitrice au niveau du fundus. Les cyto-
kines pro-inflammatoires ont un rôle central dans ces
modifications.
Les interactions élémentaires de H. pylori avec des
cellules endocrines ou pariétales ont des conséquences
physiologiques différentes selon les sujets. La distribu-
tion de la gastrite chronique influence fondamentale-
Muqueuse normale
Gastrite chronique active
Atrophie
Métaplasie intestinale
Dysplasie
Cancer gastrique
Réversibilité
100
50
20
8
1
+
+/-
-
-
Âge
15
40
50
70
H. pylori
Figure 1.Cascade des anomalies histologiques gastriques conduisant au cancer.
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ment la sécrétion acide. Chez certains patients, une
diminution de la sécrétion acide maximale stimulée est
provoquée par l’infection et l’éradication s’accompa-
gne d’une élévation de la sécrétion acide. La gastrite
chronique observée chez ces patients a une localisa-
tion ubiquitaire, à la fois antrale et fundique. Il s’agit
d’une pangastrite au cours de laquelle les lésions
inflammatoires fundiques tendent à diminuer la sécré-
tion acide (figure 2). L’hypochlorhydrie accélère la
carcinogenèse en inhibant la transformation des nitri-
tes salivaires et en permettant la colonisation de l’esto-
mac par des bactéries. Ces dernières convertissent les
nitrites en nitrosamines qui seraient des substances
carcinogènes [30].
Une étude prospective japonaise a montré que le
risque de cancer gastrique est lié à l’existence d’une
pangastrite (risque relatif de 15,6) ou d’une gastrite à
prédominance fundique (risque relatif de 34,5)
(figure 3) [31]. Une atrophie sévère de la muqueuse ou
la présence d’une métaplasie intestinale était des fac-
teurs de risque de cancer.
D’un point de vue physiopathologique, l’hypochlorhy-
drie est induite par les cytokines TNFaet IL-1bqui
inhibent la production d’acide par les cellules parié-
tales.
L’apparition d’une hypochlorhydrie associée à la gas-
trite chronique est conditionnée par des facteurs héré-
ditaires. La détermination de la prévalence de l’atro-
phie et de l’hypochlorhydrie chez les patients
apparentés au premier degré de malades ayant un
adénocarcinome gastrique montre que les apparentés
H. pylori positifs développent dans la moitié des cas
une atrophie et dans 40 % des cas une hypochlorhy-
drie [32, 33]. Cette atrophie ou hypochlorhydrie n’est
pas trouvée chez les patients non infectés par H. pylori
ni chez les sujets témoins sans antécédents familiaux
de cancer gastrique qu’ils soient H. pylori positif ou
négatif.
L’hypochlorhydrie observée chez les apparentés des
sujets ayant un cancer est liée, au moins en partie, à
l’action antisécrétoire de l’IL-1bet du TNFadont la
production est dépendante du génotype du gène
codant pour cette protéine. IL-1 bet TNFaantagonisent
la sécrétion acide stimulée par la gastrine [34]. La
sévérité de l’inflammation est dépendante de la pro-
duction d’interleukines pro-inflammatoires qui est plus
abondante chez les malades ayant un génotype parti-
culier de l’IL-1b(TT ou CT sur le locus 511) et du gène
IL-1 RN, codant pour l’antagoniste de son récepteur IL-1
ra, sur une séquence de répétition variable localisée
sur le second intron.
Les génotypes pro-inflammatoires du locus 511 de
l’IL-1bsont associés à des grades élevés d’inflamma-
tion et d’atrophie de la muqueuse et à l’hypochlorhy-
drie chez les patients de plus de 60 ans (figure 4) [35].
Les génotypes de virulence de H. pylori VacAs1,
VacAm1 et CagA ont été également associés au risque
de cancer gastrique avec des odds-ratio de 17, 6,5 et
Cellules inflammatoires
Pangastrite
H+
Cellule pariétale
Fundus
Antre
H+
H+ TNF
α
IL1β
Figure 2.Inflammation fundique chez les patients normosécréteurs infectés par H. pylori.
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15, respectivement. La combinaison d’un de ces géno-
types bactériens avec le génotype TT de l’IL-1b-511
accroît le risque de cancer.
Les facteurs diététiques
Le rôle carcinogène de H. pylori est accentué par
certains facteurs environnementaux. Ainsi, du fait de
ces facteurs, la sévérité de l’inflammation provoquée
par les polymorphismes inflammatoires joue un rôle
moins important dans les régions à forte incidence de
cancer gastrique [36].
Plusieurs études cas contrôle ont montré que la consom-
mation de forte quantité de sel accroît le risque de
cancer gastrique [36-42]. Une étude de cohorte était
réalisée chez 39 000 sujets suivis pendant 11 années
au Japon [43]. Un cancer gastrique était diagnostiqué
chez 486 sujets durant le suivi. Une association forte
entre la consommation élevée de sel et le cancer était
trouvée chez les sujets masculins. La consommation de
poisson salé était un facteur de risque dans les deux
groupes.
Plus récemment, une étude de cohorte [44] de 2 476
sujets suivis pendant 14 ans a évalué l’incidence du
cancer gastrique en fonction de la consommation de
sel distinguée en 4 groupes : de moins de 10 g par
jour à plus de 16 g par jour. Le risque de cancer,
observé chez 93 sujets, était augmenté en proportion
de la consommation de sel : odds ratio de 2,4 à partir
Degré d'atrophie
- absente ou légère
- modéré
- sévère
Distribution de la gastrite
- prédominance dans l'antre
- pangastrique
- prédominance dans le corps
Métaplasie intestinale
- absente
- présente
Anomalies
à l'entrée
de l'étude
381
H. pylori
positifs
(n
=
1246)
657
208
699
337
210
782
464
H. pylori
positifs
avec cancer
(n
=
36)
(%)
(0,8)
(2,7)
(7,2)
(0,3)
(4,2)
(9,5)
(0,8)
(6,5)
Risque
relatif
1,0
1,7
4,9
1,0
15,6
34,5
1,0
6,4
Figure 3.Développement de cancer gastrique chez les malades H. pylori positifs selon les anomalies (d’après [31]).
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
Fundus
<
60 >
60 <
60 >
60
HP positif Hp négatif
C/C
C/T
T/T
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
Fundus
<
60 >
60 <
60 >
60
HP positif Hp négatif
C/C
C/T
T/T
Inflammation Atrophie
Figure 4.Génotype IL-1, inflammation et atrophie fundique (d’après [35]).
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