MICI EVIDENCE-BASED MEDICINE Comment prévenir et traiter la récidive postopératoire dans la maladie de Crohn ? A. Buisson (Clermont-Ferrand) À Quels traitements pour prévenir la récidive postopératoire ? Les 5-aminosalicylés (5-ASA) ont été largement étudiés en prévention de la RPO. Les données de la littérature sont discordantes mais 2 récentes métaanalyses semblent montrer un très léger bénéfice de la mésalazine malgré une grande hétérogénéité de posologies (1). Les antibiotiques nitro-imidazolés (métronidazole [20 mg/kg/j], ornidazole [1 g/j]) ont montré une diminution significative du taux de RPO clinique et endoscopique au prix de nombreux effets indésirables conduisant près de 1 patient sur 5 à arrêter ces traitements (1). Les thiopurines (azathioprine [AZA] 2-2,5 mg/kg/j ou 6-mercaptopurine) ont montré une plus grande effi- Ce qu’il faut retenir La récidive postopératoire (RPO) endoscopique ou clinique est fréquente dans la maladie de Crohn (MC). Les patients doivent être stratifiés selon le niveau de risque de RPO. Un sevrage tabagique doit être proposé à tout patient fumeur. En prévention de la RPO, les 5-ASA ont une efficacité discutable ; les thiopurines parfois associées au métronidazole ont une efficacité démontrée, mais limitée alors que les anti-TNF semblent très efficaces. Les patients à faibles risques peuvent être surveillés ou traités par 5-ASA. Ceux ayant un seul facteur de risque peuvent être traités par thiopurines (± métronidazole). Quant aux patients ayant au moins 2 facteurs de risque ou traités en préopératoire par anti-TNF depuis au moins 6 mois, ils devraient bénéficier d’un traitement par anti-TNF. Les anti-TNF semblent être le traitement le plus efficace de la RPO endoscopique. cacité que le placebo dans la prévention de la RPO clinique, endoscopique ou chirurgicale. Toutefois, ce bénéfice reste modeste et les meilleurs résultats ont été obtenus avec une bithérapie AZA/métronidazole (750 mg/j) montrant une diminution de la RPO endoscopique à 12 mois de 23 % (2, 3). Les anti-TNF sont à l’heure actuelle le traitement le plus efficace pour prévenir la RPO. Un essai contrôlé randomisé incluant 24 patients a montré qu’aucun des patients sous infliximab (IFX) [5 mg/kg] n’a présenté de symptômes durant la première année postopératoire. Le taux de RPO endoscopique sous IFX était significativement diminué (−75 %) par rapport au groupe placebo (9 versus 84 %) [4]. Cette efficacité se poursuit sous traitement 2 et 3 ans après l’opération, mais les patients ayant arrêté le traitement ont tous rechuté dans les 2 ans (4). Des études ouvertes concernant l’adalimumab sont encourageantes, avec notamment des patients répondant à la molécule après échec de l’IFX. La nutrition entérale a montré une bonne efficacité dans des séries asiatiques pour prévenir la niveau de preuve l’heure actuelle, malgré l’avènement des biothérapies, le recours à la chirurgie dans la maladie de Crohn (MC) reste important, puisque près de la moitié des patients subiront une intervention chirurgicale dans les 10 ans suivant le diagnostic. Une récidive postopératoire (RPO) clinique s’observe chez plus de 1/4 des patients à 1 an de l’opération, et des lésions endoscopiques significatives sont présentes chez environ 2/3 des patients 1 an après la chirurgie. De nombreux facteurs de risque potentiels de RPO ont été étudiés ces 20 dernières années. Le tabagisme actif est le plus important des facteurs de risque de RPO en le multipliant par 2. Une atteinte anopérinéale, un phénotype pénétrant, un antécédent de résection chirurgicale intestinale et une résection intestinale de plus de 50 cm sont considérés comme des facteurs de risque établis de RPO. Ainsi, on peut distinguer 3 types de risque pour les patients : ➤➤ faible risque : aucun facteur de risque ; ➤➤ risque modéré : 1 seul facteur de risque ; ➤➤ risque élevé : au moins 2 facteurs de risque. 1 La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012 | 19 EVIDENCE-BASED MEDICINE Questions non résolues »» Doit-on traiter tous les patients en prévention de la RPO dans la MC ? »» Quelle place pour les anti-TNF chez les patients à risque faible ou modéré ? »» Quelle est la durée optimale de ces traitements préventifs ? MICI RPO endoscopique, mais la faible compliance à ce traitement en limite considérablement l’utilisation. Aucune efficacité n’a été montrée pour les corticoïdes, les probiotiques ou l’interleukine 10. Quelle stratégie pour prévenir la récidive postoperatoire ? (figure) Tous les patients fumeurs doivent être encouragés au sevrage tabagique et il est nécessaire de leur proposer une prise en charge adaptée. Les patients à faible risque peuvent bénéficier d’une surveillance simple ou d’un traitement par 5-ASA. Pour les patients présentant un seul facteur de risque (risque Facteurs de risque Tabagisme actif / atteinte anopérinéale / phénotype pénétrant / antécédent de résection intestinale / résection grêlique extensive (> 50 cm) Sevrage tabagique +++ Aucun facteur de risque Un facteur de risque ≥ 2 facteurs de risque et/ou sous anti-TNF ≥ 6 mois au moment de la chirurgie Pas de traitement (ou 5-ASA) Thiopurines antibiotiques (les anti-TNF doivent être envisagés) Anti-TNF Iléocoloscopie à 4-12 mois Iléocoloscopie à 4-12 mois Iléocoloscopie à 4-12 mois Score de Rutgeerts < 2 Poursuite de la surveillance ou du 5-ASA Score de Rutgeerts ≥ 2 Thiopurines et/ou anti-TNF Score de Rutgeerts < 2 Poursuite des thiopurines Score de Rutgeerts ≥ 2 Anti-TNF Score de Rutgeerts < 2 Score de Rutgeerts ≥ 2 Poursuite des anti-TNF Optimisation (augmentation de dose) ou changement d’anti-TNF Figure. Proposition d’un arbre décisionnel pour la prise en charge de la récidive postopératoire. 20 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012 modéré), un traitement doit être instauré le plus souvent par thiopurines en association ou non avec le métronidazole. Cependant, pour ce sous-groupe de patients, les anti-TNF peuvent être discutés étant donné la grande efficacité de ces traitements dans cette situation et l’impact majeur de la cicatrisation muqueuse endoscopique dans l’évolution favorable de la maladie. Tous les patients à haut risque (≥ 2 facteurs de risque) ou sous anti-TNF depuis au moins 6 mois avant la chirurgie devraient bénéficier d’un traitement par anti-TNF en postopératoire (5). Comment traiter la récidive postopératoire endoscopique ? (figure) La RPO endoscopique est définie par un score de Rutgeerts supérieur ou égal à 2 au moment d’une iléocoloscopie réalisée entre le 4 e et le 12e mois postopératoire. Ce score permet de prédire fortement l’évolution de la maladie dans la période postchirurgicale. Pour les patients à faible risque, sous surveillance ou 5-ASA, un traitement par thiopurines ou anti-TNF doit être débuté. Pour les patients sous thiopurines, un traitement par anti-TNF doit être instauré. Les patients sous anti-TNF peuvent soit recevoir le même traitement mais avec optimisation de dose (augmentation de la posologie), soit changer d’anti-TNF (5). Références bibliographiques 1. Ford AC, Kane SV, Khan KJ et al. Efficacy of 5-aminosalicylates in Crohn’s disease: systematic review and meta-analysis. Am J Gastroenterol 2011;106:617-29. 2. Peyrin-Biroulet L, Deltenre P, Ardizzone S et al. Azathioprine and 6-mercaptopurine for the prevention of postoperative recurrence in Crohn’s disease: a meta-analysis. Am J Gastroenterol 2009;104:2089-96. 3. D’Haens GR, Vermeire S, Van Assche G et al. Therapy of metronidazole with azathioprine to prevent postoperative recurrence of Crohn’s disease: a controlled randomized trial. Gastroenterology 2008;135:1123-9. 4. Regueiro M, Schraut W, Baidoo L et al. Infliximab prevents Crohn’s disease recurrence after ileal resection. Gastroenterology 2009;136:441-50. 5. Buisson A, Chevaux JB, Bommelaer G et al. Diagnosis, prevention and treatment of Crohn’s disease postoperative recurrence. Dig Liv Dis 2012.Sous presse.