Onco-psychologie : “Laisser la parole circuler” – Entretien avec

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Onco-psychologie : “Laisser la parole circuler”
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Entretien avec P. Caudron, psychologue clinicienne, service de cancérologie, hôpital Bichat-Beaujon, Clichy,
réalisé par G. Mégret
rencontre d’une personne avec une maladie grave”. Simple
“maisLaexplicite.
Cette formule, qui peut paraître lapidaire, donne
néanmoins d’emblée accès aux deux éléments constitutifs de
l’onco-psychologie : la personne, sujet unique, et le cancer, maladie
toujours perçue comme “grave” malgré les progrès constants
obtenus en matière de survie. Pascale Caudron, psychologue
clinicienne dans le service de cancérologie de l’hôpital BichatBeaujon, évoque avec conviction les multiples facettes de cette
activité d’un type de soignant devenu incontournable dans cette
discipline à très haute charge émotionnelle.
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leur travail de prise en charge du patient atteint d’un cancer, ainsi
que la pertinence de leurs propres mécanismes de défense. “Je
me trouve ainsi souvent à l’interface des soignants, des médecins, mais aussi des structures extérieures, puisque je travaille
avec des réseaux d’accompagnement, de type associatifs”. Ces
derniers viennent aider les malades à rester dans leur environnement, chez eux, dans une configuration comparable à une
hospitalisation à domicile, en coordination avec le médecin
référent, le cancérologue hospitalier, l’infirmière, et souvent un(e)
psychologue. “Pour moi, cette dimension de ‘respiration avec
l’extérieur’ semble essentielle, tout à fait en écho avec le réseau
ville-hôpital que soutiennent les directives du Plan cancer”.
UN PARCOURS PROFESSIONNEL ATYPIQUE
LES DISPOSITIFS D’ANNONCE DU CANCER
Pascale Caudron a mené une longue carrière hospitalière
et a travaillé dans des services de cancérologie, où elle a été
confrontée à des situations extrêmes. Par ailleurs, l’environnement de la maladie – familles, soignants, médecins – l’a particulièrement intéressée, tandis que les soins de support, l’ont
naturellement conduite à s’interroger sur son rôle de soignant
dans toutes ses composantes. Elle reprend alors le chemin de
l’université pour s’engager dans un DESS de psychologie clinique
et pathologique, accompagné d’une formation personnelle au
travers de séminaires et d’un travail analytique.
Non pas un, mais des credo pour sa réflexion : “Qu’est-ce que
les malades traversent à l’hôpital ? Comment appréhendent-ils
la maladie, qui est aussi une crise de la vie ? Et même si l’on
soigne bien sûr ‘tout-venant’ , on ne peut qu’être interpellé par
la singularité de chaque personne.” Au-delà, s’interroger sur
l’essentiel, notre relation à la souffrance de l’autre, à la mort
même, réflexion menant obligatoirement sur l’éthique : comment
et jusqu’où aller dans le soin [...]. Et ainsi “parvenir, par ce trajet,
à faire le pont avec la psychologie”.
DE LA PSYCHOLOGIE À LA PSYCHO-ONCOLOGIE
“Je ne me sers pas pour le moment d’outils de mesure dans ma
pratique. Je m’efforce de ‘repérer des choses’ lors de la rencontre
du malade avec le cancer, en particulier dans la phase diagnostique et dans la mise en place de ses mécanismes de défense”.
Autant d’observations indispensables pour optimiser la relation,
saisir le retentissement “périphérique’’ du cancer sur l’environnement social, familial du malade. Mais il s’agit aussi d’appréhender
les conséquences possibles sur les soignants eux-mêmes, dans
La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
Autre implication majeure des onco-psychologues : leur participation
active au dispositif d’annonce du cancer au malade, tel qu’il est défini
dans la mesure 40 du Plan cancer. “On a compris qu’on ne pouvait
faire alliance avec un patient et travailler avec lui dans le temps, le
soutenir, le traiter si, en amont, on ne l’accompagne pas dans les
différents temps de la prise en charge.” Et l’annonce du cancer, la mise
en route du traitement, impliquent un temps de réflexion permettant
en particulier d’appréhender la personne dans sa globalité afin de
saisir au mieux pour elle ce et ceux qui pourront l’aider. Ainsi, l’annonce faite par le médecin, qui va lui traduire les conséquences des
résultats d’examens, à savoir les nécessités du traitement, représente
une sorte de vérité médicale. Mais elle sera toujours accompagnée de
“la vérité de la personne, ce qu’elle va ressentir, ce qu’elle va traverser,
et mon rôle sera alors de permettre parfois la bascule de certaines
questions, d’interpeller les deux personnes en présence, de sorte
que des interrogations qui ne se seraient pas exprimées puissent
voir le jour, afin d’établir une vraie collaboration entre eux”. Cela
peut d’ailleurs se manifester par un refus du malade – temporaire
le plus souvent – de comprendre, voire d’entendre, attitude qu’il
conviendra de rendre très perceptible au médecin afin qu’il puisse
différer le processus d’annonce ou le modifier dans sa formulation.
“Double rencontre, en fait : avec une personne mais aussi de cette
personne avec une maladie grave.”
D’autant que, si plus de 50 % des cancers guérissent, nombreuses
sont les rechutes, qui, elles aussi, vont devoir se traduire par
une “nouvelle’’ annonce, une nouvelle approche dans l’explication. Des difficultés supplémentaires peuvent surgir “lorsqu’à la
maladie s’ajoutent les écueils culturels ou linguistiques (parfois
les deux), qui nécessitent de faire intervenir des intermédiaires
‘traducteurs’ facilitant la compréhension du malade”.
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De plus, une fois l’annonce faite, il faudra ultérieurement
contrôler son intégration réelle par le malade : “un mois plus
tard, il peut revenir en disant ‘qu’il a bien compris qu’il s’agit
d’une tumeur mais que ce n’est pas un cancer [...]”. On voit bien
dans ce cas qu’il a mis en place un mécanisme de défense destiné
à le protéger d’une réalité trop écrasante, et le psychologue n’est
pas là pour faire du forcing, de l’adaptabilité à tous crins, mais
simplement pour tenter de comprendre pourquoi il se désadapte
et comment on peut l’aider à trouver une autre adaptation à cette
réalité.” Et, est-il besoin de le préciser, “ce temps psychique n’est
pas le même que le temps médical.”
LA PROBLÉMATIQUE DES TRAITEMENTS
AMBULATOIRES
La prise en charge ambulatoire, de plus en plus fréquente, en
particulier pour la chimiothérapie, modifie aussi sensiblement
le temps et le moment d’intervention des psychologues. “Le
malade peut demander à me voir à n’importe quel moment de
sa chimiothérapie, avant, après ou même pendant celle-ci [...].
Sachant par contre que l’espace de confidentialité, avec quatre
fauteuils par chambre, laisse à désirer.” Il importe néanmoins
de respecter ce moment particulier choisi par le malade pour
exprimer ce “qui ne va pas”.
Autres temps et autres lieux, “ce que j’appelle ‘le réservoir de
plaintes’ constitué par les salles d’attente, le couloir, tout espace
intermédiaire, et qui vont permettre au malade mais aussi à ses
proches de s’exprimer à un moment donné : je les repère et je
travaille avec cela”. En sortant d’une consultation d’annonce, il
peut arriver que ce soit non pas le malade, mais les enfants ou
le conjoint qui n’aillent pas bien. “À moi de repérer les tensions,
les pleurs d’un accompagnant assis dans le couloir : quelqu’un
exprime une émotion, une inquiétude et, même si les soignants
le remarquent, ils n’ont pas toujours le temps d’y répondre. Il
m’arrive de m’asseoir près de lui... Là est l’accompagnement, qui
se différencie du suivi. Le suivi, nous le réalisons aussi, car une
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plainte peut émerger et se transformer en ‘demande’, et parfois
déboucher sur un soutien pychothérapeutique dans la durée.
Autre intervention possible, des mises au point avec les enfants,
la famille... J’essaie de refaire circuler la parole.”
À L’ÉCOUTE DE L’ÉQUIPE
De l’autre côté de l’interface, l’équipe. On est ici de plain-pied
dans l’émotionnel. Les réactions des patients sont le plus souvent
en cause : “L’impatience, l’agressivité, la rancœur ou au contraire
un état de grande sidération face à la chimiothérapie, autant de
situations auxquelles les infirmières doivent souvent faire face
[...]. Ces séances vont aussi rappeler au malade, si besoin était,
qu’il a ‘son’ cancer, et la révolte contre le geste technique, contre
le soignant, va devoir être explicitée.” La demande peut aussi
venir des infirmières, en particulier dans certaines situations
extrêmes, telles que lors des gestes à accomplir dans les phases
terminales : “Je souffre beaucoup de ce que je dois faire... Une
chimiothérapie, pourquoi ? je n’y crois pas…” Mais elle demeure
rare et elle se fait plutôt au travers du patient : “Tel patient me
pose problème…”
Les onco-psychologues savent combien ils sont amenés à
“absorber l’angoisse des soignants, et peut-être plus encore des
médecins, qui semblent avoir du mal à formuler cette angoisse,
d’autant plus qu’ils doivent soutenir des soins de support [...].
Aussi suis-je convaincue que plus on réfléchit en amont à la
situation d’un patient, plus on parvient à interpréter les données
avec les différentes personnes, plus on travaille en convergence
et en intelligence [...] et moins on agit dans l’urgence, submergés
par une situation à laquelle on n’a pas pu penser [...].”
La leçon dominante qui émerge de ce bref mais riche entretien
est celle de la nécessité impérative d’un véritable continuum de
la parole pour une gestion optimale du cancer. Entre le malade et
ses proches, entre le malade et les soignants, entre les soignants
et les soignants. Il semblerait que les psycho-oncologues soient
les mieux armés pour assurer cette tâche délicate.
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La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 4 - avril 2007
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