Equation fonctionnelle pour les fonctions exponentielles

Universit´e Claude Bernard–Lyon I
CAPES de Math´ematiques : Oral
Ann´ee 2007–2008
Equation fonctionnelle
pour les fonctions exponentielles
Introduction
On s’int´eresse `a l’´equation fonctionnelle
(E)x, y R, f(x+y) = f(x)f(y),
o`u f:RRest une fonction `a d´eterminer. Les premi`eres propri´et´es sont vraiment
´el´ementaires et ne d´ependent pas du point de vue choisi. Un point-cl´e fort int´eressant :
´etendre la r´egularit´e de la solution –voir 1c). On montre typiquement que la continuit´e en
un point entraˆıne la continuit´e partout, et que la continuit´e partout entraˆıne la d´erivabilit´e,
qui donne le caract`ere Cfacilement. On voit
Les le¸cons que nous avons vues cette ann´ee ´etaient tir´ees de la mˆeme source, et faisaient
la part belle `a x7→ xα. De fait, pour αentier, c’est une fonction facile `a d´efinir et
qui satisfait (E) ; pour αrationnel, on peut ´etendre ; la difficult´e de la le¸con consiste `a
passer `a αr´eel quelconque, ce qui demande un peu d’analyse. Dans les le¸cons qu’on a
vues, la d´erivabilit´e et l’´equation diff´erentielle semblaient un peu anecdotique, je trouve
¸ca dommage.
Pour ma part, j’ai compris “fonctions exponentielles” comme les fonctions de la forme x7→
exp(ax). J’attire votre attention sur la d´efinition de l’exponentielle dans les programmes
de terminale, comme l’unique solution de (C1), o`u pour aeel on note (Ca) le probl`eme
de Cauchy suivant :
(C)y0=ay
y(0) = 1
Aussi, il est imp´eratif de faire, d’une fa¸con ou d’une autre, le lien entre l’´equation fonc-
tionnelle (E) et l’´equation diff´erentielle y0=y. Je propose de faire ce lien a priori, avant
de construire les solutions de l’une ou l’autre ´equation.
Qu’on ne se voile pas la face : la partie difficile pour r´esoudre une ou l’autre ´equation,
c’est de construire une solution (voir 3a) et 4c)). En revanche, l’existence ´etant acquise,
il est facile d’en d´eduire l’unicit´e (f(1) ou f0(0) ´etant fixe). Pour (E), des arguments de
suites de Cauchy fonctionnent. Pour (C), retenez qu’il est inutile d’invoquer les mˆanes
Cauchy et Lipschitz, le th´eor`eme des accroissements finis suffit.
R´esum´e de la le¸con en une phrase (dommage de rater “morphisme” !)
Tout morphisme de Rvers R(ou C) continu en un point est une fonction exponentielle.
1Propri´et´es ´el´ementaires d’une solution de (E)
a) Annulation, valeur en z´ero
Lemme Soit f:RRune fonction solution de (E). Alors, si fn’est pas partout nulle,
elle est partout non nulle et mˆeme strictement positive, et f(0) = 1.
D´emonstration. Supposons que fs’annule en yR. Alors, pour tout xR, on a :
f(x) = f(xy+y) = f(xy)f(y) = 0. De plus, f(0) = f(0+ 0) = f(0)2, si bien que f(0)
vaut 0 ou 1. On en d´eduit que fest partout nulle ou partout non nulle. Pour le signe de
f, on peut constater que pour tout x, on a : f(x) = f(x/2)20 ou invoquer le th´eor`eme
des valeurs interm´ediaires pour exclure que fprenne une valeur n´egative ou nulle.
Remarque. Si fest une solution de (E) non nulle, 1/f est bien d´efinie et c’est une autre
solution.
1
b) Extension de l’additivit´e
Lemme Soit fune solution de (E),xRet rQ. Alors f(rx) = f(x)r.
Remarque. Pour aR
+, on d´efinit successivement anpour nNpar r´ecurrence a0= 1
et an+1 =a×an; pour n∈ −Npar an= 1/a|n|; pour n= 1/q o`u qNcomme l’unique
solution de xq=a(variations de x7→ xq) ; pour n=p/q o`u pZet qNcomme
ap/q = (ap)1/q (attention ! il faut alors v´erifier que si p/q =p0/q0, on a bien ap/q =ap0/q0...). Pi`ege !
On montre que pour r, s Q, on a bien : ar+s=aras.
D´emonstration. Left to the reader.
Remarque. On obtient ainsi, pour x, y Ret r, s Q:f(rx +sy) = f(x)rf(y)s.
Un coup de logarithme l`a-dessus permet de voir que ln fest une application lin´eaire,
lorsqu’on consid`ere Rcomme un espace vectoriel sur Q.
c) Extension de la r´egularit´e
Lemme Soit f:RRune fonction solution de (E). Sont ´equivalentes :
(i) fest continue en un point ;
(ii) fest continue sur R;
(iii) fest d´erivable sur R.
D´emonstration. Supposons fcontinue en un point x0Ret soit x, h R. On a :1
f(x+h) = f(xx0+x0h) = f(xx0)f(x0+h).
Lorsque htend vers 0, f(x0+h) a pour limite f(x0) et f(xx0) est une constante, d’o`u
l’on peut d´eduire que fest continue en x.
Supposons que fsoit continue sur Ret pas partout nulle (sinon c’est ´evident que fest
d´erivable). Par le th´eor`eme des valeurs interm´ediaires, fest partout strictement positive.
On suppose savoir qu’une fonction continue admet une primitive, on obtient en int´egrant
(E) que pour xquelconque :
f(x)Z1
0
f(y) dy=Z1
0
f(x)f(y) dy=Z1
0
f(x+y) dy=Zx+1
x
f(u) du.
L’expression de droite est une fonction d´erivable de x, diff´erence de la primitive de fentre
deux valeurs (qui sont fonctions d´erivables de x...). De plus, l’int´egrale du membre de
gauche est strictement positive, donc non nulle. Par suite, fest d´erivable.
Enfin, il est clair que si fest d´erivable, elle est continue en au moins un point...
d) Extension de la r´egularit´e (version hard)
On donne une condition apparemment plus faible pour que fsoit d´erivable partout, tir´ee
de la premi`ere ´epreuve du CAPES 2001.
Lemme Soit f:RRune fonction solution de (E). Sont ´equivalentes :
(i) fest born´ee sur un intervalle de longueur non nulle ;
(i) fest continue `a droite en un point ;
(iii) fest d´erivable sur R.
D´emonstration. Supposons fmajor´ee par Csur [a, b], o`u a<b. On montre d’abord
qu’il existe met Mr´eels strictement positifs tels que pour tout x[0, b a] on ait :
1L’id´ee consiste `a remplacer “ce qui se passe en x” en “quelque chose qui se passe en x0”.
2
m<f(x)< M. Pour cela, fixons x[0, b a]. Comme x+a[a, b], on a : f(x) = f(x+
a)/f(a)C/f(a) = M. Comme bx[a, b], on a : f(x) = f(b)/f(bx)f(b)/C =m.
A pr´esent, soit ε > 0. Comme les suites (m1/n)n1et (M1/n)n1 tendent2vers 1, il
existe nNtel que 1 εm1/n et M1/n 1 + ε. Pour x[0,(ba)/n], on a
nx [0, b a], si bien que mf(x)M, donc :
1εm1/n f(x)M1/n 1 + ε, et enfin : |f(x)1| ≤ ε.
Ceci prouve que fest continue `a droite en 0 : limh>
0f(h) = 0.
A pr´esent, on constate que pour tout h > 0, on a : f(h)=1/f(h). Par suite, lorsque
htend vers 0 par valeurs sup´erieures, f(h) tend vers 1/f(0) = 1, donc fest continue `a
gauche en 0. C’est fini.
Remarque vaguement culturelle3.On peut en fait montrer que si fest seulement
mesurable et solution de (E), alors fest d´erivable partout. Ce n’est pas une stricte
g´en´eralisation de ce qu’on vient de montrer, car certaines fonctions mesurables ne sont
born´ees sur aucun intervalle de longueur non nulle.
2R´esolution de (E)avec le logarithme
a) Lin´earisation du probl`eme
Supposons connaˆıtre la fonction ln (construite par exemple comme primitive de x
1/x sur R+, d’o`u l’on d´eduit qu’elle transforme les produits en sommes), et sa fonction
r´eciproque exp.
Soit fune solution de (E) continue et pas partout nulle. Comme on l’a d´ej`a remarqu´e, f
est partout strictement positive (valeurs interm´ediaires). Par suite, g= ln fa un sens et
satisfait la condition (i) du lemme suivant :
Lemme Soit g:RRune fonction. Sont ´equivalentes :
(i) gest additive : x, y R, g(x+y) = g(x) + g(y);
(ii) gest Q-lin´eaire : x, y R,r, s Q, g(rx +sy) = rg(x) + sg(y).
Si de plus, gest continue, il est encore ´equivalent de dire :
(iii) xR, g(x) = g(1) x.
D´emonstration. On a d´ej`a laiss´e au lecteur le soin de montrer que (i) (ii). La
r´eciproque (ii) (i) est triviale.
Montrons que (ii) (iii). Pour rQ, on a : g(r) = rg(1). Prenons alors xRet
fixons une suite (rn)nNde rationnels qui converge vers x(par exemple, rn=b10nxc/10n,
troncature de l’´ecriture d´ecimale apr`es nchiffres). Par continuit´e de g, on a :
g(x) = lim
n+g(rn) = lim
n+rng(1) = xg(1).
Enfin, il est clair que (iii) (i)
On conclut le paragraphe en revenant `a f: pour tout xR,f(x) = exp(g(1) x).
Remarque. Ce qu’on vient de montrer ici, c’est qu’une application Q-lin´eaire (sur le
Q-espace vectoriel R) et continue est automatiquement R-lin´eaire.
2Voir a).
3Comprendre : inutile...
3
b) Construction de solutions pathologiques
Abandonnons l’hypoth`ese de continuit´e de f, et construisons des solutions d´esagr´eablement
non-continues. On reprend `a (linQ). Pour construire g, il suffit de choisir4une base (xi)iI
du Q-espace vectoriel5R, une famille quelconque de r´eels (yi)iI. Il existe alors une unique
application lin´eaire gtelle que pour tout iI,g(xi) = yi.
Soit αR. Il est ´equivalent de dire que pour tout x,g(x) = αx et de dire que pour tout
i,yi=αxi. En effet, si les fonctions lin´eaires get x7→ αx co¨ıncident sur la base (xi), elles
sont ´egales, et la r´eciproque est triviale. De plus, d’apr`es le paragraphe a), gest continue
si et seulement s’il existe αtel que g(x) = αx. Par cons´equent, la fonction gest continue
si et seulement si tous les yi/xisont ´egaux –autant dire que ¸ca n’arrive pas souvent...
Enfin, ´etant donn´e une application additive g:RRnon continue, on construit une
solution de (E) en posant f= exp g; elle n’est pas continue (pourquoi ?).
3R´esolution de (E)a mano (comme la pelote basque !)
Dans cette version, on se refuse `a utiliser le logarithme. On part du constat suivant :
rQ, f(r) = f(1)r.
La d´emarche est la suivante : on prolonge QR,r7→ f(1)r(c’est la partie difficile), puis
on montre que fco¨ıncide avec ce prolongement (facile par densit´e de Q!).
a) Construction des fonctions puissances
Lemme Soit a > 0.
(i) La suite (a1/k)k1converge vers 1.
(ii) Si (tn)nest une suite de rationnels qui est de Cauchy, la suite (atn)nest de Cauchy.
(iii) Soit xRet (rn)net (sn)ndeux suites de rationnels qui tendent vers x. Alors les
limites de (arn)net de (asn)nsont ´egales.
D´emonstration. (i) Quitte `a ´ecrire a1/k = 1/(1/a)1/k et `a remplacer apar 1/a, on peut
supposer a1. Pour rQ,r > 0 on a ar1, donc on a, pour k1 :
0a1/k 1 = a1
a(k1)/k +a(k2)/k +· · · +a2/k +a1/k + 1 a1
k.
(ii) La suite ´etant de Cauchy, elle est born´ee entre deux rationnels met M. Pour p, q N,
on ´ecrit : |atpatq|=|atptq1|atq. D’une part, en vertu de (i), on peut rendre |atptq1|
aussi petit que l’on veut en prenant pet qassez grands ; d’autre part, atqreste born´e entre
les deux constantes amet aM. Par suite, on peut rendre |atpatq|aussi petit que l’on
veut : c’est fini.
(ii) Pour nN, posons t2n=rnet t2n+1 =sn: cette suite converge vers x, donc elle
est de Cauchy, donc (atn) a une limite, qui est aussi celle de (arn) et de (asn), qui sont
n´ecessairement ´egales.
Ce lemme donne un sens `a la d´efinition suivante :
D´efinition. Soit a > 0. Pour xR, choisissons une suite (rn) de rationnels qui converge
vers x. La suite (arn) est de Cauchy, et sa limite ne d´epend que de x, et pas du choix de
la suite (rn). On la note ax. On d´efinit ainsi une fonction appel´ee exponentielle de base
a. (Noter que si on prend xQet rn=xpour tout n, on voit que arnco¨ıncide avec ax
pour tout n: pas de conflit de notation.)
Lemme Soit a > 0. La fonction ea:RR,x7→ axest continue et satisfait (E).
4Nous croyons en l’axiome du choix !
5Rappelons que Rest de dimension infinie sur Q, i.e. Iest infini, et mˆeme non d´enombrable.
4
D´emonstration. Pour montrer la continuit´e de eaen un r´eel x, il suffit de montrer que
pour toute suite de r´eels (hn) tendant vers 0, on a : limn+ea(x+hn) = ea(x). Soit
donc xet (hn).
Fixons nN. Par construction de ea(x+hn), on peut choisir un rationnel untel que
|(x+hn)un| ≤ 1/n et |ea(x+hn)ea(un)| ≤ 1/n.
La premi`ere in´egalit´e montre que (un) est une suite de rationnels qui tend vers x, donc
ea(un) tend vers ea(x). Mais alors, la deuxi`eme in´egalit´e montre que la suite (ea(x+hn))
tend aussi vers ea(x), ce qui montre la continuit´e de ea.
La relation ax+y=axayest vraie pour tout x, y Q; par continuit´e de (x, y)7→ ax+y
axay, elle est vraie pour tout x, y R.
b) R´esolution de (E)parmi les fonctions continues
Proposition Soit a > 0. La fonction ea:x7→ axest l’unique solution continue de (E)
telle que f(1) = a.
D´emonstration. On a vu que eaconvenait. De plus, on a vu en 1que les fonctions ea
et fco¨ıncident sur Q: comme elles sont continues et que Qest dense dans R, elles sont
´egales.
4Equation fonctionnelle et ´equation diff´erentielle
a) Pr´eliminaire : non annulation des solutions de (C)
Lemme Soit fune fonction d´erivable, ´egale `a sa d´eriv´ee et non nulle en z´ero. Alors f
ne s’annule jamais.
D´emonstration. Pour xR, on pose h(x) = f(x)f(x). Alors hest d´erivable et :
xR, h0(x) = f0(x)f(x)f0(x)f(x) = f(x)f(x)f(x)f(x)=0.
D’apr`es le th´eor`eme des accroissements finis, hest constante,6et non nulle en 0, donc f
ne s’annule jamais.
C’est l’occasion de montrer qu’on n’a besoin de presque rien pour d´emontrer l’unicit´e
d’une solution du probl`eme de Cauchy pour une ´equation lin´eaire `a coefficient constant.
Pour cela, on va appliquer la m´ethode de variation de la constante, ce qui demande que
la fonction derri`ere la constante ne s’annule pas.
Lemme Soit αR. Il existe au plus une fonction ferivable, pas partout nulle, telle
que f0=αf et f(0) = 1.
D´emonstration. C’est clair si α= 0 par le th´eor`eme des accroissements finis. Supposons
α6= 0, et soit f1et f2deux telles fonctions. On montre comme ci-dessus que f1ne s’annule
jamais. On consid`ere alors q=f2/f1: on constate que q0= 0, donc qest constante ´egale
`a q(0) = 1. C’est fini.
Devinette. Comment montrer l’unicit´e d’une fonction telle que f0=fet f(0) = 0 sans
supposer l’existence d’une fonction telle que e0=eet e(0) = 1 ?
6Pour tous r´eels a < b, il existe c]a, b[ tel que h(b)h(a) = (ba)h0(c) = 0.
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