CHAPITRE 2: INTÉGRATION, CONFLIT, CHANGEMENT SOCIAL

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CHAPITRE 2: INTÉGRATION, CONFLIT, CHANGEMENT SOCIAL.
Section 1: Quels liens sociaux dans des sociétés où s’affirme le primat de l’individu ?
I. L’analyse d’E. Durkheim.
A. Problématique.
E. Durkheim (1858-1917) est en France un des fondateurs de la sociologie. Il chercha à en définir de façon rigoureuse
l'objet et la méthode. Un des objets principaux de ses études sociologiques est le lien social. Comment expliquer que
des individus aux intérêts parfois contradictoires acceptent d'amputer leur liberté pour vivre en société ? Cette question
est particulièrement d’actualité pour E. Durkheim qui observe un monde en train de s’industrialiser et qui modifie les
sctuctures anciennes de la société et les modes de solidarité. L’individu urbain travaillant dans l’industrie n’ a plus les
mêmes liens que le paysan dans une communauté réduite à l’échelle d’un village.
B. Solidarité mécanique, solidarité organique.
Doc 2 & 3 pp 236-237. Exercice p 237.
E. Durkheim montre que les formes du lien social ont évolué au cours du temps. Dans les sociétés anciennes, la
solidarité est dite mécanique. La conscience collective est très forte et modèle en quasi totalité la personnalité des
individus. Chacun adhère fortement aux mêmes principes et adopte les mêmes types de comportement. La solidarité
est donc fondée avant tout sur une similitude entre les individus. Et elle se caractérise par un droit répressif: celui qui
déroge aux règles qui commandent le comportement de chacun doit être sévèrement puni.
Sous la pression démographique, la société change ainsi que les formes de la solidarité. Chacun se spécialise dans une
activité économique. Sous la pression de la concurrence, les hommes se spécialisent dans les activités où ils sont les
plus habiles. Mais pour E. Durkheim, les relations entre individus vont au delà du simple échange. La division du
travail entraîne une certaine interdépendance des individus entre eux. Pour que les intérêts s'harmonisent de façon
durable, les règles morales sont encore nécessaires, voire fondamentales pour assurer la pérennité de la société, dont
tout le monde devient dépendant à cause de la division du travail. E. Durkheim parle de solidarité organique. En effet,
les individus sont étroitement dépendants les uns des autres, comme les organes à l’intérieur d’un corps humain.
La conscience collective est moins importante que dans les sociétés traditionnelles. En effet, les individualités
deviennent plus fortes et leur épanouissement est encouragé. La solidarité est alors basée sur la complémentarité entre
les individus. Les hommes recherchent en effet la compagnie de ceux qui les complètent, qui rendent les services dont
ils ont besoin. Mais, nous l'avons vu, ces échanges ont aussi un contenu moral, qui s'illustre dans les règles de droit.
Plus la solidarité est étroite, plus les règles sont complexes et plus le droit est riche. Dans le contexte de la société
globale, E.Durkheim observe que le droit évolue vers des formes restitutives. Dans une société où la solidarité est
organique, les hommes sont reliés par leur interdépendance et non par l'adhésion à des valeurs primordiales, comme
dans la solidarité mécanique. Les conflits doivent donc être réglés pour rétablir l'harmonie : le droit est restitutif.
B. La solidarité mécanique a-t-elle totalement disparu dans les sociétés contemporaines ?
D’un point de vue historique, E. Durkheim semble démontrer que les évolutions démographiques et sociales ont fait en
sorte que la solidarité mécanique disparaisse au profit de la solidarité organique. Pourtant, on peut observer que
certaines formes de solidarité mécanique subsistent. La conscience collective reste forte au sein de certains groupes.
Tout d’abord, on peut souligner que la solidarité organique est pertinente à l’échelle des groupes secondaires. Par
contre, à l’échelle des groupes primaires, tels que la famille ou le groupe professionnel, nous avons toujours des
formes de solidarité mécanique. Les individus adhèrent fortement à un certain nombre de principes communs.
Mais nous observons également ce type de solidarité dans d’autres types de groupements. Nous pouvons citer les
coutumes régionales ou ethniques, les appartenances religieuses. Mais ceci est vrai aussi dans les réseaux sociaux qui
regroupent des individus aux styles de vie identiques. Enfin nous pouvons aussi dire que certains mouvements sociaux
regroupent des personnes qui partagent de fortes valeurs communes.
Doc 1, 3 & 4 pp 238-239.
II. Le développement de l’individualisme : approches théoriques.
De nombreux sociologues ou philosophes se sont intéressés au développement de l’individualisme dans les sociétés
contemporaines. Notre problématique sera d’examiner si ce primat de l’individu a un impact négatif sur la cohésion
sociale.
A. L’anomie selon E. Durkheim.
Pour E. Durkheim, le fait que l’individu soit émancipé de la conscience collective peut aboutir à des formes de
pathologie sociale. La solidarité est dans un état pathologique lorsque les règles qui en garantissent l'harmonie
disparaissent. Ce peut être le cas lors de phases de développement économique. L'apparition de nouvelles richesses
nécessite de nouvelles règles de répartition. Or ces règles peuvent ne pas être établies suffisamment rapidement. Les
individus sont alors motivés par leur égoïsme, sans y trouver de véritable limite. On se trouve dans une société
dépourvue de moyens de régulation. On parle alors d’anomie.
Dans une société élargie, il est en effet plus difficile d'établir des règles morales efficaces et acceptées par tous. Les
institutions qui sont habituellement le vecteur des valeurs et des normes sont moins puissantes. Les liens se distendent,
et laissent les individus sans ressources d'intégration.
Pour lui, la société doit créer les institutions susceptibles de divulguer les règles nécessaires à l'harmonie sociale. Les
corporations professionnelles sont un moyen de régulation dans la distribution des richesses obtenues grâce au
développement économique de la révolution industrielle.
B. La multiplicité des instances de socialisation selon G. Simmel.
G. Simmel (1858-1918) montre que dans les sociétés modernes, l’individu n’appartient plus à un seul groupe. Dans ce
cas, les multiples relations qu’il peut établir vers des groupes divers le confrontent à une multiplicité de valeurs. Il est
confronté à différentes formes de socialisation. Celles-ci peuvent entrer en contradiction et amènent l’individu à
examiner ces questions avec son libre arbitre.
C. L’individu introspectif selon M. Foucault.
Selon M. Foucault, l´individualisme peut être défini selon trois points distinct. Il reconnaît avec E. Durkheim et G.
Simmel le phénomène d´indépendance de l´individu vis-à-vis de l´ensemble de la société. Mais il souligne aussi
l´importance de la vie privée, comme nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre précédent (section 1), qui résulte
d’une moyennisation (et d’un « embourgeoisement ») des modes de vie. Enfin, il note que s’est développée chez
l’individu une capacité d´introspection et d´épanouissement. L’individu contemporain doit construire lui-même sa
personnalité, l’évaluer, chercher si elle lui apporte le bonheur. Nous pouvons illustrer le phénomène avec les nouvelles
méthodes de travail au sein de l’entreprise où la motivation personnelle est considéré aujourd'hui comme un élément
incontournable. Dans un autre domaine, le développement de la psychologie et de la psychanalyse témoignent de la
validité de l’analyse de M. Foucault. Pour certains sociologues contemporains nous pouvons alors penser que
l’individu a obtenu davantage de liberté grâce à cette émancipation, mais que ceci peut être également facteur de
souffrance, lorsque l’individu est ou se croit en situation d’échec.
D. La souffrance au travail selon S. Paugam.
S. Paugam estime pour sa part que ce besoin d’épanouissement est au coeur du travail aujourd’hui et se superpose à sa
dimension purement matérielle. Ce que l’individu recherche dans son emploi, c’est un revenu mais aussi une
reconnaissance. Symétriquement, la carence d’un de ces deux éléments devient source d’exclusion. S. Paugam estime
qu´on peut déterminer quatre types d´intégration en fonction de ces deux critères : la précarité de la relation salariale et
l´épanouissement dans sa tâche. Ainsi, les problèmes vécus par les individus proviennent de la précarité du marché du
travail (intégration incertaine), ou du manque de satisfaction au travail (intégration laborieuse). Les deux problèmes
peuvent se cumuler (intégration disqualifiante).
III. Les instances d’intégration dans la société contemporaine.
De nombreuses institutions sont responsables de la cohésion sociale. Nous allons examiner le rôle de chacune d’entre
elles dans la société contemporaine.
A. La famille.
Doc 1 p 240.
La famille est le premier lieu de socialisation pour tout individu. Elle procure des liens de solidarité, mais aussi
d’affection. Elle inculque normes et valeurs. Or, de nombreux indicateurs statistiques semblent montrer un déclin de
l'institution familiale : baisse du nombre de mariages, augmentation du nombre de divorces, augmentation des
naissances hors mariage, diminution de la taille de la famille. Faut-il en déduire l'existence d'une crise de la famille ?
Ne jouerait-elle plus son rôle d'intégration ? Ne participerait-elle plus à la solidarité sociale ? A ce propos, il faut
remarquer que Durkheim voyait dans la famille une institution essentielle, et qu'il s'était prononcé en son temps contre
le divorce.
Doc 2, 3A & 4 pp 240-241.
Pour certains, les phénomènes observés sont le reflet d'un individualisme dangereux qui peut amener les individus à
être isolés : les adultes divorcés, l´enfant éloigné d´un de ses deux parents. Pour d'autres, il ne s'agit que d'une
évolution, la famille continuant d'assumer ses fonctions (socialisation, lieu de vie affective, solidarité financière) et
d´obéir à des déterminismes sociaux (homogamie sociale, reproduction sociale). On constate en particulier que la
famille fournit une aide précieuse en ce qui concerne l´entrée sur le marché du travail. Cependant, cette aide est plus
importante dans certaines catégories, comme les cadres qui possèdent un important capital social.
Selon F. de Singly, le cas de la famille est illustratif de la notion d´individualisme relationnel. Dans la famille française
contemporaine, l´indépendance de chacun est respectée. Chacun doit trouver dans le noyau familial bonheur et
épanouissement, en particulier grâce aux relations affectives. Si ces éléments font défaut, des négociations ont lieu
entre les membres de la famille. Ces négociations peuvent mener à dissoudre la famille. Le code civil a été modifié,
permettant le divorce par consentement mutuel, et en reconnaissant le partage de l´autorité parentale. Ceci ne signifie
pas pour autant que les notions d´intégration et de solidarité aient disparu du cercle familial. Au contraire, les relations
conservent leur intensité.
B. L’école.
Doc 1 & 3 pp 242-243.
L’école joue un rôle de socialisation pour trois raisons principales. Elle est depuis longtemps un outil primordial pour
fournir aux futurs citoyens un ensemble de règles pour vivre au sein de la République. Elle est en particulier
promotrice de la laïcité. Mais elle est aussi un moyen pour les jeunes de se doter des connaissances nécessaires pour
s’intégrer sur le marché de l’emploi. Enfin elle offre des outils pour que chaque individu ait une meilleurs
connaissance du monde qui l’entoure. Parvient-elle à atteindre ces objectifs ? Sont-ils contradictoires ?
Doc 2 & 4 pp 242-243.
Nous avons d’abord vu que la capacité de l’école à contribuer à l’existence d’une société méritocratique est remise en
cause. Pour certains sociologues, elle ne ferait que sélectionner les individus sans se donner les moyens de réduire les
inégalités. Pourtant, elle a été un des éléments qui a permis lors des trente glorieuses la promotion d’une importante
classe moyenne.
Ajoutons que l’école fait face aujourd’hui à des publics hétérogènes. Elle a davantage des difficultés à les réunir autour
de valeurs communes. Au contraire, l’échec scolaire, statistiquement important, est à l’origine de comportements qui
démontrent des formes d’exclusion : absentéisme, incivilités, violences.
C. Le travail.
Doc 1 p 244.
Le monde du travail est une institution socialisatrice centrale dans la société contemporaine. Il permet à l’individu de
forger une partie de son identité sociale. Il offre des occasions de sociabilité. On peut grâce au travail tisser un réseau
d’amitiés. Comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, il est censé contribuer à l’épanouissement de
l’individu. L'emploi justifie aussi son rôle de citoyen, notamment lorsqu'il s'exprime sur le lieu de travail (à travers le
syndicalisme par exemple). Ajoutons enfin qu’il donne accès à des droits sociaux qui sont au fondement de la
solidarité au sein de l’ensemble de la société : assurance santé, pension de retraite, allocations chômage. En ce sens le
travail joue donc un rôle central dans les modèles de solidarité organique.
Les problèmes du chômage et de la précarité, importants dans notre société, soulèvent donc celui de la solidarité
sociale. Les phases où l’individu se trouve hors de l’emploi ou dans ses zones les moins intégratrices (« petits
boulots ») l’amènent à se trouver dépourvu de tous les éléments cités dans le paragraphe précédent.
Les évolutions récentes du travail semblent donc mettre à mal ce modèle d'intégration. Le nouveau type d´organisation
du travail en est en partie responsable. Si auparavant le travailleur était intégré dans des structures de grandes taille,
dans lesquelles il pouvait espérer un promotion et qui garantissaient souvent la stabilité, aujourd’hui, les entreprises
cherchent davantage de flexibilité, ce qui les amène par exemple à externaliser une partie leurs activités. Le monde du
travail ainsi construit autour de réseaux moins durables, génère de la précarité mais aussi rend plus difficile le
sentiment d´appartenance au groupe dont Durkheim, par exemple, montrait l´importance. Une fois de plus, on peut
redouter une mise en valeur excessive de l´individu par rapport au groupe.
Nous avons vu en classe de Première le thème de la désaffiliation, présenté par le sociologue R. Castel, qui montre les
dangers sociologiques des problèmes du marché du travail en France. S. Paugam, quant à lui, parle de disqualification.
Doc 2 p 244. Doc 3 p 245. Def p 235. Doc p 249.
D. L’État.
L’État joue évidemment un rôle central dans l’intégration des individus. Cette intégration passe tout d’abord par la
citoyenneté. C’est de cette façon que l’individu peut participer aux décisions qui concerne la vie de l’ensemble de la
collectivité. La forme la plus classique de cette citoyenneté est évidemment le vote mais d’autres répertoires de
l’action politique existent. Ces principes font de l’individu un citoyen abstrait dont les caractéristiques (ethniques,
sociales, religieuses...) doivent disparaître au profit de l’intégration à la communauté nationale.
Ces éléments semblent être remis en cause aujourd’hui. Tout d’abord, certains indices semblent montrer que les
citoyens se désintéressent de la politique On peut s’inquiéter de voir les taux d´abstention augmenter. On peut penser
que les français se désintéressent de la politique. De plus, on risque de voir la population se laisser plus facilement
manipuler par les médias. Les français seraient devenus individualistes et uniquement attachés à une tranquillité leur
permettant de bénéficier de leur confort matériel.
Quant à l’intégration à la l’État-Nation, elle semble mise à mal par la montée des communautarismes. En effet certains
individus réclament qu´on puisse prendre en compte les spécificités culturelles de chacun, et qu´on reconnaisse
l´existence de groupes : religieux, ethniques. Or, dans de nombreux cas, la loi s´y oppose. On ne peut par exemple
réserver l´emploi dans une entreprise à une catégorie ethnique. Les revendications communautaires vont donc parfois à
l’encontre des règles de la République.
Pourtant certains sociologues pensent que les communautés sont des groupes primaires qui permettent l´intégration de
l´individu. Sans ce groupe, l´individu peut se trouver dans une situation où les règles et les valeurs perdent leur force.
Ce phénomène est d´autant plus marqué lorsque les autres instances d´intégration sont elles aussi en panne (travail,
rôle de l´État). Ainsi, dans certains pays, l´État stimule l´existence de groupes communautaires institutionnalisés, qui
sont le relais de l´État auprès de la population. Obéissant aux règles imposées par le groupe, reconnaissant en outre la
présence de l´État, les individus en viennent à mieux respecter un certain nombre de valeurs nécessaires à la vie en
société.
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