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LIEN SOCIAL ET INDIVIDUALISME
Pour les philosophes des Lumières, les communautés sont considérées comme des ins-
titutions irrationnelles contraignantes pour les libertés individuelles et contraires au droit
de propriété.
qLe triomphe de l’individu
Jean-Jacques Rousseau défend la nécessité d’un « contrat social » qui unit des indivi-
dus libres et égaux. Cette nécessité rejoint les préoccupations des économistes, notam-
ment celles d’Adam Smith (1723-1790) qui démontre que le marché, en laissant jouer les
égoïsmes et les intérêts particuliers, permet d’atteindre un équilibre économique, source
d’harmonie sociale.
qLe lien social dans les sociétés
modernes
Émile Durkheim montre que l’évolution
de la société justifie le changement de
nature du lien social. Dans son livre De la
division du travail social, le sociologue
affirme que la division du travail crée une
solidarité entre les individus. Dans les socié-
tés traditionnelles, où le travail est peu
divisé, cette solidarité est qualifiée de méca-
nique : la tradition joue un rôle prépondé-
rant, l’individualisme est inconnu, car les
individus sont unis grâce à leur ressem-
blance et la conscience individuelle est liée à
la conscience collective. Le droit privilégie la
sanction répressive, c’est-à-dire celle qui vise
à atteindre une personne dans sa fortune et
même sa vie (droit pénal actuel). Dans les
sociétés modernes, la division du travail ins-
titue une solidarité organique entre indivi-
dus libres dont les fonctions sont à la fois
différentes et complémentaires. Le droit pri-
vilégie la sanction restitutive qui n’implique
pas la souffrance des personnes, mais la
remise en état des choses (droit civil, droit
commercial ou administratif).
Lorsque la société connaît une crise du lien social, les idées communautaristes resurgis-
sent. Ce fut le cas au XIXesiècle ; les penseurs socialistes comme Robert Owen définirent
les bases d’utopies où l’homme est profondément lié à sa communauté. De même, après
1968, des intellectuels prônèrent le retour à la terre et la constitution de communautés vil-
lageoises. Aujourd’hui, le régionalisme, l’intégrisme religieux sont autant de nouvelles
formes de communautarisme présentées comme des solutions à la crise du lien social.
L’individu hypermoderne
Depuis les années 1960, nos sociétés
sont entrées dans une nouvelle phase
(« l’hypermodernité ») marquée par la
mondialisation, le déclin des institutions,
le triomphe de l’économie libérale, l’indi-
vidualisation des mœurs. Un certain
nombre de sociologues (Jean-Claude
Kaufman en France, par exemple) se
sont intéressés à ces mutations. Parmi
ces analyses, on peut distinguer celle
d’Ulrich Beck. Celui-ci, dans son livre
majeur
La société du risque
(Aubier,
2001) montre que les risques actuels
ne sont pas seulement naturels mais
également le produit de l’activité humai-
ne (maladie de la vache folle par
exemple). Ainsi, « la société du risque »
implique l’individualisation de la vie qui
« signifie en premier lieu la décomposi-
tion, en second lieu l’abandon des
modes de vie de la société industrielle ».
Dans cette société qualifiée de « secon-
de modernité », l’individu ne peut plus
s’appuyer sur la tradition pour vivre en
société mais doit faire preuve de « ré-
flexivité » car il est contraint de prendre
des décisions par lui-même en fonction
de l’information dont il dispose.